3. L'HISTOIRE D'URANTIA
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LE CHAMANISME — GUÉRISSEURS ET PRÊTRES
L'ÉVOLUTION des observances religieuses progressa depuis l'apaisement, l'échappatoire, l'exorcisme, la coercition, la conciliation, et la propitiation jusqu'au sacrifice, à l'expiation, et à la rédemption. La technique du rituel religieux passa des formes primitives du culte aux fétiches, puis à la magie et aux miracles. À mesure que le rituel devenait plus compliqué en réponse aux concepts de plus en plus complexes que l'homme se formait des royaumes supra-matériels, il fut inévitablement dominé par les guérisseurs, les chamans, et les prêtres.
Au cours du progrès de ses conceptions, l'homme primitif finit par considérer le monde des esprits comme se désintéressant des mortels ordinaires. Seuls les humains exceptionnels pourraient avoir l'oreille des dieux; seuls l'homme ou la femme extraordinaires seraient écoutés par les esprits. La religion entra alors dans une nouvelle phase, un stade où elle eut graduellement recours aux intermédiaires; un guérisseur, un chaman, ou un prêtre intervenait toujours entre le fidèle et l'objet de son adoration. Aujourd'hui, la plupart des systèmes urantiens de croyances religieuses organisées passent par ce niveau de développement évolutionnaire.
La religion évolutionnaire naît d'une peur simple et toute-puissante, la peur qui surgit dans la pensée humaine confrontée avec l'inconnu, l'inexplicable, et l'incompréhensible. La religion aboutit en fin de compte à la compréhension claire et profondément simple d'un amour tout-puissant, l'amour qui envahit irrésistiblement l'âme humaine quand elle s'éveille à la conception de l'affection illimitée du Père Universel pour les fils de l'univers. Mais entre le commencement et la consommation de l'évolution religieuse interviennent les longs âges des chamans qui prétendent s'interposer entre l'homme et Dieu comme intermédiaires, interprètes, et intercesseurs.
1. -- LES PREMIERS CHAMANS -- LES GUÉRISSEURS
Le chaman était le guérisseur le plus éminent, l'homme fétiche des cérémonies, et la personnalité focale pour toutes les pratiques de la religion évolutionnaire. Dans beaucoup de groupes, le chaman était hiérarchiquement supérieur au chef de guerre, ce qui marqua le commencement de la domination de l'Etat par l'Église. Le chaman opérait parfois comme prêtre, et même comme prêtre-roi. Plus tard, certaines tribus eurent simultanément des chamans-guérisseurs (voyants) du type primitif et des chamans-prêtres du type apparu ultérieurement. Dans de nombreux cas, la fonction de chaman devint héréditaire.
Puisque dans les anciens temps tout caractère anormal était attribué à la possession par un esprit, toute anomalie frappante, mentale ou physique, constitue une qualification pour être un guérisseur. Beaucoup d'hommes de cette sorte étaient épileptiques et beaucoup de femmes hystériques; ces deux types expliquent une bonne partie de l'inspiration ancienne ainsi que la possession par des esprits et des démons. Un grand nombre de ces prêtres tout à fait primitifs appartenaient à une classe actuellement dénommée paranoïaque.
Les chamans ont peut-être pratiqué la tromperie dans des affaires mineures, mais en grande majorité ils croyaient être possédés par des esprits. Les femmes capables de se mettre en transe ou dans un état cataleptique devinrent de puissantes chamanesses; plus tard, ces femmes furent des prophétesses et des médiums spirites. Leurs transes cataleptiques impliquaient généralement de prétendues communications avec les esprits des morts. Nombre de chamanesses étaient aussi des danseuses professionnelles.
Tous les chamans ne s'illusionnaient pas sur eux-mêmes; beaucoup étaient des escrocs rusés et habiles. Quand la profession se développa, on exigea des novices un apprentissage de dix années d'épreuves sévères et de renoncement pour se qualifier comme guérisseurs. Les chamans instaurèrent une manière professionnelle de s'habiller et affectèrent une conduite mystérieuse. Ils employaient fréquemment des drogues pour provoquer certains états physiques destinés à impressionner et à mystifier les membres de leur tribu. La prestidigitation fut considérée comme surnaturelle par les gens du commun, et certains prêtres astucieux furent les premiers à employer le ventriloquisme. Beaucoup d'anciens chamans tombèrent sans le vouloir dans l'hypnotisme; d'autres provoquèrent l'autohypnose en regardant fixement leur nombril pendant très longtemps.
Bien que nombre d'entre eux eussent recours à ces supercheries et tromperies, leur réputation en tant que classe tenait en fin de compte à leur réussite apparente. Quand un chaman échouait dans ses entreprises, on le déclassait ou on le tuait s'il ne pouvait présenter un alibi plausible. Ainsi les chamans honnêtes périrent de bonne heure. Seuls les comédiens astucieux survivaient.
Ce fut le chamanisme qui enleva aux anciens et aux forts la direction exclusive des affaires de la tribu, et la remit aux mains des rusés, des intelligents, et des perspicaces.
2. -- LES PRATIQUES CHAMANISTES
La conjuration des esprits était une procédure très précise et fort compliquée, comparable aux rituels ecclésiastiques d'aujourd'hui conduits dans une langue morte. La race humaine a recherché de très bonne heure l'aide surhumaine, la révélation; les primitifs croyaient que les chamans recevaient réellement des révélations. Les chamans utilisèrent dans leur travail le grand pouvoir de la suggestion, mais c'était presque invariablement une suggestion négative; la technique de la suggestion positive n'a été employée que tout récemment. Au début du développement de leur profession, les chamans commencèrent à se spécialiser dans des branches telles que la provocation de la pluie, la cure des maladies, et la détection des criminels. Toutefois, un guérisseur chamanique n'avait pas pour fonction principale de guérir les malades, mais plutôt de connaître et de contrôler les risques de la vie.
L'ancienne magie noire, tant religieuse que laïque, était appelée magie blanche quand elle était pratiquée par des prêtres, des voyants, des chamans, ou des guérisseurs. Les adeptes de la magie noire étaient qualifiés de sorciers, magiciens, pythonisses, enchanteurs, nécromanciens, exorcistes, et devins. Avec le temps, tous ces prétendus contacts avec le monde surnaturel furent classés en sorcellerie ou en chamanisme.
La sorcellerie englobait la magie accomplie par des esprits primitifs, irréguliers, et non reconnus. Le chamanisme concernait les miracles accomplis par des esprits réguliers et par les dieux reconnus de la tribu. Plus tard, les sorcières furent associées au diable, et la scène était ainsi préparée pour les nombreuses exhibitions relativement récentes d'intolérance religieuse. La sorcellerie était une religion pour beaucoup de tribus primitives.
Les chamans croyaient profondément à la mission du hasard pour révéler la volonté des esprits; ils tiraient fréquemment au sort pour parvenir à des décisions. Des exemples de survivances modernes de ce penchant pour tirer au sort se retrouvent non seulement dans les nombreux jeux de hasard, mais aussi dans les « comptines »bien connues. Jadis la personne éliminée devait mourir; aujourd'hui elle est simplement celui qui le sera dans des jeux enfantins. Ce qui était une affaire sérieuse pour les primitifs a survécu comme divertissement pour les enfants modernes.
Les guérisseurs avaient grande confiance dans les signes et les présages tels que: « Si tu entends le bruit d'un frôlement dans le sommet des mûriers, alors tu te hâteras d'agir ». Très tôt dans l'histoire de la race, les chamans, tournèrent leur attention vers les étoiles. Dans le monde entier on crut à l'astrologie primitive et on la pratiqua. L'interprétation des rêves fut également très répandue. Tout ceci fut bientôt suivi de l'apparition des chamanesses fantasques qui se déclaraient capables de communiquer avec les esprits des morts.
Bien que leur origine soit ancienne, les faiseurs de pluie, les chamans du temps, ont subsisté jusqu'à aujourd'hui à travers les âges. Une sécheresse grave signifiait la mort pour les agriculteurs primitifs; la magie antique s'occupait beaucoup du contrôle du temps. Les hommes civilisés font encore de la pluie et du beau temps le thème commun des conversations. Les anciennes populations croyaient toutes au chaman comme faiseur de pluie, mais elles avaient coutume de le tuer s'il échouait, à moins qu'il n'ait pu fournir une excuse valable pour rendre compte de son échec.
Les astrologues furent maintes et maintes fois bannis par les Césars, mais ils revenaient invariablement à cause de la croyance populaire à leurs pouvoirs. Ils ne purent être chassés et, même au XVIe siècle de l'ère chrétienne, les administrateurs des Églises et des États occidentaux protégèrent l'astrologie. Des milliers de personnes censément intelligentes croient encore que l'on peut naître sous la domination d'une étoile de chance ou de malchance, et que la juxtaposition des corps célestes détermine l'aboutissement de diverses aventures terrestres. Les diseurs de bonne aventure ont encore une clientèle de crédules.
Les Grecs croyaient à l'efficacité de l'avis des oracles, les Chinois employaient la magie pour se protéger des démons, le chamanisme a fleuri aux Indes et persiste encore ouvertement en Asie Centrale. Dans une grande partie du monde, sa pratique n'a été abandonnée que tout récemment.
De temps à autre, de vrais prophètes et instructeurs ont surgi pour dénoncer et démasquer le chamanisme. Même les hommes rouges en voie de disparaître eurent un prophète de cet ordre au cours du siècle dernier, Teuskwatowa le Shawnie, qui prédit l'éclipse du soleil en 1808 et démontra les vices des hommes blancs. Beaucoup de vrais éducateurs sont apparus parmi les diverses tribus et races au cours des longs âges de l'histoire évolutionnaire. Il continuera toujours d'en apparaître pour défier les chamans ou prêtres de toute époque qui s'opposent à l'éducation générale et tentent de contrecarrer le progrès scientifique.
De bien des manières et par des méthodes tortueuses, les chamans de jadis établirent leur réputation en tant que voix de Dieu et gardiens de la providence. Ils aspergeaient d'eau les nouveau-nés et leur conféraient des noms; ils circoncisaient les mâles. Ils présidaient à toutes les cérémonies d'enterrement et annonçaient dûment la bonne arrivée des morts au pays des esprits.
Les prêtres et guérisseurs chamaniques devenaient souvent très riches par le cumul de leurs divers honoraires qui, ostensiblement, étaient des offrandes aux esprits. Il n'était pas rare qu'un chaman accaparât pratiquement toute la fortune matérielle de sa tribu. À la mort d'un homme riche, on avait coutume de diviser son héritage en parts égales entre le chaman et une entreprise publique ou une oeuvre de charité. Cette pratique prévaut encore dans certaines parties du Thibet, où la moitié de la population masculine appartient à cette classe de non-producteurs.
Les chamans s'habillaient bien et avaient en général un nombre respectable de femmes. Ils furent l'aristocratie originelle, exempte de toute restriction par la tribu. Leur mentalité et leur morale étaient très souvent de bas étage. Ils supprimaient leurs rivaux en les dénonçant comme sorciers ou magiciens et s'élevaient à de telles situations d'influence et de pouvoir qu'ils pouvaient dominer les chefs ou les rois.
Les hommes primitifs considéraient le chaman comme un mal nécessaire; ils le craignaient, mais ne l'aimaient pas. Ils respectaient le savoir, ils honoraient et récompensaient la sagesse. Mais les chamans étaient surtout des charlatans. La vénération du chamanisme illustre bien la prime accordée à la sagesse relative dans l'évolution de la race.
3. -- LA THÉORIE CHAMANIQUE DE LA MALADIE ET DE LA MORT
Puisque l'homme de l'antiquité considérait que lui-même et son entourage étaient directement sensibles aux caprices des fantômes et aux fantaisies des esprits, il est bien naturel que sa religion se soit si exclusivement occupée des affaires matérielles. L'homme moderne attaque directement ses problèmes matériels; il reconnaît que la matière est docile aux manipulations intelligentes de la pensée. L'homme primitif désirait aussi modifier, et même contrôler, la vie et les énergies du domaine physique, mais sa compréhension limitée du cosmos le conduisit à croire que les fantômes, les esprits, et les dieux s'occupaient personnellement et immédiatement du contrôle détaillé de la vie et de la matière. Il orienta donc logiquement ses efforts pour gagner la faveur et le soutien de ces agents supra-humains.
Vue sous cette lumière, une grande partie des éléments inexplicables et irrationnels des anciens cultes devient compréhensible. Les cérémonies du culte étaient les tentatives des hommes primitifs pour contrôler le monde matériel dans lequel ils se trouvaient. Une bonne partie de leurs efforts tendait à prolonger la vie et à assurer la santé. Or toutes les maladies et la mort elle-même furent originellement considérées comme des phénomènes dus aux esprits; il était donc inévitable que les chamans, tout en opérant comme guérisseurs et prêtres, aient aussi travaillé comme médecins et chirurgiens.
La pensée primitive est peut-être handicapée par le manque de faits constatés, mais en tout cela elle reste logique. Quand des hommes réfléchis observent la maladie et la mort, ils entreprennent de déterminer les causes de ces visitations. Conformément à leur compréhension, les chamans et les savants ont proposé les théories suivantes à propos des afflictions:
1. Les fantômes -- les influences directes des esprits. La toute première hypothèse avancée pour expliquer la maladie et la mort fut que les esprits causaient des maladies en attirant l'âme hors du corps; si l'âme ne réussissait pas à revenir, la mort s'ensuivait. Les anciens craignaient tellement l'action malveillante des fantômes producteurs de maladies qu'ils abandonnaient souvent les individus mal portants sans même leur laisser de quoi manger et boire. Indépendamment de leurs prémices erronées, ces croyances isolaient efficacement des individus malades et empêchaient la propagation des maladies contagieuses.
2. La violence -- les causes évidentes. Les causes de certains accidents et décès étaient si faciles à identifier qu'elles furent tôt supprimées de la catégorie des activités des fantômes. Les issues fatales et les blessures accompagnant la guerre, les combats avec les animaux, et d'autres facteurs facilement identifiables furent considérés comme des événements naturels. Mais on crut longtemps que les esprits restaient responsables des retards dans les guérisons ou des infections de blessures, même dues à des causes «naturelles». Si nul agent naturel observable ne pouvait être découvert, on tenait encore les esprits fantômes pour responsables de la maladie et de la mort.
Aujourd'hui, en Afrique et ailleurs, on peut trouver des peuplades primitives qui tuent quelqu'un chaque fois qu'il se produit un décès non dû à la violence. Leurs guérisseurs leur indiquent les coupables. Si une mère meurt en couches, on étrangle immédiatement l'enfant -- une vie pour une vie.
3. La magie -- l'influence des ennemis. On croyait de bien des maladies qu'elles étaient causées par ensorcellement, par l'action du mauvais oeil et de l'arc pointé magiquement. A une époque, il fut réellement dangereux de montrer quelqu'un du doigt; on considère encore comme mal élevé de le faire. Dans les cas de maladie et de mort obscures, les anciens faisaient une enquête officielle, disséquaient le corps, découvraient un indice, et décidaient qu'il était la cause de la mort; autrement on l'aurait attribuée à la sorcellerie et il aurait fallu exécuter la sorcière responsable. Les autopsies faites par les agents chargés d'enquêter sur les décès ont sauvé la vie à bien des sorcières présumées. Dans certaines tribus, on croyait qu'un homme pouvait mourir comme conséquence de sa propre sorcellerie, auquel cas nul n'était accusé.
4. Le péché -- la punition pour avoir violé un tabou. À une époque relativement récente, on a cru que la maladie était un châtiment du péché, personnel ou racial. Chez les peuples traversant ce niveau d'évolution prévaut la théorie que l'on ne peut être affligé à moins d'avoir violé un tabou. Une forme typique de cette croyance consiste à considérer la maladie et la souffrance comme « des flèches du Tout Puissant à l'intérieur du corps ». Les Chinois et les Mésopotamiens ont longtemps considéré les maladies comme résultant de l'activité de mauvais démons, bien que les Chaldéens aient aussi regardé les étoiles comme des causes de souffrance. Cette théorie de la maladie comme conséquence de la colère divine prévaut encore parmi de nombreuses collectivités urantiennes réputées civilisées.
5. Causes naturelles. L'humanité fut très longue à apprendre les secrets matériels des relations de cause à effet dans les domaines physiques de l'énergie, de la matière, et de la vie. Les anciens Grecs, ayant préservé les traditions des enseignements d'Adamson, furent parmi les premiers à reconnaître que toute maladie résulte de causes naturelles. Avec lenteur et certitude, le développement d'une ère scientifique détruit les théories millénaires des hommes sur la maladie et la mort. La fièvre fut l'une des premières indispositions ôtées de la catégorie des désordres surnaturels; l'ère de la science a progressivement rompu les entraves de l'ignorance qui a si longtemps emprisonné la pensée humaine. La compréhension de la vieillesse et de la contagion efface graduellement de la pensée des hommes la peur des fantômes, des esprits, et des dieux en tant qu'auteurs de la misère humaine et des souffrances humaines.
L'évolution parvient infailliblement à ses fins: elle imprègne l'homme de la peur superstitieuse de l'inconnu et de la crainte de l'invisible, qui sont l'échafaudage du concept de Dieu. Puis, après avoir constaté la naissance d'une compréhension élevée de la Déité par l'action coordonnée de la révélation, la même technique d'évolution met en marche avec précision les forces de pensée qui détruiront inexorablement l'échafaudage dont le but a été atteint.
4. -- LA MÉDECINE CHEZ LES CHAMANS
Toute la vie des anciens était axée sur la prophylaxie; leur religion était dans une large mesure une technique pour prévenir les maladies. Indépendamment de l'erreur de leurs théories, ils étaient sincères en les mettant en oeuvre. Ils avaient une foi illimitée dans leurs méthodes de traitement. Ce seul facteur est déjà par lui-même un remède puissant.
La foi exigée pour se rétablir au moyen des soins stupides d'un de ces anciens chamans n'était pas, après tout, matériellement différente de celle qu'il faut aujourd'hui pour se faire guérir par un de leurs successeurs lancé dans le traitement non-scientifique des maladies.
Les tribus les plus primitives craignaient beaucoup les malades; pendant de longs âges on les évita soigneusement, on les négligea honteusement. L'humanitarisme avança d'un grand pas quand l'évolution du métier de chaman suscita des prêtres et des guérisseurs consentant à traiter les maladies. Il devint alors coutumier pour tout le clan d'affluer dans la chambre du malade pour aider le chaman à chasser par des hurlements le fantôme de la maladie. Il n'était pas rare que le chaman faisant le diagnostic fût une femme, tandis qu'un homme administrait le traitement. La méthode habituelle pour diagnostiquer les maladies consistait à examiner les entrailles d'un animal.
On traitait la maladie en chantant, en hurlant, en imposant les mains, en soufflant sur le patient, et par bien d'autres techniques. Plus tard on eut recours au sommeil dans le temple, durant lequel on supposait que la guérison avait lieu, et cette coutume se généralisa. Les guérisseurs finirent par essayer des opérations chirurgicales liées au sommeil dans le temple; le percement du crâne avec une tarière pour permettre la fuite d'un esprit causant le mal de tête fut l'une des premières opérations. Les chamans apprirent à réduire les fractures et les luxations, à ouvrir les furoncles et les abcès; les chamanesses devinrent des sages-femmes expertes.
Une méthode courante de traitement consistait à frotter une amulette magique sur un point infecté ou souillé du corps, à la jeter, et à supposer que l'on avait obtenu une guérison. Si par hasard quelqu'un ramassait l'amulette jetée, on croyait qu'il acquerrait immédiatement l'infection ou la souillure. Il fallut longtemps pour introduire les herbes et autres vrais médicaments. Le massage se développa en liaison avec les incantations, pour chasser l'esprit du corps par frottement; il fut précédé par des efforts pour introduire des médicaments par frottement, semblables aux tentatives modernes pour faire pénétrer des liniments. On crut qu'en appliquant des ventouses, en suçant les parties affectées, et en pratiquant des saignées, on contribuait utilement à se débarrasser d'un esprit générateur de maladies.
L'eau était un puissant fétiche; elle fut donc utilisée pour le traitement d'un grand nombre de maladies. On crut pendant longtemps que l'esprit causant la maladie pouvait être éliminé par la transpiration. On accorda beaucoup de crédit aux bains de vapeur. Des stations de cure primitive fleurirent autour des sources thermales naturelles. Les primitifs découvrirent que la chaleur soulageait la souffrance; ils utilisèrent les rayons du soleil, des organes d'animaux fraîchement tués, de l'argile chaude, des pierres chauffées; plusieurs de ces méthodes sont encore employées aujourd'hui. On s'efforça d'influencer les esprits en pratiquant des rythmes; les tam-tams furent universellement employés.
Chez certains peuples, on croyait que la maladie était causée par une conspiration perverse entre des esprits et des animaux. Cela donna naissance à la croyance qu'il existait un remède végétal pour chaque maladie causée par un animal. Les hommes rouges étaient spécialement fidèles à la théorie des plantes comme remèdes universels; ils laissaient toujours tomber une goutte de sang dans le trou laissé par les racines quand on arrachait la plante.
On utilisait souvent le jeûne, les régimes, et les calmants comme mesures curatives. Les sécrétions humaines, étant nettement magiques, jouissaient d'une haute considération; le sang et l'urine figuraient donc parmi les premiers médicaments, et l'on y ajouta bientôt des racines et divers sels. Les chamans croyaient que les esprits de maladie pouvaient être chassés par des médicaments infects et nauséabonds. La purge devint très tôt un traitement ordinaire, et la valeur du cacao et de la quinine bruts fut l'une des toutes premières découvertes pharmaceutiques.
Les Grecs furent les premiers a établir des méthodes vraiment rationnelles pour soigner les malades. Les Grecs et les Égyptiens tenaient leurs connaissances médicales des habitants de la vallée de l'Euphrate. L'huile et le vin furent employés de très bonne heure pour panser les blessures. Les Sumériens utilisaient l'huile de ricin et l'opium. Beaucoup de ces remèdes secrets anciens et efficaces perdirent leur vertu quand ils furent connus; le secret a toujours été essentiel pour pratiquer avec succès la supercherie et la superstition. Seuls les chercheurs de faits et de vérité aiment la pleine lumière de la compréhension et se réjouissent de la clarté et de l'illumination apportées par la recherche scientifique.
5. -- PRÊTRES ET RITUELS
L'essence du rituel est la perfection de son accomplissement; pour les sauvages, il faut le pratiquer avec une précision parfaite. La cérémonie n'a de pouvoir coercitif sur les esprits que si elle a été célébrée correctement. Si le rituel est défectueux, il ne fait qu'exciter la colère et le ressentiment des dieux. Donc, puisque la pensée lentement évoluante des hommes concevait que la technique du rituel était le facteur décisif de son efficacité, il était inévitable que les chamans primitifs se transforment tôt ou tard en une prêtrise entraînée à diriger la pratique méticuleuse du rituel. Alors, pendant des dizaines de milliers d'années, d'interminables rituels devinrent des entraves pour la société et une malédiction pour la civilisation, un fardeau intolérable pour tous les actes de la vie, pour toutes les entreprises raciales.
Le rituel est la technique pour sanctifier la coutume; le rituel crée et perpétue des mythes aussi bien qu'il contribue à préserver les coutumes sociales et religieuses. De plus, le rituel lui-même a été engendré par des mythes. Les rituels commencent souvent par être sociaux, deviennent ensuite économiques, et finissent par acquérir la sainteté et la dignité de cérémonies religieuses. La pratique du rituel peut être personnelle ou collective -- ou les deux -- comme on en voit l'exemple dans la prière, la danse, et les représentations dramatiques.
Les paroles devinrent partie du rituel, comme le montre l'usage de termes tels que amen et sélah. L'habitude de jurer, le blasphème, représente une prostitution de l'ancienne répétition rituelle de noms sacrés. Les pèlerinages à des mausolées sacrés sont un très ancien rituel. Les rituels devinrent ensuite un cérémonial minutieux de purification, d'assainissement, et de sanctification. Les cérémonies d'initiation des sociétés secrètes des tribus primitives étaient en réalité un rite religieux grossier. La technique d'adoration des anciens cultes des mystères était simplement une longue performance de rituels religieux accumulés. Le rituel finit par donner les types modernes de cérémonies sociales et de cultes religieux, les services englobant des prières, des chants, des répons, et d'autres dévotions spirituelles individuelles et collectives.
Les prêtres évoluèrent à partir des chamans en passant par les stades d'oracles, de devins, de chanteurs, de faiseurs de pluie et de beau temps, de gardiens de reliques, de conservateurs de temples, et de pronostiqueurs d'événements, pour en arriver au statut d'administrateurs effectifs du culte religieux. Leur charge devint finalement héréditaire, et une caste ecclésiastique permanente s'éleva.
À mesure que la religion évoluait, les prêtres commencèrent à se spécialiser selon leurs talents innés ou leurs prédilections spéciales. Certains devinrent chanteurs, d'autres prieurs, et d'autres encore sacrificateurs; plus tard vinrent les orateurs -- les prédicateurs. Quand la religion devint une institution, ces prêtres prétendirent « détenir la clef du ciel ».
Les prêtres ont toujours cherché à impressionner les gens du peuple et à leur inspirer une crainte respectueuse en conduisant le rituel religieux dans une langue morte et en faisant diverses passes magiques pour mystifier les fidèles de manière à rehausser leur propre piété et leur autorité. Le grand danger dans tout cela est que le rituel tend à devenir un substitut de la religion.
Les prêtrises ont beaucoup contribué à retarder le développement de la science et empêcher le progrès spirituel, mais elles ont contribué à stabiliser la civilisation et à relever certains aspects de la culture. Beaucoup de prêtres modernes ont cessé d'opérer comme directeurs du rituel d'adoration de Dieu et tourné leur attention vers la théologie -- la tentative pour définir Dieu.
Les prêtres ont incontestablement été une meule attachée au cou des races, mais vrais les chefs religieux ont eu une valeur inestimable en montrant le chemin vers des réalités supérieures et meilleures.
[Présenté par un Melchizédek de Nébadon.]
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PÉCHÉ, SACRIFICE, ET EXPIATION
L'HOMME primitif se considérait comme endetté vis-à-vis des esprits, comme ayant besoin de rédemption. Du point de vue des sauvages sur la justice, les esprits auraient pu leur envoyer beaucoup de malchance. Avec l'écoulement du temps, ce concept se transforma en doctrine du péché et du salut. On considérait l'âme comme venant au monde avec un passif -- le péché originel. Il fallait racheter l'âme, fournir un bouc émissaire. Les chasseurs de têtes pratiquaient le culte de l'adoration des crimes, et en outre ils pouvaient fournir un remplaçant pour leur propre vie, un souffre-douleur.
Les sauvages furent imbus de bonne heure par la notion que les esprits prennent une satisfaction suprême à contempler la misère, les souffrances, et l'humiliation humaines. Tout d'abord les hommes ne s'occupèrent que du péché de commission, mais ensuite ils se préoccupèrent du péché d'omission. Tout le système subséquent des sacrifices se développa autour de ces deux idées. Les primitifs croyaient qu'il fallait faire quelque chose de spécial pour gagner la faveur des dieux; seule une civilisation évoluée reconnaît un Dieu bienveillant et d'humeur égale. La propitiation était une assurance contre la malchance immédiate plutôt qu'un investissement pour une félicité future. Les rites d'abstention, d'exorcisme, de coercition, et de propitiation se fondent tous les uns dans les autres.
1. -- LE TABOU
L'observance d'un tabou était l'effort de l'homme pour esquiver la malchance en s'abstenant de quelque chose, pour éviter d'offenser les esprits fantômes. Tout d'abord les tabous ne furent pas religieux, mais ils acquirent de bonne heure la sanction des fantômes et des esprits; quand ils furent ainsi renforcés, ils devinrent des législateurs et des bâtisseurs d'institutions. Le tabou est la source des normes cérémonielles et l'ancêtre du contrôle primitif de soi. Il fut la première forme de réglementation sociale, et pendant longtemps la seule; il est encore un facteur fondamental de la structure légale de la société.
Le respect que ces prohibitions inspiraient à la pensée des sauvages était exactement proportionnel à leur peur des pouvoirs censés imposer ces prohibitions. La peur du châtiment par les esprits est si vive dans la pensée des primitifs qu'ils meurent parfois de frayeur lorsqu'ils ont violé un tabou; ces épisodes dramatiques renforcent énormément l'emprise du tabou sur la pensée des survivants.
Parmi les premières prohibitions se trouvaient les restrictions sur l'appropriation des femmes et d'autres biens. À mesure que la religion joua un rôle croissant dans l'évolution du tabou, l'article frappé d'interdit fut considéré comme impur, puis comme impie. Les archives des Hébreux sont remplies de mentions concernant des choses pures et impures, saintes et impies, mais les croyances des Hébreux dans ce sens étaient beaucoup moins encombrantes et étendues que chez d'autres peuples.
Les sept commandements de Dalamatia et d'Éden, ainsi que les dix commandements des Hébreux, étaient des tabous précis, tous exprimés dans la même forme négative que les plus anciennes prohibitions; mais ces nouveaux codes avaient une véritable valeur émancipatrice en ce sens qu'ils remplaçaient des milliers de tabous préexistants. En outre, ces commandements promettaient catégoriquement quelque chose en récompense de l'obéissance.
Les tabous primitifs sur la nourriture naquirent du fétichisme et du totémisme. Le porc était sacré pour les Phéniciens, la vache pour les Hindous. Le tabou égyptien sur la viande de porc a été perpétué par la foi hébraïque et islamique. Une variante du tabou sur la nourriture était la croyance qu'une femme enceinte pouvait tellement penser à un certain aliment que l'enfant, lors de sa naissance, serait le reflet de cet aliment, lequel serait alors tabou pour lui.
Les méthodes alimentaires devinrent tabou de bonne heure, d'où l'étiquette de table ancienne et moderne. Les systèmes de castes et les niveaux sociaux sont des vestiges d'antiques prohibitions. Les tabous furent très efficaces pour organiser la société, mais ils étaient terriblement incommodes; le système d'interdit négatif maintenait non seulement des règles utiles et constructives, mais aussi des tabous périmés, désuets, et inutiles.
Nulle société civilisée ne peut toutefois se permettre de critiquer les hommes primitifs, sauf pour leurs tabous nombreux et variés, et les tabous n'auraient jamais persisté s'ils n'avaient été soutenus par la religion primitive. Nombre de facteurs essentiels dans l'évolution humaine ont été extrêmement onéreux, ont coûté d'immenses trésors d'efforts, de sacrifices, et de renoncements; mais ces étapes de la maîtrise de soi furent les véritables échelons sur lesquels l'homme a gravi l'échelle ascendante de la civilisation.
2. -- LE CONCEPT DU PÉCHÉ
La peur du hasard et la crainte de la malchance poussèrent littéralement les hommes à inventer la religion primitive comme une assurance supposée contre ces calamités. Partant de la magie et des fantômes et passant par les esprits et les fétiches, la religion évolua jusqu'aux tabous. Chaque tribu primitive avait son arbre au fruit défendu, littéralement le pommier, mais au figuré consistant en un millier de branches pendantes lourdes de toutes sortes de tabous. L'arbre défendu disait toujours: « Tu ne feras pas ».
Quand la pensée sauvage évolua au point d'imaginer à la fois de bons et de mauvais esprits, et quand le tabou reçut la sanction solennelle de la religion évoluante, la scène fut prête pour l'apparition de la nouvelle conception du péché. L'idée du péché était universellement établie dans le monde bien avant que la religion révélée y pénétrât. Seul le concept du péché permit à la mort naturelle de devenir logique pour la pensée primitive. Le péché était la transgression du tabou, et la mort était le châtiment du péché.
Le péché était rituel, et non rationnel; un acte et non une pensée. L'ensemble de ce concept du péché était entretenu par de vagues traditions de Dilmun et de l'époque d'un petit paradis sur terre. La tradition d'Adam et du Jardin d'Éden prêtait également substance au rave d'un ancien « âge d'or » à l'aurore des races. Tout ceci confirmait les idées qui s'exprimèrent plus tard par la croyance que l'homme avait son origine dans une création spéciale, qu'il avait débuté parfait dans sa carrière, et que la transgression des tabous -- le péché -- l'avait rabaissé à son triste sort ultérieur.
La violation habituelle d'un tabou devint un vice; la loi primitive fit du vice un crime; la religion en fit un péché. Chez les tribus primitives, la violation d'un tabou était un crime et un péché conjugués. Une calamité atteignant la communauté était toujours considérée comme une punition pour un péché de la tribu. Pour ceux qui croyaient que la prospérité va de pair avec la droiture, la prospérité des méchants causa tant de soucis qu'il devint nécessaire d'inventer des enfers pour punir les violateurs de tabous. Le nombre de ces lieux de châtiment futur a varié de un à cinq.
L'idée de confession et de pardon apparut de bonne heure dans la religion primitive. Les hommes demandaient pardon dans une réunion publique pour des péchés qu'ils avaient l'intention de commettre la semaine suivante. La confession était simplement un rite de rémission, et aussi une notification publique de souillure, un rituel pour crier « impur, impur! Suivaient ensuite toutes les formes rituelles de purification. Tous les peuples de l'antiquité pratiquèrent ces cérémonies dépourvues de sens. Bien des coutumes, apparemment hygiéniques, des tribus primitives étaient surtout cérémonielles.
3. -- RENONCEMENT ET HUMILIATION
Le renoncement fut l'étape suivante de l'évolution religieuse; on pratiquait couramment le jeûne. Bientôt s'établit la coutume de s'abstenir de nombreuses formes de plaisir physique, spécialement de nature sexuelle. Le rituel du jeûne était profondément enraciné dans nombre de religions anciennes; en fait, il a été transmis à tous les systèmes modernes de pensée théologique.
Juste à l'époque où les barbares commençaient à renoncer au gaspillage consistant à brûler et à enterrer des biens avec les morts, au moment où la structure économique des races commençait à prendre forme, cette nouvelle doctrine religieuse du renoncement fit son apparition, et des dizaines de milliers d'âmes sérieuses se mirent à briguer la pauvreté. Les biens furent considérés comme un handicap spirituel. La notion des dangers spirituels accompagnant la possession des biens matériels fut largement entretenue à l'époque de Philon et de Paul, et depuis lors elle a toujours notablement influencé la philosophie européenne.
La pauvreté était simplement une partie du rituel de mortification de la chair, qui, malheureusement, s'incorpora dans les écrits et les enseignements de nombre de religions, notamment du christianisme. La pénitence est la forme négative de ce rituel, souvent stupide, de renonciation. Mais tout cela enseigna la maîtrise de soi aux primitifs, et ce fut un progrès vraiment sensible dans l'évolution raciale. La négation de soi et la maîtrise de soi comptèrent parmi les plus grands gains sociaux depuis le début de la religion évolutionnaire. La maîtrise de soi apporte à l'homme une nouvelle philosophie de la vie; elle lui enseigne l'art d'accroître sa fraction de vie en diminuant le dénominateur d'exigences personnelles au lieu de toujours essayer d'augmenter le numérateur de satisfactions égoïstes.
Ces anciennes idées de discipline de soi-même englobaient la flagellation et toutes sortes de tortures physiques. Les prêtres du culte de la mère étaient spécialement actifs pour enseigner la vertu des souffrances physiques; ils donnaient l'exemple en se soumettant à la castration. Les Hébreux, les Hindous, et les Bouddhistes étaient de fidèles zélateurs de cette doctrine d'humiliation physique.
Durant toute l'antiquité, les hommes cherchèrent par ce moyen à bénéficier auprès de leurs dieux d'un supplément de crédit dû à leur renoncement. Il fut jadis coutumier, quand on éprouvait certaines tensions émotionnelles, de faire le voeu de renoncer à soi et de se torturer. Avec le temps, ces voeux prirent la forme de contrats avec les dieux. En ce sens, ils représentaient un véritable progrès évolutionnaire, car les dieux étaient censés faire quelque chose de précis en récompense de cette torture et de cette mortification de la chair. Les voeux étaient aussi bien négatifs que positifs. Aujourd'hui c'est aux Indes, parmi certains groupes, que l'on observe le mieux des serments de nature aussi extrême et nuisible.
Il était bien naturel que le culte du renoncement et de l'humiliation prêtat attention aux satisfactions sexuelles. Le culte de la continence prit naissance comme un rite parmi les soldats qui allaient se lancer dans la bataille; plus tard, il devint la pratique des « saints ». Il tolérait le mariage en le considérant comme un mal moindre que la fornication. Nombre de grandes religions ont été défavorablement influencées par cet ancien culte, mais aucune plus notoirement que le christianisme. L'Apôtre Paul en était un zélateur, et ses vues personnelles se reflètent dans les enseignements qu'il introduisit dans la théologie chrétienne: « Il est bon pour un homme de ne pas toucher de femme ». « Je voudrais que tous les hommes fussent comme moi-même ». « Je dis donc aux célibataires et aux veuves de demeurer comme moi ». Paul savait bien que ces enseignements ne faisaient pas partie de l'évangile de Jésus, et il le reconnaît en disant: « Je dis ceci par permission et non par commandement » (1). Ce culte conduisit Paul à mépriser les femmes. Le malheur est que ses opinions personnelles ont longtemps influencé les enseignements d'une grande religion. Si le conseil de l'éducateur réparateur de tentes était littéralement et universellement suivi, la race humaine prendrait fin d'une manière soudaine et peu glorieuse. En outre, le fait de mêler une religion aux anciens cultes de continence conduit directement à la guerre contre le mariage et le foyer, qui sont les véritables bases de la société et les institutions fondamentales du progrès humain. Il n'y a rien d'étonnant à ce que ces croyances aient favorisé la formation de prêtrises pratiquant le célibat dans les nombreuses religions de divers peuples.
Un jour l'homme devra apprendre à jouir de la liberté sans licence, de la nourriture sans gloutonnerie, et du plaisir sans débauche. La maîtrise de soi est une meilleure politique humaine pour régler sa conduite que l'extrême reniement de soi. Jésus n'a d'ailleurs jamais enseigné ces points de vue déraisonnables à ses disciples.
4. -- LES ORIGINES DU SACRIFICE
Le sacrifice en tant que partie des dévotions religieuses, comme beaucoup d'autres rites d'adoration, n'eut pas une origine simple et unique. La tendance à s'incliner devant le pouvoir et à se prosterner en adoration en présence d'un mystère est préfigurée par le chien qui se couche devant son maître. Il n'y a qu'un pas entre l'impulsion à adorer et l'acte du sacrifice. L'homme primitif mesurait la valeur de son sacrifice à la douleur qu'il ressentait. Lorsque l'idée de sacrifice s'attacha pour la première fois au cérémonial religieux, elle ne fut jamais envisagée sans accompagnement de souffrances. Les premiers sacrifices furent des actes tels que celui de s'arracher les cheveux, se taillader la chair, se mutiler, se casser les dents, et se couper les doigts. Avec l'avance de la civilisation, ces concepts grossiers du sacrifice furent élevés au niveau des rites d'abnégation de soi, d'ascétisme, de jeûne, de privations, et plus tard de la doctrine chrétienne de sanctification par les chagrins, les souffrances, et la mortification de la chair.
Tôt dans l'évolution de la religion, il exista deux conceptions du sacrifice: l'idée de sacrifier des offrandes, qui impliquait l'attitude d'action de grâces, et le sacrifice pour la dette, qui englobait l'idée de rédemption. La notion de substitution se développa plus tard.
Plus tard encore, l'homme conçut que son sacrifice, quelle qu'en fût la nature, pouvait servir de messager auprès des dieux; il pouvait faire l'effet d'une odeur agréable dans les narines de la déité. Cela amena l'usage de l'encens et les autres notes esthétiques des rites de sacrifice; ceux-ci se transformèrent en festoiements sacrificiels qui devinrent de plus en plus minutieux et chamarrés.
Avec l'évolution de la religion, les rites sacrificiels de conciliation et de propitiation remplacèrent les anciennes méthodes d'abstention, d'apaisement, et d'exorcisme.
L'idée initiale du sacrifice fut celle d'un impôt de neutralité perçu par les esprits ancestraux; l'idée d'expiation se développa seulement plus tard. A mesure que les hommes s'écartaient de la notion d'une origine évolutionnaire pour la race, à mesure que les traditions de l'époque du Prince Planétaire et du séjour d'Adam étaient filtrées par le temps, le concept du péché et du péché originel se répandit. Le sacrifice pour un péché accidentel et personnel se transforma par évolution en la doctrine du sacrifice pour expier le péché de la race. L'offrande du sacrifice était un expédient d'assurance générale qui couvrait tout, même la rancune et la jalousie d'un dieu inconnu.
Entouré de tant d'esprits sensitifs et de dieux rapaces, l'homme primitif était en face d'une telle foule de déités créancières qu'il fallait tous les prêtres, les rites, et les sacrifices pendant une vie entière pour le tirer de ses dettes spirituelles. La doctrine du péché originel, ou culpabilité raciale, faisait débuter chaque personne avec une dette sérieuse envers les pouvoirs spirituels.
Les hommes reçoivent des cadeaux et des pots-de-vin, mais quand on en offre aux dieux, on les décrit comme étant consacrés, rendus sacrés, ou bien on les appelle sacrifices. Le renoncement était la forme négative de la propitiation; le sacrifice en devint la forme positive. L'acte de propitiation incluait la louange, la glorification, la flatterie, et même le divertissement. Ce sont les reliquats de ces pratiques positives de l'antique culte de propitiation qui constituent les formes modernes d'adoration divine. Celles-ci sont simplement la transformation en rites des anciennes techniques sacrificielles de la propitiation positive.
Un sacrifice d'animaux avait, pour les hommes primitifs, une signification bien plus grande qu'il n'en peut avoir pour les races modernes. Les barbares considéraient les animaux comme leurs proches parents effectifs. Avec l'écoulement du temps, l'homme devint astucieux dans ses sacrifices et cessa d'offrir ses animaux de travail. Au début, il sacrifiait le meilleur de tout, y compris ses animaux domestiques.
Un certain souverain égyptien ne se vantait pas lorsqu'il affirmait avoir sacrifié 113.433 esclaves, 493.386 têtes de bétail, 88 bateaux, 2.756 statuettes d'or, 331.702 jarres de miel, 228.380 jarres de vin, 680.714 oies, 6.744.428 miches de pain, et 5.740.352 sacs de monnaie. Pour en arriver là, il fallait qu'il eût prélevé de cruels impôts sur ses sujets soumis à un travail pénible.
La simple nécessité poussa finalement ces demi-sauvages à manger la partie matérielle des créatures sacrifiées, les dieux ayant bénéficié de leur âme. Cette coutume trouva sa justification dans le simulacre de l'ancien repas sacré, un service de communion conforme aux usages modernes.
5. -- SACRIFICES ET CANNIBALISME
Les idées modernes sur le cannibalisme sont entièrement fausses; le cannibalisme faisait partie des moeurs de la société primitive. Alors qu'il est traditionnellement horrible pour la civilisation moderne, il était un élément de la structure sociale et religieuse de la société primitive. Des intérêts collectifs dictèrent la pratique du cannibalisme. Il se développa sous la pression de la nécessité et persista parce que les hommes étaient esclaves de la superstition et de l'ignorance. Il était une coutume sociale, économique, religieuse, et militaire.
Les premiers hommes étaient des cannibales; ils aimaient la chair humaine, et c'est pourquoi ils l'offraient comme un don de nourriture aux esprits et à leurs dieux primitifs. Puisque les esprits fantômes étaient simplement des hommes modifiés, et puisque la nourriture était le principal besoin des hommes, alors la nourriture devait être le plus grand besoin d'un esprit.
Le cannibalisme fut jadis à peu près universel parmi les races en évolution. Les Sangiks étaient tous cannibales, mais à l'origine, les Andonites, les Nodites, et les Adamites ne l'étaient pas; les Andites non plus jusqu'à ce qu'ils se soient exagérément mêlés aux races évolutionnaires.
L'appétit pour la chair humaine grandit. Inaugurée par la faim, l'amitié, la revanche, ou le rituel religieux, l'absorption de chair humaine devint l'habitude du cannibalisme. Elle naquit par suite de la pénurie de nourriture, bien que cette pénurie en fût rarement le motif sous-jacent. Cependant les Esquimaux et les premiers Andites s'adonnaient rarement au cannibalisme, sauf en période de famine. Les hommes rouges, spécialement en Amérique Centrale, étaient cannibales. Les mères primitives eurent jadis l'habitude générale de tuer et de manger leurs propres enfants en vue de renouveler la force qu'elles avaient perdue lors de la parturition. Au Queensland, il arrive encore souvent que le premier-né soit ainsi tué et dévoré. A une époque récente, de nombreuses tribus africaines ont délibérément recouru au cannibalisme comme procédé de guerre, une sorte d'atrocité pour terroriser leurs voisins.
Un certain cannibalisme résulta de la dégénérescence de lignées jadis supérieures, mais il prévalait surtout parmi les races évolutionnaires. L'habitude de manger des hommes naquit à une époque où les hommes éprouvaient des émotions intenses et après au sujet de leurs ennemis. Le fait de manger de la chair humaine fit partie d'une cérémonie solennelle de revanche. On croyait que de cette manière le fantôme d'un ennemi pouvait être détruit ou incorporé à celui du mangeur. L'idée que les sorciers obtenaient leurs pouvoirs en mangeant de la chair humaine fut jadis une croyance très répandue.
Certains groupes de mangeurs d'hommes ne voulaient consommer que des membres de leur propre tribu; cette consanguinité pseudo-spirituelle était censée accentuer la solidarité de la tribu. Les mêmes mangeaient aussi des ennemis pour se venger, avec l'idée de s'approprier leur force. On considérait comme un honneur pour l'âme d'un ami ou d'un compagnon de tribu de manger son corps, tandis qu'en dévorant un ennemi on ne faisait que lui infliger un juste châtiment. La pensée des sauvages n'avait nullement la prétention d'être logique.
Chez certaines tribus, les parents âgés cherchaient à être mangés par leurs enfants. Chez d'autres, la coutume voulait que l'on s'abstienne de manger des proches parents; on vendait leurs corps ou on les échangeait contre des corps d'étrangers. Il existait un commerce considérable de femmes et d'enfants engraissés pour la boucherie. Quand la maladie ou la guerre ne parvenaient pas à limiter la population, l'excédent était mangé sans cérémonie.
Le cannibalisme a graduellement tendu à disparaître sous les influences suivantes:
| 1. Il devint fréquemment une cérémonie communautaire, la prise de responsabilité collective pour infliger la peine de mort à un membre de la tribu. La culpabilité du sang cesse d'être un crime quand tous y participent, quand la société y prend part. La dernière pratique du cannibalisme en Asie fut de manger les criminels exécutés. | |
| 2. Le cannibalisme devint de très bonne heure un rite religieux, mais la croissance de la peur des fantômes n'eut pas toujours l'effet de le réduire. | |
| 3. Finalement il progressa au point où l'on ne mangeait plus que certaines parties du corps, les parties que l'on supposait contenir l'âme ou des portions de l'esprit. Il devint commun de boire du sang et de mélanger les parties « comestibles » du corps avec des drogues. | |
| 4. Il se limita aux: hommes; on défendit aux femmes de manger de la chair humaine. | |
| 5. On le limita ensuite aux prêtres, aux chefs, et aux chamans. | |
| 6. Il devint ensuite tabou pour les tribus supérieures. Le tabou sur le cannibalisme prit origine à Dalamatia et se répandit ensuite lentement dans le monde. Les Nodites encouragèrent la crémation comme moyen de combattre le cannibalisme, car il fut jadis courant de déterrer des cadavres pour les manger. | |
| 7. Les sacrifices humains sonnèrent le glas du cannibalisme. La chair humaine était devenue la nourriture des hommes supérieurs, des chefs. On finit par la réserver aux esprits encore supérieurs, et c'est ainsi que l'offrande de sacrifices humains mit efficacement fin au cannibalisme, excepté chez les tribus les plus inférieures. Quand la pratique des sacrifices humains fut pleinement établie, le cannibalisme devint tabou; la chair humaine n'était plus une nourriture que pour les dieux; les hommes n'avaient le droit d'en manger qu'un petit morceau cérémoniel, un sacrement. |
Finalement la pratique de substituer des animaux devint un usage général pour les buts sacrificiels. Même parmi les tribus les plus arriérées, on mangea des chiens, ce qui réduisit grandement le cannibalisme. Le chien fut le premier animal domestique, et il était tenu en haute estime à la fois comme animal domestique et comme nourriture.
6. -- L'ÉVOLUTION DES SACRIFICES HUMAINS
Les sacrifices humains résultèrent indirectement du cannibalisme et furent aussi sa cure. Le désir de fournir une escorte d'esprits au monde des esprits conduisit également à la diminution du cannibalisme, car on n'eut jamais la coutume de manger les morts ainsi sacrifiés. Nulle race n'a été entièrement dégagée de la pratique du cannibalisme sous une certaine forme et à une certaine époque. Les Andites, les Nodites, et les Adamites furent ceux qui s'y adonnèrent le moins.
Les sacrifices humains ont été virtuellement universels; ils se maintinrent dans les coutumes religieuses des Chinois, des Hindous, des Égyptiens, des Hébreux, des Mésopotamiens, des Grecs, des Romains, et de nombreux autres peuples; on les retrouve encore récemment parmi les tribus arriérées d'Afrique et d'Australie. Les Indiens d'Amérique avaient une civilisation qui émergeait du cannibalisme et se trouvait donc imbue de sacrifices humains, surtout en Amérique Centrale et en Amérique du Sud. Les Chaldéens furent les premiers à abandonner les sacrifices humains dans les circonstances ordinaires et à y substituer des animaux. Il y a environ deux mille ans, un empereur japonais au coeur tendre introduisit des statuettes d'argile pour remplacer les sacrifices humains, et c'est seulement au XIième siècle que la pratique de ces sacrifices s'éteignit en Europe septentrionale. Parmi certaines tribus arriérées, elle est perpétuée par des volontaires comme une sorte de suicide religieux ou rituel. Un chaman ordonna jadis de sacrifier un vieil homme très respecté d'une certaine tribu. La population se révolta et refusa d'obéir, sur quoi le vieil homme se fit expédier dans l'au-delà par son propre fils; les anciens avaient réellement foi en cette coutume.
Parmi les récits illustrant les déchirements de coeur des luttes entre les anciennes coutumes religieuses honorées par le temps et les exigences contraires de la civilisation en progrès, l'histoire n'en relate pas de plus tragique et de plus pathétique que celui de Jephthé et de sa fille unique (1). Selon la coutume courante, cet homme bien intentionné avait fait un voeu stupide, une transaction avec le « dieu des batailles », acceptant de payer un certain prix pour la victoire sur ses ennemis. Ce prix consistait à faire un sacrifice de ce qui sortirait en premier lieu de sa maison à sa rencontre quand il reviendrait à son foyer. Jephthé pensait que l'un de ses fidèles esclaves viendrait ainsi le saluer, mais il arriva que sa fille, son unique enfant, sortit pour lui souhaiter la bienvenue chez lui. Ainsi, même à cette date tardive et chez un peuple supposé civilisé, cette belle jeune fille, après deux mois de deuil sur son sort, fut effectivement offerte en sacrifice par son père, avec l'approbation des hommes de sa tribu. Tout ceci fut fait à l'encontre des rigoureuses ordonnances de Moïse sur les offrandes de sacrifices humains. Mais les hommes et les femmes sont ivres de faire des voeux stupides et inutiles, et les hommes de l'antiquité tenaient ces engagements pour hautement sacrés.
Jadis, quand on commençait la construction d'un édifice de quelque importance, il était courant de mettre à mort un être humain comme « sacrifice de fondation ». Cela fournissait un esprit fantôme pour veiller sur l'édifice et le protéger. Quand les Chinois étaient prêts à fondre une cloche, la coutume ordonnait le sacrifice d'au moins une jeune fille pour améliorer le timbre de la cloche; la jeune fille choisie était jetée vivante dans le métal en fusion.
De nombreux groupes eurent longtemps la pratique d'emmurer vivants des esclaves dans les murs importants. Plus tard, les tribus du nord de l'Europe se contentèrent d'emmurer l'ombre d'un passant pour remplacer la coutume d'ensevelir des personnes vivantes dans les parois des nouveaux bâtiments. Les Chinois enterraient dans un mur les ouvriers qui étaient morts en le bâtissant.
En construisant les murs de Jéricho, un roitelet de Palestine « en posa les fondations sur Abiram, son fils premier-né, et en posa les portes sur Ségub, son plus jeune fils » (1). A cette date tardive, non seulement ce père mit deux de ses fils vivants dans les trous de fondation des portes de la ville, mais son acte fut transcrit comme accompli « selon la parole de l'Éternel ». Moïse avait interdit ces sacrifices de fondation, mais les Israélites y revinrent bientôt après sa mort. Les cérémonies du XXième siècle consistant à déposer des colifichets et des souvenirs dans la première pierre d'un nouvel édifice sont une réminiscence des sacrifices primitifs de fondation.
Bien des peuples eurent longtemps la coutume de dédier les premiers fruits aux esprits. Ces observances, maintenant plus ou moins symboliques, sont toutes des survivances des cérémonies primitives impliquant des sacrifices humains. L'idée d'offrir le premier-né comme un sacrifice était très répandue parmi les anciens, spécialement chez les Phoniciens qui furent les derniers à l'abandonner. Lors du sacrifice, on avait l'habitude de dire « la vie retourne à la vie ». Maintenant, lors d'un décès, vous dites « la poussière retourne à la poussière ».
Bien que choquant pour les susceptibilités civilisées, le spectacle d'Abraham contraint de sacrifier son fils Isaac n'était pas une idée nouvelle ou étrange pour les gens de cette époque. La pratique a longtemps prévalu chez les pères, à des moments de grande tension émotive, de sacrifier leur fils premier-né. De nombreux peuples ont une tradition analogue à cette histoire, car il exista jadis une croyance universelle et profonde à la nécessité d'offrir un sacrifice humain lorsqu'il était arrivé quelque chose d'extraordinaire ou d'insolite.
7. -- LES MODIFICATIONS DES SACRIFICES HUMAINS
Moïse essaya de mettre fin aux sacrifices humains en inaugurant la rançon comme substitut. Il établit un barème systématique permettant à ses gens d'échapper aux pires résultats de leurs voeux téméraires et stupides. On pouvait racheter des terres, des biens, et des enfants moyennant des honoraires établis, payables aux prêtres. Les groupes qui cessèrent de sacrifier leurs premier-nés possédèrent bientôt de grands avantages sur leurs voisins moins évolués qui continuaient ces atrocités. Non seulement beaucoup de tribus arriérées furent très affaiblies par cette perte de fils, mais encore la dévolution successorale du commandement fut souvent rompue.
Un dérivatif du sacrifice désuet des enfants fut la coutume de barbouiller du sang sur le linteau des portes de la maison (1) pour protéger les premier-nés. On le faisait souvent en connexion avec l'une des fêtes sacrées de l'année, et cette cérémonie prévalut jadis dans la majeure partie du monde, depuis le Mexique jusqu'à l'Égypte.
Même après que la plupart des groupes eurent renoncé au meurtre rituel des enfants, ils gardèrent la coutume d'abandonner un enfant dans le désert, ou sur l'eau dans un petit bateau. Si l'enfant survivait, on croyait que les dieux étaient intervenus pour le protéger, comme la tradition le rapporte pour Sargon, Cyrus, Moïse, et Romulus. Vint ensuite la pratique de dédier les fils premier-nés comme sacrés ou sacrificiels; on les laissait grandir, puis on les exilait au lieu de les faire mourir; ce fut l'origine de la colonisation. Les Romains adhéraient à cette coutume dans leurs plans de colonisation.
Nombre d'associations spéciales entre la lascivité et le culte primitif prirent naissance en liaison avec les sacrifices humains. Dans les temps anciens, si une femme rencontrait des chasseurs de têtes, elle pouvait racheter sa vie par un abandon sexuel. Plus tard, une jeune fille consacrée comme sacrifice aux dieux pouvait choisir de racheter sa vie en dédiant définitivement son corps au service sexuel sacré du temple; de cette manière, elle pouvait gagner l'argent de sa rédemption. Les anciens considéraient comme très ennoblissant d'avoir des rapports sexuels avec une femme ainsi engagée pour la rançon de sa vie. La fréquentation de ces filles sacrées était une cérémonie religieuse, et l'ensemble du rite fournissait en outre un prétexte acceptable pour des satisfactions sexuelles ordinaires. C'était une subtile manière de se tromper soi-même, et les filles et leurs partenaires prenaient plaisir à la pratiquer. Les moeurs sont toujours en retard sur le progrès évolutionnaire de la civilisation; elles sanctionnent ainsi les pratiques sexuelles plus primitives et plus sauvages des races évoluantes.
La prostitution dans les temples s'étendit finalement dans toute l'Europe du sud et l'Asie. L'argent gagné par les prostituées des temples fut considéré comme sacré par tous les peuples -- un don de grande valeur à offrir aux dieux. Les femmes du type le plus évolué emplissaient le marché sexuel du temple et consacraient leurs gains à toutes sortes de services sacrés et d'oeuvres d'intérêt public. De nombreuses femmes des meilleures classes amassaient leur dot par un service sexuel temporaire dans les temples, et la plupart des hommes préféraient épouser de telles femmes.
8. -- RÉDEMPTION ET ALLIANCES
La rédemption sacrificielle et la prostitution dans les temples étaient en réalité des modifications du sacrifice humain. Vint ensuite le simulacre de sacrifice des filles. Cette cérémonie consistait en une saignée accompagnée d'une consécration à la virginité pour la vie; ce fut une réaction morale contre l'ancienne prostitution dans les temples. À une époque plus récente, des vierges se consacrèrent de leur plein gré au service d'entretien des feux sacrés des temples.
Les hommes finirent par concevoir l'idée que l'offrande d'une partie du corps pouvait remplacer le sacrifice humain total de jadis. Les mutilations physiques furent également considérées comme des substituts acceptables. Cheveux, ongles, sang, et même doigts et orteils furent sacrifiés. L'ancien rite ultérieur et à peu près universel de la circoncision dériva du culte du sacrifice partiel; il était purement sacrificiel; nulle pensée d'hygiène ne lui était attachée. Les hommes furent circoncis, les femmes eurent leurs oreilles percées.
Ultérieurement, on prit l'habitude d'attacher des doigts ensemble au lieu de les couper. On se rasa la tête et l'on se coupa les cheveux également à titre de dévotion religieuse. La castration fut d'abord une modification de l'idée des sacrifices humains. On continue à percer les nez et les lèvres en Afrique, et le tatouage est une évolution artistique des cicatrices grossières que l'on se faisait primitivement sur le corps.
À la suite d'enseignements plus élevés, la coutume du sacrifice finit par être associée à l'idée d'alliance. Enfin on conçut les dieux comme faisant de réels accords avec les hommes, et ce fut une étape majeure dans l'évolution de la religion. La loi, une alliance, remplaça la chance, la peur, et la superstition.
Les hommes ne pouvaient même pas rêver d'établir un contact avec la déité avant que leur concept de Dieu eût progressé au niveau où ils envisagèrent la possibilité d'accorder leur confiance aux contrôleurs de l'univers. Les primitifs se faisaient de Dieu une idée tellement anthropomorphe qu'ils furent incapables de concevoir une Déité digne de confiance avant d'être devenus eux-mêmes relativement dignes de confiance, moraux, et éthiques.
L'idée de contracter une alliance avec les dieux finit cependant par se faire jour. L'homme évolutionnaire acquit finalement une dignité morale suffisante pour oser traiter avec ses dieux. C'est ainsi que le trafic des offrandes de sacrifices se transforma graduellement pour devenir le marchandage philosophique de l'homme avec Dieu. Tout cela représentait un nouvel expédient pour s'assurer contre la malchance, ou plutôt une meilleure technique pour acheter plus nettement la prospérité. Ne nourrissez pas l'idée fausse que les sacrifices primitifs étaient des dons librement offerts aux dieux, des offrandes de gratitude ou d'actions de grâces; ils n'étaient pas des expressions de véritable adoration.
Les formes primitives de prière n'étaient ni plus ni moins que des marchandages avec les esprits, une discussion avec les dieux. Elles représentaient une sorte de troc dans lequel on substituait la plaidoirie et la persuasion à quelque chose de plus tangible et de plus coûteux. L'expansion des échanges entre les races avait inculqué le sens commercial et développé l'habileté dans les trocs; ces caractéristiques commencèrent alors à apparaître dans les méthodes humaines d'adoration. De même que certains hommes étaient meilleurs commerçants que d'autres, de même certains furent, considérés comme faisant de meilleurs prieurs que d'autres. La prière d'un homme juste était tenue en haute estime. Le juste était celui qui avait payé toutes ses dettes aux esprits, qui avait pleinement rempli toutes ses obligations rituelles envers les dieux.
La prière primitive n'était guère une adoration; c'était une demande avec marchandage pour obtenir la santé, la richesse, et la vie. Sous bien des rapports, les prières n'ont pas beaucoup changé avec l'écoulement des âges. On continue à les lire à haute voix dans des livres, à les réciter officiellement, et à les écrire pour les placer dans des moulins et les accrocher aux arbres, où le souffle des vents évitera aux hommes la peine de dépenser leur propre souffle.
9. -- SACRIFICES ET SACREMENTS
Au cours de l'évolution des rituels d'Urantia, les sacrifices humains ont progressé depuis les sanglants procédés cannibales jusqu'à des niveaux supérieurs et plus symboliques. Les rites primitifs de sacrifice engendrèrent les cérémonies ultérieures des sacrements. A une époque plus récente, seul le prêtre absorbait un morceau du sacrifice cannibale ou une goutte de sang humain, et ensuite toute l'assistance mangeait de l'animal substitué. Les idées primitives de rançon, de rédemption, et d'alliance ont évolué pour devenir les services sacramentels plus modernes. Toute cette évolution cérémonielle a exercé une puissante influence sur les liens sociaux.
En liaison avec le culte de la Mère de Dieu, au Mexique et ailleurs, on utilisa finalement un sacrement de gâteaux et de vin à la place de la chair et du sang des anciens sacrifices humains. Les Hébreux pratiquèrent longtemps ce rituel comme partie de leurs cérémonies de la Pâque, et ce fut dans ce cérémonial que prit naissance la version chrétienne ultérieure du sacrement.
Les anciennes confréries sociales étaient basées sur le rite consistant à boire du sang; la confraternité juive primitive était une affaire de sang sacrificiel. Paul inaugura un nouveau culte chrétien bâti sur « le sang de l'alliance éternelle » (1). Bien qu'il ait inutilement encombré le christianisme avec des enseignements sur le sang et le sacrifice, il réussit à mettre fin une fois pour toutes aux doctrines de rédemption par des sacrifices d'hommes ou d'animaux. Ses compromis théologiques montrent que la révélation elle-même doit se soumettre au contrôle gradué de l'évolution. Selon Paul, Christ est devenu le sacrifice humain ultime et suffisant à tout; le divin Juge est maintenant pleinement et définitivement satisfait.
Ainsi, après de longs âges, le culte du sacrifice s'est transformé en culte du sacrement. Les sacrements des religions modernes sont donc les successeurs légitimes des cérémonies primitives de sacrifices humains et des rituels cannibales encore plus primitifs. Bien des personnes comptent encore sur le sang pour le salut, mais le sang est au moins devenu emblématique, symbolique, et mystique.
10. -- LE PARDON DES PÉCHÉS
C'est seulement par les sacrifices que les anciens obtenaient la conscience d'être en faveur auprès de Dieu. Les modernes doivent développer de nouvelles techniques pour atteindre la conscience intérieure du salut. La conscience du péché persiste dans la pensée humaine, mais les archétypes mentaux de la délivrance du péché sont maintenant périmés et démodés. La réalité du besoin spirituel subsiste, mais le progrès intellectuel a détruit les antiques manières d'obtenir la paix et la consolation pour la pensée et pour l'âme.
Il faut redéfinir le péché comme une infidélité délibérée envers la Déité. L'infidélité comporte des degrés: la fidélité partielle due à l'indécision, la fidélité divisée due à un conflit, la fidélité évanescente due à l'indifférence, et la mort de la fidélité due à la consécration à des idéaux impies.
Le sens ou sentiment de culpabilité est la conscience d'avoir contrevenu aux moeurs. Il n'y a pas réellement péché en l'absence d'une infidélité consciente envers la Déité.
La possibilité de reconnaître le sens de culpabilité est un attribut de distinction transcendante pour l'humanité. Il ne dénote pas la médiocrité chez l'homme, mais le situe plutôt à part comme une créature de grandeur potentielle et de gloire toujours ascendante. Le sentiment d'indignité est le stimulant initial qui transfère la pensée humaine sur les splendides niveaux de noblesse morale, de clairvoyance cosmique, et de vie spirituelle. Toutes les significations de l'existence sont alors changées du plan temporel au plan éternel, et toutes les valeurs sont élevées du plan humain au plan divin.
La confession du péché est une répudiation virile de l'infidélité, mais elle n'atténue en aucune manière les conséquences dans l'espace-temps de cette infidélité. La confession -- la récognition sincère de la nature du péché -- est toutefois essentielle pour la croissance religieuse et le progrès spirituel.
Le pardon des péchés par la Déité est le renouvellement des relations de fidélité qui suit une période de la conscience où l'homme est déchu de ces relations comme conséquence d'une rébellion consciente. Le pardon ne doit pas être recherché, mais reçu en tant que conscience du rétablissement des relations de fidélité entre la créature et le Créateur. Tous les fils loyaux de Dieu sont heureux, aiment le service, et progressent constamment dans l'ascension du Paradis.
[Présenté par une Brillante Étoile du Soir de Nébadon.]
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FÉTICHES, AMULETTES, ET MAGIE
LE concept d'un esprit entrant dans un objet inanimé, un animal, ou un être humain est une croyance fort ancienne et honorable, car elle a prévalu depuis le commencement de l'évolution de la religion. Cette doctrine de possession par un esprit n'est rien de plus ou de moins que le fétichisme. Le sauvage n'adore pas nécessairement le fétiche il adore et révère très logiquement l'esprit qui y habite.
Au début, on crut que l'esprit d'un fétiche était le fantôme d'un humain décédé; plus tard, on supposa que les esprits supérieurs résidaient dans des fétiches. Le culte des fétiches finit ainsi par incorporer toutes les idées primitives sur les fantômes, les âmes, les esprits, et la possession par les démons.
1. -- LA CROYANCE AUX FÉTICHES
Les hommes primitifs ont toujours eu envie de transformer en fétiches toutes les choses extraordinaires; le hasard donna donc naissance à beaucoup de fétiches. Un homme est malade, quelque chose arrive, et il recouvre la santé; on attribue sa guérison à un fétiche. Le même phénomène se vérifie pour la réputation de nombreux médicaments et les méthodes de traitement des maladies au hasard. Des objets liés à des rêves avaient des chances d'être convertis en fétiches. Des volcans, mais non des montagnes, des comètes, mais non des étoiles, devinrent des fétiches. Les hommes primitifs considéraient les étoiles filantes et les météores comme indiquant l'arrivée sur terre d'esprits visiteurs spéciaux.
Les premiers fétiches furent des cailloux portant des marques particulières, et depuis lors les hommes ont toujours recherché les « pierres sacrées ». Un collier était jadis une collection de pierres sacrées, une trousse d'amulettes. Bien des tribus eurent des pierres fétiches, mais peu de ces fétiches ont survécu comme la pierre noire de la Caaba et la Pierre de Scone. Le feu et l'eau figurèrent aussi parmi les premiers fétiches. L'adoration du feu ainsi que la croyance à l'eau bénite survivent encore.
Les arbres fétiches n'apparurent que plus tard, mais parmi certaines tribus la persistance de l'adoration de la nature conduisit à croire à des amulettes habitées par certains esprits de la nature. Quand des plantes et des fruits devenaient fétiches, ils étaient tabous comme nourriture. La pomme fut parmi les premières à se ranger dans cette catégorie; les peuples levantins n'en mangeaient jamais.
Si un animal mangeait de la chair humaine, il devenait un fétiche. C'est ainsi que le chien devint l'animal sacré des Parsis. Si le fétiche est un animal et si le fantôme y réside en permanence, alors le fétichisme peut empiéter sur la réincarnation. Les sauvages enviaient les animaux sous bien des rapports; ils ne se sentaient pas supérieurs à eux et recevaient souvent le nom de leur bête favorite.
Quand des animaux devinrent fétiches, il s'ensuivit un tabou sur l'absorption de la chair de ces animaux. À cause de leur ressemblance avec les hommes, les singes furent très tôt des animaux fétiches; plus tard des serpents, des oiseaux, et des porcs furent également considérés comme tels. À une certaine époque, la vache fut un fétiche; son lait était tabou et ses excréments hautement considérés. Le serpent était vénéré en Palestine, spécialement par les Phéniciens qui le considéraient, ainsi que les Juifs, comme le porte-parole des mauvais esprits. Chez de nombreux peuples modernes, on croit encore au pouvoir magique des reptiles. Le serpent a été vénéré en Arabie, dans toute l'Inde, et jusque chez les hommes rouges avec la danse du serpent de la tribu Moqui.
Certains jours de la semaine étaient des fétiches. Pendant des âges, le vendredi a été considéré comme un jour de malchance et le nombre treize comme mauvais. Les nombres heureux trois et sept vinrent de révélations ultérieures. Le quatre était le chiffre de chance des primitifs parce qu'ils avaient reconnu de bonne heure les quatre points cardinaux. Ils croyaient que le fait de compter le bétail ou d'autres possessions portait malchance. Les anciens s'opposaient toujours au recensement, au « dénombrement du peuple » (1).
(1) 2 Samuel XXIV et I Chroniques XXI.
Les primitifs ne firent pas du sexe un fétiche exagéré; ils n'accordaient à la fonction reproductrice qu'une attention limitée; les sauvages avaient des pensées naturelles; ils n'étaient ni obscènes ni lascifs.
La salive était un puissant fétiche; on pouvait chasser les démons d'une personne en crachant sur elle. Le plus grand compliment des aînés ou des supérieurs consistait à cracher sur vous. Certaines parties du corps humain furent regardées comme des fétiches potentiels, en particulier les cheveux et les ongles. Les longs ongles des mains des chefs avaient une grande valeur, et leurs rognures constituaient de puissants fétiches. La croyance aux crânes comme fétiches rend compte d'une grande partie de l'activité des chasseurs de têtes. Les cordons ombilicaux étaient des fétiches hautement appréciés, et le sont encore aujourd'hui en Afrique. Le premier jouet de l'humanité fut un cordon ombilical conservé. Orné de perles comme on le faisait souvent, il fut le premier collier des humains.
Les enfants bossus ou infirmes étaient considérés comme des fétiches. On croyait que les lunatiques avaient été frappés par la lune. Les hommes primitifs ne pouvaient distinguer entre le génie et la folie. Les idiots étaient soit battus à mort, soit révérés comme des personnalités fétiches. L'hystérie confirma de plus en plus la croyance populaire à la sorcellerie; les épileptiques étaient souvent prêtres ou médecins. On regardait l'ivresse comme une forme de possession par un esprit; quand un sauvage tirait une bordée, il mettait une feuille dans ses cheveux pour désavouer la responsabilité de ses actes. Les poisons et les spiritueux devinrent des fétiches; ils passaient pour être possédés.
Nombre de personnes considéraient les génies comme des personnalités fétiches possédées par un esprit sage. Ces hommes de talent apprirent bientôt à recourir à la fraude et à des stratagèmes pour servir leurs propres intérêts. On croyait qu'un homme fétiche était plus qu'humain; il était divin et même infaillible. C'est ainsi que les dirigeants, rois, prêtres, prophètes, et chefs d'Église finirent par disposer d'un grand pouvoir et par exercer une autorité démesurée.
2. -- L'ÉVOLUTION DU FÉTICHISME
On supposait que les fantômes préféraient habiter un objet qui leur avait appartenu pendant leur incarnation. Cette croyance explique l'efficacité de bien des reliques modernes. Les anciens vénéraient toujours les os de leurs chefs, et nombre de personnes regardent encore les ossements de leurs saints et de leurs héros avec une crainte superstitieuse. Même aujourd'hui, on fait des pèlerinages sur la tombe de grands hommes.
La croyance aux reliques est une conséquence naturelle de l'antique culte des fétiches. Les reliques des religions modernes représentent une tentative pour rationaliser les fétiches des sauvages et les élever à une place digne et respectable dans les systèmes religieux actuels. On condamne comme païenne la croyance aux fétiches et à la magie, mais on trouve très bien d'accepter les reliques et les miracles.
Le foyer -- l'endroit du feu -- devint plus ou moins un fétiche, un lieu sacré. Les chapelles et les temples furent d'abord des lieux fétiches parce que les morts y étaient enterrés. Le tabernacle fétiche des Hébreux (1) fut élevé à la place où il abrita un super-fétiche, le concept alors existant de la loi de Dieu. Mais les Israélites n'abandonnèrent jamais la croyance spéciale des Cananéens aux autels de pierre: « Et cette pierre que j'ai dressée en stèle sera la maison de Dieu » (2). Ils croyaient véritablement que l'esprit de leur Dieu habitait dans ces autels de pierre, qui étaient en réalité des fétiches.
Les premières statues furent faites pour conserver l'apparence et la mémoire des morts illustres; elles étaient en réalité des monuments. Les idoles. furent un raffinement du fétichisme. Les primitifs croyaient qu'une cérémonie de consécration amenait l'esprit à entrer dans la statue. De même, lorsque certains objets étaient bénis, ils devenaient des amulettes.
En ajoutant le second commandement à l'ancien code moral de Dalamatia, Moïse fit un effort pour contrôler l'adoration des fétiches parmi les Hébreux. Il leur ordonna soigneusement de ne faire aucune espèce d'image qui puisse être consacrée comme fétiche. Il s'expliqua sans équivoque: « Tu ne feras pas d'image taillée ni aucune reproduction de ce qui est dans les cieux au-dessus, ni sur la terre au-dessous, ni dans les eaux de la Terre » (1). Ce commandement contribua beaucoup à retarder l'art parmi les Juifs, mais il restreignit l'adoration des fétiches. Moïse était trop sage pour essayer de supplanter brusquement les antiques fétiches; il consentit donc à placer certaines reliques à côté des tables de la loi dans l'arche, qui était la combinaison d'un autel de guerre et d'une chasse religieuse.
(1) Exode XX-4 et parallèles, Lévitique XXVI-1, Deutéronome V-8, etc...
Les paroles devinrent finalement des fétiches, plus spécialement celles que l'on considérait comme les paroles de Dieu; de cette manière les livres sacrés de bien des religions sont devenus des prisons fétichistes où l'imagination spirituelle des hommes est incarcérée. L'effort même de Moïse contre les fétiches devint un suprême fétiche; son commandement fut utilisé plus tard pour dénigrer l'art et retarder la jouissance et l'adoration du beau.
Dans les temps très anciens, la parole d'autorité du fétiche était une doctrine inspirant la peur, le plus terrible de tous les tyrans qui asservissent les hommes. Des fétiches doctrinaux conduisent les mortels à se trahir eux-mêmes et à se jeter dans les grilles de la bigoterie, du fanatisme, de la superstition, de l'intolérance, et des cruautés barbares les plus atroces. Le respect moderne envers la sagesse et la vérité dénote que l'homme vient seulement d'échapper à la tendance à instaurer des fétiches, qui sévissait jusqu'aux niveaux supérieurs de la pensée et du raisonnement. En ce qui concerne les accumulations d'écrits fétiches que diverses religions tiennent pour des livres sacrés, non seulement les fidèles croient que tout ce qui est dans le livre est vrai, mais aussi que le livre contient toute la vérité. Si par aventure l'un de ces livres sacrés parle de la Terre comme étant plate, alors, pendant de longues générations, des hommes et des femmes par ailleurs sensés refuseront d'accepter les preuves positives que la planète est ronde.
La pratique d'ouvrir l'un de ces livres sacrés pour laisser l'oeil tomber par hasard sur un passage dont la mise en oeuvre pourrait influencer d'importants projets et des décisions vitales ne représente ni plus ni moins qu'un fétichisme notoire. Prêter serment sur un « livre saint », ou jurer par quelque objet suprêmement vénéré, constitue une forme de fétichisme raffiné.
Par contre, il y a progrès évolutionnaire réel quand on passe de la peur fétichiste des rognures d'ongles d'un chef de sauvages à l'adoration d'une superbe collection de lettres, de lois, de légendes, d'allégories, de mythes, de poèmes, et de chroniques; après tout, ceux-ci reflètent une sagesse morale séculaire passée au crible, au moins jusqu'à l'époque de leur assemblage sous la forme d'un « livre sacré ».
Pour devenir des fétiches, il fallait que les paroles fussent considérées comme inspirées. L'invocation d'écrits que l'on supposait divins conduisit directement à établir l'autorité de l'Église, tandis que l'évolution des formes civiles conduisit à l'épanouissement du pouvoir de l'Etat.
3. -- LE TOTÉMISME
Le fétichisme se retrouve dans tous les cultes primitifs depuis la croyance aux pierres sacrées, l'idolâtrie, le cannibalisme, et l'adoration de la nature, jusqu'au totémisme.
Le totémisme est une combinaison d'observances sociales et religieuses. Originellement, on croyait s'assurer des provisions de nourriture en respectant l'animal totem dont on se supposait le descendant biologique. Les totems étaient à la fois les symboles des groupes et leur dieu. Ce dieu était le clan personnifié. Le totémisme fut une phase des tentatives pour rendre sociale la religion, qui autrement est personnelle. Le totem évolua finalement pour devenir le drapeau, ou symbole national des divers peuples modernes.
Un sac fétiche, un sac à médicaments, était une bourse contenant un honorable assortiment d'articles imprégnés de fantômes. Le guérisseur de jadis ne laissait jamais son sac, symbole de son pouvoir, toucher le sol. Les peuples civilisés du XXième siècle veillent à ce que leurs drapeaux, emblèmes de la conscience nationale, ne touchent pas non plus le sol.
Les insignes des charges sacerdotales et royales furent finalement considérés comme des fétiches. Le fétiche de l'Etat suprême a passé par de nombreuses phases de développement, du clan à la tribu, de la suzeraineté à la souveraineté, du totem au drapeau. Des rois fétiches ont régné par « droit divin », et bien d'autres formes de gouvernement ont prévalu. Les hommes ont aussi fait un fétiche de la démocratie -- l'exaltation et l'adoration des idées des hommes ordinaires quand on les qualifie collectivement « d'opinion publique ». On ne considère pas que l'opinion d'un homme prise isolément ait une grande valeur, mais quand beaucoup d'hommes agissent collectivement en démocratie, le même jugement médiocre est tenu pour être l'arbitre de la justice et le critère de la droiture.
4. -- LA MAGIE
Les hommes civilisés attaquent par la science les problèmes d'un entourage réel. Les sauvages essayent de résoudre par la magie les problèmes réels d'une ambiance illusoire de fantômes. La magie était la technique par laquelle on manipulait l'entourage hypothétique d'esprits dont les machinations expliquaient interminablement l'inexplicable; c'était l'art d'obtenir la coopération volontaire des esprits et de les contraindre à apporter leur aide involontaire par l'emploi de fétiches ou d'autres esprits plus puissants.
L'objet de la magie, de la sorcellerie, et de la nécromancie était double:
| 1. Pénétrer l'avenir par clairvoyance. | |
| 2. Influencer favorablement l'entourage. |
Les buts de la science sont identiques à ceux de la magie. L'humanité progresse de la magie à la science, non par la méditation et la raison, mais plutôt graduellement et péniblement par une longue expérience. L'homme primitif avance à reculons dans la vérité; il commence dans l'erreur, progresse dans l'erreur, et atteint finalement le seuil de la vérité. C'est seulement avec l'emploi de la méthode scientifique que l'homme s'est pris à marcher en regardant devant lui. Les hommes primitifs devaient expérimenter ou périr.
La fascination des superstitions primitives fut la mère de la curiosité scientifique ultérieure. Il y avait dans les superstitions primitives un sentiment dynamique -- la peur ajoutée à la curiosité; l'ancienne magie avait un pouvoir progressif de propulsion. Ces superstitions représentaient l'émergence du désir humain de connaître et de contrôler l'entourage planétaire.
La magie prit une très forte emprise sur les sauvages parce qu'ils ne pouvaient saisir le concept de la mort naturelle. L'idée ultérieure du péché originel aida beaucoup à affaiblir l'emprise de la magie sur la race, parce qu'elle expliquait la mort naturelle. À une certaine époque, il n'était pas rare de voir dix personnes innocentes mises à mort parce qu'on leur attribuait la responsabilité d'une seule mort naturelle. C'est l'une des raisons pour lesquelles les anciens peuples ne se sont pas multipliés plus rapidement, et elle joue encore chez certaines tribus africaines. L'accusé confessait généralement sa culpabilité, même s'il était menacé de mort.
La magie est naturelle pour un sauvage. Il croit que l'on peut effectivement tuer un ennemi par des pratiques de sorcellerie sur ses cheveux coupés ou sur ses rognures d'ongles. Les morts par morsures de serpents étaient attribuées à la magie du sorcier. Le fait que les gens peuvent mourir de peur rend difficile de combattre la magie. Les peuples primitifs craignaient tellement la magie qu'elle avait réellement un effet mortel ce résultat était suffisant pour justifier cette croyance erronée. En cas d'échec, on donnait toujours une explication plausible; pour remédier à une magie défectueuse, on y ajoutait un supplément de magie.
5. -- LES AMULETTES MAGIQUES
Puisque tout objet lié au corps était susceptible de devenir un fétiche, la magie la plus primitive s'occupa des cheveux et des ongles. Le secret accompagnant les éliminations corporelles naquit de la peur qu'un ennemi puisse s'emparer d'un dérivé du corps et l'employer pour une magie préjudiciable. On s'abstint de cracher en public par crainte de laisser utiliser la salive à une magie nuisible; les crachats étaient toujours recouverts. Même les restes de nourriture, les vêtements, et les ornements pouvaient devenir des instruments de magie. Les sauvages ne laissaient jamais de restés de leurs repas sur la table; ils les enlevaient par peur qu'un ennemi ne les emploie dans des rites magiques, et non parce qu'ils appréciaient la valeur hygiénique de cette pratique.
Les amulettes magiques étaient composées d'une grande variété d'objets: chair humaine, griffes de tigre, dents de crocodile, graines de plantes vénéneuses, venin de serpent, et cheveux humains. Même la poussière des traces de pas pouvait être utilisée en magie. Les anciens croyaient beaucoup aux amulettes d'amour. Le sang et d'autres formes de sécrétions corporelles étaient capables d'assurer l'influence magique de l'amour.
On supposait que les images étaient efficaces en magie. On faisait des effigies, et quand on les traitait mal ou bien, on croyait que les mêmes effets atteignaient la personne réelle. En faisant des achats, les personnes superstitieuses mâchaient un morceau de bois dur pour attendrir le coeur du vendeur.
Le lait d'une vache noire était hautement magique, ainsi que les chats noirs. Le bâton ou la baguette étaient magiques au même titre que les tambours, les cloches, et les noeuds. Tous les objets anciens étaient des amulettes magiques. Les pratiques d'une civilisation nouvelle ou supérieure étaient regardées avec défaveur à cause de leur prétendue mauvaise nature magique. Les écrits, les imprimés, et les images furent longtemps considérés sous cet angle.
Les hommes primitifs croyaient qu'il fallait traiter les noms avec respect, spécialement les noms des dieux. On considérait le nom comme une entité, une influence distincte de la personnalité physique; il était tenu dans la même estime que l'âme et l'ombre. On donnait son nom en gage pour un emprunt; un homme ne pouvait plus utiliser son nom avant de l'avoir racheté en remboursant l'emprunt. Aujourd'hui, on signe son nom sur une reconnaissance de dette. Le nom des personnes ne tarda pas à prendre de l'importance en magie. Les sauvages avaient deux noms; le principal était considéré comme trop sacré pour être utilisé dans les occasions ordinaires, d'où le second nom ou prénom -- un surnom. Un sauvage ne disait jamais son nom à des étrangers. Toute expérience de nature insolite l'amenait à changer de nom; quelquefois c'était un effort pour guérir une maladie ou arrêter la malchance. Il pouvait obtenir un nouveau nom en l'achetant au chef de la tribu; les modernes investissent encore des capitaux dans des titres et des grades. Chez les tribus les plus primitives, telles que les Boschimans, les noms individuels n'existent pas.
6. -- LA PRATIQUE DE LA MAGIE
La magie fut pratiquée par l'emploi de baguettes, de rites « médicaux », et d'incantations. Les guérisseurs avaient l'habitude de travailler dévêtus. Parmi les magiciens primitifs, les femmes étaient plus nombreuses que les hommes. En magie, « médecine » signifie mystère, et non traitement. Les sauvages ne se soignaient jamais eux-mêmes; ils ne prenaient jamais de médicaments autrement que sur l'avis des spécialistes en magie. Les docteurs vaudous du XXième siècle représentent typiquement les magiciens de jadis.
La magie avait une phase publique et une phase privée. Celle qu'accomplissait le guérisseur, le chaman, ou le prêtre était supposée destinée au bien de toute la tribu. Les sorcières, les sorciers, et les magiciens dispensaient la magie privée, la magie personnelle et égoïste employée comme méthode coercitive pour amener le mal sur les ennemis. Le concept du double spiritisme, des bons et des mauvais esprits, donna naissance aux croyances ultérieures à la magie blanche et à la magie noire. À mesure que la religion évolua, chacun applique le terme de magie aux opérations d'esprits étrangères à son propre culte, et l'on s'en servit aussi pour désigner les croyances plus anciennes aux fantômes.
Les combinaisons de mots, le rituel des chants et des incantations, étaient hautement magiques. Certaines incantations primitives se transformèrent finalement en prières. La magie imitative fut bientôt pratiquée; les prières furent exprimées par des actes; les danses magiques n'étaient rien d'autre que des prières théâtrales. La prière remplaça graduellement la magie en tant qu'associée aux sacrifices.
Étant plus anciens que la parole, les gestes étaient d'autant plus sacrés et magiques, et l'on crut que le mimétisme avait un fort pouvoir magique. Les hommes rouges mettaient souvent en scène une danse du bison, dans laquelle l'un d'eux jouait le rôle d'un bison, se faisait attraper, et assurait ainsi le succès de la chasse imminente. Les festivités sexuelles du Premier Mai étaient simplement une magie imitative, un appel suggestif aux passions sexuelles du monde naturel. La poupée fut d'abord employée comme un talisman magique par les épouses stériles.
La magie fut la branche de l'arbre religieux évolutionnaire qui porta finalement le fruit d'un âge scientifique. La croyance à l'astrologie conduisit au développement de l'astronomie; la croyance à la pierre philosophale conduisit à la connaissance approfondie des métaux, tandis que la magie des nombres fonda la science des mathématiques.
Un monde aussi rempli d'amulettes contribua beaucoup à détruire toute ambition et toute initiative personnelles. Les fruits du travail supplémentaire ou de la diligence étaient regardés comme magiques. Si un homme avait dans son champ plus de grain que son voisin, il pouvait être traîné devant le chef et accusé d'avoir attiré ce surplus de grain hors du champ de son voisin indolent. En vérité, à cette époque de barbarie, il était dangereux d'en savoir trop long; on risquait toujours d'être exécuté comme magicien noir.
Graduellement, la science enlève à la vie le caractère de jeu de hasard. Mais si les méthodes modernes d'éducation échouaient, il se produirait un retour presque immédiat aux croyances primitives à la magie. Ces superstitions s'attardent encore dans la pensée de bien des peuples dits civilisés. Le langage contient de nombreuses expressions fossiles témoignant que la race a longtemps croupi dans la magie superstitieuse, expressions telles que: envoûtements, mauvaise étoile, possession, faire disparaître par enchantement, ingéniosité, ravissant, tombé des nues, et étonné. Des êtres intelligents croient encore à la bonne chance, au mauvais oeil, et à l'astrologie judiciaire.
La magie ancienne fut la chrysalide de la science moderne, indispensable en son temps, mais désormais inutile. Les chimères de la superstition ignorante agitèrent ainsi la pensée primitive des hommes jusqu'à ce que les concepts de la science aient pu naître. Aujourd'hui, Urantia est à l'aurore de cette évolution intellectuelle. La moitié du monde est avide de la lumière de la vérité et des faits de la découverte scientifique, tandis que l'autre moitié languit sous l'emprise des anciennes superstitions et d'une magie à peine déguisée.
[Présenté par une Brillante Etoile du Soir de Nébadon.]
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LE CULTE DES FANTÔMES
LE culte des fantômes évolua comme une compensation aux risques de la malchance; ses pratiques religieuses primitives résultèrent de l'anxiété au sujet de la malchance et de la peur excessive des morts. Aucune des religions primitives ne s'occupait beaucoup de reconnaître la Déité ou de révérer le supra-humain; leurs rites étaient surtout négatifs et destinés à éviter, à expulser, ou à contraindre des fantômes.
Le culte des fantômes n'était ni plus ni moins qu'une assurance contre les désastres; il n'avait aucun rapport avec un investissement destiné à procurer des revenus plus élevés à l'avenir.
L'homme a soutenu contre le culte des fantômes une lutte longue et acharnée. On ne trouve rien dans l'histoire humaine qui excite plus la pitié que ce tableau de la soumission abjecte des hommes à la peur des esprits fantômes. Avec la naissance de cette peur, l'humanité démarre sur la route ascendante de l'évolution religieuse. L'imagination humaine a quitté le rivage de l'égoïsme et ne trouvera plus où jeter l'ancre avant de parvenir au concept d'une vraie Déité, d'un Dieu réel.
1. -- LA PEUR DES FANTÔMES
On craignait la mort parce qu'elle signifiait qu'un nouveau fantôme s'était libéré de son corps physique. Les anciens faisaient de leur mieux pour empêcher la mort, afin d'éviter l'ennui d'avoir à lutter avec un fantôme supplémentaire. Ils étaient toujours soucieux d'inciter le fantôme à quitter la scène du décès pour s'embarquer dans le voyage au pays des morts. Le fantôme inspirait un maximum de crainte pendant la période de transition supposée entre son émergence au moment de la mort et son départ ultérieur pour le pays natal des spectres, vague et primitif concept d'un pseudo-ciel.
Bien que les sauvages aient attribué aux fantômes des pouvoirs surnaturels, ils ne les imaginaient pas doués d'une intelligence surnaturelle. On pratiquait de nombreux stratagèmes et supercheries dans les efforts pour donner le change aux fantômes et les tromper. Les hommes civilisés attachent encore beaucoup de foi à l'espoir qu'une manifestation extérieure de piété trompera quelque peu une Déité même omnisciente.
Les primitifs craignaient la maladie pour avoir observé qu'elle était souvent annonciatrice de la mort. Si le médecin de la tribu ne réussissait pas à guérir un individu atteint, on ôtait généralement le malade de la hutte familiale pour l'amener dans une plus petite ou pour le laisser en plein air afin qu'il meure seul. On détruisait habituellement la maison où un décès s'était produit; sinon, on s'en écartait toujours, et cette peur empêcha les primitifs de construire des demeures durables. Elle milita aussi contre l'établissement de villes et de villages permanents.
Quand un membre du clan mourait, les sauvages veillaient toute la nuit en parlant; ils craignaient de mourir aussi s'ils s'endormaient à proximité d'un cadavre. La contagion du corps mort justifiait la peur des morts. Tantôt à une époque et tantôt à une autre, tous les peuples ont pratiqué de minutieuses cérémonies de purification destinées à nettoyer un individu après contact avec les morts. Les anciens croyaient qu'il fallait fournir de la lumière à un cadavre. On ne permettait jamais qu'un décédé restât dans l'obscurité. Au XXième siècle on brûle encore des cierges dans les chambres mortuaires, et les hommes veillent encore auprès des morts. Les hommes dits civilisés n'ont pas complètement éliminé de leur philosophie de la vie la peur des cadavres.
Malgré cette peur, les hommes cherchaient encore à induire le fantôme en erreur. Si la hutte mortuaire n'avait pas été détruite, on enlevait le cadavre par un trou dans le mur, mais jamais par la porte. On prenait ces mesures pour confondre le fantôme, pour l'empêcher de demeurer sur place, et pour s'assurer contre son retour. On pratique la marche à reculons et des dizaines d'autres tactiques pour s'assurer que le fantôme ne reviendrait pas du tombeau. On échangeait souvent les habits entre sexes pour tromper le spectre. Les vêtements de deuil furent d'abord destinés à déguiser les survivants, et plus tard à montrer du respect pour les morts en vue d'apaiser les fantômes.
2. -- L'APAISEMENT DES FANTÔMES
En religion, le programme négatif d'apaisement des fantômes précéda de loin le programme positif de coercition et de supplication des esprits. Les premiers actes humains de culte furent des réactions de défense, et non de vénération. Les hommes modernes estiment sage de s'assurer contre l'incendie; de même les sauvages croyaient que la plus grande sagesse consistait à s'assurer contre la malchance due aux fantômes. Les techniques et les rites du culte des fantômes représentaient l'effort pour obtenir cette protection.
On a cru jadis que le plus grand désir d'un fantôme était d'être rapidement « enseveli » pour lui permettre de se rendre au pays des morts sans être dérangé. Toute erreur d'exécution, toute omission de la part des vivants dans les actes du rituel pour ensevelir le fantôme devait certainement retarder sa marche vers la terre des spectres. On croyait que c'était déplaisant pour le fantôme, et l'on supposait qu'un fantôme courroucé était une source de calamités, d'infortunes, et de malheurs.
Les funérailles naquirent de l'effort des hommes pour inciter l'âme fantôme à partir pour son futur domicile, et le sermon funèbre fut originellement destiné à instruire le nouveau fantôme sur la manière de s'y rendre. On avait coutume de fournir de la nourriture et des vêtements pour le voyage du fantôme et ces objets étaient mis dans le tombeau ou à proximité. Les sauvages croyaient qu'il fallait de trois jours à un an pour « ensevelir le fantôme » -- pour l'écarter du voisinage de la tombe. Les Esquimaux croient encore que l'âme reste attachée au corps pendant trois jours.
Le silence et le deuil étaient observés après un décès, afin que le fantôme ne soit pas tenté de revenir à la maison. On s'infligeait communément des tortures -- des blessures -- pour manifester le deuil. Bien des éducateurs évolués essayèrent de mettre fin à cette pratique, mais sans succès. On croyait que le jeune et d'autres formes de reniement de soi étaient agréables aux fantômes, et que ceux-ci prenaient plaisir au chagrin des vivants pendant la période de transition où ils se dissimulaient avant de partir effectivement pour le pays des morts.
De longues et fréquentes périodes d'inactivité pour cause de deuil furent l'un des grands obstacles au progrès de la civilisation. Des semaines et même des mois de chaque année étaient littéralement gaspillés dans ces deuils improductifs et inutiles. Le fait que l'on embaucha des pleureurs professionnels à l'occasion des funérailles indique que le deuil était un rite et non une preuve de tristesse. Les modernes peuvent prendre le deuil par respect des morts et à cause de la perte subie, mais les anciens le faisaient par peur.
Les noms des morts n'étaient jamais prononcés. En fait, ils étaient souvent bannis du langage. Ces noms devinrent tabous, et de cette manière les langages furent constamment appauvris. Cela finit par produire une multitude de paroles symboliques et d'expressions figuratives telles que « le nom ou le jour que l'on ne mentionne jamais ».
Les anciens étaient tellement anxieux de se débarrasser d'un fantôme qu'ils lui offraient tout ce qu'il aurait pu désirer durant sa vie. Les fantômes voulaient des femmes et des serviteurs; un sauvage fortuné s'attendait à ce qu'au moins une femme esclave fût enterrée vivante lors de sa mort. Plus tard, la coutume voulut qu'une veuve se suicidât sur la tombe de son mari. Quand un enfant mourait, on étranglait souvent la mère, une tante, ou la grand-mère, pour qu'un fantôme adulte puisse accompagner le fantôme enfant et prendre soin de lui. Ceux qui renonçaient ainsi à la vie le faisaient en général volontairement. En vérité, s'ils avaient vécu en violation de la coutume, leur peur de la colère du fantôme aurait dénué leur vie des rares plaisirs dont les primitifs pouvaient jouir.
Il était coutumier d'expédier ainsi un grand nombre de sujets pour accompagner un chef décédé; on tuait des esclaves quand leur maître mourait, afin qu'ils puissent le servir au pays des fantômes. Les indigènes de Bornéo fournissent encore au mort un compagnon messager; on tue un esclave à la lance pour qu'il fasse le voyage fantôme avec son maître décédé. On croyait que les fantômes des personnes assassinées se réjouissaient d'avoir pour esclaves les fantômes de leurs meurtriers; cette notion conduisit les hommes à se faire chasseurs de têtes.
On supposait que les fantômes aimaient l'odeur de la nourriture; les offrandes d'aliments aux fêtes funéraires furent jadis universelles. La méthode primitive pour rendre grâces consistait à jeter un morceau de nourriture dans le feu avant le repas en vue d'apaiser les esprits, tout en marmottant une formule magique.
On supposait que les morts employaient les fantômes des outils et des armes qui leur avaient appartenu dans la vie. Briser l'un de ces objets, c'était « le tuer », ce qui libérait son fantôme pour un service au pays spectral. On faisait aussi des sacrifices de biens en les brûlant ou en les enterrant. Les gaspillages aux anciennes funérailles étaient énormes. Les races ultérieures fabriquèrent des modèles en papier et substituèrent des dessins aux personnes et aux objets réels pour ces sacrifices mortuaires. La civilisation fit un grand progrès quand l'héritage par la famille remplaça l'incendie et l'enterrement des biens. Les Indiens Iroquois effectuèrent de nombreuses réformes dans les gaspillages funéraires, et la conservation des biens leur permit de devenir les plus puissants hommes rouges du Nord. Les hommes modernes ne sont pas censés craindre les fantômes, mais les coutumes sont fortes, et l'on consomme encore beaucoup de richesses terrestres en rites funéraires et en cérémonies mortuaires.
3. -- LE CULTE DES ANCÊTRES
Le progrès du culte des fantômes rendit inévitable le culte des ancêtres, car il devint le lien entre les fantômes ordinaires et les esprits supérieurs, les dieux en préparation. Les dieux primitifs étaient simplement des humains trépassés et glorifiés.
À son origine, le culte des ancêtres tenait plus de la peur que de l'adoration, mais les croyances correspondantes contribuèrent nettement à répandre la peur des fantômes et leur culte. Les fidèles du culte primitif des ancêtres-fantômes craignaient même de bailler, de peur qu'un méchant esprit n'en profite pour s'introduire dans leur corps.
La coutume d'adopter des enfants était destinée à s'assurer que quelqu'un ferait des offrandes après la mort du parent adoptif pour la paix et le progrès de son âme. Le sauvage vivait dans la peur des fantômes de ses semblables et passait son temps disponible à faire des plans pour que son propre fantôme ait son sauf-conduit après sa mort.
La plupart des tribus instituèrent une fête de toutes-les-âmes au moins une fois par an. Les Romains avaient chaque année douze fêtes des fantômes avec les cérémonies concomitantes. La moitié des jours de l'année était consacrée à diverses cérémonies associées à ces anciens cultes. Un empereur romain tenta de réformer ces pratiques en réduisant à 135 le nombre des jours fériés.
Le culte des fantômes évolua continuellement. À mesure que l'on imagina les fantômes comme passant d'une phase incomplète à une phase supérieure d'existence, leur culte progressa jusqu'à l'adoration d'esprits et même de dieux. Mais indépendamment des croyances variables à des esprits plus évolués, toutes les tribus et races ont jadis cru aux fantômes.
4. -- BONS ET MAUVAIS ESPRITS FANTÔMES
La peur des fantômes fut la source de toutes les religions du monde. Pendant des âges, de nombreuses tribus restèrent attachées à la croyance à une seule classe de fantômes. Elles enseignaient que l'homme avait de la chance quand le fantôme était content et de la malchance quand il était courroucé.
À mesure que le culte de la peur des fantômes se répandait, arriva la récognition de types d'esprits supérieurs, d'esprits qui n'étaient pas nettement identifiables avec un individu humain. C'étaient des fantômes gradués ou glorifiés ayant progressé au delà du pays des fantômes dans les royaumes supérieurs où résident les esprits.
La notion de deux sortes d'esprits fantômes fit lentement mais sûrement son chemin dans le monde entier. Ce nouveau spiritisme de dualité n'eut pas à se répandre de tribu en tribu; il surgit spontanément partout. La puissance d'une idée qui influence la pensée évolutionnaire en expansion ne réside pas dans son caractère réel ou raisonnable mais plutôt dans la vivacité de son éclat et dans la facilité et la simplicité de son application universelle.
Plus tard encore, l'imagination des hommes envisagea le concept d'agents surnaturels bons et mauvais; certains fantômes n'évoluaient jamais jusqu'au niveau des bons esprits. Le monospiritisme primitif de la peur des fantômes se transforma graduellement en un double spiritisme, en un nouveau concept du contrôle invisible des affaires terrestres. Enfin la chance et la malchance furent décrites comme ayant leurs contrôleurs respectifs, et l'on crut qu'entre les deux classes le groupe qui amenait la malchance était le plus actif et le plus nombreux.
Quand la doctrine des bons et des mauvais esprits parvint finalement à maturité, elle devint la plus répandue et la plus persistante des croyances religieuses. Ce dualisme représentait une grande avance philosophico-religieuse parce qu'il permettait aux hommes d'expliquer la chance et la malchance tout en croyant à des êtres supra-mortels dont la conduite était en partie logique. On pouvait compter sur les esprits comme étant soit bons soit mauvais, et on ne les croyait plus complètement fantasques comme les premiers fantômes du monospiritisme de la plupart des religions primitives. L'homme était enfin capable de concevoir des forces surnaturelles ayant une conduite logique; ce fut l'une des plus importantes découvertes de la vérité dans l'histoire évolutionnaire de la religion et dans l'expansion de la philosophie humaine.
La religion évolutionnaire a toutefois payé un prix terrible pour le concept du double spiritisme. La philosophie primitive n'a pu concilier la constance des esprits avec les vicissitudes de la fortune temporelle qu'en admettant deux sortes d'esprits, l'une bonne et l'autre mauvaise. Cette formule permit bien à l'homme de concilier les variations du hasard avec un concept de forces surnaturelles invariantes, mais depuis lors cette doctrine a toujours rendu difficile aux penseurs religieux de concevoir l'unité cosmique. En général, les dieux de la religion évolutionnaire ont rencontré l'opposition des forces des ténèbres.
La tragédie de tout ceci réside dans le fait qu'au moment où ces idées prenaient corps dans la pensée humaine primitive il n'y avait en réalité nulle part dans le monde d'esprits mauvais ou inharmonieux. Il en fut tout autrement après la rébellion de Caligastia, mais cette situation malheureuse ne dura que jusqu'à la Pentecôte. Même au XXième siècle, le concept du bien et du mal en tant qu'opposés cosmiques reste très vivant dans la philosophie humaine. La plupart des religions du monde portent encore cette marque de naissance culturelle datant des jours lointains où émergea le culte des fantômes.
5. -- LA PROGRESSION DU CULTE DES FANTÔMES
Les hommes primitifs envisageaient les esprits et les fantômes comme ayant des droits à peu près illimités, mais aucun devoir. Quant aux esprits, on pensait qu'ils considéraient les hommes comme ayant de multiples devoirs, mais aucun droit. On croyait que les esprits méprisaient les hommes parce que ceux-ci échouaient constamment dans l'accomplissement de leurs devoirs spirituels. L'humanité croyait alors généralement que les fantômes prélevaient un continuel tribut de services comme prix de leur non-interférence dans les affaires humaines. On attribuait la plus petite malchance à des activités spectrales. Les humains primitifs craignaient tellement d'oublier quelque honneur à rendre aux dieux qu'après avoir fait des sacrifices à tous les esprits connus, ils en faisaient une seconde série aux « dieux inconnus » simplement pour avoir une marge de sécurité.
Le simple culte des fantômes fut bientôt suivi par la pratique plus évoluée et relativement complexe du culte des esprits-fantômes, consistant à servir et à adorer les esprits supérieurs tels qu'ils évoluaient dans l'imagination primitive des hommes. Il fallait que le cérémonial religieux marche de pair avec l'évolution et le progrès des esprits. Le culte amplifié n'était que l'art de se préserver pratiqué en relation avec la croyance à des êtres surnaturels, une adaptation à un entourage d'esprits. Les organisations industrielles et militaires étaient des adaptations à l'entourage naturel et social. De même que le mariage fut établi pour satisfaire les exigences de la bisexualité, de même l'organisation religieuse évolua en réponse à la croyance à des forces d'esprits et à des êtres spirituels supérieurs. La religion représente l'adaptation de l'homme à ses illusions sur le mystère du hasard. La peur des esprits, et plus tard l'adoration des esprits, furent adoptées comme une assurance contre le malheur, comme une politique de prospérité.
Les sauvages imaginent que les bons esprits vaquent à leurs affaires en exigeant peu de chose des êtres humains. Ce sont les mauvais esprits qu'il faut maintenir de bonne humeur. En conséquence les peuples primitifs prêtaient plus d'attention à leurs fantômes malveillants qu'aux esprits bienveillants.
Ils supposaient que la prospérité humaine provoquait spécialement l'envie des mauvais esprits, et que leur méthode de représailles consistait à riposter par un agent humain et par la technique du mauvais oeil. Pendant la phase où le culte cherchait à éviter les mauvais esprits, on s'occupa beaucoup des machinations du mauvais oeil et on le craignit presque dans le monde entier. Les jolies femmes furent voilées pour les protéger contre le mauvais oeil; subséquemment, beaucoup de femmes désireuses d'être considérées comme belles adoptèrent cette pratique. À cause de la peur des mauvais esprits, on permettait rarement aux enfants de sortir après la tombée de la nuit. Les prières primitives incluaient toujours la supplique: « Délivre-nous du mauvais oeil ».
Le Coran contient un chapitre entier consacré au mauvais oeil et aux incantations magiques. Les Juifs y croyaient totalement. Tout le culte phallique grandit comme une défense contre le mauvais oeil. On croyait que les organes de reproduction étaient le seul fétiche capable de le rendre impuissant. Le mauvais oeil donna naissance aux premières superstitions concernant les marques prénatales des enfants, les impressions maternelles, et à un certain moment ce culte fut à peu près universel.
L'envie est une caractéristique humaine bien enracinée; c'est pourquoi les primitifs l'attribuèrent à leurs premiers dieux. Puisque les hommes avaient déjà pratiqué la tromperie contre les fantômes, ils ne tardèrent pas à tromper les esprits. Ils dirent: « Puisque les esprits sont jaloux de notre beauté et de notre prospérité, nous allons nous enlaidir et parler à la légère de nos succès ». L'humilité primitive n'était donc pas un avilissement de l'ego, mais plutôt une tentative pour déjouer et tromper les esprits envieux.
Pour empêcher les esprits de jalouser la prospérité humaine, on adopta la méthode d'agonir d'injures un objet préféré ou une personne ayant de la chance. La coutume du dénigrement pour faire des remarques flatteuses sur soi-même ou sur sa famille prit naissance de cette manière et finit par se transformer en modestie, en réserve, et en courtoisie dans la civilisation. Pour le même motif, il devint à la mode de paraître laid. La beauté excitait l'envie des esprits; elle dénotait un orgueil humain coupable. Les sauvages recherchaient de vilains noms. Ce trait du culte handicapa grandement le progrès des arts et maintint longtemps le monde dans la médiocrité et la laideur.
Sous le culte des esprits, la vie était au mieux un jeu de hasard, le résultat du contrôle par les esprits. Votre avenir ne tenait pas à vos efforts, à votre industrie, ou à vos talents, sauf dans la mesure où vous pouviez les utiliser pour influencer les esprits. Les cérémonies de propitiation des esprits constituèrent un lourd fardeau et rendirent la vie ennuyeuse et pratiquement insupportable. D'âge en âge et de génération en génération, les races cherchèrent l'une après l'autre à améliorer cette doctrine des super-fantômes, mais jusqu'à aujourd'hui nulle génération n'a encore osé la rejeter complètement.
On étudiait les intentions et la volonté des esprits au moyen de présages, d'oracles, et de signes, et l'on interprétait ces messages des esprits par divination, prédictions, magie, épreuves, et astrologie. L'ensemble du culte était un plan destiné à apaiser, à satisfaire, et à acheter les esprits par cette corruption déguisée.
Ainsi naquit une philosophie mondiale nouvelle et plus étendue basée sur:
| 1. Le devoir -- les choses qu'il faut faire pour garder les esprits dans des dispositions favorables, ou tout au moins neutres. | |
| 2. Le droit -- la conduite et les cérémonies correctes destinées à ranger activement les esprits du côté de vos intérêts. | |
| 3. La vérité -- la juste compréhension des esprits et le comportement correct envers eux, donc envers la vie et la mort. |
Ce n'était pas simplement par curiosité que les anciens cherchaient à connaître l'avenir; ils voulaient esquiver la malchance. La divination était simplement une tentative pour éviter les difficultés. À ces époques, on considérait les rêves comme prophétiques, et tout ce qui sortait de l'ordinaire comme un présage. Aujourd'hui encore, la croyance aux signes, aux gages, et aux autres superstitions résiduaires de l'antique culte des fantômes est une malédiction pour l'humanité. Les hommes sont lents, bien lents, à abandonner les méthodes par lesquelles ils ont si graduellement et péniblement gravi l'échelle évolutionnaire de la vie.
6. -- COERCITION ET EXORCISME
Quand les hommes ne croyaient qu'aux fantômes, le rituel religieux était plus personnel et moins organisé. La récognition d'esprits plus élevés nécessita l'emploi de « méthodes spirituelles supérieures » pour traiter avec eux. Cette tentative pour améliorer et approfondir la technique de propitiation conduisit directement à créer des défenses contre les esprits. En vérité l'homme se sentait impuissant devant les forces incontrôlables opérant dans la vie terrestre; son sentiment d'infériorité le poussa à essayer de trouver une adaptation compensatrice, une technique pour égaliser les chances dans cette lutte unilatérale de l'homme contre le cosmos.
Aux premiers temps du culte, les efforts des hommes pour influencer l'activité des fantômes se limitaient à la propitiation, aux tentatives de corruption pour se débarrasser de la malchance. À mesure que le culte des fantômes évolua pour atteindre le concept des bons et des mauvais esprits, ces cérémonies se transformèrent en essais de nature plus positive, en efforts pour avoir de la chance. La religion cessa d'être complètement négative, mais l'homme ne s'arrêta pas à l'effort d'obtenir la chance; il ne tarda pas à faire des plans lui permettant de contraindre les esprits à coopérer. Les fidèles de la religion ne furent plus sans défense devant les exigences incessantes des spectres d'esprits qu'ils avaient eux-mêmes imaginés. Les sauvages commencèrent à inventer des armes leur permettant d'obliger les esprits à agir et de les forcer à les aider.
Les premiers efforts défensifs des hommes furent dirigés contre les fantômes. Avec l'écoulement des âges, les vivants commencèrent à établir des méthodes pour résister aux morts. Pour effrayer et chasser les fantômes, ils inventèrent de nombreuses techniques parmi lesquelles on peut citer les suivantes
| 1. Couper la tête et attacher le corps dans le tombeau. | |
| 2. Lapider la maison mortuaire. | |
| 3. Castrer le cadavre ou lui briser les jambes. | |
| 4. Enterrer sous des pierres; ce fut l'une des origines de la pierre tombale moderne. | |
| 5. Incinérer; ce fut une invention plus tardive pour empêcher le fantôme d'apporter le trouble. | |
| 6. Jeter le corps à la mer. | |
| 7. Exposer le corps à être mangé par les bêtes sauvages. |
On supposait que les fantômes étaient dérangés et effrayés par le bruit, que les cris, les cloches, et les tambours les écartaient des vivants. Ces anciennes méthodes se sont transformées de nos jours en « veillées » mortuaires. On utilisa des décoctions à odeur fétide pour éloigner les esprits importuns. On tailla de hideuses statues des esprits pour qu'ils fuient à la hâte en voyant leur propre image. On crut que les chiens pouvaient détecter l'approche des esprits et avertir les hommes en hurlant, que les coqs chantaient quand les esprits étaient proches. L'emploi d'un coq comme girouette perpétue cette superstition.
On considérait l'eau comme la meilleure protection contre les fantômes, et l'eau bénite comme supérieure à toutes les autres; c'était l'eau dans laquelle les prêtres s'étaient lavé les pieds. On crut que le feu et l'eau constituaient des barrières infranchissables pour les esprits. Les Romains faisaient trois fois le tour d'un cadavre avec de l'eau. Au XXième siècle, on asperge encore les cercueils avec de l'eau bénite, et le lavage des mains au cimetière fait encore partie du rituel juif. Le baptême fut une caractéristique du rituel ultérieur de l'eau; les bains primitifs étaient une cérémonie religieuse. C'est seulement à une époque récente que le bain est devenu une pratique d'hygiène.
L'homme ne s'arrêta pas à la coercition des esprits. Par des rites religieux et d'autres formalités, il essaya bientôt de forcer les esprits à agir. L'exorcisme consistait à employer un esprit pour en contrôler un autre ou le chasser, et l'on utilisa aussi cette tactique pour effrayer les fantômes et les esprits. Le concept du double spiritisme des bonnes et des mauvaises forces fournit aux hommes d'amples occasions d'opposer un agent à un autre; en effet, si un homme fort pouvait en vaincre un plus faible, alors un esprit puissant pouvait certainement dominer un fantôme inférieur. La malédiction primitive était une pratique coercitive destinée à intimider des esprits mineurs. Plus tard, cette coutume se développa et l'on se mit à maudire ses ennemis.
On crut longtemps qu'en revenant aux usages des moeurs plus anciennes on pouvait forcer les esprits et les demi-dieux à commettre un acte désirable. Les hommes modernes emploient à tort le même procédé. Vous vous adressez les uns aux autres dans le langage ordinaire de tous les jours, mais quand vous vous mettez à prier, vous avez recours à l'ancien style d'une autre génération, au style dit solennel.
Cette doctrine explique aussi des substitutions religieuses-rituelles de nature sexuelle, telles que la prostitution dans les temples. On considérait ces retours à des coutumes primitives comme des protections sûres contre nombre de calamités. Chez les populations frustes, tous ces agissements étaient entièrement exempts de ce que les modernes appelleraient promiscuité.
Vint ensuite la pratique des voeux rituels, bientôt suivie par les engagements religieux et les serments sacrés. La plupart de ces serments étaient accompagnés de tortures et de mutilations que l'on s'infligeait soi-même, et plus tard par des jeunes et des prières. L'abnégation de soi fut considérée ultérieurement comme un coercitif certain; ce fut spécialement le cas en matière d'abstention sexuelle. C'est ainsi que les hommes primitifs développèrent de bonne heure une austérité marquée dans leurs pratiques religieuses, une croyance à l'efficacité des tortures et des renoncements en tant que rites capables de forcer les esprits rétifs à réagir favorablement envers les souffrances et les privations que l'on s'infligeait soi-même.
Les hommes modernes n'essayent plus ouvertement de contraindre les esprits, bien qu'ils montrent encore des dispositions à marchander avec la Déité. Ils continuent à jurer, à toucher du bois, à se croiser les doigts, et à prononcer une phrase triviale après une expectoration; jadis c'était une formule magique.
7. -- LA NATURE DU CULTE
Le type cultuel d'organisation sociale persista parce qu'il fournissait un symbolisme pour préserver et stimuler les sentiments moraux et les fidélités religieuses. Le culte naquit des traditions des «vieilles familles» et se perpétua comme institution établie. Toutes les familles ont un culte de quelque sorte. Tout idéal inspirant tend à saisir un symbolisme qui le perpétuera -- il recherche une technique pour une manifestation culturelle qui assurera sa survivance et accroîtra son épanouissement. Le culte parvient à cette fin en entretenant et en satisfaisant les émotions.
Depuis l'aurore de la civilisation, tout mouvement intéressant de culture sociale ou de progrès religieux a donné naissance à des rites, à un cérémonial religieux. Plus ce rituel a grandi inconsciemment, plus son emprise a été forte sur ses fidèles. Le culte a préservé les sentiments et satisfait les émotions, mais il a toujours été le plus grand obstacle à la reconstruction sociale et au progrès spirituel.
Bien que le culte ait toujours retardé le progrès social, il est regrettable que tant de contemporains croyant aux critères moraux et aux idéaux spirituels n'aient pas de symbolisme approprié -- pas de culte pour se soutenir mutuellement rien à quoi ils puissent appartenir. Mais un culte religieux ne saurait être fabriqué; il faut qu'il grandisse. Deux groupes différents n'auront jamais un culte identique, à moins que leurs rituels n'aient été arbitrairement uniformisés par voie autoritaire.
Le culte chrétien primitif fut le plus efficace, le plus attirant, et le plus durable de tous les rituels jamais conçus ou imaginés, mais il a perdu une grande partie de sa valeur dans le présent âge scientifique par la destruction d'un très grand nombre de ses principes originels sous-jacents. Le culte chrétien fut dévitalisé par la perte de beaucoup d'idées fondamentales.
Dans le passé, la vérité a grandi rapidement et s'est répandue aisément quand le culte a été libéral, sans symbolisme étriqué. La vérité abondamment répandue et un culte adaptable ont favorisé la rapidité du progrès social. Un culte dépourvu de signification vicie la religion quand il essaye de supplanter la philosophie et d'asservir la raison. Un culte authentique grandit.
Sans souci des inconvénients et des handicaps, chaque nouvelle révélation de la vérité a donné naissance à un nouveau culte. Même la réaffirmation de la religion de Jésus doit développer un nouveau symbolisme adéquat. Il faut que les hommes modernes trouvent des symboles appropriés à leurs nouveaux idéaux, à leurs nouvelles idées et obédiences en expansion. Ce symbolisme supérieur d'une plus haute civilisation doit surgir de la vie religieuse, de l'expérience spirituelle. Il doit être basé sur le concept de la Paternité de Dieu et contenir le puissant idéal de la fraternité des hommes.
Les anciens cultes étaient trop égocentriques. Le nouveau culte doit résulter de la mise en oeuvre de l'amour. Comme les anciens, il doit entretenir les sentiments, satisfaire les émotions, et promouvoir la fidélité, mais il doit faire davantage. Il faut qu'il facilite les progrès spirituels; qu'il rehausse les significations cosmiques, augmente les valeurs morales, encourage le développement social, et stimule un type élevé de vie religieuse personnelle. Le nouveau culte doit apporter des buts suprêmes de vie à la fois temporels et éternels sociaux et spirituels.
Aucun culte ne peut durer, ne peut contribuer au progrès de la civilisation collective et des accomplissements spirituels individuels, à moins d'être basé sur la signification biologique, sociologique, et religieuse du foyer. Un culte qui survit doit symboliser ce qui reste permanent en face des changements incessants, glorifier ce qui unifie le courant des métamorphoses sociales en constante transformation. Il faut qu'il reconnaisse les vraies significations, qu'il exalte les belles relations, et qu'il célèbre les valeurs réellement bonnes et nobles.
Il est fort difficile de trouver un symbolisme nouveau et satisfaisant, parce que les hommes modernes ont un double comportement. Collectivement ils adhèrent à l'attitude scientifique, écartent les superstitions, et abhorrent l'ignorance, mais individuellement ils sont tous affamés de mystères et vénèrent l'inconnu. Aucun culte ne peut survivre au moins d'incorporer un mystère magistral et de masquer un but inaccessible digne d'être atteint. En outre, il ne suffit pas que le nouveau symbolisme soit significatif pour le groupe; il doit aussi avoir un sens pour l'individu. Les formes de tout symbolisme utile doivent être celles que l'individu peut mettre en pratique de sa propre initiative et dont il peut aussi jouir avec ses semblables. Si le nouveau culte pouvait être dynamique au lieu d'être statique, il ferait réellement un apport valable au progrès de l'humanité, à la fois temporellement et spirituellement.
Toutefois un culte -- un symbolisme de rites, de mots d'ordre, ou de buts -- ne fonctionnera pas s'il est trop complexe. Il faut qu'une dévotion soit exigée et qu'elle implique une réaction de fidélité. Toute religion efficace développe infailliblement un symbolisme valable, et ses fidèles feraient bien d'empêcher que ce rituel ne se cristallise en cérémonies stéréotypées engourdissantes, déformantes, et étouffantes; celles-ci ne peuvent que handicaper et retarder les progrès sociaux, moraux, et spirituels. Aucun culte ne peut survivre s'il freine la croissance morale et ne réussit pas à entretenir le progrès spirituel. Le culte est le squelette autour duquel se développe la musculature vivante et dynamique de l'expérience spirituelle personnelle -- la vraie religion.
[Présenté par une Brillante Étoile du Soir de Nébadon.]



