3. L'HISTOIRE D'URANTIA
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L'ÉVOLUTION PRIMITIVE DE LA RELIGION
L'ÉVOLUTION de la religion à partir du besoin d'adoration primitif antérieur ne dépend pas de la révélation. Le fonctionnement normal de la pensée humaine sous l'influence des sixième et septième adjuvats mentaux effusés par l'Esprit-Mère de l'univers est amplement suffisant pour assurer ce développement.
La toute première peur pré-religieuse que les hommes ont eu des forces de la nature est progressivement devenue religieuse à mesure que la nature fut graduellement personnalisée, spiritualisée, et finalement divinisée dans la conscience humaine. Les religions du type primitif étaient donc une conséquence biologique de l'inertie psychologique des mentalités animales en évolution après que les concepts du surnaturel aient pénétré dans ces mentalités.
1. -- LE HASARD: CHANCE ET MALCHANCE
À côté du besoin naturel d'adoration, la religion évolutionnaire primitive avait ses racines originelles dans l'expérience humaine du hasard -- appelé chance dans les événements ordinaires. L'homme primitif chassait pour se nourrir. Les résultats de la chasse sont nécessairement variables, et cela donne une origine certaine aux expériences que les hommes interprètent comme chance et malchance. Les mésaventures étaient un élément important dans la vie d'hommes et de femmes constamment harcelés dans leur existence décousue et précaire.
L'horizon intellectuel limité des sauvages concentre tellement leur attention sur le hasard que la chance devient un facteur constant de leur vie. Les Urantiens primitifs luttaient pour vivre, et non pour un niveau de vie. Ils vivaient une vie périlleuse où le hasard jouait un rôle important. L'appréhension constante d'une calamité inconnue et invisible planait au-dessus de ces sauvages comme un nuage de désespoir qui éclipsait efficacement tous les plaisirs; ils rêvaient dans la peur constante de commettre un acte qui amènerait de la malchance. Les sauvages superstitieux craignaient toujours une série de chances heureuses; ils considéraient cette bonne fortune comme annonciatrice de calamités.
La peur toujours présente de la malchance était paralysante. Pourquoi travailler dur et récolter la malchance -- donner quelque chose pour rien -- quand on peut se laisser porter et risquer d'avoir de la chance -- obtenir quelque chose pour rien? Les irréfléchis oublient la bonne chance -- ils la considèrent comme un dû -- mais ils se rappellent douloureusement la malchance.
Les hommes primitifs vivaient dans l'incertitude et la peur constante du hasard -- de la malchance. La vie était un passionnant jeu de hasard; l'existence était une affaire de chance. Il n'y a rien d'étonnant à ce que les peuples partiellement civilisés croient encore à la chance et manifestent un reste de prédisposition pour les jeux de hasard. Les hommes primitifs alternaient entre deux puissants intérêts: la passion d'obtenir quelque chose pour rien et la peur de ne rien obtenir pour quelque chose. Le jeu de hasard de l'existence intéressait au premier chef la pensée sauvage primitive et la fascinait suprêmement.
Plus tard, les éleveurs de troupeaux eurent le même point de vue sur le hasard et la chance, tandis que plus tard encore les agriculteurs prirent de plus en plus conscience que les récoltes subissaient l'influence immédiate d'un grand nombre de facteurs sur lesquels le contrôle de l'homme était faible ou nul. Les paysans se trouvèrent victimes de la sécheresse, des inondations, de la grêle, des orages, des insectes, et des maladies parasitaires, ainsi que de la chaleur et du froid. Dès lors que toutes ces influences affectaient la prospérité individuelle, on les considéra comme des chances ou des malchances.
La notion de hasard et de chance imprégna fortement la philosophie de tous les peuples de l'antiquité. Même à une époque récente, la Sagesse de Salomon a dit: « Je suis revenu et j'ai vu que la course n'était pas aux agiles, ni la bataille aux forts, ni le pain aux sages, ni les richesses aux intelligents, ni la faveur aux habiles, car le destin et le hasard les atteignent tous. Car aussi l'homme ne connaît pas son sort; comme les poissons sont pris dans le filet de malheur et les oiseaux pris au piège, ainsi les hommes sont enlacés dans l'infortune quand elle fond subitement sur eux » (1).
2. -- LA PERSONNIFICATION DU HASARD
L'anxiété était un état naturel de la pensée des sauvages. Quand les hommes et les femmes tombent victimes d'une anxiété excessive, ils reviennent simplement à l'état naturel de leurs lointains ancêtres. Quand l'anxiété devient réellement douloureuse, elle inhibe l'activité et provoque infailliblement des changements évolutionnaires et des adaptations biologiques. La douleur et la souffrance sont indispensables l'évolution progressive.
La lutte pour la vie est si pénible qu'aujourd'hui encore certaines tribus arriérées hurlent et se lamentent à chaque nouveau lever du soleil. L'homme primitif se demandait constamment -- « Qui me tourmente? » Faute de trouver une source matérielle à ses malheurs, il fixa ses explications sur les esprits. La religion naquit ainsi de la peur du mystère, de la crainte respectueuse de l'invisible, et de l'appréhension de l'inconnu. La peur de la nature devint donc un facteur dans la lutte pour l'existence, d'abord à cause du hasard et ensuite à cause du mystère.
La pensée primitive était logique, mais contenait peu d'idées susceptibles de s'associer intelligemment; la pensée sauvage était ignare et entièrement ingénue. Si un événement en suivait un autre, le sauvage leur attribuait la relation de cause à effet. Ce que l'homme civilisé considère comme de la superstition n'était que pure ignorance chez le sauvage. L'humanité fut lente à apprendre qu'il n'y a pas nécessairement de rapports entre les desseins et les résultats. Les êtres humains commencent seulement a comprendre que des réactions vitales interviennent entre l'acte et ses conséquences. Le sauvage s'efforce de personnaliser tout ce qui est intangible et abstrait c'est ainsi que la nature et le hasard furent tous deux personnalisés en tant que fantômes -- en tant qu'esprits -- et plus tard en tant que dieux.
Les hommes ont une tendance naturelle à croire à ce qu'ils estiment préférable pour eux, à ce qui représente leur intérêt immédiat ou lointain; l'intérêt égoïste obscurcit largement la logique. La mentalité des hommes sauvages et celle des hommes civilisés diffèrent plus par leur contenu que par leur nature, par leur degré plus que par leur qualité.
Si l'on continue d'attribuer à ces causes surnaturelles les événements difficiles à comprendre, ce n'est rien moins qu'une manière paresseuse et commode d'éviter toutes les formes de travail intellectuel pénible. La chance est simplement un terme forgé pour couvrir l'inexplicable dans n'importe quel âge de l'existence humaine; elle désigne les phénomènes dont les hommes sont incapables ou peu désireux de pénétrer le sens. Le hasard est un mot signifiant que l'homme est trop ignorant ou trop indolent pour déterminer les causes. Les hommes ne considèrent un événement naturel comme un accident ou une malchance que s'ils sont dépourvus de curiosité et d'imagination, que si leur race manque d'initiative et d'esprit aventureux. L'exploration des phénomènes de la vie détruit tôt ou tard la croyance des hommes au hasard, à la chance, et aux prétendus accidents; elle y substitue un univers de loi et d'ordre, où tous les effets sont procédés par des causes définies. La peur de l'existence est ainsi remplacée par la joie de vivre.
Les sauvages envisageaient toute la nature comme vivante, comme possédée par quelque chose. Les civilisés donnent encore un coup de pied aux objets inanimés qui se trouvent sur leur chemin et maudissent encore ceux contre lesquels ils butent. Les hommes primitifs ne considéraient jamais quelque chose comme accidentel; pour eux, tout était toujours intentionnel; à leur point de vue, le domaine du sort, la fonction de la chance, et le monde des esprits étaient tout aussi inorganisés et dirigés à l'aveuglette que la société primitive. Ils envisageaient la chance comme une réaction du caprice et du tempérament du monde des esprits, et plus tard comme l'humeur des dieux.
Toutes les religions ne se développèrent pas en partant de l'animisme. D'autres concepts du surnaturel lui étaient contemporains, et ces croyances conduisirent aussi à l'adoration. Le naturalisme n'est pas une religion -- il est né de la religion.
3. -- LA MORT -- L'INEXPLICABLE
La mort était pour les hommes en évolution le choc suprême, la plus troublante combinaison de hasard et de mystère. Ce ne fut pas la sainteté de la vie, mais le heurt de la mort, qui inspira de la peur et entretint ainsi efficacement la religion. Chez les peuples sauvages, la mort était généralement due à la violence, de sorte que la mort non-violente devint de plus en plus un mystère. La mort en tant que fin naturelle et attendue de la vie n'était pas claire dans la conscience des peuplades primitives. Il a fallu des âges et des âges aux hommes pour comprendre qu'elle est inévitable.
Les hommes primitifs acceptaient la vie comme un fait, tandis qu'ils considéraient la mort comme une sorte d'affliction. Toutes les races ont leurs légendes d'hommes qui ne sont pas morts, traditions atrophiées du comportement initial envers la mort. Il existait déjà dans la pensée humaine un concept nébuleux d'un monde des esprits imprécis et inorganisé, d'un domaine d'où provenait tout ce qui est inexplicable dans la vie humaine; on ajouta la mort la longue liste des phénomènes inexpliqués.
On crut d'abord que toutes les maladies humaines et la mort naturelle étaient dues à l'influence d'esprits. Même à l'époque actuelle, certaines races civilisées considèrent que les maladies ont été engendrées par « l'ennemi » et comptent sur des cérémonies religieuses pour en effectuer la guérison. Des systèmes de théologie plus récents et plus complexes attribuent encore la mort à l'action du monde des esprits; tout cet ensemble a conduit à des doctrines telles que le péché originel et la chute de l'homme.
Ce fut la prise de conscience de son impuissance devant les puissantes forces de la nature, ainsi que la récognition de la faiblesse humaine devant les calamités, la maladie, et la mort, qui poussèrent les sauvages à rechercher de l'aide auprès du monde supra-matériel qu'ils entrevoyaient comme source de ces mystérieuses vicissitudes de la vie.
4. -- LE CONCEPT DE LA SURVIE APRÈS LA MORT
Le concept d'une phase supra-matérielle de la personnalité mortelle naquit de l'association inconsciente et purement accidentelle des événements de la vie quotidienne avec les rêves et les fantômes. Quand plusieurs membres de la tribu d'un chef trépassé rêvaient simultanément de lui, cela semblait constituer une preuve convaincante que le vieux chef était réellement revenu sous quelque forme. Tout cela était fort réel pour les sauvages; après de tels rêves, ils se réveillaient trempés de sueur, tremblants, et hurlants.
Le fait que la croyance en une existence future ait eu son origine dans le rêve explique la tendance à toujours imaginer les choses invisibles en termes de choses visibles. Le nouveau concept de la vie future en tant que fantôme rêvé commença bientôt à servir d'antidote efficace à la peur de la mort associée à l'instinct biologique de conservation.
Les hommes primitifs se préoccupaient également beaucoup de leur respiration, spécialement dans les climats froid où ils observaient une buée lors de l'expiration. Le souffle de vie fut considéré comme l'unique phénomène qui différenciait les vivants des morts. Le primitif savait que son souffle pouvait quitter son corps; les rêves où il faisait toutes sortes de choses bizarres pendant qu'il était endormi le convainquirent que l'être humain comportait un élément immatériel. La forme la plus primitive de l'idée de l'âme humaine fut le fantôme, dérivé du système d'idées relatif aux rêves et à la respiration.
Le sauvage finit par concevoir qu'il était un être double -- corps et souffle. Le souffle amputé du corps équivalait à un esprit, à un fantôme. Bien que les esprits ou fantômes aient eu nettement une origine humaine, on les considéra comme supra-humains. Cette croyance à l'existence d'esprits désincarnés semblait expliquer les événements inhabituels, extraordinaires, peu fréquents, et incompréhensibles.
La doctrine primitive de la survie après la mort n'était pas nécessairement une croyance à l'immortalité. Des êtres qui ne savaient pas compter au delà de vingt ne pouvaient guère concevoir l'infinité et l'éternité; ils pensaient plutôt à des incarnations répétés.
La race orangée était spécialement adonnée aux croyances a la transmigration et à la réincarnation. L'idée de réincarnation prit naissance dans l'observation de ressemblances d'hérédités et de caractères entre les descendants et leurs ancêtres. La coutume de nommer les enfants d'après leurs grands-parents et autres ascendants était due à la croyance en la réincarnation. Quelques races plus récentes crurent que les hommes mouraient de trois à sept fois. Cette croyance était un reliquat des enseignements d'Adam sur l'attribution successives de nouveaux corps morontiels sur les mondes des maisons. On la retrouve avec beaucoup d'autres vestiges de la religion révélée dans les doctrines, par ailleurs absurdes, des barbares du XXième siècle.
Les hommes primitifs ne nourrissaient aucune idée d'enfer ni de punitions futures. Les sauvages imaginaient la vie après la mort exactement comme la vie présente, moins la malchance. Plus tard, on conçut une destinée séparée pour les bons fantômes et les mauvais fantômes -- le ciel et l'enfer. Les membres de beaucoup de races primitives croyaient que l'homme débutait dans la vie suivante à l'état exact où il avait quitté la vie présente; c'est pourquoi l'idée devenir vieux et décrépit ne leur souriait pas. Les gens âgés préféraient de beaucoup être tués avant de devenir trop impotents.
Presque tous les groupes avaient des idées différentes sur la destinée de l'âme-fantôme. Les Grecs croyaient que les hommes faibles devaient avoir des âmes faibles; ils inventèrent donc le Hadès comme lieu approprié pour recevoir ces âmes chétives. Ils supposaient aussi que ces spécimens malingres avaient des fantômes plus petits. Les premiers Andites croyaient que leurs fantômes retournaient au pays natal de leurs ancêtres. Les Chinois et les Égyptiens crurent jadis que l'âme et le corps restaient liés. Cela conduisit les Égyptiens à construire soigneusement des tombes et à s'efforcer de préserver les corps. Même les peuples modernes cherchent à éviter la décomposition des cadavres. Les Hébreux conçurent qu'un fantôme, réplique de l'individu, descendait au Shéol et ne pouvait revenir au pays des vivants. Ce sont eux qui firent ce progrès important dans la doctrine de l'évolution de l'âme (1).
5. -- LE CONCEPT DE L'ÂME FANTÔME
La partie non matérielle de l'homme a été diversement appelée fantôme, esprit, ombre, spectre, et plus récemment âme. Dans les rêves de l'homme primitif, l'âme était son double; elle ressemblait exactement au mortel lui-même, sauf qu'elle n'était pas sensible au toucher. La croyance aux doubles vus en rêve conduisit directement à la notion que toutes les choses animées et inanimées ont une âme comme les hommes. Ce concept tendit longtemps à perpétuer la croyance aux esprits de la nature. Les Esquimaux imaginent encore que toutes les choses de la nature ont un esprit.
L'âme fantôme pouvait être entendue et vue, mais non être touchée. La vie de rêve de la race développa et étendit graduellement les activités du monde évoluant des esprits, au point que la mort fut finalement considérée comme le fait de « de rendre l'âme ». Toutes les tribus primitives, sauf celles qui dépassaient à peine les animaux, se sont formé des concepts de l'âme. À mesure que la civilisation progresse, ces concepts superstitieux sont détruits, et l'homme dépend entièrement de la révélation et de l'expérience religieuse personnelle pour se faire une nouvelle idée de l'âme en tant que création conjointe de la pensée humaine connaissant Dieu et de l'esprit divin qui l'habite, l'Ajusteur de Pensée.
Les mortels primitifs ne réussissaient généralement pas à différencier la notion d'un esprit intérieur de celle d'une âme de nature évolutionnaire. Il y avait grande confusion chez les sauvages sur la question de savoir si l'âme était née dans le corps ou si elle était un agent extérieur en possession du corps. L'absence de pensée raisonnée en présence de la perplexité explique le grossier illogisme des points de vue des sauvages sur les âmes, les fantômes, et les esprits.
On a cru que l'âme était reliée au corps comme le parfum à la fleur. Les anciens croyaient que l'âme pouvait quitter le corps de différentes manières telles que:
| 1. Évanouissement ordinaire et temporaire. | |
| 2. Sommeil, rêve naturel. | |
| 3. Coma et inconscience associés aux maladies et aux accidents. | |
| 4. Mort, départ définitif. |
Les sauvages envisageaient les éternuements comme des tentatives avortées de l'âme pour s'échapper du corps. Etant éveillé et sur ses gardes, le corps était capable de contrecarrer l'essai de fuite de l'âme. Plus tard, on accompagna toujours les éternuements d'une formule religieuse telle que « Dieu vous bénisse ».
De bonne heure dans l'évolution, on considéra le sommeil comme prouvant que l'âme fantôme pouvait s'absenter du corps, et l'on croyait pouvoir la rappeler en parlant ou en criant le nom du dormeur. Dans d'autres formes d'inconscience, on croyait que l'âme était plus lointaine, cherchant peut-être à s'échapper pour de bon -- la mort imminente. On envisageait les rêves comme les expériences de l'âme durant le sommeil, lors de son absence temporaire du corps. Les sauvages estiment que leurs rêves sont aussi réels que toute autre partie de leur expérience de veille. Les anciens prirent l'habitude d'éveiller graduellement les dormeurs pour donner à l'âme le temps de réintégrer le corps.
Tout au long des âges, les hommes ont été saisis d'une crainte respectueuse devant l'apparition de la nuit, et les Hébreux ne firent pas exception. Ils croyaient sincèrement que Dieu leur parlait dans des rêves, malgré les injonctions de Moïse à l'encontre de cette idée. Moïse avait raison, car les rêves extraordinaires ne sont pas la méthode employée par les personnalités du monde spirituel quand elles cherchent à communiquer avec les êtres matériels.
Les anciens croyaient que les âmes pouvaient entrer dans des animaux ou même des objets inanimés. Cette croyance à l'identification avec les animaux culmina dans l'idée des loups-garous. Une personne pouvait être de jour un citoyen respectueux de la loi, mais quand elle s'endormait, son âme pouvait entrer dans un loup ou dans quelque autre animal et rôder en commettant des déprédations nocturnes.
Les hommes primitifs croyaient que l'âme était associée à la respiration et que l'on pouvait communiquer ou transférer ses qualités par le souffle. Un chef courageux allait souffler sur un enfant nouveau-né pour lui conférer le don de la bravoure. Chez les Chrétiens primitifs, la cérémonie d'effusion du Saint-esprit était accompagnée d'un souffle sur les candidats. Le Psalmiste a dit: « Les cieux ont été faits par la parole du Seigneur, et toute leur armée par le souffle de sa bouche » (1). Ce fut longtemps la coutume pour les fils aînés d'essayer d'attraper le dernier souffle de leur père mourant.
Plus tard on en vint à craindre et à révérer l'ombre au même titre que le souffle. L'image de soi-même reflétée dans l'eau fut également envisagée parfois comme la preuve de la dualité de l'être, et l'on considéra les miroirs avec une crainte superstitieuse. Même aujourd'hui, bien des civilisés tournent les miroirs contre le mur en cas de décès. Quelques tribus arriérées croient encore que les portraits, dessins, modèles, ou images enlèvent au corps une partie de l'âme, et en conséquence elles interdisent d'en faire.
On croyait en général que l'âme s'identifiait au souffle, mais diverses peuplades la situaient aussi dans la tête, les cheveux, le coeur, le foie, le sang, et la graisse. « Le sang d'Abel criant depuis la terre (2)» exprime la croyance de jadis à la présence de l'âme dans le sang (3). Les Sémites enseignèrent que l'âme résidait dans la graisse du corps, et chez beaucoup d'entre eux l'absorption de graisse animale était tabou (4). Les chasseurs de têtes et les découpeurs de scalps cherchaient à capturer l'âme de leurs ennemis. Plus récemment, on a considéré les yeux comme les fenêtres de l'âme.
Les adeptes de la doctrine selon laquelle il y avait trois ou quatre âmes croyaient que la perte de l'une d'elles signifiait inquiétude, la perte de deux, maladie, et la perte de trois, la mort. D'après eux, une âme vivait dans le souffle, une dans la tête, une dans les cheveux, et une dans le coeur. Ils conseillaient aux malades de se promener au grand air avec l'espoir de recapter leurs âmes égarées. On supposait que les plus grands médecins échangeaient l'âme malade d'une personne malade contre une nouvelle âme, la «nouvelle naissance ».
Les enfants de Badonan développèrent une croyance en deux âmes, la respiration et l'ombre. Les premières races nodites estimaient que l'homme consistait en deux personnes, l'âme et le corps. Cette philosophie de l'existence se refléta plus tard dans le point de vue grec. Les Grecs eux-mêmes croyaient à l'existence de trois âmes, la végétative située dans l'estomac, l'animale dans le coeur, et l'intellectuelle dans la tête. Les Esquimaux croient que l'homme est composé de trois parties: le corps, l'âme, et le nom.
| (1) Psaume XXXIII-6. |
| (2) Genèse IV-10 et parallèles, Matthieu XXIII-35, Luc XI-50 et 51, Hébreux XII-24. |
| (3) Lévitique XVII-11. |
| (4) Lévitique III-17 et VII-23. |
6. -- L'ENTOURAGE D'ESPRITS FANTÔMES
L'homme a hérité d'un entourage naturel, acquis un entourage social, et imaginé un entourage spectral. Les hommes réagissent envers leur entourage naturel en formant des États, envers leur entourage social en fondant des foyers, et envers leur entourage illusoire de fantômes en instituant des Églises.
Très tôt dans l'histoire de l'humanité, la croyance aux réalités du monde imaginaire des fantômes et des esprits fut universelle, et ce monde d'esprits nouvellement imaginé devint une puissance dans la société primitive. La vie mentale et morale de toute l'humanité fut définitivement modifiée par l'apparition de ce nouveau facteur dans les pensées et les actes des hommes.
Sur cette base majeure d'ignorance et d'illusion, la peur humaine a entassé toutes les superstitions et religions subséquentes des peuples primitifs. Ce fut l'unique religion humaine jusqu'à l'époque de la révélation, et de nombreuses races du monde d'aujourd'hui ne possèdent encore que cette religion évolutionnaire sommaire.
À mesure que l'évolution progressait, la chance fut associée aux bons esprits et la malchance aux mauvais esprits. La gêne de l'adaptation forcée à un entourage changeant fut considérée comme une malchance, un mécontentement des esprits fantômes. Les hommes primitifs donnèrent lentement naissance à la religion en partant de leur besoin inné d'adoration et de leur fausse conception du hasard. Les hommes civilisés établissent des plans d'assurance pour triompher des occurrences du hasard. La science moderne remplace les esprits fictifs et les dieux capricieux par un actuaire faisant des calculs mathématiques.
Chaque génération qui passe sourit devant les superstitions stupides de ses ancêtres, tout en continuant à entretenir les sophismes de pensée et d'adoration qui feront sourire à leur tour la postérité plus éclairée.
Quoi qu'il en soit, la pensée des hommes primitifs était enfin occupée par des idées qui transcendaient tous leurs besoins biologiques naturels. L'homme était enfin sur le point de développer un art de vivre basé sur quelque chose de plus que la réaction à des stimulants matériels. On assistait aux débuts d'une politique de vie comportant une philosophie primitive. Un critère de vie surnaturel était sur le point d'émerger. En effet, si l'esprit fantôme apporte la malchance dans sa colère et la bonne fortune dans son contentement, il faut que la conduite humaine soit réglée en conséquence. Le concept du bien et du mal était enfin apparu par évolution, et tout ceci bien avant l'époque d'une révélation quelconque sur terre.
Avec l'émergence de ces concepts commença la longue lutte stérile pour apaiser les esprits toujours mécontents, l'esclavage servile de la peur religieuse évolutionnaire, l'interminable gaspillage des efforts humains pour des tombes, des temples, des sacrifices, et des prêtrises. Le prix à payer fut effrayant et terrible, mais il valut la peine de tout ce qu'il coûta, car grâce à lui les hommes atteignirent une conscience naturelle du bien et du mal relatifs; la morale humaine était née!
7. -- LA FONCTION DE LA RELIGION PRIMITIVE
Le sauvage avait besoin d'assurance; il payait donc volontiers ses primes onéreuses de peur, de superstition, et d'appréhension, par des dons aux prêtres pour sa police d'assurance magique contre la malchance. La religion primitive consistait simplement en primes d'assurance contre les périls de la forêt. Les hommes civilisés payent des primes d'assurance contre les accidents de l'industrie et les risques des modes de vie modernes.
La société contemporaine enlève les affaires d'assurance au domaine des prêtres et de la religion et les place dans le domaine économique. La religion s'occupe de plus en plus d'assurance sur la vie au delà de la tombe. Les hommes modernes, du moins ceux qui pensent, cessent de payer des primes inutiles pour contrôler la chance. La religion s'élève lentement à des niveaux philosophiques supérieurs contrastant avec son ancienne fonction de plan d'assurance contre la malchance.
Les anciennes idées sur la religion ont empêché les hommes de devenir fatalistes et désespérément pessimistes; ils ont cru qu'ils pouvaient au moins faire quelque choses pour influencer le destin. La religion de la peur des fantômes a gravé dans la mémoire des hommes qu'ils devaient régler leur conduite, qu'il y avait un monde supra-matériel contrôlant la destinée humaine.
Les races civilisées modernes commencent seulement aujourd'hui à émerger de la peur qui leur faisait expliquer la chance et les inégalités normales de l'existence par l'action des fantômes. L'humanité s'émancipe de la servitude de l'explication de la malchance par les esprits-fantômes. Mais en même temps que les hommes renoncent à la doctrine erronée des vicissitudes de la vie causées par les esprits, ils font montre d'un surprenant empressement à admettre un enseignement presque aussi fallacieux qui les invite à attribuer toutes les inégalités humaines à de mauvaises adaptations politiques, à des injustices sociales, et à la concurrence industrielle. Cependant, des lois nouvelles, une philanthropie accrue, et une réorganisation industrielle plus poussée, si bonnes qu'elles soient en elles mêmes, ne remédieront ni aux faits de la naissance ni aux accidents de la vie. Seule la compréhension des faits et leur sage maniement dans le cadre des lois naturelles permettront aux hommes d'obtenir ce qu'ils veulent et d'éviter ce qu'ils ne veulent pas. La connaissance scientifique est le seul antidote contre les maux dits accidentels.
L'industrie, la guerre, l'esclavage, et le gouvernement civil ont surgi en réponse à l'évolution sociale de l'homme dans son entourage naturel. La religion est apparue d'une manière analogue en réponse à l'entourage illusoire du monde imaginaire des esprits. La religion fut un développement évolutionnaire de préservation, et elle a réussi, malgré son illogisme total de la conception erronée qui lui donna naissance.
Par la puissante et impressionnante force de la fausse peur, la religion a préparé la pensée humaine à l'effusion d'une force spirituelle valable, d'origine surnaturelle, qui est l'Ajusteur de Pensée. Et depuis lors les divins Ajusteurs ont toujours travaillé à transmuer la peur de Dieu en amour pour Dieu. L'évolution est peut-être lente, mais elle est infailliblement efficace.
[Présenté par une Etoile du Soir de Nébadon.]
L'ÉVOLUTION PRIMITIVE DE LA RELIGION
L'ÉVOLUTION de la religion à partir du besoin d'adoration primitif antérieur ne dépend pas de la révélation. Le fonctionnement normal de la pensée humaine sous l'influence des sixième et septième adjuvats mentaux effusés par l'Esprit-Mère de l'univers est amplement suffisant pour assurer ce développement.
La toute première peur pré-religieuse que les hommes ont eu des forces de la nature est progressivement devenue religieuse à mesure que la nature fut graduellement personnalisée, spiritualisée, et finalement divinisée dans la conscience humaine. Les religions du type primitif étaient donc une conséquence biologique de l'inertie psychologique des mentalités animales en évolution après que les concepts du surnaturel aient pénétré dans ces mentalités.
1. -- LE HASARD: CHANCE ET MALCHANCE
À côté du besoin naturel d'adoration, la religion évolutionnaire primitive avait ses racines originelles dans l'expérience humaine du hasard -- appelé chance dans les événements ordinaires. L'homme primitif chassait pour se nourrir. Les résultats de la chasse sont nécessairement variables, et cela donne une origine certaine aux expériences que les hommes interprètent comme chance et malchance. Les mésaventures étaient un élément important dans la vie d'hommes et de femmes constamment harcelés dans leur existence décousue et précaire.
L'horizon intellectuel limité des sauvages concentre tellement leur attention sur le hasard que la chance devient un facteur constant de leur vie. Les Urantiens primitifs luttaient pour vivre, et non pour un niveau de vie. Ils vivaient une vie périlleuse où le hasard jouait un rôle important. L'appréhension constante d'une calamité inconnue et invisible planait au-dessus de ces sauvages comme un nuage de désespoir qui éclipsait efficacement tous les plaisirs; ils rêvaient dans la peur constante de commettre un acte qui amènerait de la malchance. Les sauvages superstitieux craignaient toujours une série de chances heureuses; ils considéraient cette bonne fortune comme annonciatrice de calamités.
La peur toujours présente de la malchance était paralysante. Pourquoi travailler dur et récolter la malchance -- donner quelque chose pour rien -- quand on peut se laisser porter et risquer d'avoir de la chance -- obtenir quelque chose pour rien? Les irréfléchis oublient la bonne chance -- ils la considèrent comme un dû -- mais ils se rappellent douloureusement la malchance.
Les hommes primitifs vivaient dans l'incertitude et la peur constante du hasard -- de la malchance. La vie était un passionnant jeu de hasard; l'existence était une affaire de chance. Il n'y a rien d'étonnant à ce que les peuples partiellement civilisés croient encore à la chance et manifestent un reste de prédisposition pour les jeux de hasard. Les hommes primitifs alternaient entre deux puissants intérêts: la passion d'obtenir quelque chose pour rien et la peur de ne rien obtenir pour quelque chose. Le jeu de hasard de l'existence intéressait au premier chef la pensée sauvage primitive et la fascinait suprêmement.
Plus tard, les éleveurs de troupeaux eurent le même point de vue sur le hasard et la chance, tandis que plus tard encore les agriculteurs prirent de plus en plus conscience que les récoltes subissaient l'influence immédiate d'un grand nombre de facteurs sur lesquels le contrôle de l'homme était faible ou nul. Les paysans se trouvèrent victimes de la sécheresse, des inondations, de la grêle, des orages, des insectes, et des maladies parasitaires, ainsi que de la chaleur et du froid. Dès lors que toutes ces influences affectaient la prospérité individuelle, on les considéra comme des chances ou des malchances.
La notion de hasard et de chance imprégna fortement la philosophie de tous les peuples de l'antiquité. Même à une époque récente, la Sagesse de Salomon a dit: « Je suis revenu et j'ai vu que la course n'était pas aux agiles, ni la bataille aux forts, ni le pain aux sages, ni les richesses aux intelligents, ni la faveur aux habiles, car le destin et le hasard les atteignent tous. Car aussi l'homme ne connaît pas son sort; comme les poissons sont pris dans le filet de malheur et les oiseaux pris au piège, ainsi les hommes sont enlacés dans l'infortune quand elle fond subitement sur eux » (1).
2. -- LA PERSONNIFICATION DU HASARD
L'anxiété était un état naturel de la pensée des sauvages. Quand les hommes et les femmes tombent victimes d'une anxiété excessive, ils reviennent simplement à l'état naturel de leurs lointains ancêtres. Quand l'anxiété devient réellement douloureuse, elle inhibe l'activité et provoque infailliblement des changements évolutionnaires et des adaptations biologiques. La douleur et la souffrance sont indispensables l'évolution progressive.
La lutte pour la vie est si pénible qu'aujourd'hui encore certaines tribus arriérées hurlent et se lamentent à chaque nouveau lever du soleil. L'homme primitif se demandait constamment -- « Qui me tourmente? » Faute de trouver une source matérielle à ses malheurs, il fixa ses explications sur les esprits. La religion naquit ainsi de la peur du mystère, de la crainte respectueuse de l'invisible, et de l'appréhension de l'inconnu. La peur de la nature devint donc un facteur dans la lutte pour l'existence, d'abord à cause du hasard et ensuite à cause du mystère.
La pensée primitive était logique, mais contenait peu d'idées susceptibles de s'associer intelligemment; la pensée sauvage était ignare et entièrement ingénue. Si un événement en suivait un autre, le sauvage leur attribuait la relation de cause à effet. Ce que l'homme civilisé considère comme de la superstition n'était que pure ignorance chez le sauvage. L'humanité fut lente à apprendre qu'il n'y a pas nécessairement de rapports entre les desseins et les résultats. Les êtres humains commencent seulement a comprendre que des réactions vitales interviennent entre l'acte et ses conséquences. Le sauvage s'efforce de personnaliser tout ce qui est intangible et abstrait c'est ainsi que la nature et le hasard furent tous deux personnalisés en tant que fantômes -- en tant qu'esprits -- et plus tard en tant que dieux.
Les hommes ont une tendance naturelle à croire à ce qu'ils estiment préférable pour eux, à ce qui représente leur intérêt immédiat ou lointain; l'intérêt égoïste obscurcit largement la logique. La mentalité des hommes sauvages et celle des hommes civilisés diffèrent plus par leur contenu que par leur nature, par leur degré plus que par leur qualité.
Si l'on continue d'attribuer à ces causes surnaturelles les événements difficiles à comprendre, ce n'est rien moins qu'une manière paresseuse et commode d'éviter toutes les formes de travail intellectuel pénible. La chance est simplement un terme forgé pour couvrir l'inexplicable dans n'importe quel âge de l'existence humaine; elle désigne les phénomènes dont les hommes sont incapables ou peu désireux de pénétrer le sens. Le hasard est un mot signifiant que l'homme est trop ignorant ou trop indolent pour déterminer les causes. Les hommes ne considèrent un événement naturel comme un accident ou une malchance que s'ils sont dépourvus de curiosité et d'imagination, que si leur race manque d'initiative et d'esprit aventureux. L'exploration des phénomènes de la vie détruit tôt ou tard la croyance des hommes au hasard, à la chance, et aux prétendus accidents; elle y substitue un univers de loi et d'ordre, où tous les effets sont procédés par des causes définies. La peur de l'existence est ainsi remplacée par la joie de vivre.
Les sauvages envisageaient toute la nature comme vivante, comme possédée par quelque chose. Les civilisés donnent encore un coup de pied aux objets inanimés qui se trouvent sur leur chemin et maudissent encore ceux contre lesquels ils butent. Les hommes primitifs ne considéraient jamais quelque chose comme accidentel; pour eux, tout était toujours intentionnel; à leur point de vue, le domaine du sort, la fonction de la chance, et le monde des esprits étaient tout aussi inorganisés et dirigés à l'aveuglette que la société primitive. Ils envisageaient la chance comme une réaction du caprice et du tempérament du monde des esprits, et plus tard comme l'humeur des dieux.
Toutes les religions ne se développèrent pas en partant de l'animisme. D'autres concepts du surnaturel lui étaient contemporains, et ces croyances conduisirent aussi à l'adoration. Le naturalisme n'est pas une religion -- il est né de la religion.
3. -- LA MORT -- L'INEXPLICABLE
La mort était pour les hommes en évolution le choc suprême, la plus troublante combinaison de hasard et de mystère. Ce ne fut pas la sainteté de la vie, mais le heurt de la mort, qui inspira de la peur et entretint ainsi efficacement la religion. Chez les peuples sauvages, la mort était généralement due à la violence, de sorte que la mort non-violente devint de plus en plus un mystère. La mort en tant que fin naturelle et attendue de la vie n'était pas claire dans la conscience des peuplades primitives. Il a fallu des âges et des âges aux hommes pour comprendre qu'elle est inévitable.
Les hommes primitifs acceptaient la vie comme un fait, tandis qu'ils considéraient la mort comme une sorte d'affliction. Toutes les races ont leurs légendes d'hommes qui ne sont pas morts, traditions atrophiées du comportement initial envers la mort. Il existait déjà dans la pensée humaine un concept nébuleux d'un monde des esprits imprécis et inorganisé, d'un domaine d'où provenait tout ce qui est inexplicable dans la vie humaine; on ajouta la mort la longue liste des phénomènes inexpliqués.
On crut d'abord que toutes les maladies humaines et la mort naturelle étaient dues à l'influence d'esprits. Même à l'époque actuelle, certaines races civilisées considèrent que les maladies ont été engendrées par « l'ennemi » et comptent sur des cérémonies religieuses pour en effectuer la guérison. Des systèmes de théologie plus récents et plus complexes attribuent encore la mort à l'action du monde des esprits; tout cet ensemble a conduit à des doctrines telles que le péché originel et la chute de l'homme.
Ce fut la prise de conscience de son impuissance devant les puissantes forces de la nature, ainsi que la récognition de la faiblesse humaine devant les calamités, la maladie, et la mort, qui poussèrent les sauvages à rechercher de l'aide auprès du monde supra-matériel qu'ils entrevoyaient comme source de ces mystérieuses vicissitudes de la vie.
4. -- LE CONCEPT DE LA SURVIE APRÈS LA MORT
Le concept d'une phase supra-matérielle de la personnalité mortelle naquit de l'association inconsciente et purement accidentelle des événements de la vie quotidienne avec les rêves et les fantômes. Quand plusieurs membres de la tribu d'un chef trépassé rêvaient simultanément de lui, cela semblait constituer une preuve convaincante que le vieux chef était réellement revenu sous quelque forme. Tout cela était fort réel pour les sauvages; après de tels rêves, ils se réveillaient trempés de sueur, tremblants, et hurlants.
Le fait que la croyance en une existence future ait eu son origine dans le rêve explique la tendance à toujours imaginer les choses invisibles en termes de choses visibles. Le nouveau concept de la vie future en tant que fantôme rêvé commença bientôt à servir d'antidote efficace à la peur de la mort associée à l'instinct biologique de conservation.
Les hommes primitifs se préoccupaient également beaucoup de leur respiration, spécialement dans les climats froid où ils observaient une buée lors de l'expiration. Le souffle de vie fut considéré comme l'unique phénomène qui différenciait les vivants des morts. Le primitif savait que son souffle pouvait quitter son corps; les rêves où il faisait toutes sortes de choses bizarres pendant qu'il était endormi le convainquirent que l'être humain comportait un élément immatériel. La forme la plus primitive de l'idée de l'âme humaine fut le fantôme, dérivé du système d'idées relatif aux rêves et à la respiration.
Le sauvage finit par concevoir qu'il était un être double -- corps et souffle. Le souffle amputé du corps équivalait à un esprit, à un fantôme. Bien que les esprits ou fantômes aient eu nettement une origine humaine, on les considéra comme supra-humains. Cette croyance à l'existence d'esprits désincarnés semblait expliquer les événements inhabituels, extraordinaires, peu fréquents, et incompréhensibles.
La doctrine primitive de la survie après la mort n'était pas nécessairement une croyance à l'immortalité. Des êtres qui ne savaient pas compter au delà de vingt ne pouvaient guère concevoir l'infinité et l'éternité; ils pensaient plutôt à des incarnations répétés.
La race orangée était spécialement adonnée aux croyances a la transmigration et à la réincarnation. L'idée de réincarnation prit naissance dans l'observation de ressemblances d'hérédités et de caractères entre les descendants et leurs ancêtres. La coutume de nommer les enfants d'après leurs grands-parents et autres ascendants était due à la croyance en la réincarnation. Quelques races plus récentes crurent que les hommes mouraient de trois à sept fois. Cette croyance était un reliquat des enseignements d'Adam sur l'attribution successives de nouveaux corps morontiels sur les mondes des maisons. On la retrouve avec beaucoup d'autres vestiges de la religion révélée dans les doctrines, par ailleurs absurdes, des barbares du XXième siècle.
Les hommes primitifs ne nourrissaient aucune idée d'enfer ni de punitions futures. Les sauvages imaginaient la vie après la mort exactement comme la vie présente, moins la malchance. Plus tard, on conçut une destinée séparée pour les bons fantômes et les mauvais fantômes -- le ciel et l'enfer. Les membres de beaucoup de races primitives croyaient que l'homme débutait dans la vie suivante à l'état exact où il avait quitté la vie présente; c'est pourquoi l'idée devenir vieux et décrépit ne leur souriait pas. Les gens âgés préféraient de beaucoup être tués avant de devenir trop impotents.
Presque tous les groupes avaient des idées différentes sur la destinée de l'âme-fantôme. Les Grecs croyaient que les hommes faibles devaient avoir des âmes faibles; ils inventèrent donc le Hadès comme lieu approprié pour recevoir ces âmes chétives. Ils supposaient aussi que ces spécimens malingres avaient des fantômes plus petits. Les premiers Andites croyaient que leurs fantômes retournaient au pays natal de leurs ancêtres. Les Chinois et les Égyptiens crurent jadis que l'âme et le corps restaient liés. Cela conduisit les Égyptiens à construire soigneusement des tombes et à s'efforcer de préserver les corps. Même les peuples modernes cherchent à éviter la décomposition des cadavres. Les Hébreux conçurent qu'un fantôme, réplique de l'individu, descendait au Shéol et ne pouvait revenir au pays des vivants. Ce sont eux qui firent ce progrès important dans la doctrine de l'évolution de l'âme (1).
5. -- LE CONCEPT DE L'ÂME FANTÔME
La partie non matérielle de l'homme a été diversement appelée fantôme, esprit, ombre, spectre, et plus récemment âme. Dans les rêves de l'homme primitif, l'âme était son double; elle ressemblait exactement au mortel lui-même, sauf qu'elle n'était pas sensible au toucher. La croyance aux doubles vus en rêve conduisit directement à la notion que toutes les choses animées et inanimées ont une âme comme les hommes. Ce concept tendit longtemps à perpétuer la croyance aux esprits de la nature. Les Esquimaux imaginent encore que toutes les choses de la nature ont un esprit.
L'âme fantôme pouvait être entendue et vue, mais non être touchée. La vie de rêve de la race développa et étendit graduellement les activités du monde évoluant des esprits, au point que la mort fut finalement considérée comme le fait de « de rendre l'âme ». Toutes les tribus primitives, sauf celles qui dépassaient à peine les animaux, se sont formé des concepts de l'âme. À mesure que la civilisation progresse, ces concepts superstitieux sont détruits, et l'homme dépend entièrement de la révélation et de l'expérience religieuse personnelle pour se faire une nouvelle idée de l'âme en tant que création conjointe de la pensée humaine connaissant Dieu et de l'esprit divin qui l'habite, l'Ajusteur de Pensée.
Les mortels primitifs ne réussissaient généralement pas à différencier la notion d'un esprit intérieur de celle d'une âme de nature évolutionnaire. Il y avait grande confusion chez les sauvages sur la question de savoir si l'âme était née dans le corps ou si elle était un agent extérieur en possession du corps. L'absence de pensée raisonnée en présence de la perplexité explique le grossier illogisme des points de vue des sauvages sur les âmes, les fantômes, et les esprits.
On a cru que l'âme était reliée au corps comme le parfum à la fleur. Les anciens croyaient que l'âme pouvait quitter le corps de différentes manières telles que:
| 1. Évanouissement ordinaire et temporaire. | |
| 2. Sommeil, rêve naturel. | |
| 3. Coma et inconscience associés aux maladies et aux accidents. | |
| 4. Mort, départ définitif. |
Les sauvages envisageaient les éternuements comme des tentatives avortées de l'âme pour s'échapper du corps. Etant éveillé et sur ses gardes, le corps était capable de contrecarrer l'essai de fuite de l'âme. Plus tard, on accompagna toujours les éternuements d'une formule religieuse telle que « Dieu vous bénisse ».
De bonne heure dans l'évolution, on considéra le sommeil comme prouvant que l'âme fantôme pouvait s'absenter du corps, et l'on croyait pouvoir la rappeler en parlant ou en criant le nom du dormeur. Dans d'autres formes d'inconscience, on croyait que l'âme était plus lointaine, cherchant peut-être à s'échapper pour de bon -- la mort imminente. On envisageait les rêves comme les expériences de l'âme durant le sommeil, lors de son absence temporaire du corps. Les sauvages estiment que leurs rêves sont aussi réels que toute autre partie de leur expérience de veille. Les anciens prirent l'habitude d'éveiller graduellement les dormeurs pour donner à l'âme le temps de réintégrer le corps.
Tout au long des âges, les hommes ont été saisis d'une crainte respectueuse devant l'apparition de la nuit, et les Hébreux ne firent pas exception. Ils croyaient sincèrement que Dieu leur parlait dans des rêves, malgré les injonctions de Moïse à l'encontre de cette idée. Moïse avait raison, car les rêves extraordinaires ne sont pas la méthode employée par les personnalités du monde spirituel quand elles cherchent à communiquer avec les êtres matériels.
Les anciens croyaient que les âmes pouvaient entrer dans des animaux ou même des objets inanimés. Cette croyance à l'identification avec les animaux culmina dans l'idée des loups-garous. Une personne pouvait être de jour un citoyen respectueux de la loi, mais quand elle s'endormait, son âme pouvait entrer dans un loup ou dans quelque autre animal et rôder en commettant des déprédations nocturnes.
Les hommes primitifs croyaient que l'âme était associée à la respiration et que l'on pouvait communiquer ou transférer ses qualités par le souffle. Un chef courageux allait souffler sur un enfant nouveau-né pour lui conférer le don de la bravoure. Chez les Chrétiens primitifs, la cérémonie d'effusion du Saint-esprit était accompagnée d'un souffle sur les candidats. Le Psalmiste a dit: « Les cieux ont été faits par la parole du Seigneur, et toute leur armée par le souffle de sa bouche » (1). Ce fut longtemps la coutume pour les fils aînés d'essayer d'attraper le dernier souffle de leur père mourant.
Plus tard on en vint à craindre et à révérer l'ombre au même titre que le souffle. L'image de soi-même reflétée dans l'eau fut également envisagée parfois comme la preuve de la dualité de l'être, et l'on considéra les miroirs avec une crainte superstitieuse. Même aujourd'hui, bien des civilisés tournent les miroirs contre le mur en cas de décès. Quelques tribus arriérées croient encore que les portraits, dessins, modèles, ou images enlèvent au corps une partie de l'âme, et en conséquence elles interdisent d'en faire.
On croyait en général que l'âme s'identifiait au souffle, mais diverses peuplades la situaient aussi dans la tête, les cheveux, le coeur, le foie, le sang, et la graisse. « Le sang d'Abel criant depuis la terre (2)» exprime la croyance de jadis à la présence de l'âme dans le sang (3). Les Sémites enseignèrent que l'âme résidait dans la graisse du corps, et chez beaucoup d'entre eux l'absorption de graisse animale était tabou (4). Les chasseurs de têtes et les découpeurs de scalps cherchaient à capturer l'âme de leurs ennemis. Plus récemment, on a considéré les yeux comme les fenêtres de l'âme.
Les adeptes de la doctrine selon laquelle il y avait trois ou quatre âmes croyaient que la perte de l'une d'elles signifiait inquiétude, la perte de deux, maladie, et la perte de trois, la mort. D'après eux, une âme vivait dans le souffle, une dans la tête, une dans les cheveux, et une dans le coeur. Ils conseillaient aux malades de se promener au grand air avec l'espoir de recapter leurs âmes égarées. On supposait que les plus grands médecins échangeaient l'âme malade d'une personne malade contre une nouvelle âme, la «nouvelle naissance ».
Les enfants de Badonan développèrent une croyance en deux âmes, la respiration et l'ombre. Les premières races nodites estimaient que l'homme consistait en deux personnes, l'âme et le corps. Cette philosophie de l'existence se refléta plus tard dans le point de vue grec. Les Grecs eux-mêmes croyaient à l'existence de trois âmes, la végétative située dans l'estomac, l'animale dans le coeur, et l'intellectuelle dans la tête. Les Esquimaux croient que l'homme est composé de trois parties: le corps, l'âme, et le nom.
| (1) Psaume XXXIII-6. |
| (2) Genèse IV-10 et parallèles, Matthieu XXIII-35, Luc XI-50 et 51, Hébreux XII-24. |
| (3) Lévitique XVII-11. |
| (4) Lévitique III-17 et VII-23. |
6. -- L'ENTOURAGE D'ESPRITS FANTÔMES
L'homme a hérité d'un entourage naturel, acquis un entourage social, et imaginé un entourage spectral. Les hommes réagissent envers leur entourage naturel en formant des États, envers leur entourage social en fondant des foyers, et envers leur entourage illusoire de fantômes en instituant des Églises.
Très tôt dans l'histoire de l'humanité, la croyance aux réalités du monde imaginaire des fantômes et des esprits fut universelle, et ce monde d'esprits nouvellement imaginé devint une puissance dans la société primitive. La vie mentale et morale de toute l'humanité fut définitivement modifiée par l'apparition de ce nouveau facteur dans les pensées et les actes des hommes.
Sur cette base majeure d'ignorance et d'illusion, la peur humaine a entassé toutes les superstitions et religions subséquentes des peuples primitifs. Ce fut l'unique religion humaine jusqu'à l'époque de la révélation, et de nombreuses races du monde d'aujourd'hui ne possèdent encore que cette religion évolutionnaire sommaire.
À mesure que l'évolution progressait, la chance fut associée aux bons esprits et la malchance aux mauvais esprits. La gêne de l'adaptation forcée à un entourage changeant fut considérée comme une malchance, un mécontentement des esprits fantômes. Les hommes primitifs donnèrent lentement naissance à la religion en partant de leur besoin inné d'adoration et de leur fausse conception du hasard. Les hommes civilisés établissent des plans d'assurance pour triompher des occurrences du hasard. La science moderne remplace les esprits fictifs et les dieux capricieux par un actuaire faisant des calculs mathématiques.
Chaque génération qui passe sourit devant les superstitions stupides de ses ancêtres, tout en continuant à entretenir les sophismes de pensée et d'adoration qui feront sourire à leur tour la postérité plus éclairée.
Quoi qu'il en soit, la pensée des hommes primitifs était enfin occupée par des idées qui transcendaient tous leurs besoins biologiques naturels. L'homme était enfin sur le point de développer un art de vivre basé sur quelque chose de plus que la réaction à des stimulants matériels. On assistait aux débuts d'une politique de vie comportant une philosophie primitive. Un critère de vie surnaturel était sur le point d'émerger. En effet, si l'esprit fantôme apporte la malchance dans sa colère et la bonne fortune dans son contentement, il faut que la conduite humaine soit réglée en conséquence. Le concept du bien et du mal était enfin apparu par évolution, et tout ceci bien avant l'époque d'une révélation quelconque sur terre.
Avec l'émergence de ces concepts commença la longue lutte stérile pour apaiser les esprits toujours mécontents, l'esclavage servile de la peur religieuse évolutionnaire, l'interminable gaspillage des efforts humains pour des tombes, des temples, des sacrifices, et des prêtrises. Le prix à payer fut effrayant et terrible, mais il valut la peine de tout ce qu'il coûta, car grâce à lui les hommes atteignirent une conscience naturelle du bien et du mal relatifs; la morale humaine était née!
7. -- LA FONCTION DE LA RELIGION PRIMITIVE
Le sauvage avait besoin d'assurance; il payait donc volontiers ses primes onéreuses de peur, de superstition, et d'appréhension, par des dons aux prêtres pour sa police d'assurance magique contre la malchance. La religion primitive consistait simplement en primes d'assurance contre les périls de la forêt. Les hommes civilisés payent des primes d'assurance contre les accidents de l'industrie et les risques des modes de vie modernes.
La société contemporaine enlève les affaires d'assurance au domaine des prêtres et de la religion et les place dans le domaine économique. La religion s'occupe de plus en plus d'assurance sur la vie au delà de la tombe. Les hommes modernes, du moins ceux qui pensent, cessent de payer des primes inutiles pour contrôler la chance. La religion s'élève lentement à des niveaux philosophiques supérieurs contrastant avec son ancienne fonction de plan d'assurance contre la malchance.
Les anciennes idées sur la religion ont empêché les hommes de devenir fatalistes et désespérément pessimistes; ils ont cru qu'ils pouvaient au moins faire quelque choses pour influencer le destin. La religion de la peur des fantômes a gravé dans la mémoire des hommes qu'ils devaient régler leur conduite, qu'il y avait un monde supra-matériel contrôlant la destinée humaine.
Les races civilisées modernes commencent seulement aujourd'hui à émerger de la peur qui leur faisait expliquer la chance et les inégalités normales de l'existence par l'action des fantômes. L'humanité s'émancipe de la servitude de l'explication de la malchance par les esprits-fantômes. Mais en même temps que les hommes renoncent à la doctrine erronée des vicissitudes de la vie causées par les esprits, ils font montre d'un surprenant empressement à admettre un enseignement presque aussi fallacieux qui les invite à attribuer toutes les inégalités humaines à de mauvaises adaptations politiques, à des injustices sociales, et à la concurrence industrielle. Cependant, des lois nouvelles, une philanthropie accrue, et une réorganisation industrielle plus poussée, si bonnes qu'elles soient en elles mêmes, ne remédieront ni aux faits de la naissance ni aux accidents de la vie. Seule la compréhension des faits et leur sage maniement dans le cadre des lois naturelles permettront aux hommes d'obtenir ce qu'ils veulent et d'éviter ce qu'ils ne veulent pas. La connaissance scientifique est le seul antidote contre les maux dits accidentels.
L'industrie, la guerre, l'esclavage, et le gouvernement civil ont surgi en réponse à l'évolution sociale de l'homme dans son entourage naturel. La religion est apparue d'une manière analogue en réponse à l'entourage illusoire du monde imaginaire des esprits. La religion fut un développement évolutionnaire de préservation, et elle a réussi, malgré son illogisme total de la conception erronée qui lui donna naissance.
Par la puissante et impressionnante force de la fausse peur, la religion a préparé la pensée humaine à l'effusion d'une force spirituelle valable, d'origine surnaturelle, qui est l'Ajusteur de Pensée. Et depuis lors les divins Ajusteurs ont toujours travaillé à transmuer la peur de Dieu en amour pour Dieu. L'évolution est peut-être lente, mais elle est infailliblement efficace.
[Présenté par une Etoile du Soir de Nébadon.]
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LES ORIGINES DE L'ADORATION
LA religion primitive eut une origine biologique, un développement évolutionnaire naturel, à côté des associations morales et en dehors de toute influence spirituelle. Les animaux supérieurs ont des peurs, mais pas d'illusions, donc pas de religion. Les hommes créent leurs religions primitives avec leurs craintes et par leurs illusions.
Dans l'évolution de l'espèce humaine, les manifestations primitives de l'adoration apparaissent bien avant que la pensée de l'homme ne soit capable de formuler les conceptions plus complexes de la vie, ici-bas et dans l'au-delà, méritant le nom de religion. La religion primitive était de nature totalement intellectuelle et entièrement fondée sur des circonstances d'association. Les objets de culte étaient tout à fait suggestifs ils consistaient en choses de la nature qui étaient à portée de la main ou qui occupaient le premier plan dans l'expérience des Urantiens primitifs simples de pensée.
Quand la religion eut évolué au delà de l'adoration de la nature, elle acquit des racines d'origine spirituelle, mais resta néanmoins toujours conditionnée par l'entourage social. À mesure que le culte de la nature se développa, les concepts humains envisagèrent une division du travail dans le monde supra-mortel; il y avait des esprits de la nature pour des lacs, des arbres, des cascades, des pluies, et des centaines d'autres phénomènes terrestres ordinaires.
Tantôt à une époque et tantôt à une autre, tout ce qui se trouve à la surface de la terre a été un objet de culte pour l'homme, y compris lui-même. Les hommes primitifs craignaient toutes les manifestations de pouvoir; ils rendaient hommage à tous les phénomènes naturels qu'ils ne pouvaient comprendre. L'observation de puissantes forces matérielles telles que tremblements de terres, orages, inondations, éboulements, volcans, feu, chaleur, et froid, impressionnait grandement la pensée en expansion des hommes. On appelle encore «actes de Dieu » et « mystérieuse dispensations de la Providence » les choses inexplicables.
1. -- L'ADORATION DES PIERRES ET DES MONTAGNES
La première chose que les hommes évoluants adorèrent fut une pierre. Aujourd'hui la peuplade Kateri du sud de l'Inde, ainsi que de nombreuses tribus du nord de l'Inde, adorent encore des pierres. Jacob dormit sur une pierre parce qu'il la révérait; il l'oignit même d'huile. Rachel cacha plusieurs pierres sacrées sous sa tente.
Les pierres impressionnèrent d'abord les hommes primitifs comme sortant de l'ordinaire à cause de la manière dont elles apparaissaient subitement à la surface d'un champ cultivé ou d'une prairie. Les hommes ne tenaient compte ni de l'érosion ni du retournement du sol par leurs outils. Les pierres firent aussi grande impression sur les peuplades primitives parce qu'elles ressemblaient souvent à des animaux. L'attention des hommes civilisés est arrêtée dans les montagnes par de nombreuses formations rocheuses qui ressemblent à des têtes d'animaux et même à des visages humains. Ce furent toutefois les pierres météoriques qui exercèrent la plus grande influence; les primitifs les voyaient traverser l'atmosphère avec un flamboiement grandiose. Les étoiles filantes terrifiaient les hommes primitifs; ils croyaient facilement que leurs traces brillantes marquaient le passage d'un esprit en route vers la Terre. Il n'est pas étonnant que les hommes aient été conduits à adorer de tels phénomènes, spécialement lorsqu'ils découvrirent plus tard les météores. Cela leur inspira un plus grand respect pour toutes les autres pierres. Au Bengale, un météore qui tomba en 1880 a de nombreux adorateurs.
Tous les anciens clans et tribus avaient leurs pierres sacrées, et la plupart des peuples modernes manifestent une vénération relative pour certains types de pierres -- leurs bijoux. Un groups de cinq pierres était révéré aux Indes; en Grèce, c'étaient les amas de trente pierres; chez les hommes rouges, c'était généralement un cercle de pierres. Les Romains jetaient toujours une pierre en l'air quand ils invoquaient Jupiter. Aux Indes, aujourd'hui encore, une pierre peut servir de témoin (1). Dans certaines régions on peut employer une pierre comme talisman de la loi et, par son prestige, un offenseur peut être mené au tribunal. Mais les simples mortels n'identifient pas toujours la Déité avec un objet de culte respectueux. Bien souvent ces fétiches ne sont que des symboles du véritable objet d'adoration.
Les anciens avaient une considération spéciale pour les trous dans les pierres. On supposait que les roches poreuses étaient exceptionnellement efficaces pour guérir les maladies. Il n'était pas permis de porter des pierres pendues aux oreilles, mais on pouvait en mettre dedans pour garder le conduit auditif ouvert. Même à notre époque moderne, les personnes superstitieuses font des trous dans les pièces de monnaie. En Afrique, les indigènes font beaucoup d'embarras autour de leurs pierres fétiches. En fait, les tribus et peuplades arriérées continuent à manifester à leurs pierres une vénération superstitieuse. Aujourd'hui encore, l'adoration des pierres est fort répandue dans le monde. Les pierres tombales sont un symbole survivant des images et idoles que l'on sculptait dans la pierre en liaison avec des croyances aux fantômes et aux esprits des contemporains décédés.
L'adoration des montagnes suivit celle des pierres, et les premières montagnes vénérées furent de grandes formations rocheuses. On prit bientôt l'habitude de croire que les dieux habitaient les montagnes, de sorte que pour cette raison supplémentaire on adora les hautes élévations de terrain. À mesure que le temps s'écoulait, certaines montagnes furent associées à certains dieux, et en conséquences devinrent saintes. Les aborigènes ignorants et superstitieux croyaient que les grottes conduisaient au monde souterrain peuplé de mauvais esprits et de démons, en contraste avec les montagnes, qui furent identifiées aux concepts, évolués ultérieurement, de bons esprits et de bonnes déités.
(1) Réminiscences de cette tradition; Luc XIX-40; Jean I-42; I Pierre II-4 à 8.
2. -- L'ADORATION DES PLANTES ET DES ARBRES
Les plantes furent d'abord craintes, puis adorées, à cause des liqueurs enivrantes que l'on en tirait. Les hommes primitifs croyaient que l'ivresse vous rendait divin. On supposait que cette expérience comportait quelque chose d'inhabituel et de sacré. Même dans les temps modernes, on donne le nom d'« esprit » ou de « spiritueux » aux alcools.
Les primitifs regardaient avec une crainte et un respect superstitieux les graines en train de germer. L'apôtre Paul ne fut pas le premier à tirer de profondes leçons des graines germantes et à fonder des croyances religieuses sur elles.
Le culte d'adoration des arbres se trouve chez les plus anciens groupes religieux. Tous les mariages primitifs étaient célébrés sous des arbres, et quand les femmes désiraient des enfants, on les voyait parfois dans la forêt embrassant un robuste chêne. Bien des arbres et des plantes étaient vénérés à cause de leurs vertus médicinales réelles ou imaginaires. Les sauvages croyaient que toutes les réactions chimiques étaient dues à l'activité directe de forces surnaturelles.
Les idées concernant les esprits des arbres variaient considérablement parmi les différentes tribus et races. Certains arbres étaient supposés habités par des esprit favorables, d'autres abritaient des esprits trompeurs et cruels. Les Suisses se sont son longtemps méfiés des arbres, croyant qu'ils contenaient des esprits rusés. Les habitants de l'Inde et de la Russie orientale considéraient les esprits des arbres comme cruels. Les Patagons adorent encore les arbres comme le firent les Sémites primitifs. Longtemps après que les Hébreux eurent cesse d'adorer les arbres, ils continuèrent à vénérer leurs diverses déités dans des bosquets. Sauf en Chine, il exista jadis un culte universel de l'arbre de vie.
La croyance que l'on peut trouver de l'eau ou des métaux sous la surface de la terre à l'aide d'une baguette divinatoire en bois est un reliquat des anciens cultes des arbres. Le mai que l'on plante, les arbres de Noël et la pratique superstitieuse de toucher du bois perpétuent certaines coutumes d'adoration des arbres et des plus récents cultes des arbres.
Nombre de ces formes primitives de vénération de la nature se mêlèrent aux techniques d'adoration qui évoluèrent plus tard, mais les tout premiers types d'adoration animés par un esprit-mental adjuvat fonctionnaient bien avant que la nature religieuse nouvellement éveillée de l'humanité fut devenue pleinement sensible a la stimulation par les influences spirituelles.
3. -- L'ADORATION DES ANIMAUX
L'homme primitif avait un sentiments particulier de camaraderie pour les animaux supérieurs. Ses ancêtres avaient vécu avec eux et s'étaient même accouplés a eux. En Asie méridionale, on crut de bonne heure que les âmes des hommes revenaient sur terre sous forme d'animaux. Cette croyance était une survivance de la pratique encore plus ancienne d'adorer les animaux.
Les primitifs révéraient les animaux pour leur pouvoir et leur ruse. Ils pensaient que l'odorat de certaines bêtes dénotaient une gouverne par des esprits. Les animaux ont tous été adorés par une race ou une autre, tantôt à une époque et tantôt à une autre. Parmi ces objets d'adoration figuraient des créatures mi-humaines et mi-animales, telles que les centaures et les sirènes.
Les Hébreux adorèrent les serpents (1) jusqu'à l'époque du roi Ezéchias, et les Hindous entretiennent encore des relations amicales avec les serpents de leurs maisons. L'adoration des dragons par les Chinois est une survivance du culte des serpents. La sagesse du serpent était un symbole de la médecine grecque, et les médecins modernes l'emploient encore comme emblème. L'art de charmer les serpents a été transmis par les femmes chamanes pratiquant le culte de l'amour des serpents; celles-ci se faisaient mordre quotidiennement par des serpents ce qui les immunisait contre le venin, et en faisait réellement des toxicomanes qui ne pouvaient plus se passer de ce poison.
(1) Exode IV-3 et VII-9: Nombres XXI-6 à 9.
L'adoration des insectes et de certains autres animaux résulta d'un malentendu ultérieur sur la règle d'or -- faites a autrui (a toutes les formes de vie) ce que vous voudriez que l'on vous fasse. Les anciens crurent jadis que tous les vents étaient produits par les ailes d'oiseaux; en conséquence ils craignirent et adorèrent toutes les créatures ailées. Les Nordiques primitifs croyaient que les éclipses étaient causées par un loup qui dévorait une portion du soleil ou de la lune. Les Hindous montrent souvent Vishnou avec une tête de cheval. Bien des fois, un symbole animal représente un dieu oublié ou un culte disparu. Tôt dans la religion évolutionnaire, l'agneau devint l'animal sacrificiel typique, et la colombe le symbole de la paix et de l'amour.
En religion, le symbolisme est bon ou mauvais dans la mesure exacte ou le symbole ne supplante pas ou supplante l'idée originelle d'adoration. Le symbolisme ne doit pas être confondu avec l'adoration immédiate ou l'objet matériel est directement et effectivement adoré.
4. -- L'ADORATION DES ÉLÉMENTS
L'humanité a adoré la terre, l'air, l'eau et le feu. Les races primitives vénéraient les sources et adoraient les fleuves. Même aujourd'hui fleurit en Mongolie un culte des fleuves qui exerce de l'influence. Le baptême devint un cérémonial religieux a Babylone, et les Grecs pratiquèrent le bain rituel annuel. Il était facile aux anciens d'imaginer que les esprits habitaient les sources bouillonnantes, les geysers, les fleuves rapides, et les torrents impétueux. Les eaux mouvantes impressionnaient vivement ces êtres frustrés en faisant croire a l'animation par des esprits et à des pouvoirs surnaturels. On refusait parfois de secourir un homme qui se noyait, de peur d'offenser un dieu fluvial.
Nombre de facteurs et d'événements ont agi pour stimuler la religion de peuples différents à des époques diverses. Beaucoup de tribus montagnardes des Indes adorent encore les arcs-en-ciel. En Inde et en Afrique, on croit que l'arc-en-ciel est un gigantesque serpent céleste. Les Hébreux et les Chrétiens le considèrent comme « l'arc de la promesse » (1). De même, des influences considérées comme bénéfiques dans une partie du monde peuvent être regardées comme maléfiques ailleurs. Le vent d'est est un dieu en Amérique du Sud, car il apporte la pluie; aux Indes il est un démon parce qu'il amène la poussière et provoque la sécheresse. Les anciens Bédouins croyaient qu'un esprit de la nature produisait les tourbillons de sable; même à l'époque de Moïse, la croyance aux esprits de la nature fut assez forte pour assurer leur perpétuation dans la théologie hébraïque sous forme d'anges du feu, de l'eau, et de l'air.
Les nuages, la pluie, la grêle ont tous été craints et adorés par de nombreuses tribus primitives et dans les cultes initiaux de la nature. Les orages avec tonnerre et éclairs terrifiaient les hommes primitifs. Ils étaient tellement impressionnés par ces dérèglements des éléments qu'ils considéraient le tonnerre comme la voix d'un dieu courroucé. L'adoration du feu et la peur de la foudre étaient liées et fort répandues dans nombre de groupes primitifs.
Le feu était mêlé à la magie dans la pensée des mortels primitifs tyrannisés par la peur. Les adeptes de la magie se rappellent nettement un résultat positif obtenu par hasard dans la pratique de leurs formules magiques, tandis qu'ils oublient avec insouciance des dizaines de résultats négatifs constituant des échecs complets. Le respect pour le feu atteignit sont apogée en Perse, où il subsista longtemps. Quelques tribus adoraient le feu en le prenant pour la déité elle-même; d'autres le révéraient comme symbole flamboyant de l'esprit purificateur et épurateur de leurs déités vénérées. On chargeait des vestales vierges de veiller sur les feux sacrés, et au XXième siècle on fait encore brûler des cierges dans le rituel de beaucoup de services religieux.
5. -- L'ADORATION DES CORPS CÉLESTES
L'adoration des roches, des montagnes, des arbres, et des animaux se transforma naturellement en vénération craintive des éléments, puis en déification du soleil, de la lune, et des étoiles. Aux Indes et ailleurs, les étoiles furent considérées comme les âmes glorifiées de grands hommes qui avaient quitté la vie incarnée. Les Chaldéens adeptes du culte des étoiles estimaient qu'ils avaient le ciel pour père et la terre pour mère.
L'adoration de la lune précéda celle du soleil. La vénération de la lune atteignit son apogée durant l'ère de la chasse, tandis que l'adoration du soleil devint la principale cérémonie religieuse des âges agricoles subséquents. L'adoration solaire s'enracina fortement aux Indes, et c'est là qu'elle persista le plus longtemps. En Perse, la vénération du soleil donna naissance au culte mithriaque ultérieur. De nombreux peuples considéraient le soleil comme l'ancêtre de leurs rois. Les Chaldéens le plaçaient au centre «des sept cercles de l'univers ». Des civilisations plus tardives honorèrent le soleil en donnant son nom au premier jour de la semaine.
On supposait que le soleil était le père mystique des fils de la destinée nés d'une vierge, et que ceux-ci s'effusaient de temps à autre sur les races favorisées. Ces enfants surnaturels étaient toujours abandonnés à la dérive sur un fleuve sacré pour être sauvés d'une manière extraordinaire et grandir ensuite pour devenir des personnalités miraculeuses et des libérateurs de leur peuple.
6. -- L'ADORATION DE L'HOMME
Après avoir adoré tout ce qui existait à la surface de la terre et dans les cieux qui la dominent, l'homme n'hésita pas à se faire l'honneur d'une adoration semblable. Les sauvages simples d'esprit ne font pas de distinction claire entre bêtes, hommes, et dieux.
Les primitifs considéraient toutes les personnes inhabituelles comme supra-humaines et en avaient tellement peur qu'ils manifestaient à leur égard une crainte respectueuse. Dans une certaine mesure, ils les adoraient littéralement. Même le fait d'avoir des jumeaux était regardé soit comme une grande chance soit comme une grande malchance. Les lunatiques, les épileptiques, et les débiles mentaux étaient souvent adorés par leurs compagnons mentalement normaux qui croyaient que ces êtres anormaux étaient habités par des déités. On adora les prêtres, les rois, et les prophètes; on estima que les saints de jadis étaient inspirés par les dieux.
On déifia les chefs tribaux qui mouraient. Plus tard on sanctifia les âmes remarquables qui avaient passé dans l'au-delà. Sans aide extérieure, l'évolution n'a jamais donné naissance à des dieux supérieurs aux esprits glorifiés, exaltés, et évolués de certains humains décédés. Dans son évolution primitive la religion crée ses propres dieux. Au cours de la révélation, les Dieux formulent la religion. La religion évolutionnaire crée ses dieux à l'image et à la ressemblance des hommes; la religion révélée cherche à faire évoluer les mortels et à les transformer à l'image et à la ressemblance de Dieu.
Les dieux fantômes supposés d'origine humaine doivent être distingués des dieux de la nature, car l'adoration de la nature produisit un panthéon -- les esprits de la nature élevés à la position de dieux. Les cultes naturels continuèrent à se développer en même temps que les cultes fantomatiques apparus plus tard. De nombreux systèmes religieux comportèrent un double concept de la déité, les dieux de la nature et les dieux fantômes, comme on le voit dans l'exemple de Thor, le héros fantôme qui était aussi le maître de la foudre.
L'adoration de l'homme par les hommes atteignit son apogée lorsque les chefs temporels ordonnèrent à leurs sujets de les vénérer ainsi et que pour justifier cette exigence ils prétendirent être de descendance divine.
7. -- LES ADJUVATS DE L'ADORATION ET DE LA SAGESSE
L'adoration de la nature peut sembler être née spontanément et naturellement dans la pensée des hommes et des femmes primitifs, et il en fut bien ainsi; mais pendant toute cette période, et chez ces mêmes penseurs primitifs, s'exerçait l'action du sixième esprit adjuvat; il avait été effusé sur ces peuplades en tant qu'influence directrice pour cette phase de l'évolution de l'espèce humaine, si primitives que pussent être ses manifestations. C'est l'esprit adjuvat d'adoration qui donna une origine précise à l'impulsion humaine tendant à adorer, nonobstant le fait que son expression primitive fût motivée par la peur animale, et que ses premières pratiques fussent centrées sur des choses de la nature.
Il faut se rappeler que c'est le sentiment, et non la pensée, qui fut l'influence directrice et ordonnatrice dans tout le développement évolutionnaire. Pour la pensée primitive il a peu de différence entre avoir peur, se dérober, honorer, et adorer.
Quand le besoin d'adoration est animé et dirigé par la sagesse -- par la pensée méditative et expérientielle il commence alors à devenir le phénomène de la véritable religion. Quand le septième esprit mental adjuvat, l'esprit de sagesse, parvient à exercer effectivement son ministère, l'homme commence alors à détourner son adoration de la nature et des objets naturels et à l'orienter vers le Dieu de la nature et le Créateur éternel de toutes les choses naturelles.
[Présenté par une Brillante Étoile du Soir de Nébadon.]
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- Category: 3. L'HISTOIRE D'URANTIA
LE MARIAGE ET LA VIE FAMILIALE
LA nécessité matérielle a fondé le mariage, l'appétit sexuel l'a embelli, la religion l'a sanctionné et exalté, l'État l'a exigé et réglementé. Au cours des temps plus récents, l'amour en évolution a commencé à justifier et à glorifier le mariage comme ancêtre et créateur du foyer, l'institution la plus utile et la plus sublime de la civilisation. L'édification des foyers devrait être le centre et l'essence de tous les efforts éducatifs.
L'appariement est purement un acte de perpétuation de soi associé à divers degrés de satisfaction égoïste. Le mariage, l'édification d'un foyer, est largement une affaire de préservation de soi, et il implique l'évolution de la société. La société elle-même est un assemblage structurel d'unités familiales. En tant que facteurs planétaires, les individus sont très temporaires -- seules les familles sont les agents de continuité dans l'évolution sociale. La famille est le chenal par lequel le fleuve de culture et de connaissance coule d'une génération à la suivante.
Le foyer est fondamentalement une institution sociologique. Le mariage est issu de la coopération pour se sustenter et de l'association pour se perpétuer, la satisfaction égoïste y étant accessoire dans l'ensemble. Néanmoins, le foyer englobe les trois fonctions essentielles de l'existence humaine, tandis que la propagation de la vie en fait l'institution fondamentale des hommes, et que les relations sexuelles le font contraster avec toutes les autres activités sociales.
1. -- LES COUPLES PRIMITIFS
Le mariage n'a pas été fondé sur les relations sexuelles; elles n'y ont joué qu'un rôle secondaire. L'homme primitif n'avait pas besoin du mariage; il donnait libre cours à son appétit sexuel sans s'encombrer des responsabilités d'un foyer, d'une femme, et d'enfants.
En raison de son attachement physique et sentimental à ses enfants, la femme dépend de la coopération de l'homme et se trouve poussée a rechercher l'abri protecteur du mariage. Mais aucun besoin biologique ne pousse l'homme au mariage -- et encore bien moins ne l'y retient. Ce ne fut pas l'amour qui rendit le mariage séduisant pour l'homme; ce fut la faim qui attira d'abord le sauvage vers la femme et vers l'abri primitif qu'elle partageait avec ses enfants.
Ce ne fut même pas la claire conscience des obligations résultant des relations sexuelles qui amena le mariage. L'homme primitif ne comprenait pas le rapport entre l'assouvissement sexuel et la naissance ultérieure d'un enfant. Jadis la croyance qu'une vierge pouvait devenir enceinte fut universelle. Les sauvages conçurent de bonne heure l'idée que les bébés étaient créés dans le pays des esprits; on croyait que la grossesse résultait de la pénétration chez une femme d'un esprit, d'un fantôme en évolution. On croyait aussi que le régime alimentaire et le mauvais oeil pouvait féconder une vierge ou une femme non mariée. Des croyances ultérieures rendirent les commencements de la vie à la respiration et à la lumière du soleil.
Nombre de peuplades primitives associaient les fantômes à la mer; on imposait donc de grandes restrictions aux baignades des vierges; les jeunes filles avaient beaucoup plus peur de se baigner dans la mer haute que d'avoir des relations sexuelles. Les enfants difformes ou prématurés étaient considérés comme des petits d'animaux qui avaient trouvé moyen d'entrer dans le corps d'une femme par suite de baignades imprudentes ou d'activités malveillantes des esprits. Bien entendu, les sauvages n'attachaient aucune importance au fait d'étrangler ces bébés à leur naissance.
La première étape clarificatrice vint avec la croyance que les rapports sexuels ouvraient au fantôme fécondateur le chemin pour pénétrer dans la femme. Depuis lors, les hommes ont découvert que le père et la mère contribuent à égalité aux facteurs héréditaires vivants qui déclenchent le processus d'une naissance. Même au XXième siècle de notre ère, de nombreux parents s'efforcent encore de laisser leurs enfants dans une plus ou moins grande ignorance au sujet de l'origine de la vie humaine.
Une sorte de famille simple fut assurée par le fait que la fonction reproductrice implique des liens entre la femme et l'enfant. L'amour maternel est instinctif; il n'a pas, comme le mariage, tiré son origine des moeurs. L'amour maternel des mammifères est le don inhérent des esprits-mentaux adjuvats de l'univers local; la force et le dévouement de cet amour sont toujours directement proportionnels à la durée pendant laquelle les petits de l'espèce ne peuvent se passer de l'aide parentale.
La relation de mère à enfant est naturelle, forte, et instinctive, et en conséquence elle a contraint les mères primitives à se soumettre à de nombreuses conditions étranges et à subir des épreuves d'une indicible sévérité. La contrainte de l'amour maternel est le sentiment qui handicape la femme et l'a toujours placée dans un terrible état d'infériorité au cours de ses luttes avec l'homme. Même dans ce domaine, l'instinct maternel chez l'espèce humaine n'est pas irrésistible; il peut être contrecarré par l'ambition, l'égoïsme, et les convictions religieuses.
L'association mère-enfant n'est ni un mariage ni un foyer, mais elle est le noyau a partir duquel les deux se développèrent. Le grand progrès dans l'évolution des couples survint quand ces associations temporaires durèrent assez longtemps pour élever la progéniture qui en résultait, car c'est en cela que consiste la création des foyers.
Indépendamment des antagonismes entre ces partenaires primitifs, et nonobstant le caractère inconsistant de leur association, les chances de survie d'un homme et d'une femme furent considérablement accrues par leur union. Même en dehors de la famille et de la descendance, un homme et une femme qui coopèrent ont dans la plupart des cas une puissance d'action très supérieure à celle de deux hommes ou de deux femmes. Le couplage des sexes accrut la survie et fut le véritable début de la société humaine. La division du travail entre sexes apporta aussi du confort et un bonheur accru.
2. -- LE MATRIARCAT PRIMITIF
Les hémorragies périodiques des femmes et leurs pertes de sang additionnelles lors de la parturition firent croire de bonne heure que le sang était le créateur de l'enfant ( et même le siège de l'âme ) (1); elles donnèrent origine au concept du lien du sang dans les relations humaines. Aux époques primitives, on comptait toute la généalogie dans la ligne féminine, car c'était la seule partie de l'hérédité dont on fût tout à fait certain.
La famille primitive naissant du lien de sang biologique instinctif entre la mère et l'enfant était inévitablement un matriarcat, et de nombreuses tribus conservèrent longtemps cet arrangement. Le matriarcat était la seule transition possible entre le stade du mariage collectif dans la horde et le stade ultérieur et amélioré de la vie au foyer dans les familles patriarcales polygames et monogames. Le matriarcat était naturel et biologique; le patriarcat est social, économique, et politique. La persistance du matriarcat parmi les hommes rouges de l'Amérique au Nord fut l'une des principales raisons pour lesquelles les Iroquois, par ailleurs progressifs, ne formèrent jamais un véritable État.
Sous les moeurs matriarcales, la mère de la femme jouissait au foyer d'une autorité virtuellement suprême; même les frères de la femme et leurs fils jouaient dans la supervision de la famille un rôle plus actif que le mari. Les pères recevaient souvent un nouveau nom d'après celui de leurs propres enfants.
Les races les plus primitives attribuaient peu de crédit au père et considéraient l'enfant comme provenant entièrement de la mère. Elles croyaient que les enfants ressemblaient au père à cause de l'association, ou qu'ils étaient « marqués » de cette manière parce que la mère désirait cette ressemblance. Plus tard, quand on passa du matriarcat au patriarcat; le père prit tout le crédit pour l'enfant, et de nombreux tabous sur la femme enceinte furent ensuite étendus pour y inclure son mari. Lorsque l'heure de la délivrance approchait, le futur père cessait de travailler. Au moment de l'accouchement, il allait se coucher avec la femme et restait trois à huit jours à se reposer. La femme pouvait se lever le lendemain et reprendre de durs travaux, mais le mari restait au lit pour recevoir des félicitations. Tout ceci faisait partie des moeurs primitives destinées à établir les droits du père sur l'enfant.
Au début, la coutume voulait que l'homme rejoigne la famille de sa femme, mais plus tard, quand un homme avait payé en argent ou en travail le prix de la mariée, il pouvait emmener sa femme et ses enfants dans son groupe. La transition du matriarcat au patriarcat explique les interdits, autrement dépourvus de sens, contre certains types de mariages entre cousins, alors que d'autres, comportant le même degré de parents, étaient approuvés.
Avec la disparition des moeurs des chasseurs, quand l'élevage donna à l'homme le contrôle de la principale source de nourriture, le matriarcat prit rapidement fin. Il échoua simplement parce qu'il ne pouvait concurrencer la nouvelle famille gouvernée par le père. Le pouvoir détenu par les proches parents mâles de la mère ne pouvait dominer le pouvoir concentré chez le mari-père. La femme ne pouvait suffire aux tâches combinées de mettre des enfants au monde et d'exercer une autorité continue et un commandement accru dans le ménage. La pratique du rapt des femmes et plus tard celle de l'achat des épouses hâtèrent la disparition du matriarcat.
Le prodigieux passage du matriarcat au patriarcat est l'une des volte-face adaptatives les plus radicales et les plus complètes que la race humaine ait jamais exécutées. Ce changement produisit immédiatement un accroissement d'expressions sociales et d'aventures familiales.
3. -- LA FAMILLE SOUS LA DOMINATION DU PÈRE
Il se peut que l'instinct de maternité ait conduit la femme au mariage, mais ce furent la force supérieure de l'homme et l'influence des moeurs qui l'obligèrent virtuellement à rester mariée. La vie pastorale tendait à créer un nouveau système de moeurs, le type patriarcal de vie de famille; la base de l'unité familiale selon les moeurs de l'époque de l'élevage et de l'agriculture primitifs était l'autorité indiscutée et arbitraire du père. Toute la société, qu'elle fût nationale ou familiale, passa par le stade d'une autorité autocratique d'ordre patriarcal.
Le peu de courtoisie témoigné aux femmes durant l'ère de l'Ancien Testament est un vrai reflet des moeurs des gardiens de troupeaux. Les patriarches hébreux étaient tous des éleveurs, ainsi qu'en témoigne l'adage: « Le Seigneur est mon berger.»
Toutefois, l'homme ne mérite pas plus d'être blâmé pour sa piètre estime de la femme durant les âges passés que la femme elle-même. Elle ne réussit pas à obtenir la récognition sociale aux époques primitives parce qu'elle n'agissait pas en cas d'urgence; elle n'était ni une héroïne spectaculaire ni une valeur en cas de crise. La maternité était nettement un désavantage dans la lutte pour la vie; l'amour maternel handicapait les femmes dans la défense de la tribu.
Les femmes primitives se mirent involontairement aussi sous la dépendance des mâles en admirant leur combativité et en applaudissant leur virilité. Cette exaltation des guerriers rehaussa les egos masculins et déprima d'autant les féminins en les rendant plus dépendants. Un uniforme militaire soulève encore puissamment les émotions féminines.
Chez les races les plus évoluées, les femmes ne sont ni aussi grandes ni aussi fortes que les hommes. Etant les plus faibles, les femmes acquirent plus de tact; elles apprirent de bonne heure à faire commerce de leurs charmes. Elles devinrent plus alertes et plus conservatrices que les hommes, quoique légèrement moins profondes. L'homme est supérieur à la femme sur le champ de bataille et à la chasse, mais au foyer la femme reprend généralement le commandement, même sur les hommes les plus primitifs.
Les pâtres comptaient sur leurs troupeaux pour se sustenter, mais au cours de tous ces âges pastoraux les femmes devaient encore fournir la nourriture végétale. Les hommes primitifs se dérobaient au travail de la terre, qui était beaucoup trop pacifique et dépourvu d'aventures. Une vielle superstition assurait aussi que les femmes faisaient pousser de meilleures plantes que les hommes; elles étaient des mères. Dans bien des tribus arriérées d'aujourd'hui, les hommes font cuire la viande et les femmes les légumes. Quand les tribus primitives d'Australie se déplacent, les femmes n'attaquent jamais le gibier, et un homme ne s'arrêterait jamais pour déterrer une racine.
Les femmes ont toujours dû travailler : elles ont été de réelles productrices, du moins jusqu'aux temps modernes. Les hommes ont généralement choisi la voie la plus facile, et cette inégalité a existé dans toute l'histoire de la race humaine. Les femmes ont toujours porté les fardeaux, transportant les biens de la famille et s'occupant des enfants, ce qui laissait aux hommes les mains libres pour se battre ou pour chasser.
La première libération de la femme survint quand l'homme consentit à labourer la terre, à faire ce qui était jusque-là considéré comme le travail de la femme. Un grand pas en avant fut accompli quand on cessa de tuer les prisonniers mâles et que l'on en fit des esclaves agriculteurs. Cela permit à la femme de se libérer de manière a consacrer plus de temps à l'édification du foyer et à l'éducation des enfants.
L'approvisionnement en lait permit aux mères de sevrer plus tôt les bébés et d'avoir plus d'enfants, parce que leurs périodes de stérilité temporaire n'étaient plus nécessaires. L'emploi du lait de vache et du lait de chèvre diminua considérablement la mortalité infantile. Avant le stade social de l'élevage, les mères avaient l'habitude d'allaiter leurs enfants jusqu'à l'âge de quatre ou cinq ans.
La décroissance des guerres primitives réduisit grandement l'inégalité entre les divisions du travail basées sur le sexe, mais le travail réel incombait encore aux femmes, tandis que les hommes remplissaient des devoirs de factionnaires. Nul camp ni village ne pouvait être laissé sans garde de jour et de nuit, mais même cette tâche fut allégée par la domestication du chien. En général, l'apparition de l'agriculture a rehaussé le prestige et le statut social de la femme; du moins ce fut vrai jusqu'au moment où l'homme se fit agriculteur. Quand l'homme se consacra lui-même à cultiver la terre, il en résulta immédiatement dans les méthodes agricoles de grands progrès qui se poursuivirent au cours des générations successives. Pendant qu'il avait chassé et guerroyé, l'homme avait appris la valeur de l'organisation; il en introduisit les techniques dans l'industrie, et plus tard, il se chargea de bien des occupations antérieures de la femme. Il apporta de grandes améliorations à ses méthodes de travail décousues.
4. -- LE STATUT DE LA FEMME DANS LA SOCIÉTÉ PRIMITIVE
En règle générale, le statut de la femme à une époque quelconque est un bon critère du progrès évolutionnaire du mariage en tant qu'institution sociale, tandis que le progrès du mariage lui-même mesure assez exactement l'avance de la civilisation humaine.
Le statut de la femme a constamment été un paradoxe social; elle a toujours su adroitement diriger les hommes; elle a toujours capitalisé les besoins sexuels plus impérieux de l'homme en faveur de ses propres intérêts et de sa propre élévation. En faisant subtilement commerce de ses charmes, elle a souvent été capable d'exercer un pouvoir dominateur sur l'homme, même quand celui-ci la tenait dans un esclavage abject.
La femme primitive n'était pas pour l'homme une amie, une amoureuse, une amante, et une partenaire, mais plutôt un objet qu'il possédait, une servante ou une esclave, et plus tard une associée économique, un jouet, et une porteuse d'enfants. Néanmoins, l'établissement de rapports sexuels convenables et satisfaisants a toujours impliqué de la part de la femme un élément de choix et de coopération, ce qui a toujours valu aux femmes intelligentes une influence considérable sur leur standing personnel et immédiat, indépendamment de leur position sociale en tant que sexe. Mais le fait que les femmes furent constamment obligées de recourir à la subtilité dans leur effort pour alléger leur servitude ne contribua guère à dissiper la méfiance et la suspicion des hommes.
Les sexes ont éprouvé de grandes difficultés à se comprendre. L'homme a eu de la peine à comprendre la femme, car il la regardait avec un curieux mélange d'ignorance méfiante et de fascination craintive, sinon avec soupçon et mépris. Bien des traditions tribales et raciales font remonter les difficultés à Ève, à Pandore, ou à quelque autre représentante de la féminité; ces récits furent toujours déformés de manière à faire ressortir que la femme a attiré le mal sur l'homme, ce qui dénote que la méfiance à l'égard des femmes fut jadis universelle. Parmi les raisons citées pour soutenir le célibat des prêtres, la principale fut la bassesse des femmes. Le fait que la plupart des présumés sorciers étaient des femmes n'améliora pas l'antique réputation du sexe.
Les hommes ont longtemps considéré les femmes comme bizarres, et même anormales. Ils ont même cru qu'elles n'avaient pas d'âme, et en conséquence ont refusé de leur donner un nom. Dans les temps primitifs, on avait très peur du premier rapport sexuel avec une femme, et les prêtres prirent l'habitude de déflorer les vierges. On pensait même que l'ombre d'une femme était dangereuse.
On considéra jadis que la grossesse rendait une femme impure et dangereuse. Chez de nombreuses tribus, les moeurs voulaient qu'une femme passât par de longues cérémonies de purification après la naissance d'un enfant. Excepté dans les groupes où le mari participait à la naissance en restant couché au foyer, on fuyait la femme enceinte, on la laissait seule. Les anciens évitaient même qu'un enfant naisse à la maison, et cette pratique fut l'origine de la profession de sage-femme. Durant les douleurs, on disait et l'on faisait des masses de choses stupides pour faciliter l'accouchement. On avait l'habitude d'asperger le nouveau-né avec de l'eau bénite pour empêcher l'ingérence des fantômes.
Chez les tribus de sang pur, l'accouchement était relativement aisé et ne nécessitait que deux ou trois heures; il est rare qu'il soit aussi facile chez les races mêlées. Si une femme mourait en couches, et spécialement si elle donnait le jour à des jumeaux, on croyait qu'elle avait été coupable d'adultère avec un esprit. Plus tard, les tribus supérieures considérèrent la mort pendant les couches comme la volonté du ciel, et l'on estima que ces mères avaient péri pour une noble cause.
La soi-disant modestie des femmes pour s'habiller et éviter de montrer leur corps provint de la peur mortelle qu'elles avaient d'être observées pendant une période menstruelle. En se laissant découvrir dans cet état, elles commettaient un grave péché, elles violaient un tabou. Les moeurs des temps anciens exigeaient que toute femme, depuis sa puberté jusqu'à sa ménopause, fût soumise a une quarantaine familiale et sociale complète pendant une semaine par mois. Tous les objets qu'elle avait touchés ou sur lesquels elle s'était assise ou couchée étaient « souillés ». On eut longtemps la coutume de frapper brutalement les jeunes filles, après chaque période menstruelle, pour essayer de chasser de leur corps le mauvais esprit. Toutefois, lorsqu'une femme avait franchi sa ménopause, on la traitait généralement avec plus de considération, on lui accordait plus de droits et de privilèges. En raison de tout ce qui précède, il n'était pas étonnant que les femmes fussent regardées avec mépris. Même les Grecs estimaient que la femme en menstruation était l'une des trois grandes causes de souillure, les deux autres étant la viande de porc et l'ail.
Si stupides que fussent ces antiques notions, elles firent un peu de bien en ce sens qu'elles procurèrent aux filles et femmes surmenées, au moins pendant leur jeunesse, une semaine par mois pour un repos bienvenu et pour des méditations profitables. Les femmes purent ainsi aiguiser leur intelligence en vue de leurs rapports avec leurs associés masculins pendant le reste du temps. Cette quarantaine des femmes protégea aussi les hommes contre les excès sexuels, ce qui contribua indirectement à restreindre la population et à rehausser la maîtrise de soi.
Un grand progrès fut effectué quand on dénia a l'homme le droit de vie et de mort sur sa femme. De même, ce fut une étape en avant lorsqu'une femme eut le droit de posséder ses cadeaux de mariage. Plus tard, elle gagna le droit légal d'avoir des biens, de les contrôler, et même d'en disposer, mais elle fut longtemps privée du droit de tenir un poste dans l'Église ou dans l'État. La femme a toujours été traitée plus ou moins comme une propriété jusqu'au XIXième siècle de l'ère chrétienne, et même au cours du XXième siècle. Elle n'a pas encore réussi à se libérer, à l'échelle mondiale, de sa mise en tutelle sous le contrôle de l'homme. Même chez les peuples évolués, les tentatives des hommes pour protéger les femmes ont toujours représenté une affirmation tacite de supériorité.
Mais les femmes primitives ne s'apitoyaient pas sur elles-mêmes comme leurs soeurs plus récemment libérées ont l'habitude de le faire. Après tout, elles étaient assez heureuses et satisfaites, et n'osaient pas imaginer un mode d'existence meilleur ou différent.
5. -- LA FEMME ET L'ÉVOLUTION DES MOEURS
Dans la perpétuation de la race, la femme est l'égale de l'homme, mais dans l'association pour subsister elle travaille avec un net désavantage. Le handicap de la maternité forcée ne peut être compensé que par les moeurs éclairées d'une civilisation en progrès et par le développement chez l'homme du sens de l'équité.
À mesure que la société évolua, la morale sexuelle s'éleva parmi les femmes parce qu'elles souffraient davantage des conséquences quand elles avaient transgressé les moeurs sexuelles. Les critères sexuels de l'homme ne s'améliorèrent que tardivement comme conséquence du simple sens de l'équité exigé par la civilisation. La nature ne connaît pas l'équité -- elle ne fait subir qu'à la femme les douleurs de la parturition.
L'idée moderne de l'égalité des sexes est belle et digne d'une civilisation en expansion, mais elle ne se trouve pas dans la nature. Quand la force prime le droit, l'homme le prend de haut avec la femme; quand la justice, la paix, et l'équité commencent à prévaloir, la femme émerge graduellement de l'esclavage et de l'obscurité. La position sociale de la femme a généralement varié à l'inverse du militarisme dans toutes les nations et à toutes les époques.
Mais ce n'est ni consciemment ni intentionnellement que l'homme s'est saisi des droits de la femme pour les lui restituer graduellement en rechignant. Tout ceci fut un épisode involontaire et non calculé de l'évolution sociale. Quand le moment arriva réellement pour la femme de bénéficier de droits additionnels, elle les obtint tout à fait indépendamment du comportement conscient de l'homme. Lentement mais sûrement, les moeurs changent pour assurer les adaptations sociales qui font partie de l'évolution continue de la civilisation. Le progrès des moeurs a lentement procuré aux femmes un traitement constamment meilleur. Les tribus qui persistèrent dans leur cruauté envers elles ne survécurent pas.
Les Adamites et les Nodites accordèrent aux femmes une récognition accrue. Les groupes qui furent influencés par les migrations des Andites tendirent à adopter certains enseignements édéniques concernant la place des femmes dans la société.
Les Chinois primitifs et les Grecs traitèrent les femmes mieux que la plupart des peuples environnants, mais les Hébreux étaient extrêmement méfiants envers elles. En occident, l'ascension des femmes fut rendue difficile par les doctrines de Paul qui furent annexées au christianisme, et pourtant le christianisme fit progresser les moeurs en imposant aux hommes des obligations sexuelles plus rigoureuses. Chez les Mahométans, la condition des femmes est à peu près désespérée à cause de l'avilissement spécial qui s'attache à elles, et elles sont encore moins bien traitées sous l'influence des enseignements de diverses autres religions orientales.
Ce fut la science, et non la religion, qui émancipa réellement les femmes; c'est l'usine moderne qui les dégagea largement des limites du foyer. Les aptitudes physiques de l'homme ne sont pas un élément essentiel dans le nouveau mécanisme d'entretien. La science a changé les conditions de vie de telle sorte que la force masculine a cessé d'avoir une grande supériorité sur la force féminine.
Ces changements tendirent à libérer les femmes de l'esclavage domestique; ils apportèrent une telle modification à son statut qu'elle jouit maintenant d'une liberté personnelle et d'un pouvoir de décision en matière sexuelle qui la rendent pratiquement l'égale de l'homme. Jadis, la valeur d'une femme consistait en son aptitude à procurer des aliments. Les inventions et l'aisance lui ont permis de créer un nouveau monde dans lequel elle peut opérer -- les sphères de grâce et de charme. L'industrie a ainsi gagné une bataille inconsciente et imprévue pour l'émancipation sociale et économique des femmes. À nouveau, l'évolution a réussi un accomplissement pour lequel la révélation elle-même avait échoué.
La réaction des peuples éclairés contre les moeurs injustes gouvernant la place de la femme dans la société a vraiment oscillé comme un pendule entre des extrêmes. Parmi les races industrialisées, la femme a reçu à peu près tous les droits et elle a été exemptée de nombreuses obligations telles que le service militaire. Chaque détente dans la lutte pour l'existence a contribué à libérer les femmes, et elles ont directement profité de tous les progrès de la monogamie. Les plus faibles font toujours des gains disproportionnés dans chaque ajustement des moeurs à l'évolution progressive de la société.
Quant aux idéaux du mariage d'un couple, la femme a finalement gagné récognition, dignité, indépendance, égalité, et éducation; mais va-t-elle se montrer digne de cette réussite nouvelle et sans précédent? La femme moderne répondra-t-elle à cette grande libération sociale par la paresse, l'indolence, la stérilité, et l'infidélité? Aujourd'hui, au XXième siècle, la femme subit l'épreuve décisive de sa longue existence dans le monde!
La femme est associée à égalité avec l'homme dans la reproduction de la race; elle joue donc un rôle aussi important que lui dans le développement de l'évolution raciale, et c'est pourquoi l'évolution a travaillé de plus en plus vers la réalisation des droits de la femme. Mais les droits des femmes ne sont nullement ceux des hommes. La femme ne peut s'épanouir en abusant des droits de l'homme, pas plus que l'homme ne peut prospérer en abusant de ceux de la femme.
Chaque sexe a sa propre sphère d'existence distincte avec ses propres droits dans cette sphère. Si la femme aspire littéralement a profiter de tous les droits de l'homme, alors une concurrence impitoyable et dépourvue de sentimentalité remplacera certainement tôt ou tard la chevalerie et la considération spéciale dont beaucoup de femmes bénéficient actuellement et qu'elles n'ont obtenues des hommes que tout récemment.
La civilisation ne pourra jamais supprimer l'abîme des différences de comportement entre les sexes. Les moeurs changent d'âge en âge, mais jamais l'instinct. L'amour maternel inné ne permettra jamais aux femmes émancipées de rivaliser sérieusement avec les hommes dans l'industrie. Chaque sexe restera perpétuellement suprême dans son propre domaine déterminé par la différenciation biologique et la dissemblance mentale.
Les sphères spéciales à chaque sexe subsisteront toujours, en empiétant de temps en temps l'une sur l'autre. C'est seulement dans le domaine social que l'homme et la femme s'affronteront à égalité.
6. -- L'ASSOCIATION DE L'HOMME ET DE LA FEMME
Le besoin de reproduction réunit infailliblement l'homme et la femme pur qu'ils se perpétuent, mais à lui seul il n'assure pas que le couple restera uni dans une coopération mutuelle -- la fondation d'un foyer.
Toute institution humaine couronnée de succès contient des antagonismes d'intérêts personnels qui ont été harmonieusement adaptés au travail pratique; la création des foyers ne fait pas exception. Le mariage, base de l'édification d'un foyer, est la plus haute manifestation de la coopération antagoniste qui caractérise si souvent les contacts entre la nature et la société. Le conflit est inévitable par ce que l'appariement est spontané et naturel, tandis que le mariage n'est pas biologique mais sociologique. La passion assure que l'homme et la femme se réuniront, mais ce sont l'instinct parental et les moeurs sociales qui maintiennent leur union.
Considérés dans la pratique, le mâle et la femelle sont deux variétés distinctes de la même espèce vivant en association étroite et intime. Leurs points de vue et toutes leurs réactions vitales sont essentiellement différents; ils sont entièrement incapables de se comprendre pleinement et réellement l'un l'autre. La compréhension complète entre les sexes est impossible à atteindre.
Les femmes semblent avoir plus d'intuition que les hommes, mais elles paraissent aussi un peu moins logiques. Toutefois, les femmes ont toujours été le porte-drapeau de la morale et les directrices spirituelles de l'humanité. La main qui balance le berceau fraternise encore aujourd'hui avec la destinée.
Les différences de nature, de réactions, de points de vue, et de pensée entre les hommes et les femmes ne devraient pas causer de soucis, mais bien plutôt être considérées comme hautement bénéfiques pour l'humanité, à la fois individuellement et collectivement. De nombreux ordres de créatures de l'univers sont créés sous des phases doubles de manifestation de la personnalité. Chez les humains, chez les Fils Matériels, et chez les midsonitaires, la différence est désignée par mâle et femelle. Parmi les séraphins, les chérubins, et les Compagnons Morontiels, on l'a nommé positive ou agressive, et négative ou réservée. Ces associations de couples multiplient grandement la variété de talents et triomphent des limitations naturelles, comme le font certaines associations trines dans le système Paradis-Havona.
Les hommes et les femmes ont besoin les uns des autres dans leur carrière morontielle et spirituelle aussi bien que dans leur vie incarnée. Les différences des points de vue masculins et féminins persistent au delà de la première vie et dans toute l'ascension de l'univers local et des superunivers. Même dans Havona, les pèlerins qui furent jadis des hommes et des femmes continueront à s'entraider dans la montée au Paradis. Plus loin encore, même dans le Corps de la Finalité, la métamorphose des créatures n'ira jamais jusqu'au point d'effacer les tendances de la personnalité que les humains appellent masculine et féminine. Ces deux variétés fondamentales de l'espèce humaine continueront à s'intriguer, à se stimuler, à s'encourager, et à s'entraider. Elles resteront toujours mutuellement dépendantes de leur coopération pour résoudre les problèmes troublants de l'univers et triompher de multiples difficultés cosmiques.
Jamais les sexes ne peuvent espérer se comprendre totalement l'un l'autre, mais ils sont effectivement complémentaires, et bien que leur coopération soit souvent plus ou moins antagoniste, elle reste capable d'entretenir et de reproduire la société. Le mariage est une institution destinée à accommoder les différences de sexe tout en assurant la continuité de la civilisation et la reproduction de la race.
Le mariage est la source de toutes les institutions humaines, car il conduit directement a la fondation et à l'entretien des foyers, qui sont la base structurelle de la société. La famille est vitalement liée au mécanisme de l'instinct de conservation. Elle constitue le seul espoir de perpétuer la race sous les moeurs de la civilisation, tandis qu'en même temps elle procure certaines formes hautement satisfaisantes de contentement de soi. La famille est le plus grand accomplissement purement humain, parce qu'il conjugue l'évolution des relations biologiques entre mâle et femelle avec les relations sociales entre mari et femme.
7. -- LES IDÉAUX DE LA VIE DE FAMILLE
L'union sexuelle est instinctive, les enfants en sont le résultat naturel, et la famille naît ainsi automatiquement. Telles les familles d'une race ou d'une nation, telle sa société. Si les familles sont bonnes, la société est également bonne. La grande stabilité culturelle des peuples juif et chinois réside dans la force de leurs groupes familiaux.
L'instinct féminin d'aimer et de soigner les enfants a contribué à faire de la femme la partenaire intéressée à promouvoir le mariage et la vie de famille primitive. Seule la pression des moeurs ultérieures et des conventions sociales a obligé les hommes a s'occuper de l'édification des foyers; ils furent lents à s'intéresser à l'établissement du mariage et du foyer parce que l'acte sexuel ne comporte pas de conséquences biologiques pour eux.
L'association sexuelle est naturelle, mais le mariage est social et a toujours été réglementé par les moeurs. Les moeurs (religieuses, morales, et d'éthiques), ainsi que la propriété, l'orgueil, et la chevalerie, stabilisent les mariages et les familles.
Toute fluctuation dans les moeurs se répercute sur la stabilité de l'institution foyer-mariage. Le mariage sort maintenant du stade de la propriété et passe dans l'ère de la personnalité. Auparavant, l'homme protégeait la femme parce qu'elle était sa chose, et elle lui obéissait pour la même raison. Indépendamment de ses mérites, le système assurait la permanence. Aujourd'hui, la femme a cessé d'être considérée comme un bien privé, et de nouvelles moeurs émergent pour stabiliser l'institution mariage-foyer:
1. Le nouveau rôle de la religion -- l'enseignement que l'expérience parentale est essentielle. L'idée de procréer des citoyens cosmiques, la compréhension élargie du privilège de la procréation -- donner des fils au Père.
2. Le nouveau rôle de la science -- la procréation devient de plus en plus volontaire, soumise au contrôle de l'homme. Autrefois, par manque de compréhension, la survenance des enfants était assurée même en l'absence de tout désir d'en avoir.
3. La nouvelle fonction de l'attrait du plaisir -- ceci introduit un nouveau facteur dans la survie de la race; les anciens faisaient mourir les enfants non désirés; les modernes refusent de les mettre au monde.
4. Le renforcement de l'instinct parental. Chaque génération tend maintenant à éliminer du courant reproducteur de la race les individus chez qui l'instint parental est insuffisamment fort pour assurer la procréation d'enfants -- de parents en perspective pour la nouvelle génération.
Le foyer en tant qu'institution -- l'association entre un seul homme et une seule femme -- date plus spécifiquement du temps de Dalamatia, il y a environ 500.000 ans. Les habitudes monogames d'Andon et de ses descendants immédiats avaient été abandonnées longtemps auparavant. Toutefois, il n'y avait guère lieu de s'enorgueillir de la vie de famille avant l'époque des Nodites et plus tard des Adamites. Adam et Ève exercèrent une influence durable sur toute l'humanité. Pour la première fois dans l'histoire du monde, on put observer des hommes et des femmes travaillant côte à côte dans le Jardin. L'idéal édénique d'une famille entière de jardiniers était une idée nouvelle sur Urantia.
La famille primitive englobait un groupe lié par le travail, y compris les esclaves, et vivant tout entier dans une seule habitation. Le mariage n'a pas toujours été identique à la vie de famille, mais ils ont forcément été étroitement associés. La femme a toujours désiré une famille individuelle et a fini par obtenir gain de cause.
L'amour de la progéniture est à peu près universel et représente nettement une valeur de survie. Les anciens sacrifiaient toujours les intérêts de la mère au bien-être de l'enfant. Aujourd'hui encore, chez les Esquimaux, les mères lèchent leurs bébés au lieu de les laver. Cependant les mères primitives ne nourrissaient et ne soignaient leurs enfants que pendant leur prime jeunesse; à l'instar des animaux, elles les écartaient aussitôt qu'ils avaient grandi. Les associations humaines durables et continues n'ont jamais été fondées sur la seule affection biologique. Les animaux aiment leurs petits; les hommes (civilisés) aiment les enfants de leurs enfants. Plus la civilisation est avancée, plus les parents se réjouissent des progrès et de la réussite des enfants; c'est ainsi que naquit la notion nouvelle et supérieure de l'orgueil du nom.
Chez les peuples anciens, les grandes familles ne résultaient pas nécessairement de l'affection. Beaucoup d'enfants furent désirés pour les raisons suivantes:
| 1. Ils étaient précieux comme travailleurs. | |
| 2. Ils étaient une assurance pour la vieillesse. | |
| 3. On pouvait vendre les filles. | |
| 4. L'orgueil familial exigeait l'extension du nom. | |
| 5. Les fils apportaient une protection et une défense. | |
| 6. La peur des fantômes engendrait la peur de la solitude. | |
| 7. Certaines religions exigeaient une progéniture. |
Les pratiquants du culte des ancêtres considèrent l'absence de fils comme la calamité suprême dans le temps et l'éternité. Ils désirent avant tout avoir des fils pour officier dans les cérémonies mortuaires, pour offrir les sacrifices permettant au fantôme de progresser en traversant le pays des esprits.
Parmi les anciens sauvages, on commençait de très bonne heure à discipliner les enfants, et ceux-ci ne tardaient pas à comprendre que la désobéissance signifiait l'échec ou même la mort, exactement comme pour les animaux. La civilisation protège maintenant les enfants contre les conséquences naturelles d'une conduite stupide, et c'est ce qui contribue tant à l'insubordination moderne.
Les enfants des Esquimaux prospèrent avec fort peu de discipline et de punitions, simplement parce qu'ils sont naturellement dociles comme de petits animaux; les enfants des hommes rouges et des hommes jaunes sont presque aussi faciles. Par contre, dans les races contenant une hérédité andite, les enfants sont moins placides; cette jeunesse imaginative et aventureuse a besoin de plus d'éducation et de discipline. Les problèmes modernes d'éducation des enfants sont rendus de plus en plus difficiles par:
| 1. Le degré important des mélanges raciaux. | |
| 2. L'éducation artificielle et superficielle. | |
| 3. L'inaptitude des enfants à se cultiver en imitant leurs parents qui passent une trop grande partie de leur temps hors de leur foyer. |
Les anciennes idées sur la discipline de famille étaient biologiques et provenaient du fait que les parents comprenaient qu'ils avaient créé l'existence de l'enfant. Le idéaux plus évolués de la vie de famille conduisent au concept que l'apport d'un enfant au monde, loin de conférer certains droits aux parents, implique la responsabilité suprême de perpétuer l'existence humaine.
La civilisation considère que les parents assument toutes les charges et que l'enfant a tous les droits. Le respect de l'enfant pour ses parents ne provient pas de ce qu'il connaît l'obligation impliquée dans la procréation parentale. Ce respect grandit naturellement comme conséquence des soins, de l'éducation, et de l'affection qui lui sont dispensés avec amour pour l'aider à gagner la bataille de la vie. De véritables parents s'engagent avec continuité dans un ministère de service que l'enfant avisé finit par reconnaître et par apprécier.
Dans l'ère industrielle et urbaine contemporaine, l'institution du mariage évolue selon de nouvelles lignes économiques. La vie de famille devient de plus en plus onéreuse, et les enfants, qui étaient autrefois un actif, sont devenus un passif économique. Mais la sécurité de la civilisation elle-même repose encore sur la bonne volonté croissante de chaque génération à investir ses moyens dans le bien-être de la prochaine génération et des suivantes. Toute tentative pour transférer la responsabilité parentale à l'État ou à l'Église se révélera fatale pour le bonheur et le progrès de la civilisation.
Le mariage, avec les enfants et la vie de famille qui s'ensuit, stimule les plus hauts potentiels de la nature humaine et fournit en même temps le canal idéal pour exprimer ces attributs vivifiés de la personnalité humaine. La famille assure la perpétuation biologique de l'espèce humaine. Le foyer est le cadre social naturel dans lequel les enfants grandissants peuvent saisir la morale de la fraternité du sang. La famille est l'unité fondamentale de fraternité dans laquelle parents et enfants apprennent les leçons de patience, d'altruisme, de tolérance, et d'indulgence qui sont si essentielles pour réaliser la fraternité entre tous les hommes.
La société humaine serait grandement améliorée si les races civilisées voulaient revenir plus généralement à la pratique du conseil de famille des Andites. Ils ne maintinrent pas la forme patriarcale ou autocratique de gouvernement familial. Ils étaient très amicaux et coopératifs. Ils discutaient franchement et librement toutes les propositions et règles de nature familiale. Tous leurs conseils de famille étaient empreints d'une atmosphère idéalement fraternelle. Dans une famille idéale, l'affection filiale et l'amour parental sont tous deux accrus par le dévouement fraternel.
La vie de famille est le berceau de la vraie moralité, l'ancêtre de la fidélité consciente au devoir. Les associations forcées de la vie de famille stabilisent la personnalité et stimulent sa croissance par l'obligation indispensable de s'adapter à d'autres personnalités diverses. Mais il y a plus: une famille -- une bonne famille -- révèle aux parents procréateurs le comportement du Créateur envers ses enfants, tandis qu'en même temps ces véritables parents dépeignent à leurs enfants la première d'une longue série de divulgations concernant l'amour du Père paradisiaque de tous les enfants de l'univers.
8. -- LES DANGERS DE LA JOUISSANCE ÉGOÏSTE
La grande menace contre la vie de famille est la marée montante des jouissances égoïstes, la manie moderne des plaisirs. Autrefois, le principal mobile du mariage était économique, et l'attraction sexuelle secondaire. Le mariage fondé sur l'entretien du couple conduisait à la perpétuation de soi et procurait en même temps l'une des formes les plus désirables de jouissance personnelle. Dans la société humaine, c'est la seule institution qui englobe les trois grandes raisons de vivre.
À l'origine, la propriété était l'institution fondamentale pour s'entretenir, tandis que le mariage fonctionnait comme institution unique pour se perpétuer. Bien que les satisfactions alimentaires, les jeux, et l'humour, ainsi que les rapports sexuels périodiques, soient les moyens de jouissance égoïste, il n'en reste pas moins que l'évolution des moeurs n'a pas réussi à bâtir une institution distinctes pour les plaisirs égoïstes. À cause de cet échec dans la mise au point de techniques spécialisées pour des jouissances agréables, toutes les institutions humaines sont complètement imprégnées de cette recherche du plaisir. L'accumulation des biens devient un instrument pour accroître toutes les formes de jouissance égoïste, tandis que l'on se borne souvent à considérer le mariage comme un moyen d'obtenir un plaisir. Le temps excessif consacré aux plaisirs, la manie largement répandue de s'y adonner, constituent maintenant la plus grande menace qui ait jamais été dirigée contre le foyer, institution évolutionnaire sociale de la vie de famille.
La race violette a introduit dans l'expérience de l'humanité une caractéristique nouvelle encore incomplètement comprise -- l'instinct de jeu doublé du sens de l'humour. Cet instinct existait dans une certaine mesure chez les Sangiks et les Andonites, mais les lignées adamiques élevèrent ce penchant primitif au niveau d'un potentiel de plaisir, forme nouvelle et glorifiée de la jouissance égoïste. En dehors de l'apaisement de la faim, le type fondamental de jouissance égoïste est l'assouvissement sexuel; cette forme de plaisir sensuel fut considérablement accrue par l'union des Sangiks et des Andites.
La combinaison d'agitation, de curiosité, d'aventure, et d'abandon au plaisir caractéristique des races postérieures aux Andites comporte un réel danger. Les plaisirs physiques ne peuvent satisfaire la soif de l'âme; la poursuite malavisée du plaisir n'augmente pas l'amour du foyer et des enfants. Même en épuisant les ressources de l'art, des couleurs, de la musique, et du luxe vestimentaire, on ne peut entretenir ainsi l'espoir d'élever l'âme ou de nourrir l'esprit. La vanité et la mode ne peuvent aider ni à l'édification des foyers ni à la culture des enfants; l'orgueil et la rivalité sont impuissants à rehausser les qualités de survie des générations successives.
Tous les êtres célestes qui progressent jouissent de périodes de repos et du ministère des directeurs de la rétrospection. Tous les efforts pour obtenir des diversions saines et pratiquer des jeux qui élèvent sont salubres. Il vaut la peine de se livrer à un sommeil réparateur, à des repos, à des récréations, et à tous les passe-temps qui empêchent la monotonie de faire naître l'ennui. Les jeux de compétition, les narrations d'histoires, et même le goût de la bonne nourriture, peuvent servir de formes de jouissance égoïste. (Quand vous employez du sel pour ajouter de la saveur à vos aliments, souvenez-vous que pendant près d'un million d'années les hommes n'ont pu obtenir du sel qu'en plongeant leurs aliments dans de la cendre.)
Que les hommes se réjouissent; que la race humaine trouve du plaisir de mille et une manières; que l'humanité évolutionnaire explore toutes les formes légitimes de satisfaction égoïste, les fruits de la longue lutte biologique pour s'élever. L'homme a bien mérité certains de ses plaisirs et joies d'aujourd'hui. Mais faites bien attention au but de la destinée! Les plaisirs sont véritablement des suicides s'ils parviennent à détruire la propriété, qui est devenue l'institution permettant aux personnes de s'entretenir. Les jouissances égoïstes auront vraiment été un prix funeste si elles provoquent l'effondrement du mariage, la décadence de la vie de famille, et la destruction du foyer -- acquisition évolutionnaire suprême des hommes et seul espoir de survie de la civilisation.
[Présenté par le Chef des Séraphins stationnés sur Urantia.]
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- Category: 3. L'HISTOIRE D'URANTIA
L'INSTITUTION DU MARIAGE
VOICI l'histoire des premiers débuts de l'institution du mariage. Elle a constamment progressé depuis les appariements décousus et chaotiques de la horde, par de nombreuses variations et adaptations, jusqu'à l'apparition des critères de mariage qui finirent par culminer dans la réalisation des appariements de couples, l'union d'un seul homme et d'une seule femme pour établir un foyer de l'ordre social le plus élevé.
Le mariage a été bien des fois en péril, et les moeurs matrimoniales ont largement fait appel au soutien de la propriété et de la religion. Toutefois, la véritable influence qui sauvegarde perpétuellement le mariage et la famille en résultant est le fait biologique simple et inné que les hommes et les femmes ne peuvent absolument pas se passer les uns des autres, qu'il s'agisse des sauvages les plus primitifs ou des mortels les plus cultivés.
C'est à cause de ses besoins sexuels que l'homme égoïste est entraîné à se transformer en quelque chose de mieux qu'un animal. Les rapports sexuels satisfont le corps et l'amour-propre, mais impliquent avec certitude les conséquences de l'abnégation; ils assurent la prise en charge de devoirs altruistes et de nombreuses responsabilités familiales bénéfiques pour la race. C'est en cela que le sexe a civilisé les sauvages sans qu'ils s'en rendent compte et sans qu'ils le soupçonnent, car l'impulsion sexuelle oblige automatiquement et infailliblement l'être humain à penser, et finalement le conduit à aimer.
1. -- LE MARIAGE EN TANT QU'INSTITUTION SOCIALE
Le mariage est le mécanisme mis en oeuvre par la société pour régler et contrôler les nombreuses relations humaines issues du fait de la bisexualité. En tant qu'institution, le mariage fonctionne dans deux domaines:
| 1. Il réglemente les relations sexuelles. | |
| 2. Il règle la descendance, l'héritage, la succession, et l'ordre social, ceci étant sa fonction originelle la plus ancienne. |
La famille, qui naît du mariage, est elle-même un stabilisateur du mariage, au même titre que les moeurs concernant la propriété. D'autres facteurs puissants de la stabilité du mariage sont l'orgueil, la vanité, la chevalerie, le devoir, et les convictions religieuses. Bien que les mariages puissent être approuvés ou désapprouvés par les entités supérieures, ils ne sont guère conclus dans le ciel. La famille terrestre est nettement une institution humaine. Un développement évolutionnaire. Le mariage est une institution sociale et non un service de l'Église. Il est vrai que la religion devrait profondément l'influencer, mais elle ne devrait pas entreprendre d'être seule à le contrôler et à le réglementer.
Le mariage primitif était essentiellement industriel, et même dans les temps modernes il est souvent une affaire de société ou d'intérêt. Sous l'influence du mélange de souches andites et comme conséquences des moeurs d'une civilisation en progrès, le mariage devient lentement mutuel, romantique, parental, poétique, affectueux, éthique, et même idéaliste. Toutefois, la sélection et l'amour dit romantique jouaient un rôle minime dans les appariements primitifs. Dans les premiers temps, mari et femme ne vivaient pas beaucoup ensemble; ils ne mangeaient même pas très souvent ensemble. Chez les anciens, l'affection personnelle n'était pas fortement liée à l'attrait sexuel; c'est surtout à cause de la vie et du travail en commun que l'affection naissait entre époux.
2. -- LA COUR ET LES FIANÇAILLES
Les mariages primitifs étaient toujours concertés par les parents du garçon et ceux de la jeune fille. Le stade de transition entre cette coutume et l'époque du libre choix fut occupé par les courtiers en mariage, ou marieurs professionnels. Ces marieurs furent d'abord les barbiers et ensuite les prêtres. Le mariage fut d'abord une affaire de groupe, puis une affaire de famille; c'est tout récemment qu'il est devenu une aventure individuelle.
La contrainte, et non l'attraction, était la voie d'accès au mariage primitif. Dans les temps primitifs, la femme n'avait pas un comportement sexuel réservé, mais seulement un sentiment d'infériorité sexuelle qui lui avait été inculqué par les moeurs. De même que les razzias précédèrent le commerce, de même le mariage par capture précéda le mariage par contrat. Certaines femmes étaient de connivence dans la capture afin d'échapper à la domination des hommes plus âgés de leur tribu; elles préféraient tomber entre les mains d'hommes du même âge appartenant à une autre tribu. Ces pseudo-enlèvements furent le stade de transition entre la capture par force et la cour par le charme.
Un type primitif de cérémonie de mariage était la fuite simulée, une sorte de répétition de l'enlèvement, qui fut jadis de pratique courante. Plus tara, le simulacre de capture fit partie de la cérémonie régulière de mariage. La prétention d'un fille moderne à résister à la « capture », à être réticente envers le mariage, sont des reliquats d'anciennes coutumes. Le transport de la mariée par-dessus le seuil est une réminiscence de nombre d'anciennes pratiques, entre autres celles de l'époque du rapt des femmes.
On refusa longtemps aux femmes le droit de disposer d'elles-mêmes dans le mariage, mais les femmes les plus avisées ont toujours su se soustraire à cette restriction en exerçant adroitement leur intelligence. C'est en général l'homme qui a pris l'initiative de la cour, mais pas toujours. Tantôt officiellement, tantôt secrètement, la femme a parfois pris les devants pour se marier. À mesure que la civilisation a progressé, les femmes ont joué un rôle croissant dans toutes les phases de la cour et du mariage.
L'accroissement de l'amour, du romanesque, et de la sélection personnelle dans la cour pré-conjugale est un apport des Andites aux races du monde. Les relations entre les sexes évoluent favorablement; de nombreux peuples en progrès substituent graduellement des conceptions quelque peu idéalisées d'attrait sexuel aux anciens mobiles d'utilité et de propriété. Les impulsions sexuelles et les sentiments affectifs commencent à remplacer les froids calculs dans le choix des partenaires de la vie.
À l'origine, les fiançailles équivalaient au mariage; chez les peuples primitifs, les rapports sexuels étaient classiques durant le temps des promesses. À une époque récente, la religion a établi un tabou sexuel sur la période comprise entre les fiançailles et le mariage.
3. -- L'ACHAT ET LA DOT
Les anciens se méfiaient de l'amour et des promesses; ils estimaient que les unions durables devaient être garanties par quelque sécurité tangible -- par un avoir. Pour cette raison, le prix d'achat d'une femme était considéré comme un forfait, un dépôt, que le mari était condamné à perdre en cas de divorce ou d'abandon. Une fois que le prix d'achat d'une jeune mariée avait été payé, de nombreuses tribus permettaient au mari de la marquer au fer rouge. Les Africains achètent encore leurs femmes. Ils comparent une femme qui épouse par amour, ou une femme l'homme blanc, à un chat, parce qu'elle ne coûte rien à acheter.
Les exhibitions de filles à marier étaient des occasions d'habiller et de parer les filles pour les montrer en public, avec l'espoir qu'on les achèterait plus cher comme épouses. Toutefois, on ne les vendait pas comme du bétail -- dans les tribus plus évoluées, les femmes ainsi achetées n'étaient pas transférables. Leur acquisition n'était pas non plus toujours une affaire d'argent conclue de sang-froid; les services équivalaient à l'argent pour l'achat d'une femme. Si un homme par ailleurs désirable ne pouvait payer le prix de sa femme, il était susceptible d'être adopté comme fils par le père de la jeune fille, et pouvait alors l'épouser. Si un homme pauvre recherchait et ne pouvait faire face au prix demandé par un père cupide, les anciens de la tribu exerçaient souvent une pression sur le père pour lui faire modifier ses exigences, faute de quoi il risquait de voir sa fille enlevée.
Quand la civilisation fit des progrès, les pères n'aimèrent plus avoir l'air de vendre leurs filles; alors, tout en continuant d'accepter le prix d'achat de la mariée, ils inaugurèrent la coutume de donner au couple des cadeaux d'une valeur à peu près équivalente au prix d'achat. Plus tard, quand on cessa, de payer pour obtenir une femme, ces présents devinrent la dot de la mariée.
L'idée d'une dot était destinée à donner l'impression que la mariée était indépendante, à faire comprendre que l'on était très éloigné de l'époque des femmes esclaves et des compagnes possédées en toute propriété. Un homme ne pouvait divorcer d'avec une femme dotée sans rembourser entièrement la dot. Dans certaines tribus, on établissait réciproquement chez les parents de la fiancée et du fiancé un dépôt qui restait acquis à la famille en cas de séparation; c'était en réalité un contrat de mariage. Durant la période de transition entre la coutume de l'achat et la coutume de la dot, les enfants appartenaient au père si la femme avait été achetée; dans le cas contraire, ils appartenaient à la famille de la femme.
4. -- LA CÉRÉMONIE DU MARIAGE
La cérémonie du mariage naquit du fait que le mariage était originellement une affaire de la communauté et non simplement le point culminant d'une décision de deux personnes. L'appariement intéressait le groupe, tout en étant une fonction personnelle.
Toute la vie des anciens était entourée de magie, de rites, et de cérémonies, et le mariage ne faisait pas exception. À mesure que la civilisation progressa et que le mariage fut pris plus au sérieux, la cérémonie du mariage devint de plus en plus ostentatoire. Les mariages primitifs jouaient, comme d'ailleurs aujourd'hui, un rôle dans le droit de propriété des biens; ils nécessitaient donc une cérémonie légale, et le statut social des enfants à venir exigeait la plus large publicité possible. Les hommes primitifs n'avaient pas d'archives; il fallait donc qu'il y eût de nombreux témoins à la cérémonie du mariage.
Au début, elle avait plutôt le caractère de fiançailles et consistait seulement en la notification publique de l'intention de vivre ensemble; plus tard, elle consista en un repas official pris en commun. Dans certaines tribus, les parents se bornaient à amener leur fille à son mari; dans d'autres cas, la seule cérémonie était l'échange officiel de cadeaux, après quoi le père de la mariée la donnait à l'époux. Chez beaucoup de peuples levantins, on avait coutume de se dispenser de toute formalité; le mariage était consommé par les rapports sexuels. Les hommes rouges furent les premiers à instituer des cérémonies de mariage plus compliquées.
On craignait beaucoup l'absence d'enfants, et comme la stérilité était attribuée a des machinations d'esprits, les efforts pour assurer la fécondité conduisirent aussi à associer le mariage à certains rites magiques ou religieux. On employait de nombreuses amulettes dans cet effort pour garantir un mariage heureux et fécond; on consultait même les astrologues pour vérifier l'horoscope des parties contractantes. A une certaine époque, les sacrifices humains firent régulièrement partie de tous les mariages entre gens riches.
On recherchait les jours de chance. On considérait le jeudi comme le plus favorable, et l'on croyait que les mariages célébrés à la pleine lune étaient exceptionnellement fortunés. De nombreux peuples du Proche-Orient avaient coutume de jeter des graines sur les nouveaux mariés; c'était un rite magique censé assurer la fécondité. Certains peuples orientaux utilisaient du riz à cet effet.
Le feu et l'eau furent toujours considérés comme les meilleurs moyens de résister aux fantômes et aux mauvais esprits. En conséquence, on mettait généralement en évidence dans les mariages des feux sur les autels et des chandelles allumées, et l'on faisait des aspersions baptismales d'eau bénite. Pendant longtemps on eut coutume de fixer une fausse date de mariage, et ensuite de retarder soudain l'événement pour faire perdre la piste aux fantômes et aux esprits.
Les taquineries faites aux nouveaux mariés et les mauvais tours joués aux couples en lune de miel sont des survivances des jours fort lointains où l'on croyait qu'il était bon de paraître misérable et mal à l'aise devant les esprits pour éviter d'exciter leur envie. Le port du voile de mariée est un vestige de l'époque où l'on estimait nécessaire de déguiser une jeune femme afin que les fantômes ne puissent pas la reconnaître, et aussi pour cacher sa beauté aux regards des esprits qui risqueraient d'en être envieux bu jaloux. Il ne fallait jamais que les pieds de la mariée touchent le sol juste avant la cérémonie. Même au XXième siècle et sous les moeurs chrétiennes, la coutume subsiste d'étendre des tapis depuis le point d'arrivée de la voiture jusqu'à l'autel.
L'une des plus anciennes formes de cérémonie du mariage consistait à faire bénir le lit conjugal par un prêtre pour assurer la fécondité de l'union; cela se pratiqua longtemps avant l'établissement d'un rituel officiel quelconque pour le mariage. Durant cette période dans l'évolution des moeurs matrimoniales, on comptait que les invités aux noces défileraient de nuit dans la chambre nuptiale, devenant ainsi des témoins légaux de la consommation du mariage.
L'élément chance, qui malgré toutes les épreuves prénuptiale faisait mal tourner certains mariages, conduisit les hommes primitifs à rechercher une assurance pour se protéger contre les échecs matrimoniaux en ayant recours aux prêtres et à la magie. Ce mouvement atteignit directement son apogée dans les mariages modernes à l'église. Pendant longtemps on reconnut généralement le mariage comme consistant ans les décisions des parents contractants -- et plus tard du couple -- tandis qu'au cours des cinq cents dernières années l'Église et l'État ont assumé la juridiction et -- prétendent maintenant sceller les mariages.
5. -- LES MARIAGES PLURAUX
Dans l'histoire des débuts du mariage, les femmes non mariées appartenaient aux hommes de la tribu. Plus tard, les femmes n'eurent qu'un mari à la fois. Cette pratique d'un-seul-homme-à-la-fois fut le premier pas pour s'écarter de la promiscuité de la horde. Bien qu'une femme n'eût droit qu'à un seul homme, son mari pouvait rompre à volonté cette relation temporaire, mais ces associations vaguement réglementées constituèrent la première étape vers la vie du couple, en contraste avec la vie de la horde. Au cours de ce stade de développement du mariage, les enfants appartenaient généralement à leur mère.
L'étape suivante de l'évolution de l'appariement fut le mariage collectif. Il fallait que cette phase du mariage intervînt dans le développement de la vie de famille, parce que les moeurs du mariage n'étaient pas encore assez puissantes pour rendre permanentes les associations de couples. Les mariages de frères et de soeurs appartiennent à ce groupe; par exemple, cinq frères d'une famille épousaient cinq soeurs d'une autre. Dans le monde entier, les vagues formes du mariage communautaire se transformèrent graduellement en divers types de mariages collectifs. Ces associations de groupes étaient largement régies par les moeurs totémiques. La vie de famille se développa lentement et sûrement parce que la réglementation relative aux sexes et au mariage favorisait la survie de la tribu elle-même en assurant la survivance d'un plus grand nombre d'enfants.
Les mariages collectifs cédèrent graduellement le pas aux pratiques émergentes de polygamie -- de polygynie et de polyandrie -- parmi les tribus les plus évoluées. La polyandrie ne fut jamais très répandue. Elle se limitait ordinairement aux reines et aux femmes riches; en outre, elle était généralement une affaire de famille, une femme pour plusieurs frères. Les restrictions de caste et d'économie obligèrent parfois plusieurs hommes à se contenter d'une seule femme. Même alors, la femme n'en épousait qu'un; les autres étaient vaguement tolérés comme « oncles » de la progéniture commune.
La coutume juive voulait qu'un homme épouse la veuve de son frère décédé en vue de « susciter une semence pour son frère » (1) ; elle était pratiquée dans plus de la moitié du monde de l'antiquité. C'était une survivance du temps où le mariage était une affaire de famille plutôt qu'une association individuelle.
(1) Deutéronome XXV-5; Matthieu XXII-24; Marc XII-19.
L'institution de la polygynie reconnut, à diverses époques, quatre sortes de femmes:
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1. Les femmes rituelles ou légales. |
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2. Les femmes aimées et permises. |
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3. Les concubines contractuelles. |
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4. Les femmes esclaves. |
La véritable polygynie, où toutes les femmes ont le même statut et où les enfants sont égaux, a été fort rare. Habituellement, et même dans le cas des mariages pluraux, le foyer était dominé par la femme principale, la compagne statutaire. Elle seule avait été mariée selon une cérémonie rituelle, et seuls les enfants de cette épouse achetée ou dotée pouvaient hériter, à moins d'un accord spécial avec elle.
La femme statutaire n'était pas nécessairement la femme aimée; dans les temps primitifs, elle ne l'était généralement pas. La femme aimée, ou amoureuse, ne fit pas son apparition avant que les races eussent considérablement évolué, plus spécialement après le mélange des tribus évolutionnaires avec les Nodites et les Adamites.
La femme tabou -- l'unique femme ayant statut légal -- créa les moeurs de concubinage sous lesquelles un homme ne pouvait avoir qu'une seule épouse, mais pouvait entretenir des relations sexuelles avec n'importe quel nombre de concubines. Le concubinage fut le tremplin de la monogamie, le premier pas s'écartant de la franche polygamie. Les concubines des Juifs, des Romains, et des Chinois étaient très fréquemment les servantes de la femme. Plus tard, comme chez les Juifs, la femme légale fut considérée comme la mère de tous les enfants engendrés par le mari.
Les anciens tabous interdisant les rapports sexuels avec une femme enceinte ou allaitant tendirent beaucoup à encourager la polygynie. Les femmes primitives vieillissaient de très bonne heure à cause de leurs fréquentes grossesses doublées d'un dur travail. (Ces femmes surmenées ne réussissaient à se maintenir en vie que grâce au fait qu'on les isolait une semaine par mois quand elles n'étaient pas enceintes.) Ces épouses se lassaient fréquemment de mettre des enfants au monde et demandaient à leur mari de prendre une seconde femme plus jeune, capable de participer à la conception des enfants et aux travaux ménagers. Les nouvelles femmes étaient donc généralement accueillies avec joie par les anciennes épouses; il n'existait rien qui ressemblait à la jalousie sexuelle.
Le nombre des femmes n'était limité que par l'aptitude de l'homme à les entretenir. Les hommes riches et capables voulaient un grand nombre d'enfants, car la mortalité infantile était très élevée; il fallait donc un harem de femmes pour recruter une grande famille. Beaucoup de ces femmes plurales étaient de simples ouvrières, des femmes esclaves.
Les coutumes humaines évoluent, mais très lentement. Le but du harem était de bâtir un groupe vigoureux et nombreux de personnes de même sang pour étayer le trône. Un certain chef fut jadis convaincu qu'il ne devait plus avoir de harem et se contenter d'une seule femme; il renvoya donc promptement les femmes de son harem, qui retournèrent mécontentes dans leurs foyers; les familles offensées se précipitèrent en colère sur le chef et l'écharpèrent séance tenante.
6. -- LA VÉRITABLE MONOGAMIE -- LE MARIAGE D'UN COUPLE
Monogamie égal monopole. La monogamie est bonne pour ceux qui atteignent cet état désirable, mais elle tend à imposer une privation biologique à ceux qui ne sont pas aussi fortunés. Tout à fait indépendamment de son effet sur l'individu, la monogamie est incontestablement la meilleure formule pour le bonheur des enfants.
La monogamie la plus primitive résulta de la force des circonstances, de la pauvreté. La monogamie est culturelle et sociale, artificielle et contre nature, c'est-à-dire contraire à la nature de l'homme évolutionnaire. Elle était entièrement naturelle chez les Nodites et les Adamites les plus purs et a été d'une grande valeur culturelle pour toutes les races évoluées.
Les tribus chaldéennes reconnaissaient à une femme le droit d'imposer à son mari un engagement prénuptial de ne prendre ni une seconde femme ni une concubine. Les Grecs et les Romains favorisèrent les mariages monogames. La monogamie a toujours été encouragée par le culte des ancêtres, ainsi que par l'erreur chrétienne consistant à considérer le mariage comme un sacrement. Même l'élévation du niveau de vie a constamment milité contre la pluralité des femmes. À l'époque de la venue de Micaël sur Urantia, le monde civilisé avait pratiquement atteint le niveau de la monogamie théorique; mais cette monogamie passive ne signifiait pas que l'humanité se fût habituée à la pratique des vrais mariages monogames.
Tout en poursuivant le but monogamique du mariage idéal des couples, qui après tout se rapproche d'une association sexuelle monopolisatrice, la société ne doit pas négliger la situation peu enviable des personnes qui ne réussissent pas à trouver une place dans ce nouvel ordre social amélioré, même si elles ont fait de leur mieux pour coopérer avec ses exigences et s'y conformer. Le fait de ne pas réussir à trouver un conjoint dans le cadre social de la concurrence peut tenir à des difficultés insurmontables ou aux multiples restrictions imposées par les moeurs courantes. Il est vrai que la monogamie est idéale pour ceux qui en jouissent, mais elle impose inévitablement de grandes privations à ceux qui sont laissés en dehors dans le froid de l'existence solitaire.
Il a toujours fallu qu'une minorité malheureuse souffre pour que la majorité puisse progresser sous l'empire des moeurs en amélioration de la société évoluante; mais la majorité favorisée devrait toujours regarder avec bonté et considération les compagnons moins heureux qui doivent payer le prix, ceux qui n'ont pas réussi à devenir membres de ces associations sexuelles idéales satisfaisant tous les besoins biologiques sous la sanction des moeurs les plus élevées de l'évolution sociale en progrès.
La monogamie a toujours été le but idéaliste de l'évolution sexuelle humaine; elle l'est encore et le sera toujours. Cet idéal du véritable mariage d'un couple implique l'abnégation, et c'est pourquoi le mariage échoue si souvent simplement parce que l'une des deux parties contractantes, ou les deux, sont déficientes dans la plus grande des vertus humaines, l'austère maîtrise de soi.
La monogamie est l'étalon qui mesure le progrès de la civilisation sociale, distinguée de l'évolution purement biologique. La monogamie n'est pas nécessairement biologique ou naturelle, mais elle est indispensable au maintien immédiat et au développement ultérieur de la civilisation sociale. Elle concourt à une délicatesse de sentiments, à un raffinement du caractère moral, et à une croissance spirituelle qui sont absolument impossibles en polygamie. Une femme ne peut jamais devenir une mère idéale quand elle est constamment obligée d'entrer en rivalité pour garder l'affection de son mari.
Le mariage d'un couple favorise et encourage la compréhension intime et la coopération efficace qui sont les meilleures pour le bonheur des parents, le bien-être des enfants, et l'utilité sociale. Le mariage, qui a commencé par une grossière contrainte, évolue graduellement en une magnifique institution de culture de soi, de maîtrise de soi, d'expression de soi, et de perpétuation de soi.
7. -- LA DISSOLUTION DU LIEN CONJUGAL
Dans l'évolution primitive des moeurs matrimoniales, le mariage était une vague union qui pouvait prendre fin à volonté, et les enfants suivaient toujours la mère; le lien entre mère et enfant est instinctif, et il a fonctionné sans souci du stade de développement des moeurs.
Chez les peuples primitifs, la moitié seulement des mariages se révélait satisfaisante. La cause la plus fréquente de séparation était la stérilité, dont on rejetait toujours la faute sur la femme; on croyait que les femmes sans enfants devenaient des serpents dans le monde des esprits. Sous les moeurs plus primitives, seul l'homme avait la faculté d'obtenir le divorce, et cette mesure a persisté jusqu'au XXe siècle chez quelques peuples.
Avec l'évolution des moeurs, certaines tribus établirent deux formes de mariage: la forme courante qui permettait le divorce, et le mariage sacerdotal qui interdisait la séparation. L'inauguration de l'achat des femmes et de la dot des femmes contribua beaucoup à réduire les séparations en introduisant des dommages-intérêts en biens matériels pour l'échec du mariage. En vérité, bien des unions modernes sont stabilisées par cet ancien facteur de la propriété.
La pression sociale du statut dans la communauté et des privilèges de propriété a toujours été puissante pour maintenir les tabous et les moeurs du mariage. Au long des âges, le mariage a fait de constants progrès et se trouve à l'avant-garde dans le monde moderne, bien qu'il soit attaqué de façon menaçante par un mécontentement très répandu chez les peuples où le choix individuel -- qui est une nouvelle liberté -- joue un très grand rôle. Ces bouleversements d'adaptation apparaissent chez les races les plus progressives par suite de l'accélération soudaine de l'évolution sociale, mais chez les peuples moins avancés le mariage continue à prospérer et à s'améliorer lentement sous la gouverne des anciennes moeurs.
La substitution nouvelle et subite du mobile d'amour plus idéal, mais extrêmement individualiste, remplaçant l'ancien motif de la propriété établi depuis longtemps, a provoqué inévitablement une instabilité temporaire dans l'institution du mariage. Les mobiles de l'homme pour se marier ont toujours transcendé de loin la morale matrimoniale effective. En Occident, au XIX et au XXe siècle, l'idéal du mariage a soudain dépassé de beaucoup les impulsions sexuelles égocentriques et seulement partiellement contrôlées des races. La présence dans une société d'un grand nombre de personnes non mariées dénote un recul temporaire ou une transition des moeurs.
Tout au long des âges, la vraie pierre de touche du mariage a été l'intimité continuelle inéluctable dans toute vie de famille. Deux jeunes gens dorlotés et gâtés, élevés en comptant sur toutes les indulgences et sur la pleine satisfaction de leur ego et de leur vanité, ne peuvent guère espérer une grande réussite dans le mariage et l'édification d'un foyer -- une association pour toute une vie d'abnégation, de compromis, de dévouement, et de consécration généreuse à la culture des enfants.
Le haut degré d'imagination et le romanesque fantastique déployés pour se faire la cour sont largement responsables de l'accroissement de la tendance au divorce chez les peuples occidentaux modernes; le tableau est encore compliqué par la plus grande liberté des femmes et leur indépendance économique accrue. Le divorce facile, quand il résulte d'un manque de maîtrise de soi ou du défaut d'adaptation normale de la personnalité, ramène tout droit aux anciens stades grossiers de la société, d'où les hommes ont émergé si récemment à la suite de tant d'angoisses personnelles et de souffrances raciales.
Tant que la société ne réussira pas à élever convenablement les enfants et les jeunes gens, tant qu'elle ne procurera pas une éducation prénuptiale appropriée, et tant que l'idéalisme d'une jeunesse dépourvue de sagesse et de maturité sera l'arbitre de l'entrée dans le mariage, le divorce continuera à prévaloir. Dans la mesure où le groupe social ne parvient pas à préparer les jeunes au mariage, il faut que le divorce fonctionne comme soupape de sécurité pour empêcher des situations encore pires au cours des âges de développement rapide des moeurs en évolution.
Les anciens paraissent avoir considéré le mariage avec presque autant de sérieux que certains peuples d'aujourd'hui. Il ne semble pas que beaucoup de mariages hâtifs et malheureux des temps modernes représentent une amélioration par rapport aux pratiques anciennes qualifiant les jeunes gens et les jeunes filles pour s'unir. Le grand illogisme de la société moderne consiste à exalter l'amour et à idéaliser le mariage tout en désapprouvant l'analyse approfondie de l'amour et du mariage.
8. -- L'IDÉALISATION DU MARIAGE
Le mariage qui s'épanouit en un foyer est en vérité la plus sublime institution, mais il est essentiellement humain; on n'aurait jamais dû le qualifier de sacrement. Les prêtres séthites firent du mariage un rituel religieux, mais, pendant des milliers d'années après Éden, le mariage s'était perpétué comme une institution purement sociale et civile.
L'assimilation d'associations humaines à des associations divines est fort malheureuse. L'union du mari et de la femme dans la relation du mariage et du foyer est une fonction matérielle des mortels des mondes évolutionnaires. Il est vrai que bien des progrès spirituels peuvent intervenir comme conséquence des sincères efforts humains d'un homme et d'une femme pour évoluer, mais cela ne signifie pas que le mariage soit nécessairement sacré. Le progrès spirituel accompagne aussi ceux qui orientent sincèrement leurs préoccupations humaines dans d'autres directions.
Le mariage ne peut pas non plus être vraiment comparé aux relations de l'Ajusteur avec un homme, ni à la fraternité du Christ Micaël avec ses frères humains. Ces rapports n'ont presque aucun point commun comparable à l'association d'un mari et d'une femme. Il est fort malheureux que la conception humaine erronée de ces relations ait provoqué tant de confusion sur le statut du mariage.
Il est également fâcheux que certains groupes de mortels aient imaginé que le mariage était consommé par un acte divin. Ces croyances conduisent directement au concept de l'indissolubilité du lien conjugal sans souci des circonstances ou des désirs des parties contractantes. Le fait même qu'un mariage puisse être dissous montre que la Déité n'est pas partie conjointe à cette union. Si Dieu a une fois réuni deux choses ou deux personnes, elles resteront ainsi jointes jusqu'au moment où la volonté divine décrétera leur séparation. En ce qui concerne le mariage, qui est une institution humaine, qui donc prétendra émettre un jugement pour distinguer les unions susceptibles d'être approuvées par les superviseurs de l'univers d'avec celles dont la nature et l'origine sont purement humaines?
Néanmoins, il existe un idéal du mariage dans les sphères supérieures. Sur la capitale de chaque système local, les Fils et les Filles Matériels de Dieu dépeignent la hauteur des idéaux de l'union d'un homme et d'une femme dans les liens du mariage quand ils ont le dessein de procréer et d'élever une descendance. Après tout, le mariage idéal des mortels est humainement sacré.
Le mariage a toujours été et reste encore le rêve humain suprême de l'idéal matériel. Bien que ce beau rêve soit rarement réalisé intégralement, il persiste comme un glorieux idéal, entraînant toujours l'humanité progressante vers de plus grands efforts pour le bonheur des hommes. Mais il faudrait enseigner une partie des réalités du mariage aux jeunes hommes et aux jeunes filles avant qu'ils ne soient plongés dans les exigences astreignantes des associations de la vie de famille; l'idéalisation des jeunes devrait être tempérée par un certain degré de dégrisement prénuptial.
Il ne faudrait pas toutefois décourager l'idéalisation juvénile du mariage; ces rêves sont l'évocation du but futur de la vie de famille. Cette attitude est à la fois stimulante et utile, pourvu qu'elle ne vous rende pas insensible à la compréhension des nécessités pratiques et ordinaires du mariage et de la vie de famille qui s'ensuit.
Les idéaux du mariage ont récemment fait de grands progrès; chez certains peuples, les femmes jouissent de droits pratiquement égaux à ceux de leur conjoint. Au moins en concept, la vie de famille devient une association loyale pour élever des enfants, avec accompagnement de fidélité sexuelle. Toutefois, même cette version plus nouvelle du mariage ne doit pas prétendre aller à l'extrême au point de conférer un monopole mutuel de toute la personnalité et de toute l'individualité. Le mariage n'est pas simplement un idéal individualiste, il est l'association sociale évoluante d'un homme et d'une femme, existant et fonctionnant sous l'empire des moeurs courantes, limitée par les tabous, et appuyée par les lois et règles de la société.
Les mariages du XXe siècle sont à un niveau élevé comparativement à ceux des âges passés, bien que l'institution du foyer soit actuellement mise à rude épreuve. Elle doit faire face aux problèmes si soudainement imposés à l'organisation sociale par l'accroissement précipité des libertés de la femme, par l'octroi des droits qui lui ont été si longtemps refusés au cours de la lente évolution des moeurs dans les générations passées.
[Présenté par le Chef des Séraphins stationnés sur Urantia.]



