4. LA VIE ET LES ENSEIGNEMENTS DE JÉSUS
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L'ORDINATION DES 70 À MAGADAM
QUELQUES jours après que Jésus et les douze furent revenus de Jérusalem à Magadan, Abner et un groupe d'une cinquantaine de disciples arrivèrent de Bethléhem. A ce moment se trouvaient également réunis au Camp de Magadan le corps des évangélistes, le corps évangélique féminin, et environ cent cinquante autres disciples sincères et éprouvés de toutes les régions de la Palestine. Après avoir consacré quelques jours à visiter et à réorganiser le camp, Jésus et les douze inaugurèrent une session d'éducation intensive pour ce groupe spécial de croyants. C'est dans cette masse de disciples instruits et expérimentés que le Maître choisit finalement soixante-dix éducateurs et les envoya proclamer l'évangile du royaume. Leur instruction régulière commença le vendredi à novembre de l'an 29 et se poursuivit jusqu'au sabbat du 19 novembre.
Jésus faisait tous les matins une allocution à cette compagnie. Pierre enseignait les méthodes de prédication en public. Nathanael exposait l'art d'enseigner. Thomas expliquait la manière de répondre aux questions, et Matthieu dirigeait l'organisation des finances collectives. Les autres apôtres participèrent aussi à cette opération selon leur expérience spéciale et leurs talents naturels.
1. -- L'ORDINATION DES SOIXANTE-DIX
Les soixante-dix furent ordonnés par Jésus au camp de Magadan le 19 novembre, jour de sabbat. Abner fut nommé chef de ces éducateurs et prédicateurs de l'évangile. Le corps des soixante-dix était constitué par Abner avec dix anciens apôtres de Jean, par cinquante-et-un des premiers évangélistes, et par huit autres disciples qui s'étaient distingués au service du royaume.
A deux heures de l'après-midi, entre des averses, un groupe de plus de quatre cents croyants, accru par l'arrivée de David et de la majorité de ses messagers, se rassembla sur la rive du lac de Galilée pour assister à l'ordination des soixante-dix.
Avant d'imposer les mains sur les têtes des soixante-dix pour les désigner comme messagers du royaume, Jésus leur adressa te discours suivant: «En vérité, la moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux; je vous exhorte donc tous à prier pour que le Seigneur de la moisson envoie encore d'autres ouvriers pour moissonner. Je vais vous établir à part comme messagers du royaume et vous envoyer aux Juifs et aux Gentils comme des agneaux parmi les loups. En allant deux par deux sur votre route, n'emportez ni bourse ni vêtements de rechange, car cette première mission sera de courte durée. En chemin, ne faites de salamalecs à personne; ne vous occupez que de votre travail. Si vous vous arrêtez dans un foyer, commencez par dire: « Que la paix soit sur cette maisonnée ». Si les habitants de cette maison aiment la paix, vous y demeurerez; sinon, vous en partirez. Quand vous aurez choisi un foyer, restez-y pendant tout votre séjour dans cette ville, mangeant et buvant ce que l'on vous offrira. Vous ferez cela parce que l'ouvrier mérite sa subsistance. Ne vous déplacez pas de maison en maison pour accepter un meilleur logement. Souvenez-vous qu'en allant proclamer la paix sur terre et la bonne volonté parmi les hommes, il vous faudra lutter contre des ennemis acharnés qui se trompent eux-mêmes. Soyez donc prudents comme des serpents et restez inoffensifs comme des colombes.
« Partout où vous irez, prêchez en disant: « Le royaume des cieux est à portée de la main », et soignez tous les malades physiques et mentaux. Vous avez reçu sans compter les bonnes choses du royaume; donnez-les sans compter. Si les habitants d'une ville vous accueillent, ils trouveront une large entrée dans le royaume du Père. Mais si les gens d'une ville refusent de recevoir l'évangile, vous proclamerez néanmoins votre message en quittant cette communauté incroyante; à ceux qui repousseront votre enseignement, vous direz en partant: « Bien que vous repoussiez la vérité, il n'en reste pas moins que le royaume de Dieu s'est approché de vous ». Quiconque vous entend m'entend aussi, et quiconque m'entend entend Celui qui m'a envoyé. Quiconque rejette votre message évangélique me rejette, et quiconque me rejette aussi Celui qui m'a envoyé » (1).
(1) Cf. Matthieu X-40 et Luc X-16.
Après que Jésus leur eut ainsi parlé, les soixante-dix s'agenouillèrent en cercle autour de lui, et il imposa les mains sur la tête de chacun d'eux en commençant par Abner.
Le lendemain matin de bonne heure, Abner envoya les soixante-dix évangélistes deux par deux vers toutes les villes de Galilée, de Samarie, et de Judée. Les trente-cinq groupes allèrent prêcher et enseigner pendant six semaines; ils revinrent tous le vendredi 30 décembre au nouveau camp de Pella, en Pérée.
2. -- LE JEUNE HOMME RICHE ET DIVERS AUTRES CAS
Plus de cinquante disciples qui désiraient l'ordination et l'admission parmi les soixante-dix furent éliminés par le comité que Jésus avait nommé pour sélectionner les candidats. Ce comité était composé d'André, d'Abner, et du chef adjoint du corps évangélique. Dans tous les cas où le comité des trois n'était pas unanime, le candidat était amené devant Jésus. Le Maître ne rejeta aucun homme profondément désireux de recevoir l'ordination de messager du royaume, mais après s'être entretenus avec Jésus, plus d'une douzaine de postulants ne désirèrent plus devenir instructeurs.
Un disciple sincère vint trouver Jésus en disant: « Maître, je voudrais être l'un de tes nouveaux apôtres, mais mon père est très âgé et sa fin est proche; me permettrais-tu de rentrer chez moi pour l'enterrer? » Jésus répondit à cet homme: « Mon fils, les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l'Homme n'a nulle part où reposer sa tête. Tu es un disciple fidèle, et tu peux le rester tout en retournant chez toi soigner ceux que tu aimes, mais il n'en est pas de même pour les messagers de mon évangile. Ils ont tout abandonné pour me suivre et proclamer le royaume. Si tu veux être ordonné instructeur, il faut que tu laisses les autres enterrer les morts pendant que tu vas publier la bonne nouvelle ». Et cet homme s'en alla fort déçu.
Un autre disciple vint vers le Maître et dit: « Je désire être ordonné messager, mais je voudrais passer un peu de temps chez moi pour encourager ma famille ». Jésus lui répondit: « Si tu désires l'ordination, il faut que tu acceptes de tout abandonner. Les messagers de l'évangile ne peuvent diviser leur affection. Nul homme ayant mis la main à la charrue n'est digne de devenir un messager du royaume s'il revient en arrière».
André amena ensuite à Jésus un jeune homme riche nommé Matadormus, qui était un croyant dévoué et désirait recevoir l'ordination. Ce jeune homme était membre du sanhédrin de Jérusalem. Il avait entendu Jésus enseigner, puis avait été instruit dans l'évangile du royaume par Pierre et les autres apôtres. Jésus s'entretint avec Matadormus des exigences de l'ordination et lui demanda de différer sa décision jusqu'à plus ample réflexion sur la question. Le lendemain matin de bonne heure, tandis que Jésus partait faire un tour, le jeune homme l'aborda en disant: « Maître, je voudrais connaître de toi les assurances de la vie éternelle. Vu que j'ai observé tous les commandements depuis ma jeunesse, je voudrais savoir ce qu'il faut faire de plus pour avoir la vie éternelle ». En réponse à cette question, Jésus dit: « Si tu gardes tous les commandements -- tu ne commettras pas adultère, tu ne tueras point, tu ne déroberas pas, tu ne porteras pas de faux témoignage, tu ne feras point de tort, tu honoreras tes parents -- tu agis bien, mais le salut récompense la foi, et non simplement les oeuvres. Crois-tu à l'évangile du royaume? » Matadormus répondit: « Oui, Maître, je crois tout ce que toi et tes apôtres vous m'avez enseigné ». Jésus dit: « Alors tu es en vérité mon disciple et un enfant du royaume ».
Ensuite le jeune homme dit: « Maître, il ne me suffit pas d'être ton disciple; je voudrais être un de tes nouveaux messagers ». Lorsque Jésus entendit cela, il le regarda avec un grand amour et dit: « Je t'accepterai comme l'un de mes messagers si tu veux payer le prix et fournir la seule chose qui te manque ». Matadormus répondit: « Maître, je ferai n'importe quoi pour avoir la permission de te suivre ». Jésus embrassa sur le front le jeune homme agenouillé et lui dit: « Si tu veux être mon messager, va vendre tout ce que tu possèdes; lorsque tu en auras donné le montant aux pauvres ou à tes compagnons, reviens et suis moi, et tu auras un trésor dans le royaume des cieux » (1).
(1) Cf. Matthieu XIX-21.
À l'audition de ces paroles, Matadormus perdit contenance. Il se leva et s'en alla tristement, car il possédait de grands biens. Ce jeune pharisien riche avait été élevé dans la croyance que la fortune était le signe de la faveur de Dieu. Jésus savait que Matadormus n'était pas libéré de l'amour de lui-même et de ses richesses. Les disciples de Jésus ne se dépouillaient pas de tous leurs biens terrestres, mais les apôtres et les soixante-dix le faisaient. Matadormus désirait être l'un des soixante-dix, et c'est pourquoi Jésus lui demanda de renoncer à toutes ses possessions matérielles.
Presque tout être humain a une chose à laquelle il s'attache comme à un mal familier, et à laquelle il lui faut renoncer comme partie du prix d'admission au royaume des cieux. Si Matadormus s'était séparé de sa fortune, elle lui aurait probablement été aussitôt restituée pour qu'il la gère comme trésorier des soixante-dix. Ultérieurement en effet, lors de l'établissement de l'Eglise à Jérusalem, Matadormus obéit à l'injonction du Maître, bien qu'il fût alors trop tard pour bénéficier de l'admission parmi les soixante-dix. Il devint trésorier de l'Eglise de Jérusalem, dont le chef était Jacques, frère de Jésus par le sang.
Il en a toujours été ainsi et il en sera toujours ainsi: il faut que les hommes prennent leurs propres décisions. Ils peuvent exercer librement leur choix dans un domaine d'une certaine étendue. Les force du monde spirituel ne cherchent pas à contraindre les hommes; elles leur permettent de suivre la voie qu'ils ont eux-mêmes choisie.
Jésus prévoyait que Matadormus, avec sa fortune, ne pourrait être ordonné comme associé d'hommes qui avaient renoncé à tout pour l'évangile. En même temps, il voyait que, si Matadormus se dépouillait de sa fortune, il deviendrait le chef des soixante-dix. Mais, de même que les frères de sang de Jésus, Matadormus ne devint jamais grand dans le royaume parce qu'il s'était privé lui-même de l'association intime et personnelle avec le Maître; il aurait pu en faire l'expérience s'il avait voulu exécuter sur le champ l'acte que Jésus lui demandait, acte qu'il accomplit d'ailleurs quelques années plus tard.
Les richesses n'ont pas de rapports directs avec l'entrée dans le royaume des cieux, mais l'amour des richesses en a. L'allégeance spirituelle envers le royaume est incompatible avec la servilité envers le mammon matérialiste. Les hommes ne peuvent partager avec une dévotion matérielle leur fidélité suprême à un idéal spirituel.
Jésus n'enseigna jamais qu'il fût mauvais d'avoir de la fortune. Il demanda seulement aux douze et aux soixante-dix de consacrer toutes leurs possessions terrestres à la cause commune. Même alors, il veilla à ce que leurs biens fussent liquidés avantageusement, comme ce fut le cas pour l'apôtre Matthieu. Jésus donna maintes fois des conseils à ses disciples fortunés comme il en avait donné au riche citoyen de Rome. Le Maître considérait le sage investissement des excédents de revenus comme une forme légitime d'assurance contre l'inévitable adversité future. Quand la trésorerie apostolique était bien fournie, Judas mettait des fonds en dépôt pour les employer ultérieurement si les apôtres devaient grandement souffrir d'une diminution de leurs revenus. Judas opérait ainsi après consultation avec André. Jamais Jésus ne s'occupait des finances apostoliques, sauf pour le déboursement des aumônes. Toutefois, il y avait un abus économique qu'il condamna à maintes reprises: c'était l'exploitation injuste des faibles, des ignorants, et des moins fortunés par leurs semblables plus intelligents. Jésus déclara que ce traitement inhumain des hommes, des femmes, et des enfants était incompatible avec les idéaux de fraternité du royaume des cieux.
3. -- LA DISCUSSION SUR LA RICHESSE
Au moment où Jésus terminait son entretien avec Matadormus, Pierre et quelques apôtres s'étaient réunis autour de lui. Tandis que le jeune homme riche s'en allait, Jésus se tourna vers les apôtres et leur dit: « Vous voyez combien il est difficile pour les riches d'entrer totalement dans le royaume de Dieu! On ne peut partager l'adoration spirituelle avec les dévotions matérielles. Nul ne peut servir deux maîtres. Selon l'un de vos dictons, « il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille que pour les païens d'hériter la vie éternelle ». Je déclare qu'il est tout aussi difficile au chameau de passer par le trou de l'aiguille qu'aux riches, satisfaits d'eux-mêmes, d'entrer dans le royaume des cieux » (1).
(1) Matthieu XIX-24 ; Marc X-25 ; Luc XVIII-25.
Lorsque Pierre et les apôtres entendirent ces paroles, ils furent extrêmement étonnés, au point que Pierre dit: « Alors, Seigneur, qui pourra être sauvé? Tous ceux qui où des richesses seront-ils tenus à l'écart du royaume? » Jésus répondit: « Non, Pierre, mais tous ceux qui mettent leur confiance dans les richesses ont peu de chances d'entrer dans la vie spirituelle conduisant au progrès éternel. Même dans ce cas, ce qui est impossible aux hommes n'est pas hors de la portée de Dieu; nous devrions plutôt reconnaître qu'avec Dieu toutes choses sont possibles ».
Tandis qu'ils s'en allaient, Jésus fut attristé de ce que Matadormus ne soit pas resté avec eux, car il l'aimait beaucoup. Ils se dirigèrent vers le lac, s'assirent au bord de l'eau, et Pierre, parlant au nom des douze (alors tous réunis) dit: « Maître, nous sommes troublés par ton discours au jeune homme riche. Faut-il demander à tous ceux qui voudraient nous suivre de renoncer à leurs biens terrestres? » Jésus répondi: « Non, Pierre, mais seulement à ceux qui veulent devenir apôtres et vivre avec moi comme vous, en formant une seule famille. Le Père exige que l'affection de ses enfants soit pure et indivise. Il faut abandonner toutes les choses ou personnes qui s'interposent entre vous et l'amour des vérités du royaume. Si la fortune des gens n'envahit pas le domaine de leur âme, elle ne gêne pas la vie spirituelle de ceux qui voudraient entrer dans le royaume ».
Pierre dit ensuite: « Mais, Maître, nous avons tout quitté pour te suivre; alors que posséderons-nous? » Jésus s'adressa à l'ensemble des douze et dit: « En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque aura renoncé à sa fortune, à son foyer, à sa femme, à ses frères, à ses parents, ou à ses enfants, par amour pour moi et pour le royaume des cieux, recevra maintes fois davantage dans ce monde, peut-être au prix de quelques persécutions; et dans le monde à venir, il recevra la vie éternelle. Beaucoup de ceux qui sont les premiers seront les derniers, tandis que les derniers seront souvent les premiers. Le Père traite ses créatures selon leurs besoins et conformément à ses justes lois de considération aimante et miséricordieuse pour le bonheur d'un univers.
« Le royaume des cieux ressemble à un propriétaire, employant beaucoup de main d'oeuvre, qui alla le matin de bonne heure embaucher des ouvriers pour travailler dans son vignoble. Il convint avec eux de les payer un denier par jour et les envoya au travail. Il sortit encore à neuf heures et, voyant d'autres désoeuvrés sur la place du marché, il leur dit: « Allez aussi travailler dans mon vignoble; je vous payerai ce qui est juste ». Et ils se mirent aussitôt au travail. Le propriétaire sortit de nouveau à midi, puis à trois heures, et agit encore de même. Retournant une nouvelle fois à cinq heures de l'après-midi sur la place du marché, il trouva encore d'autres oisifs et leur demanda: « Pourquoi restez-vous ici toute la journée à ne rien faire? » Les hommes répondirent: « Parce que personne ne nous a embauchés ». Le propriétaire leur dit: « Allez aussi travailler dans mon vignoble; je vous payerai ce qui est juste ».
« A la tombée de la nuit, le propriétaire du vignoble dit à son intendant: « Appelle les ouvriers et paye leur leurs gages, en commençant par les derniers embauchés et en finissant par les premiers ». Quand arrivèrent ceux qui avaient été embauchés à cinq heures de l'après-midi, ils reçurent chacun un denier, et tous les autres reçurent le même salaire. Quand les hommes embauchés au début de la journée virent le prix pays aux attardés, ils s'attendirent à recevoir plus que le salaire convenu. Mais chacun ne reçut qu'un denier, comme les autres. Après avoir tous été payés, ils se plaignirent au propriétaire en disant: « Les hommes embauchés tardivement n'ont travaillé qu'une heure, et cependant tu leur as donné le même salaire qu'à nous, qui avons peiné toute la journée sous le soleil brûlant ».
« Le propriétaire répondit: « Mes amis, je ne vous porte pas préjudice. Chacun de vous n'a-t-il pas accepté de travailler pour un denier par jour? Prenez maintenant ce qui vous revient et allez votre chemin, car je désire donner aux derniers venus la même somme qu'à vous. N'ai-je pas le droit de disposer comme il me plaît de ce qui m'appartient? Ou bien me reprochez-vous ma générosité parce que je cherche à faire montre de bonté et de miséricorde? (2) »
(2) Matthieu XX-1 à 16.
4. -- LES ADIEUX AUX SOIXANTE-DIX
Le jour où les soixante-dix partirent pour leur première mission fut un moment émouvant au camp de Magadan. Le matin de bonne heure, dans son dernier entretien avec les soixante-dix, le Maître insista sur les points suivants:
1. L'évangile du royaume doit être proclamé dans le monde entier, aux Gentils comme aux Juifs.
2. En soignant les malades, abstenez-vous de leur laisser espérer des miracles.
3. Proclamez une confraternité spirituelle des fils de Dieu, et non un royaume extérieur de puissance mondiale et de gloire matérielle.
4. Évitez de perdre du temps par un excès de visites mondaines et d'autres banalités; elles pourraient vous empêcher de vous consacrer de tout coeur à la prédication de l'évangile.
5. Si la première maison que vous aurez choisie comme quartier général dans une ville se révèle un foyer méritant, demeurez-y durant tout votre séjour dans cette ville.
6. Expliquez à tous les croyants fidèles que l'heure est maintenant venue de rompre ouvertement avec les chefs religieux des Juifs à Jérusalem.
7. Enseignez que la totalité du devoir des hommes est résumée dans cet unique commandement: Aime le Seigneur ton Dieu de toute ta pensée et de toute ton âme, et aime ton prochain comme toi-même. (Les soixante-dix devaient enseigner cela comme représentant la totalité du devoir des hommes en replacement des 613 règles de vie préconisées par les pharisiens.)
Après que Jésus eut ainsi parlé aux soixante-dix en présence de tous les apôtres et disciples, Pierre les prit à part et leur prêcha leur sermon d'ordination. Ce fut une analyse détaillée des recommandations faites par le Maître au moment où il leur avait imposé les mains et les avait sélectionnés comme messagers du royaume. Pierre exhorta les soixante-dix à chérir, dans leur expérience, les vertus suivantes:
1. La dévotion consacrée. Prier toujours pour qu'un plus grand nombre d'ouvriers soient envoyés à la moisson de l'évangile. Il expliqua qu'en priant ainsi chacun tendrait davantage à dire: « Me voici; envoie moi». Il leur recommanda de ne pas négliger leur culte quotidien.
2. Le vrai courage. Pierre les prévint qu'ils rencontreraient de l'hostilité et seraient certainement persécutés. Il leur dit que leur mission n'était pas une entreprise de lâches, et recommanda aux craintifs de renoncer à partir. Mais aucun des soixante-dix ne recula.
3. La foi et la confiance. Les soixante-dix devaient partir pour cette courte mission les mains complètement vides. Ils devaient faire confiance au Père pour leur nourriture, leur logement, et tous leurs autres besoins.
4. Le zèle et l'initiative. Ils devaient être remplis de zèle et d'un enthousiasme intelligent; ils devaient s'occuper strictement des affaires de leur Maître. Le salamalec oriental était une cérémonie longue et minutieuse; c'est pourquoi Jésus leur avait recommandé de « ne saluer personne en chemin ». C'était une expression courante pour exhorter quelqu'un à vaquer à ses affaires sans perdre de temps. Elle n'avait rien de commun avec la question des salutations amicales.
5. L'amabilité et la courtoisie. Le Maître leur avait ordonné d'éviter d'inutiles pertes de temps en cérémonies sociales, mais recommanda la courtoisie envers toutes les personnes rencontrées. Ils devaient être extrêmement aimables envers les hôtes qui les entretiendraient à leur foyer. Ils furent strictement mis en garde contre la tendance à quitter un foyer modeste pour être entretenus dans un foyer plus confortable ou plus influent.
6. Les soins aux malades. Pierre donna pour instruction aux soixante-dix de rechercher les malades mentaux et physiques, et de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour alléger ou guérir leurs maux.
Après avoir ainsi reçu leurs ordres et leurs instructions, ils partirent deux par deux pour leur mission en Galilée, en Samarie, et en Judée.
Les Juifs avaient une estime particulière pour le nombre 70 et considéraient parfois les nations du monde païen comme étant au nombre de 70. Bien que les 70 messagers eussent mission de porter l'évangile à tous les peuples, ce fut, autant que nous puissions nous en rendre compte, une simple coïncidence que leur groupe comportait exactement 70 membres. Jésus en aurait certainement accepté une demi-douzaine de plus, mais ils ne voulaient pas payer le prix en abandonnant leur fortune et leur famille.
5. -- LE TRANSFERT DU CAMP A PELLA
Jésus et les douze se préparèrent maintenant à établir leur dernier quartier général en Pérée, près de Pella, où le Maître avait été baptisé dans le Jourdain. Les dix derniers jours de novembre se passèrent en conseils à Magadan. Le mardi 6 décembre, toute la compagnie, comprenant près de trois cents personnes, partit au lever du jour avec ses bagages pour loger la nuit suivante près de Pella, au bord du fleuve. Elle s'installa près de la source, à l'endroit même que Jean le Baptiste avait occupé avec son camp plusieurs années auparavant.
Après la levée du camp de Magadan, David Zébédée revint à Bethsaïde et commença aussitôt à réduire le service des messagers. Le royaume entrait dans une nouvelle phase. Des pèlerins arrivaient quotidiennement de toutes les parties de la Palestine et même des régions lointaines de l'empire romain. Des croyants venaient parfois de Mésopotamie et des pays situés à l'orient du Tigre. David avait emmagasiné dans la maison de son père le matériel du camp de Bethsaïde qu'il avait précédemment organisé près du lac. Avec l'aide de son corps de messagers, il chargea cet équipement sur des bêtes de somme et fit pour un temps ses adieux à Bethsaïde. Il descendit le long de la rive du lac et du Jourdain jusqu'à un point situé à un kilomètre au nord du camp apostolique. En moins d'une semaine il fut prêt à offrir l'hospitalité à près de quinze cents pèlerins visiteurs. Le camp apostolique pouvait recevoir environ cinq cents personnes. C'était la saison des pluies en Palestine, et ce dispositif était nécessaire pour héberger le nombre toujours croissant d'enquêteurs, la plupart sérieux, qui venaient en Pérée pour voir Jésus et écouter son enseignement.
David fit tout cela de sa propre initiative, bien qu'il eût pris conseil de Philippe et de Matthieu à Magadan. Il employa la majeure partie de son ancien corps de messagers pour l'aider à diriger ce camp. Le service proprement dit des messagers fut réduit à moins de vingt hommes. Vers la fin de décembre et avant le retour des soixante-dix, près de huit cents visiteurs étaient rassemblés autour de Jésus et trouvaient à se loger au camp de David.
6. -- LE RETOUR DES SOIXANTE-DIX
Le vendredi 30 décembre, tandis que Jésus s'était éloigné dans les montagnes voisines avec Pierre, Jacques, et Jean, les soixante-dix messagers arrivèrent deux par deux au quartier général de Pella, accompagnés par de nombreux croyants. A cinq heures de l'après-midi, lorsque Jésus revint au camp, ils étaient tous réunis à l'endroit où il enseignait. Le repas du soir fut retardé de plus d'une heure, pendant laquelle ces enthousiastes de l'évangile du royaume racontèrent leurs expériences. Les messagers de David avaient rapporté beaucoup de ces nouvelles aux apôtres durant les semaines précédentes, mais il fut vraiment vivifiant d'entendre ces instructeurs de l'évangile, dont l'ordination était récente, raconter comment leur message avait été reçu par les Juifs et les Gentils assoiffés de vérité. Enfin Jésus avait pu voir des hommes allant répandre la bonne nouvelle en dehors de sa présence personnelle. Le Maître savait désormais qu'il pouvait quitter ce monde sans porter un trop grave préjudice aux progrès du royaume.
Quand les soixante-dix racontèrent que « même les démons leur étaient soumis » (1), ils faisaient allusion aux cures merveilleuses qu'ils avaient opérées sur les victimes de désordres nerveux. Néanmoins, ces ministres avaient traité avec succès quelques cas de possession réelle par des esprits. Parlant de ces cas, Jésus dit: « Il n'est pas étonnant que ces esprits mineurs désobéissants vous soient assujettis, car j'ai vu Satan tomber du ciel comme un éclair. Mais ne vous réjouissez pas tant de cela, car je vous déclare que, dès mon retour auprès du Père, nous enverrons notre esprit conjoint dans la pensée même des hommes, de sorte que ces quelques rares démons égarés ne pourront plus pénétrer dans la pensée de mortels infortunés. Je me réjouis avec vous de ce que vous ayez de l'influence sur des hommes, mais ne tirez pas vanité de cette expérience. Réjouissez-vous plutôt d'avoir vos noms inscrits dans les archives du ciel et d'être ainsi certains de progresser dans une carrière sans fin de conquêtes spirituelles ».
(1) Luc X-17 et la suite.
À ce moment, juste avant de participer au repas du soir, Jésus éprouva l'un des rares moments d'extase émotionnelle dont ses disciples aient eu l'occasion d'être témoins. Il dit: « Je te remercie, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché ce merveilleux évangile aux sages et aux pharisaïques, tandis que l'esprit en révélait les gloires spirituelles à ces enfants du royaume. Oui, mon Père, tu as dû avoir plaisir à faire cela, et je me réjouis de savoir que cette bonne nouvelle se répandra dans le monde entier, même après mon retour auprès de toi quand je me serai remis à l'oeuvre que tu m'as donnée à accomplir dans l'univers. Je suis fortement ému en comprenant que tu vas remettre toute autorité entre mes mains, que je suis seul, avec ceux à qui je t'ai révélé, à te connaître réellement. Quand j'aurai achevé cette révélation à mes frères incarnés, je la poursuivrai auprès de tes créatures célestes ».
Après avoir ainsi parlé au Père, Jésus se tourna vers ses apôtres et ses ministres pour s'adresser à eux: « Bénis soient les yeux qui ont vu ces choses et les oreilles qui les ont entendues. Laissez-moi vous dire que bien des prophètes et bien des grands hommes des âges écoulés ont désiré voir les choses que vous apercevez maintenant, mais cela ne leur fut pas accordé (2). Bien des générations futures d'enfants de lumière envieront ceux qui les ont vues et entendues, quand elles en entendront parler ».
S'adressant ensuite à tous ses disciples, Jésus dit: « Vous avez entendu combien de villes et de villages ont reçu la bonne nouvelle du royaume, et comment mes ministres et mes éducateurs ont été accueillis par les Juifs et les Gentils. Bénies sont en vérité les communautés qui ont choisi de croire à l'évangile du royaume. Mais malheur aux habitants de Chorazin, de Bethsaïde-Juliade, et de Capharnaüm, qui rejettent la lumière et n'ont pas bien accueilli mes messagers. Je proclame que si les puissantes oeuvres accomplies en ces lieux l'avaient été à Tyr et à Sidon, les habitants de ces villes dites païennes auraient depuis longtemps fait pénitence sous le sac et la cendre. En vérité, au jour du jugement, le sort de Tyr et de Sidon sera plus supportable que le leur » (3).
| (2) Cf Matthieu XIII-17. |
| (3) Cf. Matthieu XI-21 et Luc X-13. |
Le lendemain étant un jour de sabbat, Jésus réunit les soixante-dix à part et leur dit: « En vérité je me suis réjoui avec vous quand vous êtes revenus avec la bonne nouvelle que l'évangile du royaume avait été accueilli par tant de gens dispersés en Galilée, en Samarie, et en Judée. Mais pourquoi votre exultation est-elle empreinte de surprise? N'espériez-vous pas que la délivrance de votre message se manifesterait avec puissance? Etiez-vous partis avec si peu de foi dans l'évangile pour que vous reveniez surpris de son efficacité? Maintenant, sans vouloir refroidir votre enthousiasme, je tiens à vous mettre soigneusement en garde contre les subtilités de l'orgueil, de l'orgueil spirituel. Si vous pouviez comprendre la chute de Lucifer, ce fils de l'iniquité, vous renonceriez solennellement à toutes les formes d'orgueil spirituel.
« Vous avez entrepris la grande oeuvre d'enseigner aux hommes qu'ils sont fils de Dieu. Je vous ai montré le chemin; partez accomplir votre devoir et ne vous lassez pas de bien faire. Pour vous et pour tous ceux qui suivront vos traces au long des âges, je rappelle que je me tiens toujours auprès de vous. Mon invitation au royaume est et demeurera toujours: Vous tous qui peinez et qui êtes lourdement chargés, venez à moi, et je vous donnerai le repos. Acceptez mon joug et écoutez-moi, car je suis sincère et fidèle, et vous trouverez auprès de moi du repos spirituel pour vos âmes ».
Quand les apôtres eurent l'occasion de mettre à l'épreuve les promesses de Jésus, ils constatèrent qu'elles étaient sincères et véridiques. Et depuis cette époque, d'innombrables croyants ont également constats et démontré que ces promesses étaient bien tenues.
7. -- PRÉPARATIFS POUR LA DERNIÈRE MISSION
Les quelques jours qui suivirent furent très animés au camp de Pella; on y acheva les préparatifs pour la mission en Pérée. Jésus et ses collaborateurs allaient entreprendre leur dernière mission, la tournée de trois mois dans toute la Pérée, qui se termina par l'entrée du Maître à Jérusalem pour le parachèvement de son oeuvre terrestre. Durant toute cette période, le quartier général de Jésus et des douze apôtres fut maintenu au camp de Pella.
Jésus n'avait plus besoin d'aller au loin pour enseigner les populations. Les gens venaient maintenant vers lui chaque semaine en nombre croissant, non seulement de toutes les parties de la Palestine, mais aussi de tout l'empire romain et du Proche Orient. Le Maître participa avec les soixante-dix à la mission en Pérée, mais il passa la majeure partie de son temps au camp de Pella, enseignant la foule et instruisant les douze apôtres. Durant tout ce trimestre, dix apôtres au moins restèrent auprès de Jésus.
Les femmes du corps apostolique se préparèrent également à partir deux par deux en même temps que les soixante-dix pour évangéliser dans les principales villes de Pérée. Le groupe originel de douze femmes avait récemment éduqué un groupe plus nombreux de cinquante autres femmes en leur apprenant la manière de visiter les foyers et l'art de soigner les malades et les affligés. Perpétua, la femme de Simon Pierre, devint membre de cette nouvelle division du groupe féminin; on lui confia, sous les ordres d'Abner, la direction de ce supplément de travail des femmes. Après la Pentecôte, elle resta avec son illustre mari et l'accompagna dans toutes ses tournées missionnaires. Le jour où Pierre fut crucifié à Rome, elle fut donnée en pâture aux bêtes féroces dans l'arène. Faisaient également partie de ce nouveau corps apostolique féminin les femmes de Philippe et de Matthieu et la mère de Jacques et de Jean Zébédée.
L'oeuvre du royaume sous la direction personnelle de Jésus allait maintenant entrer dans sa phase terminale. C'était une phase de profondeur spirituelle contrastant avec celle où les multitudes rêvant de miracles et recherchant des prodiges suivaient le Maître à l'époque de sa popularité en Galilée. Toutefois, un certain nombre de ses disciples conservaient leur mentalité matérielle et ne réussissaient pas à comprendre que le royaume des cieux est la confraternité spirituelle des hommes fondée sur la paternité universelle de Dieu.
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À LA FÊTE DES TABERNACLES
POUR aller a Jérusalem avec les dix apôtres, Jésus décida de passer par la Samarie parce que c'était le chemin le plus court. En conséquence, ils suivirent la côte orientale du lac et entrèrent en Samarie par Scythopolis. A la tombée de la nuit, Jésus envoya Philippe et Matthieu à un village situé sur les contreforts orientaux du Mont Gilboa, pour assurer le logement du groupe. Il arriva que les villageois avaient contre les Juifs de forts préjugés, plus forts même que la généralité des Samaritains, et ces sentiments se trouvaient exacerbés à ce moment-là, où tant de personnes se rendaient à la fête des Tabernacles. Ces villageois avaient très peu entendu parler de Jésus; ils refusèrent de le loger, parce que lui et ses compagnons étaient des Juifs. Lorsque Matthieu et Philippe manifestèrent leur indignation et informèrent ces Samaritains qu'ils refusaient l'hospitalité au Saint d'Israël, les villageois furieux les chassèrent de leur agglomération à coups de pierres et de bâtons.
Philippe et Matthieu revinrent auprès de leurs compagnons et racontèrent comment ils avaient été chassés du village. Alors Jacques et Jean s'avancèrent vers Jésus et lui dirent: « Maître, nous te prions de nous permettre d'appeler le feu du ciel pour qu'il descende dévorer ces Samaritains insolents et impénitents ». Lorsque Jésus entendit ces paroles de vengeance, il se tourna vers les fils de Zébédée et les réprimanda sévèrement: « Vous ne connaissez pas le genre de comportement que vous manifestez. La vengeance est incompatible avec le royaume des cieux. Plutôt que de contester, allons jusqu'au petit village proche du gué du Jourdain ». Ainsi, à cause de leurs préjugés sectaires, les Samaritains se privèrent de l'honneur d'héberger le Fils Créateur d'un univers.
Jésus et les dix s'arrêtèrent pour la nuit au village proche du gué du Jourdain. Le lendemain matin de bonne heure, ils traversèrent le fleuve et poursuivirent leur chemin vers Jérusalem par la grande route de la rive gauche du Jourdain; ils arrivèrent à Béthanie tard dans la soirée du mercredi. Thomas et Nathanael, retardés par leurs entretiens avec Rodan, les rejoignirent le vendredi.
Jésus et les douze restèrent un mois aux environs de Jérusalem, jusqu'à la fin d'octobre. Jésus lui-même n'entra que rarement dans la ville, et ces brèves visites eurent lieu durant la fête des Tabernacles. Il passa une grande partie du mois d'octobre à Bethléhem, avec Abner et ses collaborateurs.
1. -- LES DANGERS DE LA VISITE À JÉRUSALEM
Longtemps avant leur fuite de Galilée, les disciples de Jésus l'avaient supplié d'aller proclamer l'évangile du royaume à Jérusalem, afin de conférer à son message le prestige d'avoir été prêché au centre de la culture et de l'érudition juives, mais maintenant que le Maître était effectivement venu enseigner à Jérusalem, ils craignaient pour sa vie. Sachant que le sanhédrin avait cherché à emmener Jésus à Jérusalem pour le juger, et se rappelant les déclarations récemment réitérées de Jésus qu'il serait mis à mort, ils avaient été frappés de stupeur par sa soudaine décision d'assister à la fête des Tabernacles. A toutes leurs supplications antérieures d'aller à Jérusalem, Jésus avait répondu: « L'heure n'est pas encore venue ». Maintenant, devant leurs protestations craintives, il se bornait à répondre: « Mais l'heure est venue ».
Durant la fête des Tabernacles, Jésus se rendit audacieusement à Jérusalem en plusieurs occasions et enseigna publiquement dans le temple, malgré les efforts de ses collaborateurs pour l'en dissuader. Après l'avoir longtemps pressé de proclamer son message à Jérusalem, ils craignaient maintenant de le voir pénétrer dans la ville à cette date, sachant bien que les scribes et les pharisiens cherchaient à le faire périr.
L'audacieuse apparition de Jésus à Jérusalem confondit plus que jamais ses disciples. Beaucoup d'entre eux, et même son apôtre Judas Iscariot, avaient osé penser que Jésus s'était précipitamment enfui en Phénicie par peur des dirigeants juifs et d'Hérode Antipas. Ils ne comprenaient pas la signification des déplacements du Maître. Sa présence à Jérusalem à la fête des Tabernacles, contrairement aux conseils de ses collaborateurs, suffit à mettre définitivement fin à tous les chuchotements sur sa peur et sa lâcheté.
Durant la fête des Tabernacles, des milliers de croyants, venus de toutes les parties de l'empire romain, virent Jésus et l'entendirent prêcher; beaucoup d'entre eux allèrent même jusqu'à Béthanie pour s'entretenir avec lui des progrès du royaume dans les districts où ils habitaient.
Il y avait bien des raisons pour que Jésus ait pu prêcher publiquement dans les cours du temple durant toutes les journées de la fête; la principale était la peur qui avait gagné les membres du sanhédrin par suite d'une secrète division de sentiments dans leurs propres rangs. En fait, beaucoup d'entre eux croyaient secrètement en Jésus, ou étaient fermement opposés à son arrestation durant la fête, pendant que Jérusalem hébergeait un si grand nombre de visiteurs dont beaucoup croyaient en lui, ou tout au moins sympathisaient avec le mouvement spirituel qu'il animait.
Les efforts d'Abner et de ses disciples dans toute la Judée avaient également beaucoup contribué à consolider un sentiment favorable au royaume, au point que les ennemis de Jésus n'osaient pas manifester trop ouvertement leur opposition. Ce fut l'une des raisons pour lesquelles Jésus put se montrer publiquement à Jérusalem et en sortir vivant. Un ou deux mois plus tôt, il aurait certainement été mis à mort.
L'intrépidité de Jésus, se montrant publiquement à Jérusalem, intimida ses ennemis; ils n'étaient pas préparés à un défi aussi audacieux. Plusieurs fois durant ce mois, le sanhédrin tenta faiblement de le faire arrêter, mais ces efforts n'aboutirent à rien. Les ennemis du Maître furent tellement déconcertés par son apparition inattendue en public à Jérusalem qu'ils supposèrent que les autorités romaines lui avaient promis la sécurité. Sachant que Philippe le frère d'Hérode Antipas était presque un disciple de Jésus, les membres du sanhédrin imaginèrent que Philippe avait obtenu pour Jésus des promesses de protection contre ses ennemis. Avant qu'ils se fussent rendu compte de l'erreur qu'ils commettaient en croyant que sa soudaine et audacieuse apparition à Jérusalem résultait d'une entente secrète avec les fonctionnaires romains, le Maître était déjà sorti du domaine de leur juridiction.
Seuls les douze apôtres avaient su que Jésus se proposait d'assister à la fête des Tabernacles en partant de Magadan. Les autres disciples du Maître furent très étonnés de le voir apparaître dans les cours du temple et y enseigner publiquement. Quant aux autorités juives, elles furent surprises au delà de toute expression lorsqu'elles apprirent qu'il enseignait dans le temple.
Bien que les disciples de Jésus ne se soient pas attendus à le voir assister à la fête, la grande majorité des pèlerins venant de loin, et qui avait entendu parler de lui, entretenait l'espoir de le voir à Jérusalem. Ils ne furent pas déçus, car en plusieurs occasions le Maître enseigna sous le Porche de Salomon et ailleurs dans les cours du temple. En réalité, ces enseignements furent la proclamation officielle de la divinité de Jésus au peuple juif et au monde entier.
L'opinion était divisée chez les multitudes qui écoutaient les enseignements du Maître. Certains disaient qu'il était un homme de bien; certains le prenaient pour un prophète; certains affirmaient qu'il était vraiment le Messie; d'autres le qualifiaient d'intrigant pervers en disant qu'il égarait le peuple avec ses doctrines étranges. Ses ennemis hésitaient à l'accuser ouvertement, par crainte de ses partisans, tandis que ses amis hésitaient à le reconnaître ouvertement, par crainte des dirigeants juifs, et sachant que le sanhédrin était résolu à le mettre à mort. Mais ses ennemis eux-mêmes admiraient son enseignement, sachant qu'il n'avait pas été instruit dans les écoles des rabbins.
Chaque fois que Jésus allait à Jérusalem, ses apôtres étaient remplis de terreur. De jour en jour ils étaient plus effrayés en observant l'audace croissante de ses déclarations sur la nature de sa mission sur terre. Ils n'étaient pas habitués à entendre Jésus émettre des prétentions aussi péremptoires et des affirmations aussi surprenantes quand il prêchait parmi ses amis.
2. -- LE PREMIER DISCOURS AU TEMPLE
Le premier après-midi où Jésus enseigna dans le temple, une foule considérable s'assit pour écouter ses paroles dépeignant la liberté du nouvel évangile et la joie de ceux qui croient à sa bonne nouvelle. Bientôt un auditeur curieux l'interrompit pour demander: « Maître, comment se fait-il que tu puisses si facilement citer les Ecritures et enseigner le peuple sans avoir été instruit dans la science des rabbins? » Jésus répondit: « Nul homme ne m'a enseigné les vérités que je vous proclame. Cet enseignement ne vient pas de moi, mais de Celui qui m'a envoyé. Si un homme désire réellement faire la volonté de mon Père, il saura certainement si mon enseignement vient de Dieu ou si je parle de moi-même. Quiconque parle par lui-même cherche sa propre gloire, mais quand je proclame les vérités du Père, je recherche la gloire de celui qui m'a envoyé. Avant d'entrer dans la nouvelle lumière, ne devriez-vous pas plutôt suivre la lumière dont vous disposez déjà? Moïse vous a donné la loi, et cependant, combien d'entre vous remplissent ses exigences? Dans cette loi, Moïse vous enjoint: « Tu ne tueras pas »; or malgré ce commandement, certains d'entre vous cherchent à tuer le Fils de l'Homme ».
En entendant ces paroles, les auditeurs commencèrent à se disputer entre eux. Certains disaient que Jésus était fou, et certains qu'il était possédé par un démon. D'autres disaient qu'il était en vérité le prophète de Galilée que les scribes et les pharisiens cherchaient depuis longtemps à tuer. Certains disaient que les autorités religieuses avaient peur de le molester; d'autres pensaient que les chefs ne s'étaient pas emparés de lui parce qu'ils s'étaient mis à croire en lui. Après une discussion prolongée, un membre de la foule s'avança et demanda à Jésus: « Pourquoi les chefs cherchent-ils à te tuer? » Et Jésus répondit: « Les dirigeants cherchent à me tuer parce qu'ils s'irritent de mon enseignement sur la bonne nouvelle du royaume, un évangile qui libère les hommes des pesantes traditions de la religion de cérémonies conventionnelles que ces éducateurs sont décidés à maintenir à tout prix. Ils pratiquent la circoncision conformément à la loi, le jour du sabbat, mais ils voudraient me tuer parce qu'une fois, le jour du sabbat, j'ai libéré un homme qui était esclave d'une affliction. Ils me suivent le jour du sabbat pour m'espionner, mais ils voudraient me tuer parce qu'en une autre occasion j'ai décidé de guérir complètement, un jour de sabbat, un homme atteint d'une grave infirmité. Ils cherchent à me tuer parce qu'ils savent bien que si vous croyez honnêtement à mon enseignement et si vous osez l'accepter, leur système de religion traditionnelle sera renversé et détruit pour toujours. Ils seront alors privés d'autorité sur l'objet auquel ils ont consacré leur vie depuis qu'ils ose fermement refusé d'accepter mon nouvel et plus glorieux évangile du royaume de Dieu. Et maintenant, je fais appel à chacun de vous: Ne jugez pas d'après les apparences extérieures, mais plutôt selon le véritable esprit de mes enseignements; jugez avec droiture ».
Ensuite un autre investigateur dit: « Oui, Maître, nous recherchons le Messie, mais quand il viendra, nous savons qu'il apparaîtra dans le mystère. Or nous savons d'où tu viens. Tu as compté parmi nos frères depuis le commencement. Le libérateur viendra en puissance pour rétablir le trône du royaume de David. Prétends-tu réellement être le Messie? » Jésus répondit: «Tu prétends me connaître et savoir d'où je viens. Je souhaiterais que tes prétentions soient exactes, car alors tu trouverais dans tes connaissances une vie abondante. Mais je déclare que je ne suis pas venu vers vous de moi-même. J'ai été envoyé par le Père, et celui qui m'a envoyé est sincère et fidèle. En refusant de m'entendre, vous refusez de recevoir Celui qui m'a envoyé. Je connais le Père, car je suis venu du Père pour vous le proclamer et vous le révéler ».
Les agents des scribes voulaient mettre la main sur lui, mais ils craignaient la foule, car beaucoup d'hommes croyaient en lui. L'oeuvre de Jésus depuis son baptême était désormais bien connue de toute la société juive. En parlant de ce sujet, bien des Juifs se disaient entre eux: « Même si cet instructeur vient de Galilée, et même s'il ne répond pas à toute notre attente du Messie, nous nous demandons si, lors de sa venue, le libérateur fera réellement quelque chose de plus merveilleux que l'oeuvre déjà accomplie par ce Jésus de Nazareth? »
Quand les pharisiens et leurs agents entendirent la foule parler de la sorte, ils consultèrent leurs dirigeants et décidèrent qu'il fallait immédiatement faire quelque chose pourmettre fin aux interventions publiques de Jésus dans les cours du temple. En général, les dirigeants des Juifs étaient disposés à éviter un conflit ouvert avec Jésus, car ils croyaient que les autorités romaines lui avaient promis l'immunité. Ils ne trouvaient pas d'autre explication à son audace de venir à cette époque à Jérusalem, mais les dirigeants du sanhédrin ne croyaient pas entièrement à cette rumeur. En raisonnant, ils estimaient que les chefs romains n'auraient pas fait une pareille chose en secret et à l'insu des plus hautes autorités de la nation juive.
En conséquence Eber, l'agent qualifié du sanhédrin, fut dépêché avec deux assistants pour arrêter Jésus. Tandis qu'Eber se frayait un chemin vers Jésus, le Maître dit: « Ne crains pas de m'approcher. Viens écouter de plus près mon enseignement. Je sais que tu as été envoyé pour m'appréhender, mais tu devrais comprendre que rien de fâcheux n'arrivera au Fils de l'Homme avant que son heure ne soit venue. Tu n'es pas dressé contre moi; tu viens seulement exécuter l'ordre de tes maîtres, et même ces chefs des Juifs croient véritablement servir Dieu lorsqu'ils cherchent en secret à m'anéantir.
« Je n'ai de rancune contre aucun de vous. Le Père vous aime, et c'est pourquoi j'aspire à vous délivrer de l'esclavage des préjugés et des ténèbres de la tradition. Je vous offre la liberté de la vie et la joie du salut. Je proclame le nouveau chemin vivant, la délivrance du mal, et la rupture de la servitude du péché. Je suis venu pour que vous puissiez avoir la vie, et l'avoir éternellement. Vous cherchez à vous débarrasser de moi et de mes enseignements qui vous inquiètent. Puissiez-vous comprendre que je ne resterai pas longtemps avec vous! D'ici peu je retournerai vers celui qui m'a envoyé dans ce monde. Alors beaucoup d'entre vous me chercheront assidûment, mais vous ne découvrirez pas ma présence, car vous ne pouvez venir là où je vais bientôt aller. Cependant, tous ceux qui me chercheront sincèrement atteindront un jour la vie qui conduit à la présence de mon Père ».
Quelques railleurs se dirent entre eux: « Où donc ira cet homme pour que nous ne puissions le trouver? Ira-t-il vivre parmi les Grecs? Se suicidera-t-il? Que peut-il vouloir dire en déclarant qu'il nous quittera bientôt et que nous ne pourrons aller là où il ira? »
Eber et ses assistants refusèrent d'arrêter Jésus et retournèrent au rendez-vous sans lui. Lorsque les chefs religieux et les pharisiens leur reprochèrent de n'avoir pas ramené Jésus, Eber se borna à répondre: « Nous avons craint de l'arrêter au milieu de la foule où beaucoup d'auditeurs croient en lui. En outre, nous n'avons jamais entendu personne parler comme lui. Il y a quelque chose qui sort de l'ordinaire chez cet instructeur. Vous feriez tous bien d'aller l'écouter ». Lorsque les principaux dirigeants entendirent cette réponse, ils furent étonnés et parlèrent sarcastiquement à Eber. « Es-tu égaré toi aussi? Vas-tu croire à ce fourbe? As-tu entendu dire qu'aucun de nos érudits ou de nos dirigeants ait cru en lui? Y a-t-il eu des scribes ou des pharisiens trompés par son habile enseignement? Comment se fait-il que tu sois influencé par cette foule ignorante qui ne connaît ni la Loi ni les Prophètes? Ne sais-tu pas que ces illettrés sont maudits? » Alors Eber répondit: « C'est entendu, mes maîtres, mais cet homme adresse à la multitude des paroles de miséricorde et d'espérance. Il remonte le moral des découragés, et ses discours ont même réconforté nos âmes. Que peut-il y avoir de mauvais dans ces enseignements, même si Jésus n'est pas le Messie des Ecritures? Et même alors, notre loi n'exige-t-elle pas l'équité? Condamnons-nous un homme avant de l'avoir entendu? » Le chef du sanhédrin se mit en colère contre Eber et se tourna vers lui en disant: « Es-tu devenu fou? Serais-tu aussi par hasard originaire de Galilée? Sonde les Ecritures; tu verras que de Galilée il ne peut surgir aucun prophète, et encore bien moins le Messie ».
Le sanhédrin se sépara en désarroi et Jésus se retira à Béthanie pour la nuit.
3. -- LA FEMME ADULTÈRE
Ce fut durant cette visite à Jérusalem que Jésus s'occupa du cas d'une femme de mauvaise réputation amenée en sa présence par les accusateurs de cette femme et par des ennemis du Maître. Le récit déformé que vous possédez de cet épisode (1) laisse entendre que cette femme avait été amenée devant Jésus par les scribes et les pharisiens, et que Jésus traita ces chefs religieux de manière à faire ressortir qu'ils étaient peut-être eux-mêmes coupables d'immoralité. Or ces scribes et ces pharisiens étaient bien spirituellement aveugles et intellectuellement remplis de préjugés par leur fidélité à la tradition, mais ils comptaient parmi les hommes les plus complètement moraux de cette époque et de cette génération.
Voici en réalité comment les choses se sont passées. De bonne heure le troisième matin de la fête, tandis que Jésus approchait du temple, il croisa un groupe de mercenaires du sanhédrin qui traînaient avec eux une femme nommée Hildana. Lorsqu'ils croisèrent Jésus, le porte-parole du groupe dit: « Maître, cette femme a été surprise en adultère -- en flagrant délit. Or la loi de Moïse ordonne de la lapider. D'après toi, que devons-nous faire d'elle? »
(1) Jean VIII-1 à 11.
Le plan des ennemis de Jésus était le suivant: S'il entérinait la loi de Moïse ordonnant que la pécheresse se reconnaissant coupable soit lapidée, ils impliqueraient le Maître dans des difficultés avec les dirigeants romains qui avaient refusé aux Juifs le droit d'infliger la peine de mort sans l'approbation d'un tribunal romain. Si Jésus interdisait de lapider la femme, ils l'accuseraient devant le sanhédrin de se placer au-dessus de Moïse et de la loi juive. S'il gardait le silence, ils l'accuseraient de lâcheté. Mais le Maître prit la situation en mains de telle manière que le complot s'écroula sous le propre poids de sa vilenie.
Hildana, jadis avenante, était la femme d'un habitant pervers de Nazareth, qui avait causé des difficultés à Jésus durant toute sa jeunesse. Après avoir épousé Hildana, il la força honteusement à gagner la vie du ménage en faisant commerce de son corps. Il était venu à la fête des Tabernacles à Jérusalem pour que sa femme puisse y prostituer ses charmes physiques moyennant finances. Il avait conclu un accord avec les mercenaires des dirigeants juifs pour trahir ainsi sa propre femme dans le commerce de son vice. Ces mercenaires venaient donc avec Hildana et son complice dans l'adultère, afin de prendre Jésus au piège en lui faisant émettre une opinion qu'ils pourraient ensuite utiliser contre lui si Jésus était arrêté.
Promenant son regard au-dessus de l'attroupement, Jésus vit le mari de Hildana debout au dernier rang. Il savait de quel genre d'homme il s'agissait et perçut qu'il était intéressé dans cette méprisable opération. Jésus commença par contourner l'attroupement pour s'approcher de ce mari dégénéré, puis il écrivit sur le sable quelques mots qui le firent partir précipitamment. Il revint ensuite devant le groupe et écrivit de nouveau sur le sol un message destiné aux prétendus accusateurs de Hildana. Après sa lecture, eux aussi s'en allèrent un par un. Puis le Maître écrivit une troisième fois sur le sable, sur quoi le complice adultère de la femme partit à son tour, de sorte qu'au moment où le Maître se releva en ayant fini d'écrire, il ne vit plus que Hildana debout et seule devant lui. Il lui dit: «Femme, où sont tes accusateurs? N'est-il resté personne pour te lapider? » La femme leva les yeux et répondit: « Personne, mon Seigneur ». Alors Jésus dit: « Je connais ton cas, et je ne te condamne pas non plus. Va ton chemin en paix». Et Hildana abandonna son mari pervers pour se joindre aux disciples du royaume.
4. -- LA FÊTE DES TABERNACLES
La présence de gens venant de toutes les parties du monde alors connu, depuis l'Espagne jusqu'à l'Inde, faisait de la fête des Tabernacles une occasion idéale pour Jésus de proclamer publiquement, et pour la première fois à Jérusalem, la totalité de son évangile. Les participants à cette fête vivaient beaucoup au grand air, dans des cabanes de feuillages. C'était la fête de la rentrée des récoltes. A cause de la fraîcheur des mois d'automne, les Juifs du monde entier assistaient en plus grand nombre à cette fête qu'à la Pâque après la fin de l'hiver, ou à la Pentecôte au commencement de l'été. Les apôtres voyaient enfin leur Maître proclamer audacieusement sa mission terrestre, pour ainsi dire devant le monde entier.
C'était la fête des fêtes, car tout sacrifice omis à d'autres festivités pouvait être offert au moment de la fête des Tabernacles. Elle était l'occasion où l'on recevait les offrandes au temple; elle combinait les plaisirs des vacances avec les rites solennels de l'adoration religieuse. C'était une période de réjouissances raciales et de chants lévitiques, où les prêtres sonnaient solennellement de leurs trompettes argentées. Le soir, le spectacle impressionnant du temple et des foules de pèlerins était brillamment éclairé par les grands candélabres qui illuminaient la cour des femmes, ainsi que par le rayonnement de dizaines de torches réparties dans les diverses cours du temple. Toute la ville était gaiement décorée, sauf le château romain qui, avec un contraste sinistre, dominait les scènes de festivité et d'adoration. Combien les Juifs haïssaient cette réminiscence toujours présente du joug romain!
On sacrifiait soixante-dix boeufs durant la fête, en symbole des soixante-dix nations du monde païen. La cérémonie du versement de l'eau symbolisait l'effusion de l'esprit divin. La cérémonie de l'eau était précédée par la procession des prêtres et des Lévites au lever du soleil. Les adorateurs descendaient les marches conduisant de la cour d'Israël à la cour des femmes, au son de coups scandés des trompettes d'argent. Ensuite, les fidèles marchaient vers la magnifique porte qui s'ouvrait sur la cour des Gentils. Là ils faisaient demi-tour pour faire face à l'ouest, répéter leurs cantiques, et continuer leur marche symbolique de l'eau.
Le dernier jour de la fête, environ quatre cent cinquante prêtres, et un nombre correspondant de Lévites, officiaient. Au lever du jour, les pèlerins affluaient de tous les quartiers de la ville. Chacun tenait dans la main droite une gerbe de myrte, de branches de saule, et de feuilles de palmier, et dans la main gauche une branche portant une pomme du paradis -- un cédrat ou « fruit défendu ». Les pèlerins se divisaient en trois groupes pour cette cérémonie matinale. Un groupe restait au temple pour assister aux sacrifices du matin. Un autre groupe descendait de Jérusalem dans la proche vallée de Maza pour couper les branches de saule destinées à orner l'autel des sacrifices. Le troisième groupe formait une procession qui marchait derrière le prêtre préposé à l'eau, portant le vase d'or destiné à contenir l'eau symbolique. Au son des trompettes d'argent, ce prêtre allait du temple, par Ophel, jusqu'à Silos où se trouvait la « porte de la source ». Après remplissage du vase d'or dans l'étang de Siloé, la procession retournait au temple où elle entrait par la « porte de l'eau » et allait directement dans la cour des prêtres. Là, le prêtre portant le vase d'eau était rejoint par le prêtre portant le vin destiné à l'offrande de la boisson. Tous deux se rendaient ensuite aux entonnoirs d'argent se vidant au pied de l'autel, et y versaient le contenu des vases. L'exécution de ce rite de transvasement de l'eau et du vin était le signal attendu par les pèlerins assemblés pour chanter les Psaumes 113 à 118, en alternant avec les Lévites. En répétant ces textes, les pèlerins faisaient onduler leurs gerbes vers l'autel. Ensuite avait lieu le sacrifice du jour associé à la répétition du Psaume du jour. Le dernier jour de la fête, on chantait le Psaume 82 à partir du cinquième verset.
5. -- LE SERMON SUR LA LUMIÈRE DU MONDE
Le soir de l'avant-dernier jour de la fête, tandis que la scène était brillamment éclairée par les lumières des candélabres et des torches, Jésus se leva au milieu de la foule assemblée et dit:
« Je suis la lumière du monde (1). Quiconque me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie. Prétendant me faire comparaître en jugement et assumer le rôle de juges, vous déclarez que, si je témoigne pour moi-même, mon témoignage n'est pas valable. Mais la créature ne peut jamais juger le Créateur. Même si je témoigne pour moi-même, mon témoignage est éternellement vrai, car je sais d'où je suis venu, qui je suis, et où je vais. Vous qui voudriez tuer le Fils de l'Homme, vous ne savez ni d'où je suis venu ni qui je suis, ni où je vais. Vous ne jugez que d'après les apparences physiques; vous ne percevez pas les réalités de l'esprit. Je ne juge personne, pas même mon ennemi acharné. Mais si je décidais de juger, mon jugement serait juste et droit, car je ne jugerais pas seul, mais en association avec mon Père qui m'a envoyé dans le monde et qui est la source de tout véritable jugement. Vous acceptez pour valable le témoignage de deux personnes dignes de confiance -- eh bien, alors, je témoigne de ces vérités, et mon Père céleste en témoigne également. Quand je vous ai dit cela hier, vous m'avez demandé dans votre ignorance: « Où est ton Père? » En vérité, vous ne connaissez ni moi ni mon Père, car si vous m'aviez connu, vous auriez aussi connu le Père.
(1) Cf. Jean VIII-12 et la suite.
« Je vous ai déjà dit que je m'en vais, et que vous me chercherez sans pouvoir me trouver, car vous ne pouvez aller là où je vais. Vous qui voudriez rejeter cette lumière, vous êtes d'en bas; moi je viens d'en haut. Vous qui préférez rester dans les ténèbres, vous êtes de ce monde; moi je ne suis pas de ce monde, et je vis dans la lumière éternelle du Père des lumières. Vous avez tous eu d'abondantes occasions d'apprendre qui je suis, et vous aurez encore d'autres preuves confirmant l'identité du Fils de l'Homme. Je suis la lumière de la vie; quiconque rejette délibérément et sciemment cette lumière de salut mourra dans ses péchés. Je vous ai dit bien des choses, mais vous êtes incapables de recevoir mes paroles. Toutefois, celui qui m'a envoyé est sincère et fidèle; mon Père aime même ses enfants égarés. Et tout ce que mon Père a dit, moi aussi je le proclame au monde.
« Quand le Fils de l'Homme sera élevé, alors vous saurez que c'est moi, et que je n'ai rien fait de moi-même, mais seulement comme le Père me l'a enseigné. Je m'adresse à vous et à vos enfants. Celui qui m'a envoyé est actuellement auprès de moi; il ne m'a pas laissé seul, car je fais toujours ce qui plaît à ses yeux ».
Tandis que Jésus enseignait ainsi dans les cours du temple, beaucoup de pèlerins le crurent. Et nul n'osa porter la main sur lui.
6. -- LE DISCOURS SUR L'EAU VIVE
Le dernier jour, le grand jour de la fête, tandis que la procession de l'étang de Siloé passait par les cours du temple, et aussitôt après que les prêtres eurent aspergé l'autel d'eau et de vin, Jésus se dressa par à les pèlerins et dit: « Si quelqu'un a soif , qu'il vienne à moi et boive. J'apporte au monde cette eau vive de la part du Père céleste. Quiconque me croit sera rempli de l'esprit que cette eau représente, car les Ecritures elles-mêmes ont dit: « Hors de lui couleront des fleuves d'eau vive » (1). Quand le Fils de l'Homme aura achevé son oeuvre sur terre, l'Esprit de Vérité sera répandu sur toute chair. Ceux qui recevront cet esprit ne connaîtront jamais la soif spirituelle ».
Jésus n'interrompit pas le service pour prononcer ces paroles. Il les adressa aux adorateurs aussitôt après le chant du Hallel, le répons des Psaumes accompagné de l'ondulation des gerbes devant l'autel. Ce chant était suivi d'une pause durant laquelle on préparait les sacrifices, et ce fut à cet instant que les pèlerins entendirent la voix fascinante du Maître proclamer qu'il était le donneur d'eau vive à toutes les âmes assoiffées d'esprit.
À la fin de cet office matinal, Jésus continua à enseigner la multitude en disant: « N'avez-vous pas lu dans les Ecritures: « Voici, de même que les eaux sont déversées sur la terre altérée et répandues sur le sol aride, de même je vous donnerai l'esprit de sainteté pour en asperger et en bénir vos enfants, et même les enfants de vos enfants » (2). Pourquoi cherchez-vous à arroser vos âmes avec les traditions humaines coulant des vases brisés des offices cérémoniels, au lieu d'avoir soif du ministère de l'esprit? Le spectacle auquel vous assistez dans ce temple est la manière dont vos pères cherchèrent à symboliser l'effusion de l'esprit divin sur les enfants de la foi, et vous avez bien fait de perpétuer ces symboles jusqu'à ce jour. Mais maintenant cette génération a reçu la révélation du Père des esprits par l'effusion de son Fils, et l'effusion de l'esprit du Père et du Fils sur les enfants des hommes ne manquera pas de suivre. Pour quiconque a la foi, cet esprit deviendra le véritable instructeur du chemin qui conduit à la vie éternelle, aux vraies eaux vives du royaume céleste sur terre, et au Paradis du Père dans l'au-delà ».
| (1) Jean VII-38. |
| (2) Cf. Isaïe XLIV-3. |
Et Jésus continua à répondre aux questions de la foule et des pharisiens. Certains le prenaient pour le Messie; d'autres disaient qu'il ne pouvait être le Christ, puisqu'il venait de Galilée, et que le Messie devait rétablir le trône de David. On n'osait toujours pas l'arrêter.
7. -- LE DISCOURS SUR LA LIBERTÉ SPIRITUELLE
L'après-midi du dernier jour de la fête, après que les apôtres eurent échoué dans leurs efforts pour le persuader de fuir Jérusalem, Jésus retourna au temple pour y enseigner. Trouvant un nombreux groupe de croyants assemblés au Porche de Salomon, il leur fit le discours suivant:
« Si mes paroles demeurent en vous, et si vous êtes disposés à faire la volonté de mon Père, alors vous êtes vraiment mes disciples. Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira (1). Je sais que vous allez me répondre: Nous sommes les enfants d'Abraham et nous ne sommes esclaves de personne; comment donc serions-nous affranchis? Mais je ne vous parle pas de soumission extérieure à la loi de quelqu'un d'autre; je fais allusion aux libertés de l'âme. En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque commet le péché est esclave du péché. Or vous savez que l'esclave n'est pas destiné à rester éternellement dans la maison du maître. Vous savez également que le fils demeure chez son père. Si donc le Fils vous affranchit et fait de vous des fils, vous serez vraiment libres.
(1) Cf. Jean VIII-32
« Je sais que vous êtes la semence d'Abraham, et cependant vos chefs cherchent à me tuer parce qu'ils n'ont pas permis à ma parole d'exercer son influence transformatrice dans leur coeur. Leurs âmes sont scellées par les préjugés et aveuglées par l'esprit de vengeance. Je vous déclare la vérité que le Père éternel me montre, tandis que ces éducateurs illusionnés cherchent uniquement à faire ce qu'ils ont appris de leurs parents terrestres. Si vous répondez qu'Abraham est votre père alors je vous dis que, si vous étiez les enfants d'Abraham, vous accompliriez les oeuvres d'Abraham. Certains d'entre vous croient à mon enseignement, mais d'autres cherchent à m'anéantir parce que je vous ai dit la vérité que j'ai reçue de Dieu. Mais Abraham n'a pas traité ainsi la vérité de Dieu. Je perçois que, parmi vous, certains sont décidés à accomplir les oeuvres du malin. Si Dieu était votre Père, vous me connaîtriez et vous aimeriez la vérité que je révèle. Ne voulez-vous pas constater que je viens du Père, que je suis envoyé par Dieu, que je n'accomplis pas cette oeuvre de moi-même? Pourquoi ne comprenez-vous pas mes paroles? Est-ce parce que vous avez choisi de devenir les enfants du mal? Si vous êtes enfants des ténèbres, vous ne saurez marcher dans la lumière de la vérité que je révèle. Les enfants du malin ne suivent que les voies de leur père, qui était un fourbe et ne défendait pas la vérité, parce qu'il n'y en avait pas en lui. Mais maintenant vient le Fils de l'Homme, parlant et vivant la vérité, et vous êtes nombreux à refuser de croire.
« Qui d'entre vous me convaincra de péché? Si donc je proclame et je vis la vérité montrée par mon Père, pourquoi n'y croyez-vous pas? Quiconque appartient à Dieu entend avec joie les paroles de Dieu; c'est pourquoi beaucoup d'entre vous n'entendent pas les miennes, parce que vous n'appartenez pas à Dieu. Vos maîtres ont même prétendu que j'accomplis mes oeuvres par la puissance du prince des démons. Un proche auditeur vient de dire que je suis possédé par un démon, que je suis un enfant du diable. Mais tous ceux d'entre vous qui traitent honnêtement avec leur âme savent fort bien que je ne suis pas un diable. Vous savez que j'honore mon Père, alors même que vous voudriez me déshonorer. Je ne cherche pas ma propre gloire, mais seulement celle de mon Père céleste. Et je ne vous juge pas, car il y a quelqu'un qui juge pour moi.
En vérité, en vérité, je le dis à ceux qui croient à cet évangile, si un homme conserve vivante dans son coeur cette parole de vérité, il ne connaîtra jamais la mort. Maintenant, juste à côté de moi, un scribe dit que cette affirmation prouve que je suis possédé par un démon, vu qu'Abraham est mort et les prophètes également. Il demande: « Es-tu tellement plus grand qu'Abraham et les prophètes pour oser venir ici et dire que quiconque persévère dans ta parole ne mourra pas? Qui prétends-tu être pour oser proférer ces blasphèmes? » Je dis à ce scribe et à tous ses pareils que si je me glorifie moi-même, ma gloire ne vaut rien. Mais c'est le Père qui me glorifiera, le même Père que vous appelez Dieu. Or vous ne connaissez pas votre Dieu et mon Père, et je suis venu pour vous réunir à lui, pour vous montrer comment devenir véritablement les fils de Dieu. Bien que vous ne connaissiez pas le Père, moi je le connais. Abraham lui-même s'est réjoui de voir mon jour; il le vit par la foi et fut heureux ».
Lorsque les Juifs incroyants et les agents du sanhédrin qui avaient rejoint la scène à ce moment-là entendirent ces paroles, ils déchaînèrent un tumulte en criant: « Tu n'as pas cinquante ans et tu parles d'avoir vu Abraham; tu es un enfant du diable ». Jésus ne put continuer son discours. Il dit simplement en partant: « En vérité en vérité, je vous le dis: Avant qu'Abraham fût, je suis » (2). Beaucoup d'incroyants se précipitèrent à la recherche de pierres pour le lapider, et les agents du sanhédrin cherchèrent à l'arrêter, mais le Maître se fraya rapidement un chemin par les corridors du temple et s'échappa vers un lieu de rendez-vous secret, près de Béthanie, où Marthe, Marie, et Lazare l'attendaient.
(2) Jean VIII-58.
8. -- L'ENTRETIEN AVEC MARTHE ET MARIE
Il avait été convenu que Jésus, ainsi que Lazare et ses soeurs, logeraient dans la maison d'un ami, tandis que les apôtres se disperseraient çà et là par petits groupes. Ces précautions avaient été prises parce que les autorités juives s'enhardissaient de nouveau et projetaient d'arrêter le Maître.
Depuis des années, quand Jésus rendait visite à Lazare, Marthe, et Marie, le trio avait l'habitude d'abandonner toutes ses occupations pour écouter l'enseignement du Maître. A la mort de ses parents, Marthe avait assumé les responsabilités du foyer, de sorte qu'en cette occasion, tandis que Lazare et Marie étaient assis aux pieds de Jésus et buvaient ses paroles rafraîchissantes, Marthe préparait le repas du soir. Il faut expliquer que Marthe se laissait distraire par de nombreuses tâches inutiles et qu'elle s'encombrait de beaucoup de vétilles; son caractère était ainsi fait.
Tandis que Marthe s'affairait à tous ses devoirs secondaires, elle fut troublée parce que Marie ne faisait rien pour l'aider. Elle alla donc vers Jésus et lui dit: « Maître, cela t'est-il égal que ma soeur m'ait laissé faire seule tout le service? Ne voudrais-tu pas lui demander de venir m'aider? » Jésus répondit: « Marthe, Marthe, pourquoi t'agites-tu à propos de tant de choses et te laisses-tu troubler par tant de détails? Une seule chose mérite réellement l'attention; du moment que Marie a choisi cette activité bonne et utile, je ne vais pas l'en détourner. Mais quand apprendrez-vous toutes les deux à vivre comme je vous l'ai enseigné? Servez en coopération et rafraîchissez vos âmes à l'unisson. Ne pouvez-vous apprendre qu'il y a un temps pour chaque chose -- que les questions secondaires de la vie doivent s'effacer devant les questions primordiales du royaume céleste? »
9. -- À BETHLÉHEM AVEC ABNER
Durant toute la semaine qui suivit la fête des Tabernacles, des dizaines de croyants se rassemblèrent à Béthanie et furent instruits par les douze apôtres. Le sanhédrin ne fit rien pour troubler ces réunions, parce que Jésus n'y participait pas; durant tout ce temps, il avait travaillé à Bethléhem avec Abner et ses collaborateurs. Le lendemain de la clôture de la fête, Jésus était reparti pour Béthanie et n'enseigna plus au temple durant ce séjour.
À cette époque, Abner avait établi son quartier général à Bethléhem, d'où beaucoup de disciples avaient été envoyés dans les villes de la Judée et de la Samarie méridionale, et même à Alexandrie. Quelques jours après être arrivé, Jésus paracheva avec Abner les projets destinés à consolider l'oeuvre des deux groupes d'apôtres.
Durant sa visite à la fête des Tabernacles, Jésus avait divisé à peu près également son temps entre Béthanie et Bethléhem à Béthanie, il passa beaucoup de temps avec ses apôtres; à Bethléhem, il instruisit longuement Abner et les anciens apôtres de Jean le Baptiste. Ce fut ce contact étroit qui les amena finalement à croire en lui. Les anciens apôtres de Jean furent influencés par le courage montré par Jésus enseignant publiquement à Jérusalem et par la compréhension sympathique qu'il leur témoigna dans son enseignement privé à Bethléhem. Sous ces influences, chacun des collaborateurs d'Abner fut amené à accepter de tout coeur, pleinement et définitivement, le royaume et tout ce que ce progrès impliquait.
Avant de quitter Bethléhem pour la dernière fois, le Maître prit des dispositions pour que tous ses collaborateurs se joignent à lui dans l'effort qui devait précéder la fin de sa carrière terrestre. Il fut convenu qu'Abner et ses associés rejoindraient bientôt Jésus et les douze au Parc de Magadan.
Au début de novembre, et conformément à cet accord, Abner et ses onze collaborateurs épousèrent la cause de Jésus et des douze; ils travaillèrent ensemble en une seule organisation jusqu'au jour de la crucifixion.
À la fin d'octobre, Jésus et les douze s'éloignèrent du voisinage immédiat de Jérusalem. Le lundi 30 octobre, ils quittèrent la ville d'Ephraïm où Jésus s'était reposé dans l'isolement durant quelques jours; passant par la grande route de la rive droite du Jourdain, ils allèrent directement au Parc de Magadan, où ils arrivèrent à la fin de l'après-midi du mercredi 2 novembre.
Les apôtres furent grandement soulagés de voir le Maître revenu dans une contrée amicale. Ils cessèrent de le presser d'aller à Jérusalem pour proclamer l'évangile du royaume.
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- Category: 4. LA VIE ET LES ENSEIGNEMENTS DE JÉSUS
SUITE DES DISCUSSIONS AVEC RODAN
LE dimanche 25 septembre de l'an 29, les apôtres et les évangélistes se rassemblèrent à Magadan. Ce soir-là, après une longue conférence, Jésus surprit tous ses collaborateurs en annonçant que le lendemain matin il partirait de bonne heure pour Jérusalem avec les douze apôtres pour assister à la fête des tabernacles. Il ordonna aux évangélistes de visiter les croyants en Galilée, et au groupe féminin de retourner pour un certain temps à Bethsaïde.
Quand arriva l'heure du départ pour Jérusalem, Nathanael et Thomas étaient encore au milieu de leurs discussions avec Rodan d'Alexandrie; ils obtinrent du Maître la permission de rester quelques jours de plus à Magadan. Ainsi, pendant que Jésus et les dix faisaient route vers Jérusalem, les deux autres apôtres continuèrent leurs échanges de vues avec Rodan. La semaine précédente, au cours de laquelle Rodan avait exposé sa philosophie, Thomas et Nathanael avaient tour à tour présenté l'évangile du royaume au philosophe grec. Rodan constata que les enseignements de Jésus lui avaient été bien exposés par son professeur d'Alexandrie, qui était l'un des anciens apôtres de Jean le Baptiste.
1. -- LA PERSONNALITÉ DE DIEU
Il y avait une question sur laquelle Rodan et les deux apôtres divergeaient, et c'était la personnalité de Dieu. Rodan acceptait facilement tout ce on lui présentait au sujet des attributs de Dieu, mais il soutenait que le Père céleste n'est pas et ne peut pas être une personne au sens où les hommes conçoivent la personnalité. Quand les apôtres essayèrent de lui prouver que Dieu est une personne, ils se trouvèrent en difficulté; mais Rodan trouva encore plus difficile de prouver que Dieu n'est pas une personne.
Rodan soutint que la personnalité consiste dans le fait simultané que des êtres capables de se comprendre sympathiquement communiquent pleinement et mutuellement sur un pied d'égalité. Rodan dit: « Pour que Dieu soit une personne, il faudrait qu'il ait des symboles de communication spirituelle lui permettant d'être pleinement compris par ceux qui entrent en contact avec lui. Or Dieu est infini et éternel, et c'est lui qui a créé tous les êtres; donc, en ce qui concerne le pied d'égalité, Dieu est seul dans l'univers. Nul ne lui est égal; il ne peut communiquer avec personne comme un égal. Dieu est peut-être la source de toute personnalité, mais alors il transcende la personnalité, de même que le Créateur se situe au-dessus et au delà de la créature ».
Ce démêlé avait beaucoup troublé Thomas et Nathanael, et ils avaient appelé Jésus à la rescousse, mais le Maître refusa d'entrer dans la discussion. Toutefois il dit à Thomas: « Peu importe l'idée que tu peux te faire du Père, pourvu que tu connaisses spirituellement l'idéal de sa nature infinie et éternelle.
Thomas affirma que Dieu communique avec les hommes, et qu'en conséquence le Père est une personnalité, même selon la définition de Rodan. Le philosophe grec le contesta en disant que Dieu ne se révèle pas personnellement et qu'il reste un mystère lors Nathanael fit appel à sa propre expérience personnelle avec Dieu, et Rodan l'admit, en affirmant qu'il avait eu récemment des expériences semblables, mais il soutint que ces expériences prouvaient seulement la réalité de Dieu et non sa personnalité.
Le lundi soir, Thomas renon a à le convaincre, mais le mardi soir Nathanael avait amené Rodan à croire à la personnalité du Père. Il était parvenu à changer le point de vue du Grec par les étapes de raisonnement suivantes:
1. Le Père du Paradis jouit d'une égalité de communication avec au moins deux êtres qui lui sont pleinement égaux et semblables -- le Fils Éternel et l'Esprit Infini. Compte tenu de la doctrine de la Trinité, le Grec fut obligé de concéder que le Père Universel, pouvait avoir une personnalité. (Ce fut l'étude ultérieure de ces discussions à conduisit à la conception élargie de la Trinité dans la pensée des douze apôtres. Bien entendu la croyance générale identifiait Jésus avec le Fils Éternel.)
2. Puisque Jésus était égal au Père, et puisque ce Fils était parvenu à manifester sa personnalité à ses enfants terrestres, ce phénomène constituait la preuve et démontrait la possibilité que les trois Déités possédaient une personnalité. En même temps, il réglait définitivement la question concernant l'aptitude de Dieu à communiquer avec les hommes et la possibilité pour les hommes de communiquer avec Dieu.
3. Le fait que Jésus était en termes d'association mutuelle et de parfaite communication avec les hommes, et qu'il était le Fils de Dieu. La relation entre le Père et le Fils présuppose une égalité de communication et une compréhension sympathique mutuelle. Le Père et le Fils ne font qu'un. Jésus maintient simultanément des communications compréhensives à la fois avec Dieu et avec l'homme. Puisque Dieu et l'homme comprennent tous deux la signification des symboles communiqués par Jésus, Dieu et l'homme possèdent tous deux les attributs de la personnalité vue sous l'angle de l'aptitude à intercommuniquer. La personnalité de Jésus démontre la personnalité de Dieu et apporte la preuve décisive de la présence de Dieu chez l'homme. Deux choses reliées à une troisième où un lien entre elles.
4. La personnalité représente notre conception la plus élevée de la réalité humaine et des valeurs divines. Dieu représente également notre conception la plus élevée de la réalité divine et des valeurs infinies; Dieu doit donc être une personnalité divine et infinie, mais bien réelle, quoique transcendant infiniment la conception et la définition humaines de la personnalité; il reste toujours et éternellement une personnalité.
5. Il faut bien que Dieu soit une personnalité puisqu'il est le Créateur de toute personnalité et la destinée de toute personnalité. Le commandement de Jésus: « Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait (1) » avait prodigieusement influencé Rodan.
(1) Matthieu V - 48.
Après avoir entendu ces arguments, Rodan dit: « Je suis convaincu. J'avouerai que Dieu est une personne si, en confessant cette croyance, vous me permettez d'attacher au sens de sa personnalité une série plus étendue de valeurs qualificatives telles que supra-humaine, transcendante, suprême, infinie, finale, et universelle. Je suis désormais convaincu que Dieu doit être infiniment plus qu'une personnalité, mais qu'il ne peut rien être de moins. Je suis d'accord pour mettre fin à la discussion et pour accepter Jésus en tant que révélation personnelle du Père; il comble toutes les lacunes de la logique, de la raison, et de la philosophie».
2. -- LA NATURE DIVINE DE JÉSUS
Nathanael et Thomas ayant pleinement approuvé le point de vue de Rodan sur l'évangile du royaume, il ne restait plus qu'un seul point à éclaircir, celui de l'enseignement concernant la nature divine de Jésus; cette doctrine venait seulement d'être divulguée publiquement. Nathanael et Thomas présentèrent conjointement leur opinion sur la nature divine du Maître et l'exposé ci-dessous est une présentation résumée, cordonnée, et retranscrite de leurs explications:
1. Jésus a affirmé sa divinité, et nous le croyons. Beaucoup d'événements remarquables survenus en liaison avec son ministère ne sont compréhensibles que si l'on croit qu'il est le Fils de Dieu aussi bien que le Fils de l'Homme.
2. Son association avec nous donne l'exemple d'une amitié humaine idéale; seule une personnalité divine peut être un pareil ami humain. Il est la personne la plus sincèrement désintéressée que nous ayons jamais connue. Il est même l'ami des pécheurs, et il ose aimer ses ennemis. Il est très loyal envers nous. Bien qu'il n'hésite pas à nous réprimander, il est évident pour tous qu'il nous aime véritablement. Mieux on le connaît, plus on l'aime. On est charmé par son inébranlable dévouement. Durant toutes ces années où nous n'avons pas réussi à comprendre sa mission , il est resté un ami fidèle. Il n'emploie pas la flatterie; il est invariablement tendre et compatissant. Il a partagé avec nous sa vie et toutes choses. Nous formons une communauté heureuse; nous mettons tout en commun. Nous ne croyons pas qu'un simple humain puisse vivre une vie aussi exemplaire dans des circonstances aussi éprouvantes.
3. Nous pensons que Jésus est divin parce qu'il ne fait jamais de mal; il ne commet jamais d'erreurs. Sa sagesse est extraordinaire et sa piété magnifique. Il vit jour après jour en parfait accord avec la volonté du Père. Il ne se repent jamais d'avoir mal fait, parce qu'il ne transgresse aucune des lois du Père. Nous croyons qu'il est constamment exempt de péché. Nous ne croyons pas qu'une personne uniquement humaine ait jamais mené une vie semblable. Il prétend vivre une vie parfaite, et nous reconnaissons qu'il le fait. Notre piété provient de la repentance, mais la sienne provient de la droiture. Il professe même le pardon des péchés, et il guérit les maladies. Nul homme sain d'esprit ne prétendrait pardonner les péchés, car c'est une prérogative divine. Dès notre premier contact avec lui, il nous a paru parfait dans sa droiture. Nous croissons en grâce et en connaissance de la vérité, mais notre Maître a montré sa maturité dans la droiture dès le commencement. Tous les hommes, bons ou mauvais, reconnaissent ces éléments de bonté chez Jésus. Cependant sa piété n'est jamais importune ni ostentatoire. Il est à la fois débonnaire et intrépide. Il paraît approuver notre croyance en sa divinité. Ou bien il est ce qu'il prétend être, ou bien il est le plus grand hypocrite et mystificateur que le monde ait jamais connu. Nous sommes persuadés qu'il est exactement ce qu'il prétend être.
4. Son caractère extraordinaire et la perfection de son contrôle émotif nous convainquent qu'il est une combinaison d'humanité et de divinité. Il réagit infailliblement au spectacle de la misère humaine. Les souffrances ne manquent jamais de l'émouvoir. Sa compassion est soulevée aussi bien par les souffrances physiques que par l'anxiété mentale ou les chagrins spirituels. Il reconnaît vite et généreusement la présence de la foi ou de toute autre grâce chez ses contemporains. Il est juste et équitable en même temps que miséricordieux et déférent. Il s'attriste de voir les gens s'obstiner contre l'esprit, et se réjouit quand ils ouvrent les yeux à la lumière de la vérité.
5. Il paraît connaître mentalement la pensée des hommes et comprendre les désirs de leur coeur. Il est toujours compatissant envers nos esprits troublés. Il paraît nanti de tous nos sentiments humains, mais magnifiquement glorifiés. Il adore la bonté et déteste tout aussi énergiquement le péché. Il possède une conscience supra-humaine de la présence de la Déité. Il prie comme un homme, mais agit comme un Dieu. Il paraît tout connaître d'avance; dès maintenant, il ose parler de sa mort avec une référence mystique à sa future glorification. Il est aimable, mais il est également brave et courageux. Il ne chancelle jamais en faisant son devoir.
6. Nous sommes constamment impressionnés par le phénomène de sa connaissance supra-humaine. Il ne s'écoule guère de journée sans qu'un incident vienne révéler que le Maître sait ce qui se passe hors de sa présence immédiate. Il paraît également savoir ce que pensent ses collaborateurs. Il est indubitablement en communion avec des personnalités célestes. Il vit incontestablement sur un plan spirituel qui transcende de loin le nôtre. Tout paraît accessible à son intelligence extraordinaire. Il nous pose des questions pour nous forcer à penser, et non pour se renseigner.
7. Récemment, le Maître n'a pas hésité à affirmer sa nature supra-humaine. Depuis le jour de notre ordination comme apôtres jusqu'à une époque toute récente, il n'a jamais nié qu'il venait du Père céleste. Il parle avec l'autorité d'un instructeur divin. Le Maître n'hésite pas à réfuter les enseignements actuels de la religion et à proclamer le nouvel évangile avec une autorité positive. Il est affirmatif, positif, et plein d'autorité. Même Jean le Baptiste déclara que Jésus était le Fils de Dieu quand il l'eut entendu parler. Le Maître paraît se suffire à lui-même. Il ne recherche pas l'appui de la foule; il est indifférent aux opinions d'autrui. Il est courageux, mais totalement dépourvu d'orgueil.
8. Il parle constamment de Dieu comme d'un associé toujours présent dans tout ce qu'il entreprend. Il circule en faisant du bien, car Dieu paraît être en lui. Il émet les affirmationsles plus étonnantes sur lui-même et sa mission sur terre; elles seraient absurdes si elles n'étaient pas divines. Il a une fois déclaré: « Avant qu'Abraham fût, Je suis » (1). Il affirme nettement qu'il est divin, qu'il est associé à Dieu. Il épuise presque entièrement les ressources du langage pour réitérer sa prétention d'être intimement associé au Père céleste. Il ose même affirmer que lui et le Père ne font qu'un. Il dit que quiconque l'a vu a vu le Père. Et il dit et fait toutes ces choses avec le naturel d'un enfant. Il fait allusion à son association avec le Père comme à son association avec nous. Il paraît tellement sûr de Dieu qu'il parle familièrement de ses rapports avec lui.
(1) Jean VIII - 58
9. Dans sa vie de prière, Jésus paraît communiquer directement avec le Père. Nous l'avons rarement entendu prier, mais le peu que nous avons entendu laisse croire qu'il parle à Dieu pour ainsi dire face à face. Il semble connaître l'avenir aussi bien que le passé. Il ne pourrait être tout cela ni faire toutes ces choses extraordinaires si sa nature n'était pas supra-humaine. Nous savons qu'il est humain, nous en sommes sûrs, mais nous sommes presque aussi certains qu'il est également divin. Nous croyons qu'il est divin. Nous sommes convaincus qu'il est le Fils de l'Homme et le Fils de Dieu.
Quand Nathanael et Thomas eurent terminé leurs entretiens avec Rodan, ils partirent en hâte rejoindre leurs compagnons à Jérusalem, où ils arrivèrent le vendredi de la même semaine. L'épisode avait été une grande expérience dans la vie de ces trois croyants, il fut très instructif pour les autres apôtres lorsque Nathanael et Thomas le leur relatèrent.
Rodan retourna à Alexandrie, où il enseigna longtemps sa philosophie à l'école de Méganta. Il devint ultérieurement une puissance dans les affaires du royaume des cieux. Jusqu'à la fin de sa carrière terrestre il fut un fidèle croyant. Il rendit l'âme en Grèce avec d'autres croyants, au plus fort des persécutions.
3. -- LA PENSEE HUMAINE ET DIVINE DE JÉSUS
La conscience de sa divinité se développa graduellement dans la pensée de Jésus jusqu'à l'épisode de son baptême. Après avoir pleinement pris conscience de sa nature divine, de son existence pré-humaine, et de ses prérogatives universelles, il parut posséder le pouvoir de délimiter diversement sa conscience humaine de sa divinité. Pour nous, les médians, il semble qu'entre son baptême et sa crucifixion Jésus eut entièrement le choix de dépendre uniquement de sa pensée humaine ou d'utiliser à la fois la pensée humaine et la pensée divine. Parfois il paraissait se servir uniquement des informations contenues dans l'intellect humain. En d'autres occasions, il paraissait agir avec une plénitude de connaissance et de sagesse que seule l'utilisation de l'élément surhumain de sa conscience divine pouvait lui procurer.
Pour comprendre ses exploits extraordinaires, il faut accepter la théorie qu'il pouvait, à volonté, limiter lui-même sa conscience divine. Nous savons parfaitement qu'il cachait souvent à ses collaborateurs sa prescience des événements, et qu'il était au courant de la nature de leurs pensées et de leurs projets. Nous comprenons qu'il ne voulait pas que ses disciples connaissent trop bien son aptitude à discerner leurs pensées et à pénétrer leurs plans. Il ne désirait pas surpasser de trop loin les conceptions humaines figurant dans la pensée de ses apôtres et de ses disciples.
Nous sommes extrêmement embarrassés pour établir la différence entre la pratique de Jésus limitant lui-même sa conscience divine, et sa technique pour dissimuler à ses collaborateurs humains sa prescience des faits et sa perception des pensées. Nous sommes convaincus qu'il utilisait les deux techniques mais, en certaines circonstances, nous ne sommes pas toujours capables de spécifier la méthode qu'il a pu employer. Nous l'avons fréquemment vu agir uniquement avec le facteur humain de sa conscience; à d'autres moments, nous l'avons vu en conférence avec les administrateurs des armées célestes de l'univers, et nous avons discerné le fonctionnement indubitable de sa pensée divine. Enfin, en d'innombrables occasions, nous avons vu opérer sa personnalité conjuguée d'homme et de Dieu, animée par l'union apparemment parfaite de sa pensée humaine et de sa pensée divine. Notre connaissance de ce phénomène se limite là; en réalité nous ne savons pas toute la vérité sur ce mystère.
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RODAN D'ALEXANDRIE
LE dimanche matin 18 septembre de l'an 29, André annonça qu'aucun travail ne serait prévu pour la semaine suivante. Tous les apôtres, sauf Nathanael et Thomas, se rendirent dans leur famille ou séjournèrent chez des amis. Jésus bénéficia cette semaine-là d'une période de repos à peu près complet, mais Nathanael et Thomas furent très occupés par leurs discussions avec un philosophe d'Alexandrie nommé Rodan. Ce Grec était récemment devenu disciple de Jésus grâce à l'enseignement d'un collaborateur d'Abner, qui avait dirigé une mission à Alexandrie. Rodan s'efforçait maintenant de bien harmoniser sa vie avec les nouveaux enseignements religieux de Jésus, et il était venu à Magadan dans l'espoir que le Maître accepterait d'examiner ces problèmes avec lui. Il désirait aussi obtenir de première main une version authentique de l'évangile, donnée soit par Jésus soit par l'un de ses apôtres. Le Maître refusa d'entamer une pareille discussion avec Rodan, mais il le reçut très aimablement; il ordonna immédiatement à Thomas et à Nathanael d'écouter tout ce que Rodan avait à dire et, en contrepartie, de lui parler de l'évangile.
1. -- LA PHILOSOPHIE GRECQUE DE RODAN
Le lundi matin de bonne heure, Rodan commença une série de dix conférences où Nathanael, Thomas, et deux douzaines de croyants qui se trouvaient à Magadan. Condensées, conjuguées, et retranscrites en langage moderne, ces causeries offrent à la pensée les considérations suivantes:
La vie humaine consiste en trois grandes impulsions: les besoins, les désirs, et les attirances. Pour acquérir un caractère fort et devenir une personnalité éminente, il faut convertir la poussée naturelle de la vie en l'art de vivre en société, et transformer les désirs immédiats en aspirations supérieures donnant lieu à des réalisations durables; en même temps, l'attraction de l'existence ordinaire modelée sur les idées conventionnelles et établies doit être transférée dans les royaumes supérieurs d'idées inexplorées et d'idéaux non encore découverts.
Plus la civilisation devient complexe, plus l'art de vivre est difficile. Plus les moeurs changent rapidement, et plus la tâche de développer le caractère devient compliquée. Pour que le progrès se poursuive, il faut que l'humanité réapprenne, toutes les dix générations, l'art de vivre. Et si, par leur ingéniosité, les hommes compliquent encore plus rapidement la vie sociale, il faudra réapprendre l'art de vivre à des intervalles plus rapprochés, peut-être à chaque génération. Si l'évolution de l'art de vivre ne progresse pas parallèlement à la technique de l'existence, l'humanité en reviendra rapidement au simple instinct de conservation -- à la satisfaction des désirs immédiats. Alors elle restera dans l'enfance, et la société ne réussira pas à atteindre sa pleine maturité.
La maturité sociale s'évalue par la mesure dans laquelle les hommes acceptent de renoncer à satisfaire leurs désirs simplement transitoires et momentanés, pour entretenir les aspirations supérieures dont la réalisation procure les satisfactions plus abondantes d'avancement progressif vers des buts permanents. Mais le signe certain de maturité sociale d'un peuple est le fait qu'il accepte de renoncer au droit de vivre en se contentant paisiblement des croyances établies et des idées conventionnelles. Il abandonne ces critères de facilité en faveur de l'attrait des possibilités inexplorées permettant d'atteindre des buts non découverts de réalités spirituelles idéalistes; il poursuit cet effort aventureux qui exige de l'énergie.
Les animaux réagissent noblement aux impulsions de la vie, mais l'homme est seul à pouvoir atteindre l'art de vivre, bien que la majeure partie de l'humanité n'éprouve que le besoin animal de vivre. Les animaux connaissent ce besoin aveugle et instinctif, mais l'homme est capable de transcender l'impulsion des fonctions naturelles. L'homme peut décider de vivre sur le plan élevé de l'art intelligent, et même sur celui de la vie céleste et de l'extase spirituelle. Les animaux ne s'informent jamais des buts de la vie; c'est pourquoi ils n'ont jamais de soucis et ne se suicident pas. Chez les hommes, le suicide témoigne qu'ils ont émergé du stade d'existence purement animal, et en outre qu'ils n'ont pas réussi à atteindre les niveaux où l'expérience humaine devient un art. Les animaux ne connaissent pas la signification de la vie. Non seulement l'homme possède la faculté de reconnaître les valeurs et de comprendre les significations, mais aussi il a conscience de la signification des significations -- il est conscient de sa propre perspicacité.
Quand on ose abandonner une vie de désirs naturels pour un art de vivre aventureux où la logique est incertaine, il faut rendre les risques correspondants d'accidents émotionnels -- conflits, chagrins, et incertitudes -- au moins jusqu'à ce que l'on atteigne un certain degré de maturité intellectuelle et psychique. Le découragement, les soucis, et l'indolence sont des preuves positives d'absence de maturité morale. La société humaine est confrontée par deux problèmes: amener à maturité d'une part les hommes et d'autre part la race. Un être humain mûr, ou moralement adulte, ne tarde pas à regarder tous les autres mortels avec des sentiments de tendresse et de tolérance. Les hommes mûrs traitent ceux qui ne le sont pas avec l'amour et la considération que des parents témoignent à leurs enfants.
La réussite dans la vie n'est rien de plus et rien de moins que l'art d'apprendre des techniques sûres pour résoudre des problèmes ordinaires. Le premier pas dans la solution d'une question quelconque consiste à situer la difficulté, à isoler le problème, et à reconnaître franchement sa nature et sa gravité. La grande erreur consiste à refuser de reconnaître les problèmes de la vie quand ils nous effrayent. De même, quand la récognition de nos difficultés implique une atteinte à notre vanité longtemps chérie, ou l'aveu que l'on est envieux, ou l'abandon de préjugés profondément enracinés, la moyenne des gens préfère s'attacher aux vieilles illusions de salut et aux sentiments de fausse sécurité longtemps cultivés. Seuls les courageux acceptent honnêtement d'admettre ce que découvre un penseur sincère et logique, et d'y faire face avec intrépidité.
La solution sage et efficace d'un problème quelconque implique une mentalité libre de préventions, de passions, et de tous autres préjugés personnels susceptibles de vicier l'analyse impartiale des facteurs du problème à résoudre. La solution des problèmes de la vie exige du courage et de la sincérité. Seuls les honnêtes et les braves sont capables de franchir courageusement le dédale confus et déroutant dans lequel une pensée intrépide peut les engager. Et jamais l'âme et la pensée ne peuvent s'émanciper ainsi sans la puissante impulsion d'un enthousiasme intelligent frisant le zèle religieux. Il faut l'attirance d'un grand idéal où inciter les hommes à poursuivre un but hérissé de problèmes matériels délicats et d'obstacles intellectuels multiples.
Même si l'on est bien armé pour affronter les situations difficiles de la vie, on ne peut guère espérer le succès si l'on n'est pas doté de la sagesse de pensée et du charme de personnalité qui vous permettent d'obtenir la coopération et le soutien cordiaux de votre entourage. Ni dans l'oeuvre religieuse ni dans le travail laïque, vous ne pouvez espérer un franc succès à moins d'avoir appris à persuader vos compagnons, à moins d'avoir autorité sur les hommes. Il est indispensable d'avoir du tact et de la tolérance.
C'est de Jésus, votre Maître, que j'ai appris la méthode majeure pour résoudre les problèmes. Je fais allusion à la méditation adoratrice solitaire qu'il pratique avec tant de persévérance et qu'il vous a si fidèlement enseignée. Jésus s'en va fréquemment seul pour communier avec le Père céleste. Dans cette habitude réside la technique non seulement pour prendre des forces et acquérir de la sagesse en vue des conflits ordinaires de la vie, mais aussi pour s'approprier l'énergie nécessaire en vue de résoudre les problèmes supérieurs de nature morale et spirituelle. Toutefois, même les méthodes correctes pour résoudre les problèmes ne compensent pas les défauts Inhérents à la personnalité et ne rachètent pas l'absence de faim et de soif pour la vraie droiture.
Je suis profondément impressionné par l'habitude qu'a Jésus de s'en aller à l'écart pour une période d'examen solitaire des problèmes de la vie; il y recherche de nouvelles réserves de sagesse et d'énergie pour faire face aux multiples exigences du service social; il vivifie et approfondit le but suprême de la vie en soumettant réellement sa personnalité totale à la conscience du contact avec la divinité; il saisit des méthodes nouvelles et meilleures pour s'adapter aux situations toujours changeantes de l'existence vécue; il effectue les reconstructions vitales et les réadaptations personnelles qui sont si essentielles pour apercevoir avec une perspicacité accrue les réalités majeures; et il fait tout cela en concentrant son regard sur la gloire de Dieu -- il émet avec sincérité sa prière favorite: « Que ta volonté soit faite, et non la mienne ».
Cette pratique d'adoration de votre Maître apporte la détente qui renouvelle la pensée, l'illumination qui inspire l'âme, le courage qui permet de faire bravement face aux problèmes, la compréhension de soi qui supprime la peur débilitante, et la conscience de l'union avec la divinité, qui procure à l'homme l'assurance lui permettant d'oser ressembler à Dieu. La détente due à l'adoration, la communion spirituelle telle que la pratique le Maître, soulage les tensions, élimine les conflits, et accroît puissamment la somme des ressources de la personnalité. Toute cette philosophie, ajoutée à l'évangile du royaume, constitue la nouvelle religion telle que je le comprends.
Les préjugés aveuglent l'âme et l'empêchent de reconnaître la vérité. Seule peut les écarter une dévotion sincère de l'âme à l'adoration d'une cause embrassant tout et incluant tous les membres de l'humanité. Les préjugés sont inséparablement liés à l'égoïsme. On ne peut les éliminer qu'en abandonnant l'égocentrisme et en y substituant l'effort de servir avec satisfaction une cause non seulement plus grande que soi, mais plus vaste que toute l'humanité -- la recherche de Dieu, l'aboutissement à la divinité. La preuve de la maturité d'une personne réside dans la transformation de ses désirs humains en une recherche constante de la conception des valeurs les plus élevées et les plus divinement réelles.
Dans un monde en changement continuel, au milieu d'un ordre social évoluant, il est impossible de maintenir des buts de destinée fixés une fois pour toutes. Seuls peuvent acquérir une personnalité stable ceux qui ont découvert le Dieu vivant et l'ont pour but d'accomplissement infini. Pour transférer ainsi son but temporel dans l'éternité, de la terre au Paradis, de l'humain au divin, il faut que l'homme soit régénéré, converti, né de nouveau, qu'il devienne l'enfant re-créé de l'esprit divin, qu'il gagne son entrée dans la confraternité du royaume des cieux. Toutes les philosophies et religions ayant des idéaux inférieurs à ceux-là sont enfantines. La philosophie que j'enseigne, liée à l'évangile que vous prêchez, représente la nouvelle religion des adultes, l'idéal de toutes les générations futures. Et ceci est vrai parce que notre idéal est définitif, infaillible, éternel, universel, absolu, et infini.
Ma philosophie m'a poussé à rechercher les réalités de l'accomplissement véritable, le but de la maturité. Mais mon désir était impuissant, ma recherche manquait de force motrice, mon enquête souffrait par défaut de certitude quant à son orientation. Ces imperfections ont été abondamment compensées par le nouvel évangile de Jésus, avec son rehaussement de clairvoyance, l'élévation de ses idéaux, et la fixité de ses buts. Sans plus de doute ni d'hésitation, je peux maintenant m'engager dans l'aventure éternelle.
2. -- L'ART DE VIVRE
Les hommes n'ont que deux manières de vivre en société: la manière animale et la manière spirituelle ou humaine. Par l'emploi de signaux et de sons, les animaux peuvent communiquer entre eux dans une mesure limitée, mais ces formes de communication ne transmettent ni les significations, ni les valeurs, ni les idées. L'homme se différencie de l'animal parce qu'il peut communiquer avec ses compagnons au moyen de symboles qui désignent et identifient avec certitude les significations, les valeurs, et les idées, ou même les idéaux.
Faute de pouvoir se communiquer des idées, les animaux ne peuvent manifester une personnalité. L'homme développe sa personnalité parce qu'il peut communiquer avec ses semblables au sujet de ses idées et de ses idéaux. C'est cette aptitude à transmettre et à partager des significations qui constitue la culture humaine et permet aux hommes, grâce à des associations sociales, de bâtir des civilisations. La connaissance et la sagesse deviennent cumulatives à cause de l'aptitude des hommes à communiquer leurs acquêts aux générations suivantes, et cela fait naître les activités culturelles de la race: arts, sciences, religions, et philosophies.
Les communications par symboles entre les êtres humains provoquent l'apparition de groupes sociaux. Le groupe social le plus efficace de tous est la famille, et plus particulièrement les deux parents. L'affection personnelle est le lien spirituel qui cimente ces associations matérielles. Des relations socialement utiles peuvent également exister entre personnes du même sexe, comme on en a vu tant d'exemples entre amis véritablement dévoués.
Les associations basées sur l'amitié et l'affection mutuelle sont socialisantes et ennoblissantes, parce qu'elles encouragent et facilitent les facteurs suivants qui sont essentiels aux niveaux supérieurs de l'art de vivre:
1. S'exprimer et se comprendre mutuellement. Beaucoup de nobles impulsions humaines meurent parce qu'il n'y a personne pour assister à leur expression. En vérité, il n'est pas bon que l'homme soit seul. Pour que son caractère se développe, il est essentiel que l'homme soit quelque peu reconnu et apprécié. Sans l'amour sincère d'un foyer, nul enfant ne peut atteindre le plein développement d'un caractère normal. Le caractère est quelque chose de plus que la pensée et la morale seules. De toutes les relations sociales instaurées pour développer le caractère, la plus efficace et la plus idéale est l'amitié affectueuse et compréhensive d'un homme et d'une femme réunis par un lien conjugal intelligent. Le mariage, avec ses multiples relations, est le mieux désigné pour faire naître les précieuses impulsions et les motifs supérieurs indispensables au développement d'un caractère fort. Je n'hésite pas a glorifier la vie de famille, car votre Maître a sagement choisi la relation de père à enfant comme pierre angulaire du nouvel évangile du royaume. Cette communauté incomparable de relations entre un homme et une femme, dans l'embrassement affectueux des idéaux supérieurs du temps, est une expérience si précieuse et satisfaisante qu'elle vaut n'importe quel prix, n'importe quel sacrifice exigé pour sa possession.
2. L'union des âmes. La mobilisation de la sagesse. Tout être humain acquiert tôt ou tard une certaine conception de ce monde et une certaine vision du suivant. Or il est possible, par une association de personnalités, d'unir ces points de vue sur l'existence temporelle et ces perspectives éternelles. Alors la pensée de l'un accroît ses valeurs spirituelles en assimilant une grande partie des aperçus de l'autre. De cette manière, les hommes enrichissent l'âme en mettant en commun leurs possessions spirituelles respectives. De cette manière également, l'homme peut éviter la tendance permanente à être victime de son imagination déformante, de ses points de vue préjudiciels, et de son étroitesse de jugement. On ne peut écarter la peur, l'envie, et la vanité que par contact intime avec d'autres penseurs. J'attire votre attention sur le fait que le Maître ne vous envoie jamais seuls pour travailler à l'expansion du royaume; il vous envoie toujours deux par deux. Puisque la sagesse est une super-connaissance, il s'ensuit qu'en unissant leur sagesse les membres d'un groupe social, petit ou grand, partagent mutuellement toutes leurs connaissances.
3. La vie enthousiaste. L'isolement tend à épuiser la charge d'énergie de l'âme. L'association avec des compagnons est essentielle pour renouveler l'entrain de la vie, et indispensable pour conserver le courage de mener les batailles qui suivent l'ascension à des niveaux supérieurs de vie humaine. L'amitié rehausse les joies et glorifie les triomphes de la vie. Les associations humaines amicales et intimes réduisent beaucoup la tristesse des souffrances et l'amertume des épreuves. La présence d'un ami rehausse toute beauté et exalte toute bonté. Par des symboles intelligents, l'homme peut vivifier et élargir la capacité d'appréciation de ses amis. Ce pouvoir et cette possibilité d'une stimulation mutuelle de l'imagination est une des gloires suprêmes de l'amitié humaine. Un grand pouvoir spirituel est inhérent à la conscience d'être consacré de tout coeur à une cause commune, d'être mutuellement fidèle à une Déité cosmique.
4. La défense accrue contre tout mal. Les associations de personnalités et l'affection mutuelle sont une assurance efficace contre le mal. Les difficultés, les tristesses, les déceptions, et les défaites sont plus douloureuses et décourageantes quand il faut les supporter seul. L'association ne transforme pas le mal en droiture, mais elle aide considérablement à diminuer les tourments du mal. Votre Maître a dit: « Heureux les endeuillés » -- si un ami est là pour les consoler. Il y a une force positive dans la connaissance que vous vivez pour le bonheur d'autrui, et que les autres vivent de même pour votre bonheur et votre évolution. L'homme languit dans l'isolement. Les êtres humains se découragent infailliblement si leur point de vue se limite aux accomplissements fugitifs du temps. Quand le présent est séparé du passé et de l'avenir il devient d'une banalité exaspérante. Un simple aperçu du cercle de l'éternité peut donner a l'homme l'inspiration de faire de son mieux et de lancer à ce qu'il y a de mieux en lui le défi de faire l'impossible. Quand l'homme est ainsi en pleine forme, il vit généreusement pour le bien de ses semblables séjournant avec lui dans le temps et dans l'éternité.
Je répète que cette association vivifiante et ennoblissante trouve ses possibilités idéales dans les relations du mariage humain. Il est vrai que beaucoup de résultats sont obtenus hors du mariage, et qu'un grand, un très grand nombre de mariages ne réussissent aucunement à produire ces fruits moraux et spirituels. On voit trop souvent se marier des couples qui recherchent des valeurs inférieures à ces corollaires sublimes de la maturité humaine. Le mariage idéal doit être fondé sur quelque chose de plus stable que les fluctuations du sentiment et l'inconstance de la simple attraction sexuelle; il doit être basé sur un dévouement personnel sincère et mutuel. Alors, si l'on peut bâtir ces petites unités fidèles et efficaces d'associations humaines, le monde verra une grande structure sociale glorifiée, la civilisation de la maturité terrestre. La race correspondante commencera à réaliser quelque peu l'idéal mentionné par votre Maître: « Paix sur terre et bonne volonté parmi les hommes ». Une telle société ne sera ni parfaite ni entièrement dégagée du mal, mais au moins elle s'approchera d'une maturité stable.
3. -- LES ATTRAITS DE LA MATURITÉ
L'effort pour atteindre la maturité nécessite du travail, et le travail exige de l'énergie. D'où vient le pouvoir permettant d'accomplir tout ceci? On peut considérer les facteurs physiques comme acquis, mais le Maître a bien dit que « l'homme ne peut vivre uniquement de pain ». Quand on possède un corps normal et une santé raisonnablement bonne, il faut rechercher ensuite les attraits qui agiront comme stimulants pour faire surgir les forces spirituelles en sommeil chez les hommes. Jésus nous a enseigné que Dieu vit dans l'homme; alors, comment pouvons-nous amener les hommes à libérer les pouvoirs divins et infinis enchaînés dans leur âme? Comment pouvons-nous inciter les hommes à donner le champ libre à Dieu pour qu'il jaillisse de nous en rafraîchissant notre âme au passage, et contribue ensuite à éclairer, élever, et bénir d'innombrables autres âmes? Quelle est la meilleure manière pour moi d'éveiller les pouvoirs bénéfiques latents qui dorment dans votre âme? Il y a une chose dont je suis certain, c'est que l'excitation émotive n'est pas le stimulant spirituel idéal; elle n'accroît pas l'énergie; elle épuise plutôt les forces de la pensée et du corps. D'où vient alors l'énergie permettant d'accomplir de grandes choses? Observez votre Maître. A l'heure actuelle, il est parti dans la montagne pour récupérer de la puissance pendant qu'ici nous dépensons de l'énergie. Le secret de tout ce problème gît dans la communion spirituelle, dans l'adoration. Du point de vue humain, il s'agit de conjuguer la méditation et la détente. La méditation établit le contact de la pensée avec l'esprit; la détente détermine l'aptitude à la réceptivité spirituelle. L'adoration substitue la force à la faiblesse, le courage à la peur, la volonté de Dieu à l'égocentrisme. Du moins, telle est la façon dont le philosophe la considère.
Quand ces expériences sont fréquemment répétées, elles se cristallisent en habitudes d'adoration qui donnent de la force; ces habitudes se traduisent par la formation d'un caractère spirituel, et finalement ce caractère est reconnu par vos semblables comme une personnalité mûre. Au début, ces pratiques sont difficiles et prennent beaucoup de temps, mais quand elles sont devenues des habitudes, elles procurent immédiatement du repos et une économie de temps. Plus la société devient complexe et plus les attraits de la civilisation se multiplient, plus la nécessité devient urgente pour les personnes connaissant Dieu de contracter ces habitudes protectrices destinées à conserver et à accroître leur énergie spirituelle.
Un autre facteur nécessaire pour atteindre la maturité est l'adaptation coopérative des groupes sociaux à un entourage toujours changeant. Les individus dépourvus de maturité excitent l'antagonisme de leurs compagnons; l'homme mûr gagne la coopération cordiale de ses associés, ce qui multiplie considérablement les fruits des efforts de sa vie.
Ma philosophie me dit qu'il y a des moments où je dois combattre, s'il en est besoin, pour défendre ma conception de la droiture; mais je suis certain que le Maître, avec sa personnalité plus mûr, gagnerait facilement et élégamment une victoire équivalente par sa technique supérieure de tact et de tolérance. Bien trop souvent, quand nous luttons pour la bonne cause, cela se termine par une défaite à la fois pour le vainqueur et pour le vaincu. Hier encore, j'ai entendu le Maître dire que « si un sage désire entrer par une porte verrouillée, il ne la fracture pas, mais cherche plutôt la clef pour la déverrouiller ». Nous engageons trop souvent une bataille simplement pour nous convaincre que nous n'avons pas peur.
Le nouvel évangile du royaume rend un grand service à l'art de vivre, en ce sens qu'il fournit des mobiles nouveaux et plus riches pour une vie supérieure. Il présente un but de destinée nouveau et élevé, un dessein suprême pour la vie. Et ces nouvelles conceptions du but éternel et divin de l'existence sont en elles-mêmes des stimulants transcendants, suscitant la réaction de ce qu'il y a de meilleur dans la nature supérieur de l'homme. Sur tout sommet de l'intelligence, on trouve une détente pour la pensée, de la force pour l'âme, et une communion pour l'esprit. Arrivé à ce niveau de la vie supérieure, l'homme peut transcender les irritations matérielles des niveaux mentaux inférieurs -- soucis, jalousie, envie, désir de revanche, et l'orgueil d'une personnalité primaire. Les âmes qui gravissent ces hauteurs se délivrent d'une multitude de conflits enchevêtrés concernant les vétilles de l'existence, et deviennent ainsi libres de prendre conscience des courants supérieurs de conceptions spirituelles et de communications célestes. Mais le but de la vie doit être jalousement préservé de la tentation d'y parvenir par des réalisations factices et transitoires, il faut également lui donner les soins qui l'immuniseront contre les désastreuses menaces du fanatisme.
4. -- L'ÉQUILIBRE DE LA MATURITÉ
Tout en ayant pour but unique d'atteindre les réalités éternelles, il faut aussi pourvoir aux nécessités de la vie temporelle. Bien que l'esprit soit notre but, la chair est un fait. Il arrive que les ressources nécessaires à la vie nous échoient par accident, mais en général il faut travailler intelligemment pour se les procurer. Les deux problèmes majeurs de la vie sont les suivants: gagner sa vie matérielle et obtenir la survie éternelle. Même celui de gagner sa vie requiert la religion pour être résolu idéalement. Les deux problèmes sont hautement personnels. En fait, la vraie religion n'opère pas en dehors des individus.
Voici les facteurs essentiels de la vie temporelle, tels que je les vois:
| 1. Une bonne santé physique. | |
| 2. Une pensée claire et pure. | |
| 3. Des capacités et de l'habileté. | |
| 4. De la richesse -- les biens de la vie. | |
| 5. L'aptitude à résister aux défaites. | |
| 6. De la culture -- instruction et sagesse. |
Même quand il s'agit de problèmes concernant la santé et l'efficacité physiques, la meilleure façon de les résoudre consiste à les aborder sous l'angle religieux de l'enseignement de notre Maître, en sachant que le corps et la pensée de l'homme sont la demeure du mondes Dieux, l'esprit de Dieu devenant l'esprit de l'homme. La pensée humaine devient alors le médiateur entre le monde physique et les réalités spirituelles.
Il faut de l'intelligence pour s'assurer sa part des choses désirables de la vie. Il est entièrement erroné de supposer que la loyauté dans le travail quotidien assurera la fortune comme récompense. A part les acquisitions occasionnelles et accidentelles de richesses, on constate que les récompenses matérielles de la vie temporelle coulent dans certains chenaux bien organisés; seuls ceux qui ont accès à ces chenaux peuvent s'attendre à être bien rémunérés pour leurs efforts temporels. La pauvreté sera toujours le lot de ceux qui recherchent la richesse dans des chenaux individuels isolés. La prospérité du monde dépend donc essentiellement d'une sage organisation. Le succès exige non seulement que vous soyez dévoués à votre travail, mais aussi, que vous opériez comme un rouage de l'un des chenaux de la richesse matérielle. Si vous êtes malavisés, vous pouvez consacrer votre vie à votre génération sans en recevoir de récompense matérielle. Par contre, si c'est grâce au hasard que vous bénéficiez du flot des richesses, vous pouvez vivre dans le luxe sans avoir rien fait d'utile pour vos contemporains.
Les aptitudes héritent, mais l'habileté s'acquiert. La vie est irréelle pour qui ne sait rien faire expertement. L'habileté est l'une des réelles sources de satisfaction dans la vie. Les aptitudes impliquent le don de perspicacité, de prévoyance à longue échéance. Ne vous laissez pas tromper par les bénéfices tentants des actes malhonnêtes; acceptez de travailler pour les revenus ultérieurs inhérents à un effort honnête. Le sage sait distinguer entre les moyens et les fins; faute de cela, un excès de plans d'avenir peut parfois contrecarrer des desseins élevés. Quant aux plaisirs, vous devriez toujours chercher à en produire autant qu'à en consommer.
Exercez votre mémoire à garder comme un dépôt sacré les épisodes de votre vie qui en valent la peine et donnent de la vigueur, afin de vous en souvenir à volonté pour votre plaisir et votre édification. Construisez ainsi pour vous-même et en vous-même des musées de beauté, de bonté, et de grandeur artistique. Les souvenirs les plus nobles sont les rappels chéris des grands moments d'une belle amitié. Tous ces trésors de la mémoire irradient leur influence la plus précieuse et exaltante au contact libérateur de l'adoration spirituelle.
Mais la vie devient un fardeau si l'on n'apprend pas à échouer élégamment. Il y a dans la défaite un art que les âmes nobles acquièrent toujours; il faut savoir perdre gaîment et ne pas craindre les déceptions. N'hésitez jamais à admettre un échec. Ne cherchez pas à le cacher sous des sourires trompeurs et un optimisme radieux. Il est de bon ton de toujours prétendre avoir réussi, mais cela se termine par des résultats déplorables. Cette technique aboutit directement à la création d'un monde irréel et à un effondrement inévitable dans une ultime désillusion.
Le succès peut engendrer le courage et promouvoir la confiance, mais la sagesse ne provient que des expériences par lesquelles un homme s'adapte aux résultat de ses échecs. Les hommes qui préfèrent les illusions optimistes à la réalité ne peuvent jamais devenir sages. Seuls ceux qui affrontent les faits et s'adaptent aux idéaux peuvent aboutir à la sagesse. La sagesse englobe les faits et les idéaux, et c'est pourquoi elle sauve ses adeptes des deux extrêmes stériles de la philosophie -- l'homme dont l'idéalisme exclut les faits, et le matérialiste dépourvu de vision spirituelle. Les âmes timides qui ne peuvent soutenir la lutte de la vie qu'avec l'aide continue de fausses illusions de succès sont condamnées à subir des échecs et des défaites quand elles se réveilleront finalement du monde des rêves de leur propre imagination.
C'est dans les circonstances où il faut faire face à un échec et s'adapter à la défaite que la vision de grande envergure de la religion exerce son influence suprême. L'échec est simplement un épisode éducatif -- une expérience culturelle pour acquérir de la sagesse -- dans la vie d'un homme à la recherche de Dieu, qui s'est lancé dans l'aventure éternelle d'explorer un univers. Pour cet homme, la défaite n'est qu'un nouvel instrument pour atteindre des niveaux supérieurs de réalité universelle.
La carrière d'un homme recherchant Dieu peut se révéler comme une grande réussite à la lumière de l'éternité, même si tout le cours de sa vie temporelle apparaît comme un échec retentissant, pourvu que chaque insuccès ait incité l'homme à cultiver la sagesse et les accomplissements spirituels. Ne commettez pas l'erreur de confondre la connaissance, la culture, et la sagesse. Elles sont liées dans la vie, mais représentent des valeurs spirituelles extrêmement différentes. La sagesse domine toujours la connaissance et glorifie toujours la culture.
5. -- LA RELIGION DE L'IDÉAL
Vous m'avez dit que, d'après votre Maître, la religion humaine authentique est l'expérience individuelle des réalités spirituelles. J'estime que la religion est l'expérience de l'homme réagissant à un facteur qu'il considère comme digne de l'hommage et de la dévotion de toute l'humanité. Dans ce sens, la religion est notre dévouement suprême à ce qui représente notre conception la plus élevée de nos idéaux et la limite supérieure de notre intelligence recherchant les possibilités éternelles de notre épanouissement spirituel.
Quand les hommes réagissent à la religion dans un sens tribal, national, ou racial, c'est qu'ils considèrent les étrangers à leur groupe comme n'étant pas vraiment humains. Nous considérons toujours l'objet de notre loyalisme religieux comme digne du respect de tous les hommes. Jamais la religion ne peut être une simple affaire de croyance intellectuelle ou de raisonnement philosophique. La religion est toujours et perpétuellement un mode de réaction envers les situations de la vie; elle est une manière de se comporter. La religion implique des pensées, des sentiments, et des actes respectueux envers une réalité que nous estimons digne de l'adoration universelle.
Si quelque chose est devenu une religion dans votre expérience, il est évident que vous êtes déjà un évangéliste actif de cette religion, puisque vous estimez sa conception suprême comme digne du culte de toute l'humanité, de toutes les intelligences de l'univers. Si vous n'êtes pas un évangéliste positif et missionnaire de votre religion, vous vous trompez vous-même; ce que vous appelez religion est seulement une croyance traditionnelle ou un simple système de philosophie intellectuelle. Si votre religion est une expérience spirituelle, l'objet de votre adoration doit être la réalité spirituelle universelle et l'idéal de toutes vos conceptions spiritualisées. J'appelle religions intellectuelles toutes celles qui sont basées sur la peur, les émotions, la tradition, et la philosophie. J'appelle vraies religions celles qui sont fondées sur la véritable expérience spirituelle. L'objet de la dévotion religieuse peut être matériel ou spirituel, vrai ou faux, réel ou irréel, humain ou divin. Les religions peuvent donc être bonnes ou mauvaises.
La moralité et la religion ne sont pas nécessairement les mêmes. En s'emparant d'un objet d'adoration, un système moral peut devenir une religion. En perdant son appel universel à la fidélité et à la dévotion suprêmes, une religion peut se transformer en un système philosophique ou en un code de morale. La chose, l'être, l'état, ou l'ordre d'existence, ou la possibilité d'accomplissement qui constitue l'idéal suprême du loyalisme religieux, et qui est le réceptacle de la dévotion religieuse de ses adorateurs, c'est Dieu. Indépendamment du nom attribué à cet idéal de réalité spirituelle, il est Dieu.
La caractéristique sociale d'une vraie religion consiste dans le fait qu'elle cherche invariablement à convertir les individus et à transformer le monde. La religion implique l'existence d'idéaux inconnus qui transcendent de loin les critères connus d'éthique et de morale incorporés dans les moeurs, même les plus élevées, des institutions civilisées les plus mûres. La religion cherche à atteindre des idéaux non découverts, des réalités inexplorées, des valeurs supra-humaines, une sagesse divine, et un véritable épanouissement spirituel. La vraie religion accomplit tout cela; les autres croyances ne sont pas dignes de ce nom. Il ne peut y avoir de religion spirituelle authentique sans l'idéal suprême et céleste d'un Dieu éternel. Une religion sans ce Dieu est une invention des hommes, une institution humaine de croyances intellectuelles sans vie et de cérémonies sentimentales sans satisfactions. Une religion peut prendre un grand idéal pour objet de sa dévotion, mais les idéaux irréels sont inaccessibles et sont des conceptions illusoires. Les seuls idéaux accessibles aux hommes sont les réalités divines des valeurs infinies contenues dans le fait spirituel du Dieu éternel.
Le mot Dieu, l'idée de Dieu par contraste avec l'idéal de Dieu, peut faire partie de toute religion, si puérile ou fausse qu'elle soit. Et ceux qui entretiennent cette idée de Dieu peuvent en faire tout ce qu'ils veulent. Les religions inférieures modèlent leurs idées de Dieu pour les adapter à l'état naturel du coeur humain. Les religions supérieures demandent que le coeur humain soit changé pour satisfaire les exigences des idéaux de la vraie religion.
La religion de Jésus transcende toutes nos conceptions antérieures de l'idée d'adoration, en ce sens que non seulement il décrit son Père comme l'idéal de la réalité infinie, mais aussi qu'il déclare positivement que cette source divine de valeurs et ce centre éternel de l'univers sont vraiment et personnellement accessibles à toutes les créatures humaines; il suffit qu'elles choisissent d'entrer dans le royaume des cieux sur terre et reconnaissent ainsi qu'elles acceptent la paternité de Dieu et la fraternité des hommes. A mon avis, c'est la plus haute conception de la religion que le monde ait jamais connue, et je proclame qu'il ne peut y en avoir de plus élevée, car l'évangile englobe l'infinité des réalités, la divinité des valeurs, et l'éternité des réalisations universelles. Cette conception constitue l'accomplissement de l'expérience idéaliste du suprême et de l'ultime.
Je ne suis pas seulement intrigué par les idéaux parfaits de la religion de votre Maître, mais je me sens puissamment poussé à confesser ma croyance que ces idéaux de réalités spirituelles sont accessibles; que vous et moi nous pouvons entreprendre cette longue et éternelle aventure avec l'assurance de sa part qu'en fin de compte nous arriverons certainement aux portes du Paradis. Mes frères, je suis un croyant, je me suis lancé, je suis en route avec vous dans cette aventure éternelle. Le Maître dit qu'il est venu du Père et nous montrera le chemin. Je suis entièrement persuadé qu'il dit la vérité, et définitivement convaincu qu'en dehors du Père Universel il n'y a ni idéaux de réalité ni valeurs de perfection qui soient accessibles.
Je viens adorer non simplement le Dieu des existences, mais le Dieu de la possibilité de toutes les existences futures. Il faut donc que votre dévotion à un idéal suprême, si cet idéal est réel, soit une consécration à ce Dieu des univers passés, présents, et futurs de toutes les choses et tous les êtres. Et il n'y a pas d'autre Dieu, car il ne peut y en avoir d'autre. Tous les autres eux sont des fictions de l'imagination, des illusions de pensée humaine, des déformations d'une causse logique, et des idoles qui trompent ceux qui les ont créées. Oui, on peut avoir une religion sans ce Dieu, mais elle ne signifie rien. Et si l'on cherche à substituer le mot Dieu à la réalité de cet idéal du Dieu vivant, on ne fait que se leurrer en mettant une idée à la place d'un idéal, d'une réalité divine. Ces croyances sont simplement des religions en quête de chimères.
Dans les enseignements de Jésus, je vois la religion à son mieux. Cet évangile nous met en mesure de chercher le vrai Dieu et de le trouver. Mais acceptons-nous de payer le prix de cette entrée dans le royaume des cieux? Sommes-nous désireux de naître de nouveau, d'être rénovés? Acceptons-nous de nous soumettre à ce terrible et éprouvant processus de destruction du moi et de reconstruction de l'âme? Le Maître n'a-t-il pas dit: « Quiconque veut sauver sa vie la perdra. Ne croyez pas que je suis venu apporter la paix sur la terre; mais plutôt une lutte psychique ». Il est vrai qu'après avoir payé je prix de la consécration à la volonté du Père nous éprouvons une grande paix, pourvu que nous continuions à marcher dans les sentiers spirituels de la vie consacrée.
Alors nous abandonnons librement les attraits de l'ordre d'existence connu, tandis que nous nous consacrons sans réserve à la recherche des attraits inconnus et inexplorés d'une future existence d'aventures dans les mondes spirituels d'idéalisme supérieur et de réalité divine. Et nous recherchons les symboles significatifs qui nous permettent de transmettre à nos semblables les conceptions réelles de l'idéalisme de la religion de Jésus. Nous ne cesserons pas de prier pour le jour où toute l'humanité vibrera dans la vision commune de cette vérité suprême. Actuellement, Dieu est esprit quand nous le concevons dans notre coeur; il est amour quand nous en transmettons le concept a nos compagnons.
La religion de Jésus requiert une expérience vivante et spirituelle. D'autres religions peuvent consister en croyances traditionnelles, en sentiments émotifs, en conscience philosophique, et en choses analogues, mais le Maître enseigne qu'il faut effectivement atteindre les niveaux où l'esprit progresse réellement.
La conscience d'être poussé à ressembler à Dieu n'est pas la vraie religion. Les sentiments émotifs que l'on éprouve en adorant Dieu ne sont pas la vraie religion. La conviction consciente qu'il faut renoncer à soi et servir Dieu n'est pas la vraie religion. La sagesse du raisonnement concluant que la religion de Jésus est la meilleure de toutes n'est pas la religion en tant qu'expérience personnelle et spirituelle. La vraie religion se réfère au but que l'on accepte de tout coeur par la foi, à la destinée permettant de l'atteindre, et à la réalité de son idéalisme. Et il faut que tout cela devienne personnel par la révélation de l'Esprit de Vérité.
Ainsi se terminèrent les dissertations du philosophe grec, l'un des plus grands de sa race, qui s'était mis à croire à l'évangile de Jésus.



