4. LA VIE ET LES ENSEIGNEMENTS DE JÉSUS
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LES DOUZE APÔTRES
LE charme et la droiture de la vie terrestre de Jésus comportent un éloquent témoignage: bien qu'il n'eût cessé de briser les espoirs de ses apôtres et de mettre en pièces chacune de leurs ambitions d'élévation personnelle, il ne fut abandonné que par un seul d'entre eux.
Les apôtres furent instruits par Jésus sur le royaume du ciel, et Jésus apprit beaucoup d'eux sur le royaume des hommes, sur la nature humaine telle qu'elle existe sur Urantia et sur les autres mondes évolutionnaires du temps et de l'espace. Ces douze hommes représentaient de nombreux types différents de tempéraments humains, et l'instruction ne les avait pas rendus semblables. Beaucoup de ces pêcheurs galiléens avaient une forte ascendance de sang gentil par suite de la conversion forcée des Gentils un siècle auparavant.
Ne commettez pas l'erreur de considérer les apôtres comme complètement ignorants et dépourvus d'instruction. Tous, sauf les jumeaux Alphée, avaient pris leurs grades dans les écoles des synagogues; ils avaient très bien étudié les Écritures hébraïques et appris une grande partie des notions courantes de l'époque. Sept d'entre eux étaient diplômés des écoles de la synagogue de Capharnaüm, et il n'existait pas de meilleure école juive dans toute la Galilée.
Quand vos historiens ont qualifié ces messagers du royaume « d'ignorants et d'illettrés », leur intention était de transmettre l'idée qu'il s'agissait de laïcs, non instruits dans la science des rabbins et non éduqués dans les méthodes d'interprétation rabbinique des Écritures. Ils manquaient de ce qu'on appelle l'instruction supérieure. Dans les temps modernes, on les considérerait certainement comme dépourvus d'instruction et même, dans certains cercles sociaux, comme dépourvus de culture. Une chose est certaine: ils n'avaient as tous passé par le même programme d'études rigide et stéréotypé. Depuis leur adolescence, chacun d'eux avait appris à vivre par ses propres expériences.
1. -- ANDRÉ, LE PREMIER CHOISI
André, président du corps apostolique du royaume, naquit à Capharnaüm. Il était l'aîné d'une famille de cinq -- lui-même, son frère Sinon, et trois soeurs. Son défunt père avait été un associé de Zébédée dans une affaire de séchage de poisson à Bethsaïde, le port de pêche de Capharnaüm. Lorsqu'André devint un apôtre, il n'était pas marié, mais il s'installa chez son frère marié Simon Pierre. Ils étaient tous deux pêcheurs et associés de Jacques et Jean, Fils de Zébédée.
En l'an 26 où il fut choisi comme apôtre, André avait 33 ans, un an de plus que Jésus, et il était le plus âgé des douze. Issu d'une excellente lignée d'ancêtres, il était le plus capable des apôtres. Sauf pour le don de la parole, il était l'égal de ses compagnons dans presque toutes les aptitudes imaginables. Jamais Jésus ne donna à André de surnom ou d'appellation familière. De même que les apôtres ne tardèrent pas à appeler Jésus Maître, ils désignèrent André par un nom équivalent à Chef.
André était un bon organisateur, mais encore meilleur administrateur. Il faisait partie du cercle intérieur de quatre apôtres, mais sa nomination par Jésus comme chef du groupe apostolique l'obligeait à s'occuper de ses collègues pendant que les trois autres bénéficiaient d'une communion plus étroite avec le Maître. Jusqu'au bout, André resta le doyen du corps apostolique.
Bien qu'il ne fût pas bon prédicateur, André faisait un travail personnel efficace. Il était le missionnaire pionnier du royaume en ce sens qu'ayant été le premier choisi, il amena immédiatement à Jésus son frère Simon, qui devint ultérieurement l'un des plus grands prédicateurs de l'évangile. André fut le principal soutien de la politique de Jésus comme moyen d'éduquer les douze en tant que messagers du royaume.
Soit que Jésus enseignât les apôtres en privé, soit qu'il prêchât aux foules, André était généralement au courant de ce qui se passait. Il était un exécutant intelligent et un administrateur efficace. Il prenait de promptes décisions sur toutes les affaires portées à son attention, sauf quand il estimait que le problème dépassait le domaine de son autorité, auquel cas il le soumettait directement à Jésus.
André et Pierre étaient fort dissemblables de caractère et de tempérament, mais il faut inscrire éternellement à leur crédit qu'ils s'entendaient magnifiquement. André ne fut jamais jaloux des dons oratoires de Pierre. Il est rare de voir un homme plus âgé du type d'André exercer une influence aussi profonde sur un frère plus jeune et bien doué. André et Pierre ne semblaient jamais le moins du monde jaloux des talents ou des accomplissements l'un de l'autre. Tard dans la soirée du jour de la Pentecôte, lorsque deux mille âmes furent ajoutées au royaume principalement à cause du sermon énergique et inspirant de Pierre, André dit à son frère: « J'aurais été incapable de cela, mais je suis heureux d'avoir un frère capable de l'avoir fait ». À quoi Pierre répondit: « Si tu ne m'avais pas amené au Maître, et sans ta persévérance à me maintenir auprès de lui, je n'aurais pas été ici pour faire cela ». André et Pierre étaient des exceptions à la règle. Ils démontraient que même des frères peuvent vivre paisiblement et travailler efficacement ensemble.
Après la Pentecôte, Pierre devint célèbre, mais son aîné André ne s'irrita jamais de passer le reste de sa vie à être présenté comme « le frère de Simon Pierre ».
De tous les apôtres, c'était André qui jugeait le mieux les hommes. Il savait que la révolte couvait dans le coeur de Judas Iscariot même avant qu'aucun des autres ne soupçonnât le désarroi chez leur trésorier; mais il ne parla à personne de ses craintes. Le grand service rendu par André au royaume fut de conseiller Pierre, Jacques, et Jean sur le choix des premiers missionnaires envoyés pour proclamer l'évangile, et aussi de donner à ces premiers dirigeants des avis sur l'organisation des affaires administratives du royaume. André avait un grand don pour découvrir les ressources cachées et les qualités latentes des jeunes.
Très tôt après l'ascension de Jésus, André commença à écrire un recueil personnel des dires et des actes de son défunt Maître. Après la mort d'André, on fit d'autres copies de ce recueil privé, qui circulèrent largement parmi les premiers éducateurs de l'Église chrétienne. Les notes officieuses d'André furent ultérieurement corrigées, amendées, modifiées, et complétées, jusqu'à faire un récit assez continu de la vie terrestre du Maître. La dernière de ces copies adultérées et corrigées fut détruite dans un incendie à Alexandrie, une centaine d'années après la rédaction de l'original par le premier choisi des douze apôtres.
André était un homme de vision claire, de pensée logique, et de décision ferme. La grande force de son caractère résidait dans sa superbe stabilité. Le handicap de son tempérament était son manque d'enthousiasme; il s'abstint maintes fois d'encourager ses compagnons par des éloges judicieux. Cette réticence à louer les accomplissements méritoires de ses amis venait de son horreur de la flatterie et de l'hypocrisie. André était un homme de modeste envergure, complet, d'humeur égale, et parvenant au succès par ses propres efforts.
Les douze apôtres aimaient tous Jésus, mais il reste vrai que chacun était attiré vers lui par un trait caractéristique différent de la personnalité du Maître, trait qui exerçait individuellement sur cet apôtre un attrait spécial. André admirait Jésus à cause de sa constante sincérité, de sa dignité sans affectation. Les hommes qui avaient une fois rencontré Jésus éprouvaient le besoin de le faire connaître a leurs amis; ils souhaitaient réellement que le monde entier le connaisse.
Quand les persécutions ultérieures dispersèrent les apôtres hors de Jérusalem, André voyagea en Arménie, en Asie Mineure, et en Macédoine. Il fut finalement arrêté et crucifié à Patras, en Achaïe. Cet homme robuste mit deux jours à mourir sur la croix, et durant ces heures tragiques il continua efficacement à proclamer la bonne nouvelle du salut du royaume des cieux.
2. -- SIMON PIERRE
Lorsque Simon se joignit aux apôtres, il avait trente ans. Il était marié, avait trois enfants, et vivait à Bethsaïde près de Capharnaüm. Son frère André et la mère de sa femme vivaient avec lui. Pierre et André étaient tous deux associés pour la pêche aux fils de Zébédée.
Le Maître avait connu Simon quelque temps avant qu'André le lui présentât comme second apôtre. Lorsque Jésus donna à Simon le nom de Pierre, il le fit avec un sourire; cela devait être une sorte de surnom. Simon était bien connu de tous ses amis comme un compagnon excentrique et impulsif. Il est vrai que plus tard Jésus attacha une importance nouvelle et significative à ce surnom donné à la légère.
Simon Pierre était un impulsif, un optimiste. Il avait grandi en se permettant de manifester librement de vigoureux sentiments. Il se mettait constamment en difficulté parce qu'il persistait à parler sans réfléchir. Cette sorte d'étourderie amenait aussi des ennuis incessants à tous ses amis et associés, et fut la cause de nombreuses réprimandes amicales qu'il reçut de son Maître. La seule raison pour laquelle ses paroles irréfléchies ne le plongèrent pas dans des difficultés pires fut qu'il apprit de bonne heure à discuter beaucoup de ses plans et projets avec son frère André avant de s'aventurer à faire des propositions publiques.
Pierre était un orateur disert, éloquent, et théâtral. Par naturel il était aussi un entraîneur d'hommes, un penseur rapide, mais sans raisonnements profonds. Il posait beaucoup de questions, plus que tous les apôtres réunis, et bien que ces questions fussent en majorité bonnes et pertinentes, beaucoup étaient sottes et inconsidérées. Pierre n'était pas un penseur profond, mais il connaissait assez bien sa mentalité. Il était donc un homme de décision rapide et d'action brusquée. Tandis que les autres discutaient avec étonnement en voyant Jésus sur le rivage, Pierre sauta à l'eau et nagea à la rencontre du Maître (1).
Le trait que Pierre admirait le plus dans le caractère de Jésus était sa divine tendresse. Pierre ne se lassa jamais d'observer la longanimité de Jésus. Il n'oublia jamais la leçon consistant à pardonner aux méchants non seulement sept fois, mais soixante-dix-sept fois (2). Il médita longuement ces impressions sur le caractère indulgent du Maître durant les jours sombres et mornes qui suivirent son reniement irréfléchi et involontaire dans la cour du grand-prêtre (3).
Simon Pierre vacillait d'une manière affligeante; il passait soudainement d'un extrême à l'autre. D'abord il refusa de laisser Jésus lui laver les pieds et ensuite, en entendant la réplique du Maître, il le pria de lui laver le corps tout entier (4). Après tout, Jésus savait que les fautes de Pierre venaient de la tête et non du coeur. Pierre représentait l'une des combinaisons les plus inexplicables de courage et de lâcheté que l'on ait jamais vues sur terre. La plus grande force de son caractère était la fidélité, l'amitié. Pierre aimait réellement et sincèrement Jésus et cependant, malgré cette sublime force de dévotion, il était si instable et inconstant qu'il laissa une servante le taquiner jusqu'à lui faire renier son Seigneur et Maître. Pierre pouvait supporter les persécutions et toute autre forme d'attaque directe, mais il était désemparé et s'effondrait devant le ridicule. Il était un vaillant soldat quand on l'attaquait de front, mais un lâche, courbant l'échine de frayeur, quand il était surpris par derrière.
| (1) Jean XXI-7. |
| (2) Matthieu XVIII-21 et 22. |
| (3) Matthieu XXVI-69 à 75. |
| (4) Jean XIII-8 et 9. |
Pierre fut le premier apôtre de Jésus à se mettre en avant pour défendre l'oeuvre de Philippe chez les Samaritains et celle de Paul chez les Gentils. Cependant, plus tard à Antioche, il se rétracta lorsqu'if fut confronté avec des judaïsants qui le ridiculisaient; il se retira temporairement de chez les Gentils, ce qui attira sur sa tête le désaveu intrépide de Paul.
Il fut le premier apôtre à reconnaître de tout coeur la conjugaison d'humanité et de divinité chez Jésus, et le premier -- après Judas -- à le renier. Pierre n'était pas spécialement un rêveur, mais il n'aimait pas descendre des nuées de l'extase et des satisfactions de l'enthousiasme théâtral pour se retrouver dans le simple monde des réalités terrestres.
En suivant Jésus (au propre et au figuré), ou bien il était en tête de la procession, ou bien il traînait à la queue -- « suivant loin en arrière ». Mais il était le plus remarquable prédicateur des douze. Il contribua plus que n'importe qui, sauf Paul, à établir le royaume et, en l'espace d'une génération, à envoyer ses messagers aux quatre coins de la terre.
Après avoir étourdiment renié le Maître, il se ressaisit et, sous la direction sympathique et compréhensive d'André, il fut le premier à retourner à ses filets de pêche, tandis que les apôtres s'attardaient pour voir ce qui allait arriver après la crucifixion. Quand il fut pleinement assuré que Jésus lui avait pardonné et qu'il se sut réintégré dans le giron du Maître, les feux du royaume brûlèrent si vivement dans son âme qu'il devint une grande lumière de salut pour des multitudes errant dans les ténèbres.
Après avoir quitté Jérusalem, et avant que Paul ne devint l'esprit dirigeant dans les Églises chrétiennes des Gentils, Pierre visita toutes les Églises depuis Babylone jusqu'à Corinthe. Il apporta même son ministère à beaucoup d'Églises fondées par Paul. Bien que Pierre et Paul fussent très différents de tempérament et d'éducation, et même du point de vue théologique, ils travaillèrent harmonieusement ensemble, durant leurs dernières années, à constituer les Églises.
Le style et l'enseignement de Pierre ressortent quelque peu dans les sermons partiellement transcrits par Luc, et dans l'Évangile de Marc. Son style vigoureux apparaît mieux dans sa lettre connue sous le titre de Première Épître de Pierre; c'était du moins vrai avant qu'elle ne fût altérée plus tard par un disciple de Paul.
Pierre persista dans son erreur de vouloir convaincre les Juifs qu'après tout Jésus était réellement et véritablement le Messie juif. Jusqu'à sa mort, Simon Pierre continua à confondre dans sa pensée les trois concepts de Jésus en tant que Messie des Juifs, que Christ rédempteur du monde, et que Fils de l'Homme révélant Dieu, le Père aimant de toute l'humanité.
L'épouse de Pierre était une femme très capable. Pendant des années elle travailla utilement en tant que membre de la corporation féminine des disciples, et lorsque Pierre fut chassé de Jérusalem, elle l'accompagna dans toutes ses visites aux Églises et dans tous ses voyages de missionnaire. Le jour où son illustre mari perdit la vie, elle fut jetée en pâture aux bêtes féroces dans l'arène de Rome.
C'est ainsi que Pierre, un intime de Jésus, un membre du cercle intérieur, partit de Jérusalem en proclamant avec puissance et gloire la bonne nouvelle du royaume, jusqu'à ce que la plénitude de son ministère eût été accomplie. Il considéra qu'on lui faisait un grand honneur lorsque ceux qui s'étaient emparés de lui l'informèrent qu'il devait mourir comme son Maître était mort -- sur la croix. C'est ainsi que Simon Pierre fut crucifié à Rome.
3. -- JACQUES ZÉBÉDÉE
Jacques, l'aîné des deux apôtres fils de Zébédée que Jésus surnommait « les fils du tonnerre », avait trente ans quand il devint un apôtre. Il était marié, avait quatre enfants, et vivait près de ses parents à Bethsaïde, faubourg de Capharnaüm. Il était pêcheur et exerçait son métier en compagnie de son jeune frère Jean, et en association avec André et Simon. Jacques et son frère Jean avaient sur les autres apôtres l'avantage de connaître Jésus depuis plus longtemps qu'eux.
Cet apôtre compétent avait un tempérament contradictoire; il semblait réellement posséder deux natures, toutes deux mues par de forts sentiments. Il était particulièrement véhément quand son indignation était à son comble. Il manifestait une humeur fougueuse quand il était sérieusement provoqué. Quand l'orage était passé, il avait toujours l'habitude de justifier et d'excuser son emportement en alléguant que c'était entièrement une manifestation de juste indignation. Sauf pour ces accès périodiques de colère, la personnalité de Jacques ressemblait beaucoup à celle d'André. Il n'avait pas autant de perspicacité qu'André pour scruter la nature humaine, mais il parlait beaucoup mieux que lui en public. Après Pierre, et peut-être Matthieu, Jacques était le meilleur tribun parmi les douze.
Bien que Jacques ne fût aucunement maussade il pouvait être tranquille et taciturne un jour, puis le lendemain un très bon causeur et conteur d'histoires. Il parlait habituellement sans contrainte avec Jésus, mais parmi les douze il était l'homme silencieux, parfois durant plusieurs jours consécutifs. Ses périodes de silence inexplicable constituaient sa grande faiblesse.
Le trait le plus remarquable de la personnalité de Jacques était son aptitude à voir tous les aspects d'un problème. Il était celui des douze qui fut le plus près de saisir l'importance et la signification réelles de l'enseignement de Jésus. Lui aussi fut d'abord lent à comprendre ce que voulait dire le Maître, mais avant la fin de leur entraînement collectif il avait acquis un concept supérieur du message de Jésus. Jacques était capable de comprendre un vaste domaine de la nature humaine. Il s'entendait bien avec le souple André, avec l'impétueux Pierre, et avec son peu communicatif frère Jean.
Bien que Jacques et Jean eussent leurs difficultés en essayant de travailler ensemble, il était réconfortant d'observer leur bon accord. Ils ne réussirent pas aussi bien qu'André et Pierre, mais ils firent un travail bien meilleur que l'on ne peut ordinairement l'espérer de deux frères, et surtout de deux garçons entêtés et bien résolus. Si étrange que cela paraisse, les deux fils de Zébédée se supportaient bien mieux qu'ils ne toléraient les étrangers; ils avaient toujours été d'heureux compagnons de jeu. Ce furent ces « fils du tonnerre » qui voulurent faire descendre le feu du ciel afin d'anéantir les Samaritains assez présomptueux pour manquer de respect à leur Maître. La mort prématurée de Jacques modifia considérablement le caractère véhément de son jeune frère Jean.
Le trait de caractère de Jésus que Jacques admirait le plus était la sympathie affectueuse du Maître. L'intérêt compréhensif de Jésus pour les petits et les grands, les riches et les pauvres, exerçait sur lui un grand attrait.
Jacques Zébédée était un penseur et un organisateur bien équilibré. Avec André, il était l'un des membres les plus pondérés du groupe apostolique. Il était énergique, mais jamais pressé. Il formait un excellent contre-poids pour Pierre.
Il était modeste et peu emphatique, un serviteur quotidien, un travailleur sans prétention, ne recherchant aucune récompense spéciale lorsqu'il eut quelque peu saisi la signification réelle du royaume. Même dans l'histoire de la mère de Jacques et de Jean demandant que des places fussent accordées à ses fils à droite et à gauche de Jésus (1), il ne faut pas oublier que ce fut leur mère qui présenta cette requête. En déclarant qu'ils étaient prêts à accepter ces responsabilités, il faut reconnaître qu'ils étaient au courant des dangers inhérents à la prétendue révolte du Maître contre le pouvoir romain, et qu'ils acceptaient aussi d'en payer le prix. Lorsque Jésus leur demanda s'ils étaient prêts à boire la coupe, ils répondirent affirmativement (2). En ce qui concerne Jacques, ce fut littéralement vrai -- il but la coupe avec le Maître, vu qu'il fut le premier apôtre à subir le martyre, car Hérode Agrippa le fit bientôt périr par l'épée. Jacques fut donc le premier des douze à sacrifier sa vie sur le nouveau front de bataille du royaume. Hérode Agrippa redoutait Jacques plus que tous les autres apôtres. En vérité, Jacques était souvent tranquille et silencieux, mais il était courageux et résolu quand ses convictions étaient mises en jeu ou au défi.
| (1) Matthieu XX-21. |
| (2) Marc X-38. |
Jacques vécut sa vie avec plénitude, et lorsque la fin arriva, il se comporta avec tant de grâce et de force morale que même son accusateur et dénonciateur, témoin de son jugement et de son exécution, fut touché au point que, fuyant précipitamment le spectacle de la mort de Jacques, il alla se joindre aux disciples de Jésus.
4. -- JEAN ZÉBÉDÉE
Lorsque Jean devint un apôtre, il avait vingt-quatre ans et il était le plus jeune de tous. Il était célibataire et vivait avec ses parents à Bethsaïde. Il était pêcheur et travaillait avec son frère Jacques en association avec André et Pierre. Avant et après son ordination comme apôtre, Jean opéra comme agent personnel de Jésus pur s'occuper de la famille du Maître, et il assuma cette responsabilité aussi longtemps que vécut Marie, mère de Jésus.
Du fait que Jean était le plus jeune des douze et en contact étroit avec Jésus pour les affaires de famille de ce dernier, il était très cher au Maître, mais on ne saurait dire en vérité qu'il était « le disciple préféré de Jésus ». On ne peut guère suspecter une personnalité aussi magnanime que Jésus, d'avoir fait montre de favoritisme et d'avoir aimé un de ses apôtres plus que les autres. Le fait que Jean était l'un les trois auxiliaires personnels de Jésus donna quelque vraisemblance à cette idée fausse, ainsi que son frère Jacques connaissant Jésus depuis plus longtemps que les autres apôtres.
Pierre, Jacques, et Jean furent affectés comme auxiliaires personnels de Jésus peu après être devenus ses apôtres. Quand les douze eurent été choisis, Jésus nomma André directeur du groupe et lui dit: « Maintenant je désire que tu désignes deux ou trois de tes compagnons pour me servir, rester à mes côtés, me réconforter, et veiller à mes besoins quotidiens ». André estima que, pour cette mission spéciale, le mieux était de choisir trois apôtres dans l'ordre où ils avaient été admis au groupe. Lui-même aurait aimé se porter volontaire pour ce service béni, mais le Maître lui avait déjà donné sa mission. André ordonna donc immédiatement que Pierre, Jacques, et Jean fussent attachés à la personne de Jésus.
Jean Zébédée avait des traits de caractère charmants, mais un trait beaucoup moins gracieux était sa vanité démesurée, généralement bien dissimulée. Sa longue collaboration avec Jésus provoqua de nombreux et importants changements dans son caractère. Sa suffisance diminua considérablement, mais quand il eut vieilli et fut un peu retombé en enfance, cet amour-propre réapparut dans une certaine mesure. Ainsi, tandis qu'il guidait Nathan dans la rédaction de l'Évangile qui porte actuellement son nom, le vieil apôtre n'hésita pas à se désigner lui-même maintes fois comme « le disciple que Jésus aimait ». Jean fut plus près que tout autre mortel d'être un camarade pour Jésus; du fait qu'il était son représentant personnel pour tant de questions, il n'est pas étonnant qu'il en soit venu à se considérer comme le disciple préféré de Jésus, car il savait parfaitement qu'il était le disciple à qui Jésus se confiait le plus souvent.
Le trait le plus notable du caractère de Jean était la confiance qu'il inspirait; il était prompt et courageux, fidèle et dévoué. Son grand défaut était sa vanité caractéristique. Dans la famille de son père et dans le groupe apostolique, il était le plus jeune. Peut-être avait-il été un peu gâté, ou un peu trop ménagé. Mais le Jean de la maturité était un personnage fort différent du jeune homme autoritaire et satisfait de lui-même qui entra dans les rangs des apôtres de Jésus à l'âge de vingt-quatre ans.
Les traits de caractère de Jésus que Jean appréciait le plus étaient son amour du prochain et sa générosité. Ces traits firent une telle impression sur lui que toute sa vie ultérieure fut dominée par un sentiment d'amour et de dévotion fraternelle. IL parla d'amour et écrivit sur l'amour. Ce « fils du tonnerre » devint « l'apôtre de l'amour ». À Ephèse, quand le vieil évêque qu'il était devenu ne pouvait plus se tenir debout en chaire et prêcher, il fallut durant des années le porter à l'église sur une chaise, et quand à la fin du service on lui demandait de dire quelques mots pour les croyants, il se bornait à répéter: « Mes petits enfants, aimez-vous les uns les autres ».
Jean était peu loquace, sauf quand il perdait son sang-froid. Il pensait beaucoup mais parlait peu. Avec l'âge, son humeur s'adoucit et il se contrôla mieux, mais il ne surmonta jamais sa répugnance à parler; il ne vainquit jamais complètement cette réticence. Par contre, il était doué dune remarquable imagination créatrice.
Jean avait un autre trait de caractère que l'on ne se serait pas attendu à trouver chez ce type d'homme tranquille et introspectif. Il était quelque peu sectaire et extrêmement intolérant. Sous ce rapport, il ressemblait beaucoup à Jacques -- tous deux auraient voulu faire descendre le feu du ciel sur la tête des Samaritains irrévérencieux. Lorsque Jean rencontrait des étrangers enseignant au nom de Jésus, il le leur interdisait aussitôt. Mais il n'était pas le seul des douze à être imbu de cette sorte de suffisance et de cette conscience de supériorité.
La vie de Jean fut prodigieusement influencée quand il vit Jésus circuler sans domicile, car il savait combien fidèlement Jésus avait pris des dispositions pour assurer le bien-être de sa mère et de sa famille. Jean sympathisait profondément aussi avec Jésus parce que le Maître était incompris dans sa famille. Jean se rendait compte que la famille de Jésus s'éloignait graduellement du Maître. L'ensemble de cette situation, de même que le fait de voir Jésus soumettre ses moindres désirs à la volonté de son Père céleste et d'observer la vie de confiance implicite du Maître, produisirent sur Jean une impression si profonde qu'elle provoqua des changements marqués et permanents dans son caractère; ces changements se manifestèrent durant toute sa vie ultérieure.
Jean avait un courage froid et audacieux que peu d'autres disciples possédaient. Il fut le seul apôtre qui suivit constamment Jésus durant la nuit de son arrestation et qui osa accompagner son Maître jusque dans les bras de la mort. Il fut présent et à portée de la main jusqu'à la dernière heure, exécutant fidèlement sa mission concernant la mère de Jésus, et prêt à recevoir les ultimes instructions qui pourraient lui être données durant les derniers moments de l'existence terrestre du Maître. Une chose reste certaine: Jean était entièrement digne de confiance. Il était généralement assis à la droite de Jésus quand les douze étaient à table. Il fut le premier des douze à croire réellement et pleinement à la résurrection, et le premier à reconnaître le Maître venant vers eux sur le rivage de la mer après sa résurrection.
Ce fils de Zébédée fut très étroitement associé à Pierre dans les premières activités du mouvement chrétien et devint l'un des principaux soutiens de l'Église de Jérusalem. Il fut le principal auxiliaire de Pierre le jour de la Pentecôte.
Plusieurs années après le martyre de Jacques, Jean épousa la veuve de son frère. L'une de ses petites-filles affectueuses s'occupa de lui durant les vingt dernières années de sa vie.
Jean fut emprisonné plusieurs fois et banni pour quatre ans dans l'Île de Patmos, jusqu'à ce qu'un nouvel empereur prit le pouvoir à Rome. Si Jean n'avait pas été plein de tact et de sagacité, il aurait indubitablement été tué comme le fut son frère Jacques qui s'exprimait plus carrément. Les années passant, Jean ainsi que Jacques (le frère du Seigneur) apprirent à pratiquer une sage conciliation quand ils comparaissaient devant les magistrats civils. Ils découvrirent « qu'une réponse douce détourne la fureur » (1). Ils apprirent également à présenter l'Église comme une « confraternité spirituelle consacrée au service social de l'humanité », et non comme « le royaume des cieux ». Ils enseignèrent le service par amour plutôt que le pouvoir souverain -- avec royaume et roi.
(1) Proverbes XV-1.
Durant son exil temporaire à Patmos, Jean écrivit l'Apocalypse, que vous possédez actuellement sous une forme abrégée et déformée. Cette Apocalypse contient les vestiges d'une grande révélation dont de nombreuses parties furent perdues et d'autres supprimées après leur rédaction par Jean. Elle n'est conservée que sous forme fragmentaire et adultérée.
Jean voyagea beaucoup, travailla sans cesse, et s'installa à Ephèse après être devenu évêques des Églises d'Asie. Alors qu'il était à Ephèse, âgé de 99 ans, il guida son collaborateur Nathan dans la rédaction de ce que l'on appelle « l'Évangile selon Jean ». Il devint finalement le plus remarquable théologien de tous les apôtres. Jean Zébédée mourut de mort naturelle à Ephèse en l'an 103, âgé de cent un ans.
5. -- PHILIPPE LE CURIEUX
Philippe fut le cinquième apôtre choisi, et fut appelé pendant que Jésus et les quatre autres faisaient route entre le gué du Jourdain, où Jean baptisait, et Cana en Galilée. Vivant à Bethsaïde, Philippe avait entendu parler de Jésus depuis quelque temps, mais il ne lui était pas venu à l'idée que le Maître était réellement un grand homme avant le jour où, dans la vallée du Jourdain, Jésus lui dit: « suis moi ». Philippe était aussi quelque peu influencé par le fait qu'André, Pierre, Jacques. et Jean avaient accepté Jésus en tant que Libérateur.
Philippe avait 27 ans quand il se joignit aux apôtres; il s'était marié récemment, mais n'avait pas encore d'enfants. Le surnom que les apôtres lui donnèrent signifiait « curiosité ». Philippe voulait toujours qu'on lui montre. Il ne semblait jamais voir bien loin dans une proposition quelconque. Il n'était pas nécessairement obtus, mais il manquait d'imagination. Ce défaut d'imagination était la grande faiblesse de son caractère. Il était quelqu'un d'ordinaire et de terre à terre.
Quand les apôtres s'organisèrent pour leur mission, Philippe fut nommé intendant; il avait pour charge de veiller à ce qu'il y ait à tout moment des provisions de bouche. Il fut un bon intendant. Sa plus forte caractéristique était son esprit consciencieux et méthodique; il était à la fois mathématique et systématique.
Philippe était le second d'une famille de sept enfants, trois garçons et quatre filles. Après la résurrection, il baptisa toute sa famille. Philippe vivait dans un milieu de pêcheurs. Son père était un homme très instruit, un profond penseur, mais sa mère venait d'une famille très médiocre. Philippe n'était pas un homme capable d'accomplir de grandes choses, mais il pouvait faire de petites choses avec grandeur, les faire bien et d'une manière agréable. Sauf en de rares occasions au cours des quatre années, vécues avec Jésus, il eut toujours sous la main assez de vivres pour faire face aux besoins de tous. Il fut même rarement pris au dépourvu par les nombreuses demandes d'urgence qui se présentèrent dans la vie des apôtres. Le service de l'intendance de la famille apostolique fut géré avec intelligence et efficacité.
Le point fort de Philippe était son caractère méthodique inspirant confiance. Le point faible de sa formation était son manque d'imagination, l'absence d'aptitude à réunir deux et deux pour faire quatre. Il était calculateur dans l'abstrait, mais manquait à peu près totalement de certains types d'imagination constructive. Il était le citoyen moyen typique et ordinaire. Les foules qui venaient écouter Jésus prêcher et enseigner comportaient un grand nombre d'hommes et de femmes de cet ordre, qui éprouvaient un grand réconfort à voir un de leurs pareils élevé à un poste d'honneur dans les conseils du Maître et occupant déjà une situation importante dans les affaires du royaume. Quant à Jésus, en écoutant patiemment les sottes questions de Philippe et en obtempérant maintes fois aux requêtes de son intendant demandant « qu'on lui montre », il apprit beaucoup sur le fonctionnement du mécanisme de certaines pensées humaines.
La principale qualité de Jésus que Philippe admirait constamment était l'inlassable générosité du Maître. Jamais Philippe ne put trouver en Jésus quelque chose de petit, de parcimonieux, ou de mesquin, et il adorait cette libéralité intarissable et toujours active.
La personnalité de Philippe faisait peu d'impression. On l'appelait souvent « Philippe de Bethsaïde, la ville où vivent André et Pierre ». Il manquait de discernement dans sa vision des choses; il était incapable de saisir les possibilités spectaculaires d'une situation donnée. Il n'était pas pessimiste, mais simplement prosaïque. Il manquait également beaucoup de clairvoyance spirituelle. Il n'hésitait pas à interrompre Jésus au milieu de l'un de ses plus profonds discours pour poser une question apparemment stupide. Mais Jésus ne le réprimandait jamais pour cette étourderie; il était patient avec lui et prenait en considération son inaptitude à saisir le sens profond de l'enseignement. Jésus savait que s'il reprochait une seule fois à Philippe de poser des questions ennuyeuses, non seulement il blesserait cette âme honnête, mais que sa réprimande froisserait Philippe au point qu'il ne se sentirait plus jamais libre de poser des questions. Jésus savait que, sur les mondes de l'espace de son univers, il y avait des myriades d'hommes de cet ordre ayant de la lenteur de pensée; il voulait les encourager tous à se tourner vers lui et à toujours se sentir libres de lui soumettre leurs questions et leurs problèmes. Après tout, les sottes questions de Philippe comptaient plus pour Jésus que le sermon qu'il pouvait prêcher. Jésus s'intéressait suprêmement aux hommes, à toutes les sortes d'hommes.
L'intendant apostolique ne parlait pas bien en public, mais en tête-à-tête il était excellent et persuasif. Il ne se décourageait pas facilement. Il travaillait avec persévérance et grande ténacité dans tout ce qu'il entreprenait. Il possédait le grand don exceptionnel de savoir dire: «Venez ». Lorsque Nathanael, son premier converti, voulut discuter les mérites de Jésus et la réputation de Nazareth, la réponse efficace de Philippe fut: « Viens et vois » (1). Il n'était pas un prêcheur dogmatique exhortant ses auditeurs à « agir » -- à faire ceci et cela. Il faisait face à toutes les situations à mesure qu'elles se présentaient dans son travail, en disant: «Venez -- venez avec moi, je vous montrerai le chemin ». C'est toujours la technique la plus efficace dans toutes les formes et phases de l'enseignement. Même des parents peuvent apprendre de Philippe la meilleure manière de ne pas dire à leurs enfants: « Allez faire ceci et allez faire cela », mais plutôt: «Venez avec nous, nous allons vous montrer la meilleure route à suivre et y cheminer avec vous ».
(1) Jean I-46.
L'inaptitude de Philippe à s'adapter à une nouvelle situation ressort bien dans l'anecdote des Grecs qui vinrent vers lui à Jérusalem en lui disant: « Monsieur, nous désirons voir Jésus ». À tout Juif lui posant cette question, Philippe aurait répondu: « Viens ». Mais ces hommes étaient des étrangers, et Philippe n'avait souvenir d'aucune instruction de ses supérieurs en pareille matière; la seule chose qui lui vint à la pensée fut de consulter le chef, André, et ensuite tous deux accompagnèrent les Grecs investigateurs auprès de Jésus. De même, quand il alla en Samarie prêcher et baptiser des croyants comme son Maître l'en avait chargé, il s'abstint d'imposer les mains sur ses convertis pour signifier qu'ils avaient reçu l'Esprit de Vérité. Ce geste fut exécuté par Pierre et Jean, qui vinrent bientôt de Jérusalem pour observer son activité au nom de l'Église mère.
Philippe continua son travail durant les heures éprouvantes de la mort du Maître, participa à la réorganisation des douze, et fut le premier à partir pour gagner des âmes au royaume en dehors de la communauté juive immédiate. Il réussit fort bien dans son oeuvre auprès des Samaritains, et dans tous ses travaux ultérieurs en faveur de l'évangile.
La femme de Philippe, qui était membre actif de la corporation féminine, s'associa efficacement à son mari après qu'ils eurent fui les persécutions de Jérusalem. Elle était intrépide. Elle se tint au pied de la croix de Philippe et l'encouragea à proclamer la bonne nouvelle même à ses meurtriers. Quand les forces de Philippe faiblirent, elle commença à raconter l'histoire du salut par la foi en Jésus, et ne fut réduite au silence qu'au moment où les Juifs furieux se ruèrent sur elle et la lapidèrent à mort. Leur fille aînée Léa poursuivit leur oeuvre et devint plus tard la célèbre prophétesse d'Hiérapolis.
Philippe, jadis intendant des douze, était un homme puissant dans le royaume, gagnant des âmes partout où il passait. Il fut finalement crucifié pour sa foi et enterré à Hiérapolis.
6. -- L'HONNÊTE NATHANAEL
Nathanael, le sixième et dernier apôtre choisi personnellement par le Maître, fut amené à Jésus par son ami Philippe. Il avait été l'associé de Philippe dans plusieurs entreprises commerciales, et il l'accompagnait pour aller voir Jean le Baptiste quand ils rencontrèrent Jésus.
Lorsque Nathanael se joignit aux apôtres, il était le plus jeune du groupe après Jean. Nathanael était le dernier d'une famille de sept enfants; il était célibataire et le seul soutien de parents âgés et infirmes avec lesquels il vivait à Cana. Ses frères et soeurs étaient tous mariés ou décédés, et aucun d'eux ne vivait là. Nathanael et Judas Iscariot étaient les deux hommes les plus instruits parmi les douze. Nathanael avait songé à s'établir commerçant.
Jésus ne donna pas lui-même un surnom à Nathanael, mais les douze ne tardèrent pas à parler de lui en termes qui signifiaient honnêteté, sincérité. Il était « sans artifice » (1) et c'était sa principale vertu; il était très fier de sa famille, de sa ville, de sa réputation, et de sa nation, ce qui est louable quand ce n'est pas poussé à l'excès. Mais avec ses propres préventions, Nathanael avait un penchant à aller aux extrêmes. Il avait tendance à préjuger des individus selon ses opinions personnelles. Même avant de rencontrer Jésus, il n'avait pas été long à poser la question: « Quelque chose de bon peut-il sortir de Nazareth? » Mais Nathanael, tout en ayant de l'amour-propre, n'était pas entêté. Dès qu'il eut regardé le visage de Jésus, il changea d'avis.
(1) Jean I-47.
Sous bien des rapports, Nathanael était le génie original des douze. Il était le philosophe et le rêveur apostolique, mais un rêveur d'une espèce très pratique. Il alternait entre des moments de profonde philosophie et des périodes d'humour rare et drolatique. Quand son humeur s'y prêtait, il était probablement le meilleur conteur d'histoires parmi les douze. Jésus aimait beaucoup entendre Nathanael discourir sur des choses graves et sur des choses frivoles. Nathanael prit peu à peu conscience de l'importance capitale de Jésus et du royaume, mais n'en attacha jamais à sa propre personne.
Tous les apôtres aimaient et respectaient Nathanael, et il s'entendait magnifiquement avec tous, sauf avec Judas Iscariot. Judas estimait que Nathanael ne prenait pas son apostolat suffisamment à coeur; il eut une fois la témérité d'aller trouver Jésus secrètement et de porter plainte contre lui. Jésus lui dit: « Judas, prends bien garde aux faux pas; ne surestime pas ta charge. Qui de nous est qualifié pour juger son frère? La volonté du Père n'est pas que ses enfants partagent seulement les choses sérieuses de la vie. Permets-moi de répéter que je suis venu pour que mes frères incarnés puissent avoir de la joie, du bonheur, et une vie plus épanouie. Va-t-en donc, Judas, et fais bien ce qui t'a été confié, mais laisse ton frère Nathanael rendre compte de lui-même à Dieu ». Le souvenir de cette expérience ainsi que de bien d'autres vécut longtemps dans le coeur déçu de Judas Iscariot.
Bien souvent, pendant que Jésus était parti dans la montagne avec Pierre, Jacques, et Jean, que la situation devenait tendue et embrouillée entre les apôtres, et qu'André lui-même doutait de ce qu'il fallait dire à ses frères désolés, Nathanael détendait l'atmosphère par un peu de philosophie ou un trait d'humour, et aussi par sa bonne humeur.
Nathanael avait la charge de veiller sur les familles des douze. Il était souvent absent des conseils apostoliques car, lorsqu'il apprenait que la maladie ou un événement sortant de l'ordinaire était survenu à l'une des personnes a sa charge, il ne perdait pas de temps pour se rendre au foyer en question. Les douze vivaient en sécurité, sachant que le bien-être des leurs était en bonnes mains grâce à Nathanael.
Nathanael révérait surtout Jésus pour sa tolérance. Il ne se lassa jamais d'observer la largeur d'esprit et la généreuse compassion du Fils de l'Homme.
Le père de Nathanael (Bartholomé) mourut peu après la Pentecôte. Ensuite l'apôtre se rendit en Mésopotamie et aux Indes pour proclamer l'évangile et baptiser les croyants. Ses compagnons ne surent jamais ce qu'était devenu leur philosophe, poète, et humoriste de jadis. Lui aussi fut un grand homme dans le royaume et contribua largement à répandre l'enseignement de son Maître, bien qu'il n'ait pas participé à l'organisation ultérieure de l'Église chrétienne. Nathanael mourut aux Indes.
7. -- MATTHIEU LEVI
Matthieu, le septième apôtre, fut choisi par André. Matthieu appartenait à une famille de collecteurs d'impôts, ou publicains; il était lui-même receveur des douanes à Capharnaüm, où il habitait. Il avait 31 ans, était marié, et avait quatre enfants. Il possédait une petite fortune et se trouvait le seul membre du corps apostolique disposant de quelques ressources. Il était un homme d'affaires capable, s'adaptant bien à tous les milieux sociaux, et il était doué de l'aptitude à se faire des amis et à bien s'entendre avec toutes sortes de personnes.
André nomma Matthieu agent financier des apôtres. Il était en quelque sorte le gérant et le publiciste de l'organisation apostolique. Il était un bon juge de la nature humaine et un propagandiste très efficace. Il est difficile de se faire une idée de sa personnalité, mais il était un disciple très sincère. Il crut de plus en plus à la mission de Jésus et à la certitude du royaume. Jésus ne donna jamais de surnom à Lévi, mais les autres apôtres l'appelaient communément « le collecteur d'argent ».
Le point fort de Lévi était sa dévotion de tout coeur à la cause. Le fait que lui, un publicain, ait été enrôlé par Jésus et ses apôtres suscita une reconnaissance débordante chez l'ancien collecteur de taxes. Il fallut toutefois un peu de temps au reste des apôtres, surtout à Simon Zélotès et à Judas Iscariot, pour admettre la présence du publicain parmi eux. La faiblesse de Matthieu était son point de vue étroit et matérialiste sur la vie mais, à mesure que les mois s'écoulaient, il fit de grands progrès dans ce domaine. Bien entendu, il était obligé de manquer un grand nombre des séances d'instruction les plus précieuses, puisqu'il avait la charge d'alimenter la trésorerie.
C'était la disposition au pardon que Matthieu appréciait le plus chez le Maître. Matthieu ne cessait de répéter que la foi seule est nécessaire dans l'effort pour trouver Dieu. Il aimait toujours à parler du royaume comme de « cette affaire de trouver Dieu ».
Bien que Matthieu fût un homme ayant un passé de publicain, il s'acquitta admirablement de sa tâche et, le temps s'écoulant, ses compagnons s'enorgueillirent de la réussite du publicain. Il fut l'un des apôtres qui prirent d'amples notes sur l'enseignement de Jésus. Ces notes servirent plus tard de base à la rédaction par Isadore des paroles et actes de Jésus, ultérieurement connue sous le nom d'Évangile selon Matthieu.
La grande et utile vie de Matthieu, l'homme d'affaires et le receveur des douanes de Capharnaüm, a servi à amener des milliers et des milliers d'autres hommes d'affaires, de fonctionnaires, et de politiciens, durant les âges subséquents, à écouter aussi la voix engageante du Maître disant: « Suis-moi ». Matthieu était réellement un habile politicien, mais il était intensément fidèle à Jésus et suprêmement dévoué à la tâche de veiller à ce que les messagers du royaume à venir disposent des ressources financières appropriées.
La présence de Matthieu parmi les douze fut le moyen de garder les portes du royaume bien ouvertes pour une foule d'âmes découragées et déshéritées qui s'étaient considérées depuis longtemps comme exclues de la consolation religieuse. Des hommes et des femmes déchus et désespérés s'attroupaient pour entendre Jésus, qui n'en repoussa jamais aucun.
Matthieu recevait des dons librement offerts par des disciples croyants et des auditeurs directs de l'enseignement du Maître, mais il ne sollicita jamais ouvertement la contribution des foules. Il accomplit tout son travail financier d'une manière tranquille et personnelle, et se procura la majeure partie de l'argent parmi la classe relativement aisée des partisans de Jésus. Il consacra pratiquement la totalité de sa modeste fortune au travail du Maître et de ses apôtres, mais ils ne connurent jamais sa générosité, sauf Jésus qui était au courant de tout. Matthieu hésitait à contribuer ouvertement aux fonds apostoliques de crainte que Jésus et ses collaborateurs ne risquent de considérer son argent comme souillé; en conséquence, il fit beaucoup de dons au nom d'autres croyants. Durant les premiers mois, alors que Matthieu se rendait compte que sa présence parmi les apôtres causait une plus ou moins grande gêne, il fut fortement tenté de leur faire savoir que leur pain quotidien était bien souvent acheté de ses propres deniers, mais il ne céda pas à cette tentation. Quand la preuve du dédain pour le publicain devenait manifeste, Lévi brûlait de révéler sa générosité, mais il s'arrangea toujours pour garder le silence.
Quand les fonds pour la semaine étaient insuffisants pour le budget prévu, Lévi avait souvent recours à ses ressources personnelles pour des montants importants. Parfois aussi, lorsqu'il prenait un grand intérêt aux enseignements de Jésus, il préférait rester là et écouter ses leçons, même en sachant qu'il lui faudrait compenser personnellement les fonds nécessaires qu'il n'était pas allé solliciter. Mais Lévi ne souhaitait pas que Jésus puisse savoir qu'une grande partie de l'argent sortait de sa propre poche! Il ne réalisait guère que le Maître était au courant de tout. Les apôtres moururent tous sans savoir que Matthieu avait été leur bienfaiteur dans une mesure telle, qu'au moment où il partit proclamer l'évangile du royaume après le commencement des persécutions, il était pratiquement sans ressources.
Quand les persécutions amenèrent les croyants à quitter Jérusalem, Matthieu se dirigea vers le nord, prêchant l'évangile du royaume et baptisant les croyants. Ses anciens associés apostoliques perdirent le contact avec lui , mais il continua à prêcher et à baptiser en Syrie, en Cappadoce, en Galatie, en Bythinie, et en Thrace. Ce fut en Thrace, à Lysimachie, que certains Juifs incroyants conspirèrent avec les soldats romains pour consommer sa mort. Le publicain régénéré mourut dans la foi triomphante du salut que, durant son récent séjour sur terre, son Maître lui avait enseigné avec tant de certitude.
8. -- THOMAS DIDYME
Thomas était le huitième apôtre et fut choisi par Philippe. Plus tard on l'appela « Thomas l'incrédule », mais ses compagnons apôtres ne le considéraient guère comme un incrédule invétéré. Il est vrai que son type de pensée était logique et sceptique, mais il avait une forme de loyauté courageuse qui interdisait à ceux qui le connaissaient intimement de le regarder comme un sceptique sans intérêt.
Lorsque Thomas se joignit aux apôtres, il avait 29 ans, était marié, et avait quatre enfants. Il avait jadis été charpentier et maçon, mais plus récemment il était devenu pêcheur. Il résidait à Tarichée, localité située sur la rive occidentale du Jourdain à sa sortie de la Mer de Galilée, et il était considéré comme le premier citoyen de ce petit village. Il avait peu d'instruction, mais raisonnait très bien. Il était le fils d'excellent parents qui vivaient à Tibériade. Parmi les douze, Thomas était le seul penseur vraiment analytique; il était l'homme réellement scientifique du groupe apostolique.
La vie de famille de Thomas avait débuté dune façon malheureuse; ses parents n'étaient pas entièrement satisfaits de leur vie conjugale, et cela eut sa répercussion dans la vie d'adulte de Thomas. Il grandit avec un caractère désagréable et querelleur. Même sa femme fut très heureuse de le voir se joindre aux apôtres; elle fut soulagée à l'idée que son pessimiste mari serait la plupart du temps loin de son foyer. Thomas avait aussi une tendance à la suspicion qui rendait très difficile de s'entendre paisiblement avec lui. Pierre fut d'abord très démonté par Thomas et se plaignit à son frère André de ce que Thomas était « méprisant, disgracieux, et toujours soupçonneux ». Mais plus ses compagnons connurent Thomas, plus ils l'aimèrent. Ils découvrirent qu'il était magnifiquement honnête et indéfectiblement loyal. Il était parfaitement sincère et indubitablement véridique, mais il avait une tendance innée à découvrir des défauts. Il avait grandi en devenant réellement pessimiste, et sa pensée analytique s'était empreinte de suspicion. Il était en train de perdre rapidement foi en ses semblables quand il s'associa aux douze et entra ainsi en contact avec le noble caractère de Jésus. Cette association avec le Maître commença immédiatement à transformer tout le caractère de Thomas et effectuer de grands changements dans ses réactions mentales envers ses semblables.
La grande force de Thomas était sa magnifique pensée analytique et son courage stoïque -- une fois qu'il avait pris ses décisions. Sa grande faiblesse était son doute soupçonneux, dont il ne triompha jamais complètement durant son incarnation.
Dans l'organisation des douze, Thomas avait la charge d'établir et d'ordonner l'itinéraire, et il dirigeait fort bien le travail et les déplacements du corps apostolique. Il était un bon exécutant, un excellent homme d'affaires, mais il était handicapé par ses sautes d'humeur; il n'était pas le même homme d'un jour à l'autre. Il avait un penchant pour de sombres et mélancoliques méditations quand il se joignit aux apôtres, mais son contact avec eux et avec Jésus le guérit dans une large mesure de cette introspection morbide.
Jésus prenait beaucoup de plaisir à la compagnie de Thomas et eut de longues conversations personnelles avec lui. La présence de Thomas parmi les apôtres était un grand réconfort pour tous les sceptiques honnêtes; elle encouragea nombre de penseurs troublés à entrer dans le royaume, même s'ils ne pouvaient comprendre entièrement tous les aspects spirituels et philosophiques des enseignements de Jésus. L'admission de Thomas parmi les douze était une déclaration permanente que Jésus aimait même les incrédules sincères.
Les autres apôtres révéraient Jésus à cause de quelque trait spécial et remarquable de sa personnalité si riche, mais Thomas révérait son Maître pour son caractère superbement équilibré. Thomas admirait et honorait de plus en plus un être qui était miséricordieux avec tant d'amour, et cependant juste et équitable avec tant d'inflexibilité; qui était si ferme, mais non entêté; si calme, mais jamais indifférent; si secourable et si compatissant, sans jamais se mêler de tout et faire le dictateur; si fort et en même temps si doux; si positif, mais jamais brutal ni rude; si tendre sans jamais chanceler; si pur et innocent, mais en même temps si viril, dynamique, et énergique; si véritablement courageux, mais jamais téméraire ni imprudent; si amoureux de la nature, mais si dégagé de toute tendance à la révérer; si humoriste et enjoué, mais si dépourvu de légèreté et de frivolité. Cette incomparable harmonie de personnalité charmait particulièrement Thomas. Parmi les douze, c'était probablement lui qui intellectuellement comprenait le mieux Jésus et appréciait le mieux sa personnalité.
Dans les conseils des douze, Thomas était toujours prudent et recommandait la politique de « sécurité d'abord ». Mais si l'on avait voté contre son conservatisme ou passé outre, il était toujours le premier à se lancer avec intrépidité dans l'exécution du programme décidé. Maintes et maintes fois il s'opposa à certains projets qu'il considérait comme téméraires ou présomptueux, et les discuta avec acharnement jusqu'au bout. Mais si André mettait la proposition aux voix et si les douze choisissaient d'adopter le projet auquel il s'était si vigoureusement opposé, Thomas était le premier a dire: « Allons-y! » Il était beau joueur. Il ne tenait pas rancune et n'était pas susceptible. De temps en temps, il s'opposait a laisser Jésus s'exposer a un danger, mais si le Maître décidait de prendre le risque, c'était toujours Thomas qui ralliait les apôtres avec ses paroles courageuses: « Venez, camarades, allons-y et mourons avec lui ».
Sous certains rapports, Thomas ressemblait à Philippe; il voulait aussi «qu'on lui montre », mais ses expressions extérieures de doute étaient fondées sur un mécanisme intellectuel entièrement différent. Thomas était analytique et pas seulement sceptique. Quant au courage personnel, il était l'un des plus braves parmi les douze.
Thomas passa par de très mauvais moments; il était parfois sombre et abattu. La perte de sa soeur jumelle lorsqu'il avait neuf ans lui avait causé un grand chagrin de jeunesse et avait compliqué les problèmes de caractère de toute sa vie. Quand Thomas devenait morose, c'était tantôt Nathanael qui l'aidait à se remettre d'aplomb, tantôt Pierre, et assez souvent l'un des jumeaux Alphée. Malheureusement, il essayait toujours d'éviter le contact avec Jésus durant les périodes où il était le plus déprimé; mais le Maître était au courant de tout cela et, durant les moments de dépression de son apôtre harassé de doutes, il l'entourait d'une sympathie compréhensive.
Thomas obtenait parfois d'André la permission de s'absenter seul pour un ou deux, mais il apprit bientôt que cette manière de faire était peu sage, et qu'il était préférable, quand il était abattu, de s'attacher étroitement à son travail et de rester près de ses compagnons. Mais quels que fussent les événements de sa vie émotionnelle, il restait fermement un apôtre. Quand le moment arrivait de prendre l'initiative, c'était toujours Thomas qui disait « Allons-y! »
Thomas est le grand exemple d'un être humain qui a des doutes, qui y fait face, et qui en triomphe. Il était un grand penseur et non un critique malveillant. Il avait une pensée logique et il était la pierre de touche de Jésus et de ses compagnons. Si Jésus et son oeuvre n'avaient pas été sincères, jamais le groupe n'aurait pu retenir depuis le commencement jusqu'à la fin un homme comme Thomas. Il avait un sens aigu et sûr des faits. À la première trace de fraude ou de tromperie, Thomas aurait abandonné le groupe. Les savants peuvent ne pas comprendre pleinement tout ce qui concerne Jésus et son oeuvre terrestre, mais quelqu'un dont la pensée était véritablement celle d'un homme de science a vécu avec le Maître et ses collaborateurs -- Thomas Didyme -- et il croyait en Jésus de Nazareth.
Thomas traversa une sévère épreuve durant le jugement et la crucifixion. Pendant quelque temps il fut plongé dans un abîme de désespoir, mais il reprit courage, resta solidaire des apôtres, et fut parmi eux pour accueillir Jésus au bord de la Mer de Galilée. Pendant un moment il succomba à la dépression due à son incrédulité, mais retrouva finalement sa foi et son courage. Il donna de sages conseils aux apôtres après la Pentecôte et, quand les persécutions dispersèrent les croyants, il alla à Chypre, en Crête, sur la côte de l'Afrique du Nord, et en Sicile, prêchant l'évangile du royaume et baptisant des croyants. Thomas continua à prêcher et à baptiser jusqu'au moment où il fut appréhendé par les agents du gouvernement romain et mis à mort à Malte. Quelques années avant sa fin, il avait commencé à écrire la vie et les enseignements de Jésus.
9 et 10. -- JACQUES ET JUDE ALPHÉE
Jacques et Jude Alphée, les pêcheurs jumeaux habitant près de Kérasa, furent les neuvième et dixième apôtres et furent choisis par Jacques et Jean Zébédée. Ils avaient 26 ans et étaient mariés; Jacques avait trois enfants et Jude en avait deux.
Il n'y a pas grand-chose à dire sur ces pêcheurs ordinaires. Ils aimaient leur Maître et Jésus les aimait, mais ils n'interrompaient jamais ses discours par des questions. Ils comprenaient très peu les discussions philosophiques ou les débats théologiques de leurs compagnons apôtres, mais se réjouissaient de se trouver incorpores dans un groupe d'hommes aussi puissants. Quant à leur apparence personnelle, à leurs caractéristiques mentales, et à l'étendue de leur perception spirituelle, les deux jumeaux étaient à eu près identiques. Ce que l'on peut dire de l'un, on peut le dire de l'autre.
André les chargea du maintien de l'ordre parmi les foules. Ils étaient les principaux huissiers durant les heures de sermon, et en fait les serviteurs généraux du groupe, dont ils faisaient les commissions. Ils aidaient Philippe au ravitaillement, apportaient de l'argent aux familles de la part de Nathanael, et se tenaient toujours disposés à prêter une main secourable à n'importe quel apôtre.
Les multitudes de gens du peuple étaient très encouragées de voir deux de leurs semblables honorés d'une place parmi les apôtres. Par leur seule admission comme apôtres, ces médiocres jumeaux furent le truchement permettant de faire entrer dans le royaume une quantité de croyants pusillanimes. En outre, les gens du peuple acceptaient plus volontiers l'idée d'être conduits et dirigés par des surveillants officiels très semblables à eux-mêmes.
Jacques et Jude, que l'on appelait aussi Thaddée et Lébbée, n'avaient ni points forts ni points faibles. Les surnoms que leur donnèrent les disciples étaient de bienveillantes appellations de médiocrité. Ils étaient « les moindres de tous les apôtres » ils le savaient, et cela les mettait de bonne humeur.
Jacques Alphée aimait particulièrement Jésus a cause de la simplicité du Maître. Les jumeaux ne pouvaient comprendre la pensée de Jésus, mais ils saisissaient le lien de sympathie entre eux et le coeur de leur Maître. Leur mentalité n'était pas d'un ordre élevé et révérence parler, on pourrait même les qualifier de stupides, mais ils subirent une réelle évolution dans leur nature spirituelle. Ils croyaient en Jésus; ils étaient des fils de Dieu et des citoyens du royaume.
Jude Alphée était attiré par Jésus à cause de l'humilité sans ostentation du Maître. Une pareille humilité jointe à une pareille dignité personnelle exerçait un grand attrait sur Jude. Le fait que Jésus recommandait toujours le silence sur ses actes extraordinaires faisait grande impression sur ce simple enfant de la nature.
Les jumeaux apportaient leur aide avec bonne humeur et simplicité. Jésus confia a ces jeunes gens peu doués des postes d'honneur dans son état-major personnel du royaume parce qu'il existe des myriades d'autres âmes semblables, simples et craintives, sur les mondes de l'espace; le Maître désirait également accueillir ces âmes dans une communion active et croyante avec lui-même et avec son Esprit de Vérité effusé. Jésus ne dédaignait pas la petitesse, mais seulement le mal et le péché. Jacques et Jude étaient humbles, mais ils étaient également fidèles. Ils étaient simples et ignorants, mais avaient aussi un grand coeur, de la bonté, et de la générosité.
On peut imaginer la fierté reconnaissante de ces humbles le jour où le Maître refusa d'accepter un certain riche comme évangéliste, a moins qu'il ne consente à vendre ses biens et à venir en aide aux pauvres. Quand le peuple entendit cela et vit les jumeaux parmi ses conseillers, on sut avec certitude que Jésus ne faisait pas acception de personnes. Seule une institution divine -- le royaume des cieux -- pouvait s'ériger sur des fondements humains aussi médiocres!
Au cours de toute leur association avec Jésus, les jumeaux ne se hasardèrent qu'une fois ou deux à poser des questions en public. Jude fut une fois intrigué au point de poser une question à Jésus après que le Maître eut parlé de se révéler ouvertement au monde. Il se sentait un peu décu à l'idée que les douze ne détiendraient plus de secrets et s'enhardit à demander: «Mais alors, Maître, quand tu te proclameras ainsi au monde, comment nous favoriseras-tu par des manifestations spéciales de ta bonté? »
Les jumeaux servirent fidèlement jusqu'au bout, jusqu'aux jours sombres du jugement, de la crucifixion, et du désespoir. Ils ne perdirent jamais la foi de leur coeur en Jésus et (après Jean Zébédée) ils furent les premiers a croire a sa résurrection; mais ils ne purent comprendre l'établissement du royaume. Peu après la crucifixion de leur Maître, ils retournèrent à leur famille et à leurs filets; leur tâche était achevée. Ils n'étaient pas aptes à s'engager dans les batailles plus complexes du royaume, mais ils vécurent et moururent conscients d'avoir été honorés et bénis par quatre années d'association étroite et personnelle avec un Fils de Dieu, créateur souverain d'un univers.
11. -- SIMON LE ZÉLOTE
Simon le Zélote, le onzième apôtre, fut choisi par Simon Pierre. C'était un homme capable, de bonne souche qui vivait avec sa famille à Capharnaüm. Il avait 28 ans lorsqu'il fut adjoint aux apôtres. Il était un fougueux agitateur, et aussi un homme qui parlait beaucoup sans réfléchir. Il avait été commerçant à Capharnaüm avant de porter toute son attention sur l'organisation patriotique des Zélotes.
Simon Zélotès fut chargé des divertissements et de la détente du groupe apostolique. Il organisa très efficacement les distractions et les activités récréatives des douze.
La force de Simon était sa fidélité entraînante. Quand les apôtres rencontraient un homme ou une femme se débattant dans l'indécision au sujet de leur entrée dans le royaume, ils envoyaient chercher Simon. En général, cet avocat enthousiaste du salut par a foi en Dieu n'avait guère besoin de plus d'un quart d'heure pour calmer tous les doutes et ôter toute indécision, pour voir une nouvelle âme naître dans « la liberté de la foi et la joie du salut ».
La grande faiblesse de Simon était sa mentalité matérialiste. Ce Juif nationaliste ne put se transformer rapidement en un internationaliste à mentalité spirituelle. Un délai de quatre ans était insuffisant pour effectuer une telle transformation intellectuelle et émotionnelle, mais Jésus fut toujours patient avec lui.
La qualité de Jésus que Simon admirait le plus était le calme du Maître, son assurance, son équilibre, et son inexplicable sérénité.
Bien que Simon fût un révolutionnaire enragé, un intrépide brandon d'agitation, il vainquit graduellement sa fougueuse nature jusqu'à devenir un puissant et efficace prédicateur « de paix sur terre et de bonne volonté parmi les hommes ». Simon brillait dans les débats; il aimait discuter. Quand on avait à faire face à la mentalité procédurière des Juifs instruits ou aux arguties intellectuelles des Grecs, la tâche était toujours attribuée à Simon.
Il était un rebelle par nature et un iconoclaste par entraînement, mais Jésus le gagna aux concepts supérieurs du royaume des cieux. Simon s'était toujours identifié au parti protestataire, mais maintenant il adhérait au parti progressiste, celui de la progression illimitée et éternelle de l'esprit et de la vérité. Simon était un homme de fidélité ardente, de chaud dévouement personnel, et il aimait profondément Jésus.
Jésus ne craignait pas de s'identifier à des hommes d'affaires, des ouvriers, des optimistes, des pessimistes, des philosophes, des sceptiques, des publicains, des politiciens, et des patriotes.
Le Maître eut de nombreux entretiens avec Simon, mais ne réussit jamais pleinement à transformer cet ardent nationaliste juif en un internationaliste. Jésus répéta souvent à Simon qu'il était légitime de souhaiter l'amélioration du système social, économique, et politique, mais il ajoutait toujours: « Ce n'est pas l'affaire du royaume des cieux. Il faut que nous soyons consacrés à faire la volonté du Père. Notre affaire consiste à être les ambassadeurs d'un gouvernement spirituel d'en haut, et nous ne devons pas nous occuper immédiatement d'autre chose que de représenter la volonté et le caractère du Père divin qui se trouve à la tête du gouvernement dont nous portons les lettre de créance ». Tout cela était difficile à comprendre pour Simon, mais il parvint graduellement à saisir quelque peu la signification de l'enseignement du Maître.
Après la dispersion causée par les persécutions de Jérusalem, Simon prit une retraite temporaire. Il était littéralement accablé.
En tant que patriote nationaliste, il avait abandonné sa position par déférence pour les enseignements de Jésus; maintenant, tout était perdu. Il était dans le désespoir, mais au bout de quelques années il reprit espoir et partit proclamer l'évangile du royaume.
Il se rendit à Alexandrie et, après avoir péniblement remonté le Nil, il pénétra au coeur de l'Afrique, prêchant partout l'évangile de Jésus et baptisant les croyants. Il travailla ainsi jusqu'à ce qu'il fût devenu vieux et faible. Il mourut et fut enterré au coeur de l'Afrique.
12. -- JUDAS ISCARIOT
Judas Iscariot, le douzième apôtre, fut choisi par Nathanael. Il était né à Kérioth, petite ville de la Judée méridionale. Quand il était petit garçon, ses parents s'étaient installés à Jéricho, où il vécut et fut employé dans les diverses affaires commerciales de son père jusqu'au moment où il s'intéressa aux sermons et à l'oeuvre de Jean le Baptiste. Ses parents étaient des sadducéens, et lorsque Judas se joignit aux disciples de Jean, ils le renièrent.
Quand Nathanael le rencontra à Tarichée, Judas cherchait un emploi dans une sécherie de poisson à l'extrémité aval de la Mer Galilée. Il avait 30 ans quand il se joignit aux apôtres et il état célibataire. Il était le seul Judéen dans la famille apostolique du Maître, et probablement le plus instruit des douze. Judas n'avait aucun trait saillant de force intérieure, bien qu'il eût apparemment de nombreux traits extérieurs de culture et de bonne éducation. Il était un grand penseur, mais pas toujours un penseur vraiment honnête. Judas ne se comprenait réellement pas lui-même; il n'était pas franchement sincère quand il s'agissait de lui-même.
André nomma Judas trésorier des douze, poste qu'il était éminemment qualifié pour occuper. Jusqu'au moment où il trahit son Maître, il assuma honnêtement, fidèlement, et très efficacement les responsabilités de sa charge.
Nul trait de caractère spécial chez Jésus n'était plus admiré par Judas que la personnalité généralement attirante et délicatement charmante du Maître. Judas ne fut jamais capable de s'élever au-dessus de ses préjugés de Judéen contre ses compagnons galiléens. Il allait même jusqu'à critiquer dans sa pensée bien des manières de faire de Jésus. Ce Judéen prétentieux osait souvent condamner dans son coeur le Maître que les onze autres apôtres considéraient comme l'homme parfait, « exquis et suprême parmi dix mille ». Judas entretenait réellement la notion que Jésus était timide et quelque peu effrayé d'affirmer son pouvoir et son autorité.
Judas était un excellent homme d'affaires. Il fallait du tact, de l'habileté, et de la patience, aussi bien que de la minutie dans le dévouement, pour diriger les affaires financières d'un idéaliste tel que Jésus, sans parler de la lutte contre les méthodes désordonnées de certains apôtres. Judas était réellement un grand réalisateur, un financier prévoyant et capable, et un rigoriste pour l'organisation. Nul apôtre ne critiqua jamais Judas. Autant qu'ils pouvaient voir, Judas Iscariot était un trésorier incomparable, un homme instruit, un apôtre loyal (bien que parfois critique) et, dans tous les sens du mot, un homme qui réussissait fort bien. Les apôtres aimaient Judas; il était réellement l'un d'eux. Il croyait probablement en Jésus, mais nous doutons qu'il ait réellement aimé le Maître de tout son coeur. Le cas de Judas illustre la vérité du proverbe: « Il existe une voie qui paraît juste à un homme, mais la fin en est la mort ». Il est tout à fait possible de tomber dans le piège apparemment innocent consistant à s'adapter agréablement aux voies du péché et de la mort. Soyez assuré que Judas fut toujours financièrement loyal envers son Maître et ses collègues apôtres. Jamais l'argent n'aurait pu être un motif l'incitant à trahir le Maître.
Judas était le fils unique de parents peu sages qui le choyèrent et le dorlotèrent durant son enfance. Il était un enfant gâté. En grandissant, il se fit une idée exagérée de son importance personnelle. Il n'était pas beau joueur. Il avait des idées vagues et biscornues sur l'équité, et il était enclin à la haine et à la suspicion. Il était habile à interpréter de travers les paroles et les actes de ses amis. Durant toute sa vie, Judas avait cultivé l'habitude de rendre la pareille à ceux qu'il imaginait l'avoir maltraité. Son sens des valeurs et du loyalisme était défectueux.
Jésus avait pris le risque d'avoir foi en Judas. Dès le commencement, le Maître avait parfaitement compris la faiblesse de cet apôtre et connaissait bien les dangers de l'admettre dans la communauté. Mais il est dans la nature des Fils de Dieu de donner à tout être créé une chance égale de salut et de survie. Jésus voulait que non seulement les mortels de ce monde, mais aussi les observateurs innombrables sur d'autres mondes, sachent que, s'il existe des doutes sur la sincérité et la franchise de la dévotion d'une créature au royaume, la pratique invariable des Juges des hommes consiste à recevoir pleinement le candidat douteux. La porte de la vie éternelle est grande ouverte à tous; « quiconque le désire peut entrer »; il n'y a ni restriction ni qualification, sauf la foi de celui qui vient.
C'est précisément la raison pour laquelle Jésus permit à Judas de continuer jusqu'au bout, en faisant toujours tout son possible pour transformer et sauver cet apôtre faible et tourmenté. Mais si la lumière n'est pas reçue de bonne foi et si l'on ne s'y conforme pas dans la vie, elle tend à venir ténèbres à l'intérieur de l'âme. En ce qui concerne les enseignements de Jésus sur le royaume, Judas grandit intellectuellement, mais ne progressa pas comme les autres apôtres dans l'acquisition d'un caractère spirituel. Il ne réussit pas à faire des progrès satisfaisants en expérience spirituelle.
Judas s'adonna de plus en plus à de sombres méditations sur ses déceptions personnelles et devint finalement une victime de sa propre rancune. Ses sentiments avaient été maintes fois blessés; il devint anormalement soupçonneux de ses meilleurs amis, et même du Maître. Il fut bientôt obsédé par l'idée de leur rendre la pareille, de faire n'importe quoi pour se venger, oui, même de trahir ses collègues et son Maître.
Mais ces idées perverses et dangereuses ne prirent pas nettement corps avant le jour où une femme reconnaissante brisa un coûteux vase d'encens aux pieds de Jésus (1). Cela parut un gaspillage à Judas, et lorsque sa protestation publique fut aussitôt désavouée par Jésus au vu et au su de tout le monde, c'en fut trop pour lui. Cet événement déclencha la mobilisation de tout ce qu'il avait accumulé de haine, de froissements, de méchanceté, de préjugés, de jalousie, et de désirs de revanche durant toute sa vie, et il résolut de rendre la pareille à n'importe qui. Mais il cristallisa toute la perversité de sa nature sur l'unique personne innocente dans tout le drame sordide de sa vie malheureuse, simplement parce que Jésus s'était trouvé l'acteur principal dans l'épisode qui marqua son passage du royaume progressif de lumière au domaine de ténèbres qu'il avait lui-même choisi.
(1) Matthieu XXVI-7.
En public et en privé, le Maître avait maintes fois prévenu Judas qu'il déviait, mais les avertissements divins sont généralement inutiles quand ils s'adressent à une nature humaine aigrie. Jésus fit tout ce qui était possible et compatible avec le libre arbitre moral des hommes pour empêcher Judas de choisir la mauvaise voie. La grande épreuve finit par arriver. Le fils de la rancune échoua. Il céda aux directives acariâtres et sordides d'une pensée orgueilleuse et vengeresse résultant de l'importance exagérée qu'il attribuait à sa personne, et plongea rapidement dans le désordre, le désespoir, et la dépravation.
Judas entra alors dans la vile et honteuse intrigue destinée à trahir son Seigneur et Maître et mit rapidement en oeuvre son projet néfaste. Durant l'exécution de ses plans de trahison conçus dans la colère, il éprouva des moments de regret et de honte. Au cours de ces intervalles de lucidité, il conçut timidement, comme justification dans sa propre pensée, l'idée que Jésus pourrait peut-être exercer son pouvoir et se délivrer au dernier moment.
Quand cette affaire immonde et impie fut terminée, le mortel renégat, qui avait attaché peu d'importance a vendre son ami pour trente pièces d'argent afin de satisfaire le désir de revanche qu'il nourrissait depuis longtemps, se sauva précipitamment et commit l'acte final du drame consistant à fuir les réalités de l'existence terrestre -- il se suicida.
Les onze apôtres furent horrifiés et abasourdis. Jésus se borna à regarder le traître avec pitié. Les mondes extérieurs ont trouvé difficile d'absoudre Judas, et l'on s'abstient de prononcer son nom dans tout un vaste univers.
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- Category: 4. LA VIE ET LES ENSEIGNEMENTS DE JÉSUS
LA FORMATION DES MESSAGERS DU ROYAUME
APRÈS avoir prêché le sermon sur « Le Royaume », Jésus réunit ses six apôtres le même après-midi et commença à leur exposer ses plans pour visiter les villes situées autour et aux environs de la Mer de Galilée. Ses frères Jacques et Jude furent très froissés de n'avoir pas été convoqués à cette conférence. Jusque-là, ils s'étaient considérés comme faisant partie du cercle intérieur des associés de Jésus. Mais Jésus ne voulait introduire aucun de ses proches parents dans ce corps d'administrateurs apostoliques du royaume. Le fait de ne pas inclure Jacques et Jude parmi les quelques élus, ainsi que son apparente indifférence pour sa mère depuis l'épisode de Cana, fut le point de départ d'un abîme toujours plus profond entre Jésus et sa famille. Cette situation continua durant tout son ministère public -- ils furent tout près de le désavouer -- et ces différends ne furent complètement aplanis qu'après sa mort et sa résurrection. Sa mère oscillait constamment entre des attitudes fluctuantes de foi et d'espérance, et des sentiments croissants de déception, d'humiliation, et de désespoir. Seule Ruth, la plus jeune, demeurait indéfectiblement fidèle à son frère-père.
Jusqu'après la résurrection, la famille entière de Jésus participa très peu à son ministère. Un prophète reçoit des honneurs, mais ailleurs que dans son pays; il est compris et apprécié, mais autre part que dans sa propre famille.
1. -- INSTRUCTIONS FINALES
Le lendemain, samedi 23 juin de l'an 26, Jésus communiqua aux six ses instructions définitives: il leur ordonna de partir deux par deux pour répandre la bonne nouvelle du royaume. Il leur défendit de baptiser. Il leur recommanda de ne pas prêcher en public, mais leur expliqua qu'il le leur permettrait lus tard. Pour l'instant et pour bien des raisons, il désirait les voir acquérir une expérience pratique dans leurs rapports personnels avec leurs semblables. Jésus voulait que les apôtres consacrent entièrement cette première tournée à un effort de travail personnel. Bien que cette décision apportât une certaine déception aux apôtres, ils percevaient, au moins en partie, les raisons qui poussaient Jésus à commencer ainsi la proclamation du royaume; ils partirent avec courage, enthousiasme, et confiance. Jésus les envoya deux par deux, Jacques et Jean allant à Kérasa, André et Pierre à Capharnaüm, tandis que Philippe et Nathanael partaient pour Tarichée.
Avant le début de ces deux premières semaines de service, Jésus leur annonça qu'il désirait ordonner douze apôtres pour continuer le travail du royaume après son départ; il autorisa chacun d'eux à choisir, parmi ses premiers convertis, un homme destiné à faire partie du corps apostolique qu'il voulait constituer. Jean prit la parole pour demander: « Mais, Maître, ces six hommes viendront-ils au milieu de nous, et partageront-ils toutes choses sur un pied d'égalité avec nous qui t'avons accompagné depuis le Jourdain et avons entendu tout ton enseignement au sujet de note premier travail pour le royaume? » Et Jésus répliqua: « Oui, Jean, les hommes que vous choisirez ne feront qu'un avec nous, et vous leur enseignerez tout ce qui concerne le royaume, comme moi-même je vous l'ai enseigné ». Après avoir ainsi parlé, Jésus les quitta.
Les six ne se séparèrent pas pour commencer leur oeuvre sans avoir longuement discuté l'ordre donné à chacun par Jésus de choisir un nouvel apôtre. L'avis d'André finit par prévaloir, et ils se rendirent à leurs travaux. André avait dit en substance: « Le Maître a raison; nous sommes trop peu nombreux pour faire tout ce travail. Il y a besoin de plus d'éducateurs, et le Maître nous a témoigné une grande confiance en nous chargeant de choisir les six nouveaux apôtres ». Ce matin-là, alors qu'ils se séparaient pour vaguer à leurs besognes, il y avait un peu de dépression secrète dans le coeur de chacun. Ils savaient que Jésus allait leur manquer et, outre leur crainte et leur timidité, ce n'était pas la manière dont ils avaient imaginé l'inauguration du royaume des cieux.
Il avait été convenu que les six travailleraient deux semaines, après quoi ils devaient revenir pour une conférence à la maison de Zébédée. Entre temps, Jésus alla à Nazareth pour rendre visite à Joseph, à Simon, et à d'autres membres de sa famille vivant dans ces parages. Pour conserver la confiance et l'affection de sa famille, Jésus fit tout ce qui était humainement possible et compatible avec sa consécration à faire la volonté de son Père. En l'espèce, il fit tout son devoir, et même plus que son devoir.
Pendant que les apôtres étaient en mission, Jésus pensa beaucoup à Jean qui était en prison. Il fut très tenté d'utiliser ses pouvoirs potentiels pour le libérer, mais il se résigna une fois de plus à « attendre la volonté du Père ».
2. -- LE CHOIX DES SIX
La première tournée missionnaire des six fut éminemment réussie. Ils découvrirent la grande valeur du contact direct et personnel avec les hommes. Ils revinrent vers Jésus parfaitement convaincus qu'après tout la religion est purement et totalement une affaire d'expérience personnelle. Ils commencèrent à sentir combien les gens du peuple avaient soif d'entendre des paroles de consolation religieuse et d'encouragement spirituel. Lorsqu'ils se rassemblèrent autour de Jésus, ils voulurent tous parler à la fois, mais André prit le commandement et les appela l'un après l'autre pour faire leur rapport officiel au Maître et proposer les six nouveaux apôtres de leur choix.
Après que chacun eut présenté son candidat, Jésus demanda à tous les autres d'entériner les nominations par un vote; ainsi les six nouveaux apôtres furent officiellement acceptés à l'unanimité par les six anciens. Ensuite Jésus annonça qu'ils iraient tous rendre visite aux postulants afin de leur confirmer l'appel au service.
Les six apôtres nouvellement choisis étaient:
1. Matthieu Lévi, receveur des douanes de Capharnaüm, qui avait son bureau juste à l'est de la ville, en bordure de Batanée. Il avait été choisi par André.
2. Thomas Didyme, un pêcheur de Tarichée, jadis charpentier et maçon à Gadara. Il avait été choisi par Philippe.
3. Jacques Alphée, pêcheur et fermier à Kérasa, avait été choisi par Jacques Zébédée.
4. Jude Alphée, frère jumeau de Jacques Alphée, et également pêcheur avait été choisi par Jean Zébédée.
5. Simon Zélotès occupait un poste élevé dans l'organisation des Zélotes, poste qu'il abandonna pour se joindre aux apôtres de Jésus. Avant de faire partie des Zélotes, Simon était un commerçant. Il fut choisi par Pierre.
6. Judas Iscariot était le fils unique de parents fortunés vivant à Jéricho. Il s'était attaché à Jean le Baptiste, et ses parents sadducéens l'avaient désavoué. Il cherchait un emploi dans ces parages quand les apôtres de Jésus le rencontrèrent. Nathanael l'invita à se joindre à eux principalement à cause de son expérience financière. Judas Iscariot était le seul Judéen parmi les douze apôtres.
Jésus passa une journée entière avec les six, répondant à leurs questions et écoutant leurs comptes rendus, car ils avaient de nombreuses expériences intéressantes et profitables à raconter. Ils percevaient maintenant la sagesse du plan du Maître les envoyant évangéliser d'une manière discrète et personnelle avant de se lancer dans des efforts publics plus ambitieux.
3. -- L'APPEL DE MATTHIEU ET DE SIMON
Le lendemain, Jésus et les six rendirent visite à Matthieu, le receveur des douanes. Matthieu les attendait; il avait réglé ses comptes et s'était préparé à passer les affaires de son bureau à son frère. Près de la maison des péages, André s'avança avec Jésus qui regarda Matthieu en face et lui dit: « Suis-moi ». Matthieu se leva et conduisit Jésus et les apôtres chez lui.
Matthieu parla à Jésus du banquet qu'il avait organisé pour le soir, disant qu'il désirait au moins offrir ce dîner à sa famille et à ses amis si Jésus était d'accord et acceptait d'être l'invité d'honneur. Jésus approuva d'un signe de tête. Pierre prit alors Matthieu à part; il lui expliqua qu'il avait offert à un certain Simon de se joindre aux apôtres et s'assura que Matthieu consentait à ce que Simon fût lui aussi invité à la fête.
Après un déjeuner chez Matthieu, ils allèrent tous avec Pierre appeler Simon le Zélote. Ils le trouvèrent au siège de ses anciennes affaires, maintenant dirigées par son neveu. Lorsque Pierre eut conduit Jésus à Simon, le Maître salua le fougueux patriote et dit simplement: « Suis-moi ».
Ils retournèrent tous chez Matthieu, où ils parlèrent beaucoup de politique et de religion jusqu'à l'heure du repas du soir. La famille de Lévi était depuis longtemps dans les affaires et s'occupait de la collecte des impôts. Nombre des convives invités par Matthieu à ce banquet auraient donc été qualifiés de « publicains et de pécheurs » par les pharisiens.
À cette époque, quand un dîner d'apparat de cet ordre était offert à une personnalité en vue, toutes les personnes qui s'y intéressaient avaient coutume de flâner autour de la salle du banquet pour regarder manger les convives et pour écouter la conversation et les allocutions des invités d'honneur. En conséquence, la plupart des pharisiens de Capharnaüm étaient présents a cette occasion pour observer la conduite de Jésus à cette réunion sociale inhabituelle.
Au cours du dîner, la joie des convives s'éleva à un haut diapason d'allégresse; tout le monde s'en donnait tellement à coeur joie que les observateurs pharisiens commencèrent à critiquer Jésus dans leur coeur pour sa participation à une distraction aussi frivole. Plus tard dans la soirée, au moment des discours, l'un des pharisiens parmi les plus malveillants alla jusqu'à faire des critiques à Pierre sur la conduite de Jésus en disant: «Comment oses-tu enseigner que cet homme est juste, puisqu'il mange avec des publicains et des pécheurs et prête ainsi sa présence à de pareilles scènes d'insouciance dans les plaisirs ». Pierre répéta cette critique à voix basse à Jésus avant qu'il ne prononçât la bénédiction de départ sur les hôtes assemblés. Lorsque Jésus commença à parler, il dit: « En venant ici ce soir pour accueillir Matthieu et Simon dans notre communauté, je suis heureux de constater votre allégresse et vos bonnes dispositions sociales, mais vous devriez vous réjouir encore plus de ce que beaucoup d'entre vous entreront dans le royaume spirituel qui vient et où vous jouirez plus abondamment des bonnes choses du royaume des cieux. Quant à ceux qui se tiennent autour de nous en me critiquant dans leur coeur parce que je suis ici pour me divertir avec ces amis, laissez-moi dire que je suis venu proclamer la joie aux opprimés de la société et la liberté aux captifs moraux. Est-il nécessaire de vous rappeler que les bien portants n'ont pas besoin d'un médecin, mais plutôt les malades? Je suis venu non pour appeler les justes, mais les pécheurs ».
C'était réellement un spectacle étrange pour toute la société juive que de voir un homme de caractère droit et de sentiments nobles se mêler librement et joyeusement aux gens du peuple, et même à une foule irréligieuse de pécheurs avérés et de publicains à la recherche du plaisir. Simon Zélotès désirait faire un discours à cette réunion chez Matthieu, mais André, sachant que Jésus ne voulait pas que le royaume à venir fût confondu avec le mouvement des Zélotes, obtint de Simon qu'il s'abstint de faire des commentaires en public.
Jésus et les apôtres passèrent la nuit chez Matthieu. En rentrant chez eux, les invités n'avaient qu'un seul sujet de conversation: la bonté et la bienveillance de Jésus.
4. -- L'APPEL DES JUMEAUX
Le lendemain matin, les neuf allèrent par bateau à Kérasa pour donner suite à l'appel officiel des deux apôtres suivants, Jacques et Jude, les fils jumeaux d'Alphée, candidats choisis par Jacques et Jean Zébédde. Les jumeaux comptaient sur la venue de Jésus et de ses apôtres et les attendaient donc sur le rivage. Jacques Zébédée présenta le Maître aux pêcheurs de Kérasa, et Jésus, les enveloppant du regard, approuva de la tête en disant: « Suivez-moi».
Ils passèrent l'après-midi tous ensemble, et Jésus les instruisit pleinement au sujet de leur participation à des festivités. Il conclut ses remarques en disant: « Tous les hommes sont mes frères. Mon Père céleste ne méprise aucun être créé par nous. Le royaume des cieux est ouvert à tous les hommes et à toutes les femmes. Nul ne peut fermer la porte de la miséricorde au visage d'une âme assoiffée cherchant à y entrer. Nous nous assiérons à table avec tous ceux qui désirent entendre parler du royaume. Lorsque d'en haut mon Père céleste regarde les hommes, il les trouve tous semblables. Ne refusez donc pas de rompre le pain avec un pharisien ou un pécheur, un sadducéen ou un publicain, un Romain ou un Juif, un riche ou un pauvre, un homme libre ou un esclave. La porte du royaume est grande ouverte à tous ceux qui désirent connaître la vérité et trouver Dieu ».
Ce soir-là, à un simple souper chez Alphée, les frères jumeaux furent reçus dans la communauté apostolique. Plus tard dans la soirée, Jésus fit à ses apôtres sa première leçon sur l'origine, la nature, et la destinée des esprits impurs, mais ils ne purent comprendre l'importance de ce qu'il leur disait. Ils trouvaient très facile d'aimer et d'admirer Jésus, mais très difficile de comprendre beaucoup de ses enseignements.
Après une nuit de repos, tout le groupe, maintenant composé de onze membres, se rendit par bateau à Tarichée.
5. -- L'APPEL DE THOMAS ET DE JUDAS
Thomas le pêcheur et Judas l'errant rencontrèrent Jésus et les apôtres à l'appontement des bateaux de pêche à Tarichée, et Thomas conduisit le groupe à son domicile voisin. Philippe présenta alors Thomas comme son candidat à l'apostolat, et Nathanael présenta Judas Iscariot, le Judéen, pour un honneur similaire. Jésus regarda Thomas et lui dit: « Thomas, tu manques de foi; néanmoins je te reçois. Suis-moi ». Et à Judas Iscariot le Maître dit: « Judas, nous sommes tous d'une même chair, et en te recevant au milieu de nous, je prie pour que tu sois toujours loyal envers tes frères galiléens. Suis-moi ».
Quand ils se furent reposés, Jésus emmena pendant un certain temps les douze dans un lieu écarté pour prier avec eux et les instruire sur la nature et le travail du Saint-Esprit, mais à nouveau ils ne réussirent à comprendre qu'une minime partie de la signification des merveilleuses vérités que le Maître s'efforçait de leur inculquer. L'un saisissait un point, son voisin en comprenait un autre, mais aucun ne pouvait faire la synthèse de l'enseignement. Ils commettaient toujours la faute de vouloir faire cadrer le nouvel évangile de Jésus avec leurs anciennes formes de croyance religieuse. Ils ne pouvaient pas saisir l'idée que Jésus était venu proclamer un nouvel évangile de salut et établir une nouvelle manière de trouver Dieu; ils ne percevaient pas qu'il était une nouvelle révélation du Père céleste.
Le lendemain, Jésus laissa ses douze apôtres seuls. Il voulait qu'ils fassent plus ample connaissance entre eux et désirait qu'ils discutent sans lui ce qu'il leur avait enseigné. Le Maître revint pour le repas du soir, et après le dîner il leur parla du ministère des séraphins. Quelques-uns des apôtres comprirent cet enseignement. Ils se reposèrent tous durant la nuit et repartirent le lendemain par bateau pour Capharnaüm.
Zébédée et Salomé étaient allés vivre avec leur fils David, de sorte que leur grande maison pouvait être mise a la disposition de Jésus et de ses douze apôtres. Jésus y passa un sabbat paisible avec les messagers choisis. Il leur exposa soigneusement ses plans pour proclamer le royaume et leur expliqua pleinement l'importance qu'il y avait à éviter tout conflit avec les autorités civiles, disant: « Si les chefs civils doivent être blâmés, laissez-moi le soin de le faire. Veillez à ne pas porter d'accusations contre César ou ses serviteurs ». Le même soir, Judas Iscariot prit Jésus à part pour lui demander pourquoi l'on ne faisait rien pour tirer Jean de prison. Et Judas ne fut pas entièrement satisfait du comportement de Jésus.
6. -- LA SEMAINE D'ENTRAÎNEMENT INTENSIF
La semaine suivante fut consacrée à un programme d'entraînement intensif. Chaque jour, les six nouveaux apôtres furent confiés aux soins de ceux qui les avaient respectivement recrutés, pour récapituler tout ce qu'ils avaient appris et éprouvé, afin de les préparer à oeuvrer pour le royaume. Les six premiers apôtres analysaient soigneusement, pour lé bénéfice des six nouveaux, les enseignements antérieurement donnés par Jésus. Le soir, ils se rassemblaient tous dans le jardin de Zébédée pour recevoir les instructions de Jésus.
Ce fut alors que Jésus institua le jour de congé du milieu de la semaine pour le repos et la récréation. Ils poursuivirent ce plan de détente un jour par semaine durant le reste de la vie incarnée de Jésus. En règle générale, ils ne vaquaient pas à leurs occupations régulières le mercredi. Durant ce jour de congé hebdomadaire, Jésus avait l'habitude de se retirer en les laissant seuls et en disant: « Mes enfants, allez vous distraire durant une journée. Reposez-vous des travaux ardus du royaume et jouissez du délassement que procurent le retour à vos anciennes vocations ou la découverte de nouvelles sortes d'activités récréatives ». Durant cette période de sa vie terrestre, Jésus n'avait pas réellement besoin de ce jour de repos, mais il se conformait à ce plan parce qu'il le savait meilleur pour ses apôtres. Jésus était l'instructeur -- le Maître. Ses compagnons étaient ses élèves -- des disciples.
Jésus s'efforça d'établir clairement pour ses apôtres la différence entre ses enseignements et sa vie parmi eux d'une part, et les enseignements qui pourraient ultérieurement surgir à son propos d'autre part. Jésus leur dit: «Mon royaume et l'évangile qui s'y rapporte seront l'essentiel de votre message. Ne vous écartez pas du sujet en prêchant à propos de moi ou à propos de mes enseignements. Proclamez l'évangile du royaume et décrivez ma révélation du Père céleste, mais ne déviez pas dans des voies détournées en créant des légendes ou en bâtissant un culte consacré à des croyances et à des enseignements à propos de mes croyances et enseignements ». Mais à nouveau les disciples ne comprirent pas ses raisons de parler ainsi, et nul n'osa lui demander pourquoi il les instruisait de la sorte.
Dans ces premiers enseignements, Jésus cherchait a éviter autant que possible les controverses avec ses apôtres, sauf celles qui impliquaient de fausses conceptions de son Père céleste. En toutes ces matières, il n'hésitait jamais à corriger des croyances erronées. La vie de Jésus sur Urantia après son baptême n'avait plus qu'un mobile, celui d'apporter une révélation meilleure et plus véridique de son Père du Paradis; il était le pionnier du nouveau et meilleur chemin vers Dieu, la voie de la foi et de l'amour. Son exhortation à ses apôtres était toujours: « Recherchez les pécheurs, trouvez les découragés, et réconfortez les inquiets ».
Jésus saisissait parfaitement la situation. Il possédait un pouvoir illimité qu'il aurait pu utiliser pour accomplir sa mission, mais il se contentait entièrement de moyens et de personnalités que la plupart des gens auraient considérés comme inadéquats et insignifiants. Il était engagé dans une mission comportant d'immenses possibilités spectaculaires, mais il persista à s'occuper des affaires de son Père de la manière la plus simple et la moins théâtrale, en évitant soigneusement tout étalage de puissance. Il se proposa maintenant de travailler tranquillement avec ses douze apôtres, au moins pendant plusieurs mois, au voisinage de la Mer de Galilée.
7. -- UNE NOUVELLE DÉCEPTION
Jésus avait projeté une paisible campagne missionnaire de cinq mois de travail personnel. Il ne dit pas a ses apôtres combien de temps elle devait durer; ils travaillaient de semaine en semaine. De bonne heure le premier jour de la semaine où il fut sur le point de s'en ouvrir à ses douze apôtres, Simon Pierre, Jacques Zébédée, et Judas Iscariot vinrent lui parler en privé. Prenant Jésus à part, Pierre s'enhardi jusqu'à lui dire: « Maître, nous venons à la demande de nos compagnons nous enquérir si le moment n'est pas maintenant venu d'entrer dans le royaume. Vas-tu proclamer le royaume à Capharnaüm, ou bien irons-nous a Jérusalem? Et quand saurons-nous chacun les postes que nous devrons occuper auprès de toi dans l'établissement du royaume? » Et Pierre aurait continué à poser d'autres questions, mais Jésus leva une main réprobatrice et l'arrêta. Les autres apôtres se tenaient dans le voisinage; il les invita à se joindre à son groupe et leur dit: « Mes petits enfants, combien de temps vous supporterai-je? Ne vous ai-je pas expliqué que mon royaume n'est pas de ce monde? Je vous ai maintes fois dit que je ne suis pas venu siéger sur le trône de David; alors, comment se fait-il que vous me demandiez la place réservée à chacun de vous dans le royaume du Père?
« Ne pouvez-vous percevoir que je vous ai appelés comme ambassadeurs d'un royaume spirituel? Ne comprenez-vous pas que bientôt, très bientôt, vous aurez à me représenter dans le monde et à proclamer le royaume, de même que je représente mon Père qui est aux cieux? Est-il possible que je vous aie choisis et instruits comme messagers du royaume, et que pourtant vous ne compreniez ni la nature ni la signification de ce nouveau royaume de prééminence divine dans le coeur des hommes? Mes amis, écoutez-moi encore une fois. Bannissez de vos pensées l'idée que mon royaume est une souveraineté de puissance ou un règne de gloire. En vérité, tous pouvoirs dans le ciel et sur terre seront bientôt remis entre mes mains, mais la volonté du Père n'est pas que nous utilisions ce don divin pour nous glorifier durant cet âge. Dans un autre âge, vous siégerez réellement avec moi en puissance et en gloire, mais actuellement il convient de nous soumettre à la volonté du Père et d'obéir humblement en allant exécuter ses commandements sur terre ».
Une fois de plus ses compagnons furent choqués et abasourdis. Jésus les renvoya deux par deux pour prier et venir le retrouver à midi. En ce matin décisif, chacun d'eux chercha a trouver Dieu, et chacun s'efforça d'encourager et d'affermir son voisin, puis ils revinrent vers Jésus comme celui-ci le leur avait recommandé.
Jésus leur raconta alors la venue de Jean, le baptême dans le Jourdain, les noces de Cana, le récent choix des six, et la mise à l'écart de ses frères germains. Il les prévint que l'ennemi du royaume chercherait aussi à les écarter. Après ce bref mais sérieux entretien, tous les apôtres se levèrent, sous la conduite de Pierre, pour proclamer leur dévotion impérissable à leur Maître et promettre leur fidélité indéfectible au royaume -- selon l'expression de Thomas « a ce royaume à venir, quel qu'il soit, même si je ne le comprends pas pleinement ». Ils croyaient tous en Jésus sincèrement, bien qu'ils ne comprissent pas entièrement son enseignement.
Jésus leur demanda alors combien à eux tous ils avaient d'argent; il s'enquit aussi des dispositions qu'ils avaient prises pour leurs familles. Lorsqu'il fut clair qu'ils avaient à peine assez de fonds pour s'entretenir pendant deux semaines, Jésus dit: « Ce n'est pas la volonté de mon Père que nous commencions à travailler dans ces conditions. Nous allons rester ici quinze jours près de la mer et pêcher ou faire les travaux manuels que nous trouverons. Entre-temps sous la direction d'André, premier apôtre choisi, vous vous organiserez de manière à vous procurer tout ce dont vous aurez besoin dans votre futur ministère, aussi bien dans votre présent travail personnel que dans la période ultérieure ou je vous conférerai l'ordination pour prêcher l'évangile et instruire les croyants ». Ils furent tous ragaillardis par ces paroles; c'était la première fois que Jésus leur indiquait d'une manière claire et positive son intention d'entreprendre plus tard des efforts publics plus dynamiques et plus spectaculaires.
Les apôtres passèrent le reste de la journée à mettre au point leur organisation et à se procurer bateaux et filets pour aller pêcher le lendemain matin, car ils avaient tous décidé de se consacrer à la pêche; la plupart d'entre eux avaient été des pêcheurs, et Jésus lui-même était un marin et un pêcheur expérimenté. Nombre de bateaux qu'ils utilisèrent au cours des années suivantes avaient été construits des propres mains de Jésus, et c'étaient de bons bateaux, dignes de confiance.
Jésus dit aux apôtres de se consacrer durant deux semaines à la pêche et ajouta: « Ensuite vous partirez pour devenir pêcheurs d'hommes ». Ils se séparèrent en trois groupes, Jésus accompagnant chaque nuit un groupe différent. Ils éprouvaient tous un immense plaisir à sa compagnie. Il était bon pêcheur, bon compagnon, et un ami inspirant. Plus les apôtres travaillaient avec lui, plus ils l'aimaient. Matthieu dit un jour: « Plus vous comprenez certaines personnes, moins vous les admirez, mais avec cet homme, moins je le comprends plus je l'aime ».
Le plan consistait à pêcher deux semaines et à sortir ensuite deux semaines pour faire du travail personnel en faveur du royaume fut suivi pendant plus de cinq mois jusqu'à la fin de cette année 26, et même après la cessation des persécutions spécialement dirigées contre les disciples de Jean à la suite de son emprisonnement.
8. -- PREMIERS TRAVAUX DES DOUZE
Quand il eut vendu les prises de poisson de deux semaines, Judas Iscariot, choisi pour trésorier des douze, divisa les fonds apostoliques en six parts égales après avoir prélevé au préalable les sommes nécessaires aux familles qui étaient à la charge des apôtres. Puis, vers le milieu d'août de l'an 26, ils partirent deux par deux dans les régions de travail assignées par André. Durant la première quinzaine, Jésus accompagna André et Pierre, durant la seconde Jacques et Jean, et ainsi de suite pour les autres paires dans l'ordre où ils avaient été choisis. De la sorte, il put sortir au moins une fois avec chaque paire avant de les réunir pour inaugurer leur ministère public.
Jésus leur ordonna de prêcher le pardon des péchés par la foi en Dieu sans pénitence ni sacrifice, et de déclarer que le Père céleste aime tous ses enfants du même amour éternel. Il enjoignit à ses apôtres de s'abstenir de toute discussion sur:
| 1. Le travail et l'emprisonnement de Jean le Baptiste. | |
| 2. La voix venant du ciel à son baptême. Jésus dit: « Seuls ceux qui ont entendu la voix ont le droit d'y faire allusion. Proclamez seulement ce que vous m'avez entendu dire; ne parlez pas par oui-dire ». | |
| 3. Le changement de l'eau en vin à Cana. Jésus les invita formellement à « ne raconter à personne l'histoire de l'eau changée en vin ». |
Les apôtres eurent des moments merveilleux pendant ces cinq ou six mois durant lesquels ils travaillèrent une quinzaine sur deux comme pêcheurs, gagnant assez d'argent pour pouvoir consacrer la quinzaine suivante au travail missionnaire du royaume.
Les gens du peuple s'émerveillaient des enseignements et du ministère de Jésus et de ses apôtres. Les rabbins avaient depuis longtemps enseigné aux Juifs que les ignorants ne pouvaient être ni pieux ni justes. Or, les apôtres de Jésus étaient à la fois pieux et justes, et pourtant ils ignoraient allègrement une bonne partie de la science des rabbins et de la sagesse du monde.
Jésus expliqua à ses apôtres la différence entre la repentance par les soi-disant bonnes oeuvres, comme l'enseignaient les Juifs, et le changement mental par la foi -- la nouvelle naissance qu'il exigeait comme prix d'admission au royaume. Il enseigna a ses apôtres que la foi est la seule condition nécessaire pour entrer dans le royaume du Père. Jean leur avait enseigné « la repentance --- à fuir la colère à venir ». Jésus enseignait que « la foi est la porte ouverte pour entrer dans l'actuel, parfait, et éternel amour de Dieu ». Jésus ne parlait pas comme un prophète venu proclamer la parole de Dieu. Il semblait parler de lui-même comme de quelqu'un ayant autorité. Jésus cherchait à détourner leur pensée de la recherche des miracles vers la découverte d'une expérience réelle et personnelle où ils seraient satisfaits et assurés de la présence de l'esprit d'amour et de la grâce rédemptrice de Dieu.
Les disciples apprirent de bonne heure que le Maître avait un profond respect et de grands égards, une estime compatissante pour chaque être humain qu'il rencontrait. Ils étaient prodigieusement impressionnés par la considération uniforme et invariable qu'il accordait si constamment à toutes sortes d'hommes, de femmes, et d'enfants. Par exemple, il s'arrêtait au milieu d'un profond exposé pour sortir dans la rue et dire quelques mots d'encouragement à une passante chargée du fardeau de son corps et de son âme. Ou bien il s'interrompait au milieu d'une importante conférence avec ses apôtres pour fraterniser avec un enfant importun. Rien ne semblait jamais aussi important à Jésus que l'individualité de l'être humain qui se trouvait en sa présence immédiate. Il était maître et instructeur, mais plus encore - il était aussi un ami proche, un compagnon compréhensif.
Bien que l'enseignement public de Jésus consistait principalement en paraboles et en brefs discours, il instruisit invariablement ses apôtres par questions et réponses. Durant ses conférences publiques ultérieures, il s'interrompit toujours pour répondre aux questions sincères.
Les apôtres furent d'abord choqués par la manière dont il traitait les femmes, mais ils s'y accoutumèrent par la suite. Il leur expliqua clairement que, dans le royaume, il allait accorder aux femmes des droits égaux à ceux des hommes.
9. -- CINQ MOIS D'ESSAI
Cette période quelque peu monotone de pêche alternant avec du travail personnel se révéla une expérience épuisante pour les douze apôtres, mais ils supportèrent l'épreuve. Malgré tous leurs murmures, leurs doutes, et leurs mécontentements passagers, ils restèrent fidèles à leur voeu de dévotion et d'attachement au Maître. Leur association personnelle avec Jésus durant ces mois d'essai le leur rendit si cher que tous (sauf Judas Iscariot) lui restèrent loyaux et fidèles, même durant les heures sombres du jugement et de la crucifixion. De vrais hommes ne pouvaient pas purement et simplement abandonner réellement un instructeur révéré qui avait vécu aussi près d'eux et leur avait été aussi dévoué que Jésus. Durant les heures terribles de la mort du Maître, tout raisonnement, tout jugement, et toute logique s'effacèrent du coeur des apôtres devant une seule émotion humaine extraordinaire -- le sentiment suprême d'amitié et de fidélité. Ces cinq mois de travail avec Jésus conduisirent chacun des apôtres à le considérer comme le meilleur ami qu'ils eussent dans le monde. Ce fut ce sentiment humain, et non les enseignements magnifiques ou les actes merveilleux du Maître, qui les maintint unis jusqu'après la résurrection et le renouvellement de la proclamation de l'évangile du royaume.
Non seulement ces mois de travail paisible furent pour les apôtres une grande épreuve à laquelle leur apostolat survécut, mais cette période d'inactivité publique fut aussi une grande épreuve pour la famille de Jésus. Au moment où Jésus fut prêt à commencer son oeuvre publique, tous les membres de sa famille (à l'exception de Ruth) l'avaient pratiquement abandonné. Ils n'essayèrent d'établir un contact avec lui qu'en de rares occasions ultérieures, et alors ce fut pour le persuader de revenir au foyer avec eux, car ils n'étaient pas loin de le considérer comme mentalement dérangé. Ils étaient simplement incapables de sonder sa philosophie ou de saisir son enseignement; c'en était trop pour eux.
Les apôtres poursuivirent leur travail personnel à Capharnaüm, Bethsaïde-Juliade, Chorazin, Gérasa, Hippos Magdala, Cana, Bethléhem de Galilée, Jotapata, Rama, Safed, Gishala, Gadara, et Abila. Outre ces villes, ils exercèrent leur apostolat dans de nombreux villages et aussi dans la campagne. Vers la fin de cette période, les douze avaient élaboré des plans assez satisfaisants pour l'entretien de leurs familles respectives. La plupart des apôtres étaient mariés, certains avaient plusieurs enfants mais, pour le soutien de leur foyer, ils avaient pris des dispositions telles qu'avec une légère assistance des fonds apostoliques ils pouvaient consacrer toute à leur énergie à l'oeuvre du Maître sans avoir à se soucier d'entretenir leur famille.
10. -- L'ORGANISATION DES DOUZE
Les apôtres s'organisèrent de bonne heure de la manière suivante:
1. André, le premier choisi, fut nommé président et directeur des douze.
2. Pierre, Jacques, et Jean furent désignés comme compagnons personnels de Jésus. Ils devaient s'occuper de lui jour et nuit, pourvoir à ses besoins matériels et divers, et l'accompagner les nuits où il veillait et priait dans une mystérieuse communion avec le Père Céleste.
3. Philippe devint l'intendant du groupe. Il avait la charge d'assurer le ravitaillement et de veiller à ce que les visiteurs, ou parfois même les foules d'auditeurs, eussent de quoi se restaurer.
4. Nathanael veillait aux besoins des familles des douze. Il recevait des comptes rendus réguliers sur les demandes de la famille de chaque apôtre, et envoyait chaque semaine des fonds à ceux qui en avaient besoin, après les avoir requis de Judas le trésorier.
5. Matthieu était l'agent comptable du corps apostolique. Il devait veiller à l'équilibre du budget et à l'alimentation de la trésorerie. Si les fonds de soutien mutuel ne rentraient pas, si l'on ne recevait pas de dons suffisants pour entretenir le groupe, Matthieu avait pouvoir d'ordonner au douze de retourner à leurs filets pour un certain temps. Toutefois, ce ne fut jamais nécessaire après le commencement de leur campagne publique; il y eut alors assez de fonds entre les mains du trésorier pour financer leurs activités.
6. Thomas était l'organisateur de l'itinéraire. Il lui était dévolu de prévoir le logement et, d'une manière générale, de choisir les lieux de prêché et d'enseignement de manière à assurer des déplacements aisés et des économies de temps.
7. Jacques et Jude, les fils jumeaux d'Alphée, furent affectés au contrôle des multitudes. Ils avaient pour tâche de déléguer des pouvoirs à des surveillants auxiliaires en nombre suffisant pour maintenir l'ordre parmi les foules assistant aux sermons.
8. Simon Zélotès reçut la responsabilité des récréations et des divertissements. Il arrangeait les programmes du mercredi et cherchait aussi à procurer chaque jour quelques heures de détente et de diversion.
9. Judas Iscariot fut nommé trésorier. Il portait la bourse, payait toutes les dépenses, et tenait les comptes. Il établissait un budget chaque semaine pour Matthieu, et faisait aussi des rapports hebdomadaires à André. Judas versait les fonds sur autorisation d'André.
L'organisation primitive des douze fonctionna de cette manière jusqu'au moment où une réorganisation fut rendue nécessaire par la désertion de Judas, le traître. Le Maître et ses disciples continuèrent de cette simple façon jusqu'au samedi 12 janvier de l'an 27, où il les réunit et leur conféra l'ordination comme ambassadeurs du royaume et prédicateurs de sa bonne nouvelle. Bientôt après, ils se préparèrent à partir pour Jérusalem pour leur première tournée de prédication.
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- Category: 4. LA VIE ET LES ENSEIGNEMENTS DE JÉSUS
SÉJOUR EN GALILÉE
DE bonne heure le samedi matin 23 février de l'an 26, Jésus descendit des montagnes pour rejoindre le groupe des fidèles de Jean qui campaient à Pella. Toute la journée il se mêla à la foule. Il soigna un garçon qui s'était blessé en faisant une chute et se rendit à Pella, le village voisin, pour remettre l'enfant aux mains de ses parents.
1. -- LE CHOIX DES QUATRE PREMIERS APÔTRES
Durant le sabbat, deux des principaux disciples de Jean passèrent beaucoup de temps avec Jésus. De tous les partisans de Jean, un dénommé André fut le plus profondément impressionné par Jésus; il l'accompagna à Pella avec le blessé. Sur le chemin de retour vers le lieu où Jean baptisait, il posa de nombreuses questions à Jésus. Au moment d'arriver à destination, ils s'arrêtèrent tous deux pour un bref entretien durant lequel André dit: « Je t'ai constamment observé depuis que tu es venu à Capharnaüm, et je crois que tu es le nouvel Instructeur. Bien que je ne comprenne pas tout ton enseignement, je suis pleinement décidé à te suivre. Je voudrais être ton disciple et apprendre toute la vérité au sujet du nouveau royaume ». Avec une chaleureuse confiance, Jésus accueillit André comme premier apôtre du groupe des douze qui devaient travailler avec lui à établir le nouveau royaume de Dieu dans le coeur des hommes.
André avait silencieusement observé le travail de Jean le Baptiste et croyait sincèrement en lui. Il avait un frère très capable et enthousiaste, nommé Simon, qui était au premier rang des disciples de Jean; on peut même dire que Simon était l'un des principaux soutiens de Jean.
Peu après le retour de Jésus et d'André au camp, André chercha son frère Simon et le prit à part; il l'informa qu'il était personnellement convaincu que Jésus était le grand Instructeur, et qu'il s'était engagé à être son disciple. Il poursuivit en disant que Jésus avait accepté son offre de service et suggéra que lui (Simon) aille également trouver Jésus et se propose comme compagnon au service du nouveau royaume. Simon répondit: « Depuis que cet homme est venu travailler à l'atelier de Zébédée, j'ai toujours pensé qu'il était envoyé par Dieu, mais que faire vis-à-vis de Jean? Devons-nous l'abandonner? Est-ce juste? » Ils décidèrent alors d'aller immédiatement consulter Jean, qui fut attristé à la pensée de perdre deux de ses conseillers les plus capables et de ses disciples les plus prometteurs, mais il répondit courageusement à leur demande en disant: « Nous n'en sommes qu'au commencement. Mon travail va bientôt prendre fin, et nous deviendrons tous ses disciples ». Alors André fit signe à Jésus de venir et lui annonça en aparté que son frère désirait entrer au service du nouveau royaume. Jésus dit: «Simon, ton enthousiasme est louable, mais dangereux pour le travail du royaume. Je te préviens qu'il faut être plus réfléchi dans tes paroles. Je vais changer ton nom en celui de Pierre ».
Les parents du garçonnet blessé qui vivaient à Pella avaient demandé à Jésus de passer la nuit chez eux et de s'y considérer comme chez lui, et Jésus avait accepté. Avant de quitter André et son frère, il leur dit: « Demain nous irons en Galilée ».
Après que Jésus fut retourné à Pella pour la nuit, et tandis qu'André et Simon discutaient encore la nature de leur fonction dans le prochain royaume, Jacques et Jean, les fils de Zébédée, arrivèrent sur les lieux. Ils venaient de rentrer de leur longue et vaine recherche de Jésus dans les montagnes. Lorsqu'ils entendirent Simon Pierre leur raconter comment lui et son frère André étaient devenus les premiers conseillers agréés du nouveau royaume, et qu'ils devaient partir le lendemain matin avec leur Maître pour la Galilée, Jacques et Jean furent tous deux attristés. Ils connaissaient Jésus depuis assez longtemps et l'aimaient. ils l'avaient cherché plusieurs jours dans les montagnes, et maintenant ils revenaient pour apprendre que d'autres avaient été choisis avant eux. Ils demandèrent où était allé Jésus et se hâtèrent de le rejoindre.
Jésus dormait lorsqu'ils atteignirent sa demeure, mais ils le réveillèrent en disant: « Pendant que nous, qui avons si longtemps vécu avec toi, nous explorions les montagnes à ta recherche, comment se fait-il que tu aies donné la préférence à d'autres et choisi André et Simon comme tes premiers apôtres pour le nouveau royaume? » Jésus répondit: « Ayez le coeur calme, et demandez-vous qui vous a ordonné de rechercher le Fils de l'Homme pendant qu'il vaquait aux affaires de son Père ». Après qu'ils lui eurent raconté les détails de leur longue recherche dans les montagnes, Jésus poursuivit ses instructions: « Vous devriez apprendre à chercher dans votre coeur, et non dans les montagnes, le secret du nouveau royaume. Ce que vous cherchiez était déjà présent dans votre âme. Vous êtes en vérité mes frères -- vous n'aviez pas besoin ,que je vous agrée -- vous apparteniez déjà au royaume. Ayez bon espoir et préparez-vous aussi à nous accompagner demain matin en Galilée ». Jean s'enhardit alors à demander: « Mais, Maître, Jacques et moi serons-nous tes associés dans le nouveau royaume au même titre qu'André et Simon? » Jésus posa une main sur l'épaule de chacun d'eux et dit: « Mes frères, vous étiez déjà avec moi dans l'esprit du royaume, même avant que les deux autres aient demandé à y être admis. Vous, mes frères, vous n'avez pas besoin de présenter une requête pour entrer dans le royaume; vous y avez été avec moi depuis le commencement. Devant les hommes, d'autres peuvent avoir priorité sur vous, mais dans mon coeur je vous admettais aussi dans les conseils du royaume avant même que vous ayez songé à me le demander. Vous auriez même pu être les premiers devant les hommes si vous ne vous étiez pas absentés pour la tâche bien intentionnée, mais fixée par vous-mêmes, de rechercher quelqu'un qui n'était nullement perdu. Dans le royaume à venir, ne vous occupez pas des choses qui entretiennent votre anxiété, mais plutôt de faire la volonté du Père qui est aux cieux.
Jacques et Jean acceptèrent de bonne grâce la réprimande et ne furent plus jamais envieux d'André et de Simon. Ils se préparèrent à partir le lendemain matin pour la Galilée avec les deux autres apôtres. À partir de ce jour-là, le mot apôtre fut employé pour distinguer la famille élue des conseillers de Jésus d'avec la vaste multitude des disciples croyants qui le suivirent ultérieurement.
Tard dans la soirée. Jacques, Jean, André, et Simon eurent un entretien avec Jean le Baptiste. Avec des larmes aux yeux mais une voix ferme, le vaillant prophète judéen abandonna deux de ses principaux disciples pour leur permettre de devenir les apôtres du Prince galiléen du royaume à venir.
2. -- LE CHOIX DE PHILIPPE ET DE NATHANAEL
Le dimanche matin 24 février de l'an 26, Jésus prit congé de Jean le Baptiste au bord du fleuve près de Pella, et ne le revit plus jamais sur terre.
Ce jour-là, tandis que Jésus et ses quatre disciples-apôtres partaient pour la Galilée, un grand tumulte s'éleva dans le camp des fidèles de Jean. Leur premier discorde était sur le point d'éclater. La veille, Jean avait positivement annoncé à André et à Ezra que Jésus était le Libérateur. André décida de suivre Jésus, mais Ezra récusa le charpentier de Nazareth aux manières affables en disant à ses compagnons: « Le prophète Daniel a annoncé que le Fils de l'Homme viendrait sur les nuées du ciel, en puissance et en grande gloire. Ce charpentier de Galilée, ce constructeur de bateaux de Capharnaüm, ne saurait être le Libérateur. Un tel don de Dieu peut-il sortir de Nazareth? Ce Jésus est un cousin de Jean, et notre maître a été trompé par excès de sentimentalité. Restons à l'écart de ce faux Messie ». Lorsque Jean le réprimanda pour ces propos, Ezra se retira avec de nombreux disciples et partit hâtivement vers le sud. Ce groupe continua à baptiser au nom de Jean et fonda finalement une secte dont les membres avaient foi en Jean mais refusaient d'accepter Jésus. Un reste de ce groupe persiste encore aujourd'hui en Mésopotamie.
Tandis que ces troubles couvaient parmi les partisans de Jean, Jésus et ses quatre discples-apôtres avançaient rapidement vers la Galilée. Avant de traverser le Jourdain pour aller à Nazareth par Naïn, Jésus regarda devant lui la route montante et vit venir vers lui un certain Philippe de Bethsaïde, accompagné d'un ami. Jésus avait connu Philippe autrefois, et les quatre apôtres le connaissaient également. Philippe faisait route avec son ami Nathanael pour voir Jean à Pella et pour mieux s'informer de l'avènement éventuel du royaume de Dieu; il fut enchanté de saluer Jésus qu'il avait toujours admiré depuis la première visite de celui-ci à Capharnaüm. Par contre Nathanael, qui vivait à Cana en Galilée, ne connaissait pas Jésus. Philippe s'avança pour saluer ses amis, tandis que Nathanael se reposait à l'ombre d'un mûrier sur le bord de la route.
Pierre prit Philippe à part et lui expliqua que lui-même, André et Jacques, et Jean étaient tous devenus des collaborateurs de Jésus dans le nouveau royaume; il incita vivement Philippe à s'enrôler au service de la cause. Philippe se trouva dans une impasse. Que devait-il faire? Ici, sans le moindre préavis -- sur la route voisine du Jourdain -- se posait la plus importante question de la vie d'un homme, et il fallait prendre une décision immédiate. Tandis que Philippe se trouvait engagé dans une sérieuse conversation avec Pierre, André, et Jean, Jésus esquissait à Jacques la route à suivre à travers la Galilée jusqu'à Capharnaüm. Finalement, André suggéra à Philippe: « Pourquoi ne pas demander au Maître?
Philippe se rendit subitement compte que Jésus était réellement un grand homme, peut-être le Messie, et il décida de se conformer à la décision de Jésus en la matière. Il alla droit à lui et lui demanda: « Maître, dois-je aller vers Jean ou me joindre à mes amis qui te suivent? » Et Jésus répondit: « Suis-moi ». Philippe fut galvanisé par la certitude qu'il avait découvert le Libérateur.
Philippe fit alors signe au groupe de rester sur place, tandis qu'il courait annoncer sa décision à son ami Nathanael, resté en arrière sous le mûrier et réfléchissant à tout ce qu'il avait entendu au sujet de Jean le Baptiste, du royaume à venir, et du Messie attendu. Philippe fit irruption dans cette méditation en s'écriant: « J'ai trouvé le Libérateur, celui dont Moïse et les prophètes on parlé et que Jean a proclamé ». Nathanael leva les yeux et s'enquit: « D'ou vient ce maître? » Et Philippe répliqua: « C'est Jésus de Nazareth, le fils de Joseph, le charpentier, venu plus récemment demeurer à Capharnaüm » Alors Nathanael, quelque peu choqué, demanda: «Quelqu'un d'aussi remarquable peut-il sortir de Nazareth? » Mais Philippe le prit par le bras en disant: « Viens et vois ».
Philippe conduisit Nathanael à Jésus, qui regarda en face avec bienveillance cet homme sincère qui doutait et dit: « Voici un véritable Israélite en qui il n'y a pas de fausseté. Suis moi ». Nathanael se tourna vers Philippe et dit: « Tu as raison. Il est en vérité un conducteur d'hommes. Je le suivrai aussi si j'en suis digne ». Jésus fit un signe de tête affirmatif à Nathanael et répéta: « Suis moi » (1).
(1) Cf. Jean I-46 à 49.
Jésus avait maintenant rassemblé la moitié de son futur corps de collaborateurs intimes, cinq qui le connaissaient depuis longtemps, et un étranger, Nathanael. Sans plus attendre, ils traversèrent le Jourdain, passèrent par le village de Naïn, et arrivèrent tard dans la soirée à Nazareth.
Ils passèrent tous la nuit chez Joseph dans la maison d'enfance de Jésus. Les compagnons de Jésus ne comprirent pas très bien pourquoi leur maître récemment découvert était si préoccupé de détruire complètement tous les vestiges de son écriture qui subsistaient dans la maison sous la forme des dix commandements et d'autres devises et préceptes. Mais cette façon d'agir, ajoutée au fait qu'ils ne le virent jamais écrire -- sauf dans la poussière ou sur le sable -- fit une profonde impression sur leur pensée.
3. -- LA VISITE À CAPHARNAUM
Le lendemain, Jésus envoya ses apôtres à Cana, car ils étaient tous invités au mariage de Naomi, une jeune fille très en vue de cette ville, tandis que lui-même se préparait à rendre une visite hâtive à sa mère à Capharnaüm, en s'arrêtant d'abord à Magdala pour voir son frère Jude.
Avant de quitter Nazareth, les nouveaux disciples de Jésus racontèrent à Joseph et à d'autres membres de la famille de Jésus les merveilleux événements de ce récent passé et exprimèrent franchement leur croyance que Jésus était le libérateur longtemps attendu. Les membres de la famille de Jésus débattirent la question, et Joseph dit: « Après tout, il se peut que Mère ait eu raison -- que notre étrange frère soit le roi à venir ».
Jude avait assisté au baptême de Jésus et, avec son frères Jacques, il s'était mis à croire fermement à la mission terrestre de Jésus. Jacques et Jude étaient tous deux très perplexes au sujet de la nature de la mission de leur frère; par contre, l'ancienne espérance que Jésus était le Messie, le fils de David, renaissait chez sa mère, et elle encourageait ses autres fils à avoir foi en leur frère en tant que libérateur d'Israël.
Jésus arriva le lundi soir à Capharnaüm, mais ne se rendit pas à son propre foyer où vivaient Jacques et sa mère; il alla directement chez Zébédée. Tous ses amis de Capharnaüm virent un grand et agréable changement en lui. Une fois de plus il paraissait relativement gai et plus semblable à ce qu'il avait été durant ses premières années à Nazareth. Au cours des années antérieures à son baptême et des périodes d'isolement qui l'avaient immédiatement précédé et suivi, Jésus était devenu de plus en plus grave et réservé. Maintenant, tout son entourage le retrouvait comme autrefois. Il y avait en lui quelque chose de majestueux, d'imposant, un aspect divin, mais il était à nouveau allègre et joyeux.
Marie frémissait d'espérance. Elle croyait que la promesse de Gabriel était près de se réaliser. Elle s'attendait à avoir bientôt toute la Palestine saisie et frappée de stupeur par la révélation miraculeuse de son fils en tant que roi surnaturel des Juifs. Mais aux nombreuses questions que lui posèrent sa mère, Jacques, Jude, et Zébédée, Jésus se borna à répondre en souriant: « Il est préférable que je reste ici pendant un temps; il faut que je fasse la volonté de mon Père qui est aux cieux ».
Le lendemain mardi, ils allèrent tous à Cana pour le mariage de Naomi, qui devait avoir lieu le jour suivant. Malgré les avertissements réitérés de Jésus de ne parler de lui à personne « jusqu'à ce que l'heure du Père soit venue », ils persistèrent à répandre discrètement la nouvelle qu'ils avaient trouvé le Libérateur. Chacun d'eux s'attendait avec confiance à ce que Jésus assume pour la première fois son autorité messianique lors du prochain mariage à Cana, et à ce qu'il inaugure son règne avec une grande puissance et une sublime grandeur. Ils se rappelaient ce qu'on leur avait dit des phénomènes qui avaient accompagné son baptême, et ils croyaient que sa future carrière sur terre serait marquée par des manifestations croissantes de merveilles surnaturelles et de démonstrations miraculeuses. En conséquence, tout le pays se prépara à se réunir à Cana pour les noces de Naomi et de Johab, fils de Nathan.
Marie n'avait pas été aussi joyeuse depuis des années. Elle se rendit à Cana dans l'état d'esprit d'une reine-mère allant assister au couronnement de son fils. Depuis que Jésus avait eu treize ans, jamais sa famille et ses amis ne l'avaient vu aussi insouciant et heureux, aussi prévenant et compréhensif des voeux et désirs de ses compagnons, aussi touchant de sympathie. Ils chuchotaient donc par petits groupes, se demandant ce qui allait arriver. Quel serait le prochain acte de cet étrange personnage? Comment inaugurerait-il la gloire du royaume à venir? Et ils étaient tous surexcités à l'idée qu'ils allaient assister à la révélation de la puissance et du pouvoir du Dieu d'Israël.
4. -- LES NOCES DE CANA
Le mercredi vers midi, près d'un millier de convives étaient arrivés à Cana, plus de quatre fois le nombre des invités aux noces. Les Juifs avaient coutume de célébrer les mariages le mercredi, et les invitations avaient été envoyées un mois à d'avance. Dans la matinée et au début de l'après-midi, la fête ressembla plus à une réception publique pour Jésus que des noces. Chacun voulait saluer ce Galiléen presque célèbre qui les accueillait tous cordialement, jeunes et vieux, Juifs et Gentils. Tout le monde se réjouit lorsque Jésus accepta de conduire la procession précédant le mariage.
Jésus était désormais tout à fait conscient de soi au sujet de son existence humaine, de sa préexistence divine, et du statut de ses natures humaine et divine conjuguées ou fusionnées. Avec un parfait équilibre, il pouvait à tout moment jouer son rôle humain ou reprendre immédiatement les prérogatives personnelles de sa nature divine.
Tandis que la journée s'avançait, Jésus se rendit de plus en plus compte que les convives s'attendaient à le voir accomplir quelque miracle; il comprit plus spécialement que sa famille et ses six disciples-apôtres comptaient sur lui pour annoncer son prochain royaume d'une manière appropriée par une manifestation saisissante et surnaturelle.
Tôt dans l'après-midi, Marie appela Jacques, et ensemble ils s'enhardirent à interroger Jésus pour lui demander s'il voulait les mettre dans sa confidence et les renseigner sur l'heure et le lieu de la fête où il avait projeté une manifestation « surnaturelle ». Aussitôt qu'ils eurent abordé cette question avec Jésus, ils virent qu'ils avaient suscité son indignation caractéristique. Il répondit simplement: « Si vous m'aimez, ayez la patience de demeurer avec moi pendant que j'attends de connaître la volonté de mon Père céleste ». Mais l'éloquence de son reproche résidait dans l'expression de son visage.
Jésus fut humainement très déçu par cette initiative de sa mère, et il fut dégrisé par sa propre réaction à la suggestion de se prêter au caprice d'une manifestation extérieure de sa divinité. C'était précisément l'une des choses qu'au cour de son récent isolement dans les montagnes il avait décidé de ne pas faire. Durant plusieurs heures, Marie fut très déprimée. Elle dit à Jacques: « Je ne puis le comprendre. Que signifie tout cela? N'y aurait-il pas de fin à son étrange conduite? » Jacques et Jude tentèrent de consoler leur mère, tandis que Jésus se retirait pour une heure de solitude. Mais il revint à la réunion, à nouveau allègre et joyeux.
Le mariage eut lieu dans une atmosphère d'attente silencieuse mais, à la fin de la cérémonie, l'hôte d'honneur n'avait ni fait un geste ni dit un mot. Alors on chuchota que le charpentier et constructeur de bateaux, proclamé par Jean comme « le Libérateur », abattrait son jeu durant les fêtes du soir, probablement au dîner de noces. Mais Jésus ôta toute espérance d'une démonstration de cet ordre de la pensée de ses six disciples-apôtres en les réunissant juste avant le dîner pour leur dire très sérieusement: « Ne croyez pas que je sois venu en ce lieu pour satisfaire les curieux ou convaincre ceux qui doutent. Nous sommes plutôt ici pour attendre la volonté de notre Père qui est aux cieux ». Lorsque Marie et les autres le virent en consultation avec ses apôtres. ils furent au contraire persuadés qu'un événement extraordinaire était imminent. Ils s'assirent tous à la table du souper pour jouir en bonne compagnie du repas et de la soirée de fête.
Le père du marié avait fourni du vin en abondance pour tous les hôtes invités aux noces, mais comment aurait-il pu savoir que le mariage de son fils allait devenir un événement aussi étroitement lié à la manifestation attendue de Jésus en tant que libérateur messianique? Il était enchanté d'avoir l'honneur de compter le célèbre Galiléen parmi ses hôtes, mais avant la fin du dîner les serviteurs lui apportèrent la nouvelle déconcertante que l'on se trouvait à court de vin. Lorsque le dîner officiel fut terminé et que les invités commencèrent à se répandre dans le jardin, la mère du marié fit à Marie la confidence que la provision de vin était épuisée. Marie lui répondit avec confiance: « Ne vous faites pas de souci -- je vais en parler à mon fils. Il nous aidera ». Et elle osa le faire, malgré le blâme reçu quelques heures auparavant.
Pendant bien des années, Marie s'était toujours tournée vers Jésus pour être aidée dans chacune des crises de leur vie de famille à Nazareth, de sorte qu'elle avait tout naturellement pensé à lui dans les circonstances présentes. Mais cette mère ambitieuse avait encore d'autres raisons pour faire appel à son fils en cette occasion. Jésus se tenait seul dans un coin du jardin. Sa mère s'approcha de lui et dit: « Mon fils, ils n'ont plus de vin ». Et Jésus répondit: « Ma bonne mère, en quoi cela me concerne-t-il? » Marie dit: « Mais je crois que ton heure est venue. Ne peux-tu nous aider? » Jésus répliqua: « À nouveau , je déclare que je ne suis pas venu pour agir de cette manière. Pourquoi me déranges-tu encore avec cette affaire ». Alors, fondant en larmes, Marie le supplia: « Mais, mon fils, je leur ai promis que tu nous aiderais. Ne veux-tu, s'il te plaît, faire quelque chose pour moi? » Et Jésus conclut: « Femme, pourquoi te permets-tu de faire de telles promesses? Veille à ne pas recommencer. En toutes choses il faut que nous attendions la volonté du Père qui est aux cieux ».
Marie fut accablée; elle était abasourdie! Tandis qu'elle se tenait immobile devant lui et qu'un flot de larmes coulait sur son visage, le coeur humain de Jésus fut ému d'une profonde compassion pour la femme qui l'avait porté dans son sein. Il se pencha vers elle, posa tendrement sa main sur sa tête, et lui dit: « Allons, allons, Maman Marie, ne te chagrine pas de mes paroles apparemment dures. Ne t'ai-je pas dit maintes fois que je suis venu uniquement pour faire la volonté de mon Père céleste? Je ferais avec joie ce que tu me demandes si cela faisait partie de la volonté du Père ». Et Jésus s'arrêta court. Il hésitait. Marie parut avoir le sentiment qu'il se produisait quelque chose. Se relevant d'un bond, elle jeta ses bras autour du cou de Jésus, l'embrassa, et se précipita dans la salle des serviteurs en leur disant: « Quoi que mon fils vous dise, faites-le ». Mais Jésus ne dit rien. Il se rendait maintenant compte qu'il en avait déjà trop dit -- ou plutôt qu'il avait trop désiré en pensée.
Marie dansait de joie. Elle ne savait pas comment le vin serait produit, mais elle croyait fermement avoir finalement persuadé son fils premier-né d'affirmer son autorité, d'oser se mettre en avant pour prendre position et faire montre de son pouvoir messianique. À cause de la présence et de l'association de certaines puissances et personnalités de l'univers, totalement ignorées de tous les convives, elle ne devait pas être déçue. Le vin que Marie désirait et que Jésus, le Dieu l'homme, souhaitait humainement par sympathie, était en route.
Il y avait à proximité six jarres de pierre remplies d'eau et contenant une centaine de litres chacune. Cette eau était destinée à servir dans les cérémonies finales de purification de la célébration du mariage. L'agitation des serviteurs autour de ces énormes récipients de pierre, sous la direction active de sa mère, attira l'attention de Jésus. Il s'approcha et vit qu'ils en tiraient du vin à pleins brocs.
Jésus se rendit graduellement compte de ce qui était arrivé. De toutes les personnes présentes aux noces de Cana, c'est lui qui fut le plus surpris. Les autres s'attendaient toutes à lui voir accomplir un miracle, mais c'était précisément ce qu'il avait l'intention de ne pas faire. Alors le Fils de l'Homme se souvint de l'avertissement de son Ajusteur de Pensée Personnalisé, dans les montagnes. Il se rappela comment l'Ajusteur l'avait prévenu que nulle puissance ou personnalité ne pouvait le priver de sa prérogative de créateur qui le rendait indépendant du temps. En cette occasion, des transformateurs de pouvoir, des médians, et toutes les autres personnalités utiles étaient assemblés près de l'eau et des autres matériaux nécessaires; en face du souhait exprimé par le Souverain Créateur de l'Univers, l'apparition immédiate de vin était inéluctable. La certitude de cet événement était doublée par le fait que l'Ajusteur Personnalisé avait signifié que l'exécution du désir du Fils ne contrevenait en aucune manière à la volonté du Père.
Ce ne fut en aucun sens un miracle. Nulle loi de la nature ne fut modifiée, abrogée, ou même transcendée. Rien d'autre ne se produisit que l'abrogation du temps en liaison avec l'assemblage céleste des éléments chimiques indispensables pour élaborer du vin. À Cana, en cette occasion, les agents du Créateur firent du vin exactement comme ils le font par le processus naturel ordinaire, sauf qu'ils le firent indépendamment du temps et avec l'intervention d'agents supra-humains pour réunir dans l'espace les ingrédients organiques nécessaires.
De plus, il était évident que l'accomplissement de ce soi-disant miracle n'était pas contraire à la volonté du Père du Paradis; autrement il ne se serait pas produit, puisque Jésus s'était déjà soumis en toutes choses à la volonté du Père.
Lors que les serviteurs tirèrent ce nouveau vin et l'apportèrent au garçon d'honneur « ordonnateur du festin », il le goûta puis appela l'époux en lui disant: « La coutume est de servir d'abord le bon vin et ensuite, quand les convives ont bien bu, on apporte le fruit inférieur de la vigne; mais toi tu as gardé le meilleur vin jusqu'à la fin des réjouissances » (1).
(1) Cf. Jean II-3 à 10.
Marie et les disciples se réjouirent grandement du miracle supposé, qu'ils croyaient avoir été accompli intentionnellement, mais Jésus se retira dans un coin abrité du jardin et s'engagea dans une brève et sérieuse méditation. Il conclut finalement que l'incident dépassait en la circonstance son contrôle personnel et qu'il était inévitable puisqu'il n'était pas contraire à la volonté de son Père. Lorsqu'il retourna vers les convives, ils le regardèrent avec une crainte respectueuse; ils les prenaient tous pour le Messie. Mais Jésus était cruellement embarrassé. Il savait qu'ils croyaient en lui uniquement à cause de l'événement insolite dont le hasard les avait rendus témoins. Il se retira pendant un bon moment sur la terrasse de la maison pour méditer à nouveau sur tout cela.
Jésus comprit alors qu'il devait se tenir constamment sur ses gardes, de crainte qu'en se laissant trop aller à la compassion et à la pitié il ne devienne responsable d'autres incidents de cet ordre. Néanmoins, bien des événements similaires se produisirent avant que le Fils de l'Homme eût quitté définitivement sa vie incarnée.
5. -- RETOUR À CAPHARNAUM
De nombreux invités restèrent à Cana durant toute la semaine des festivités du mariage, mais Jésus avec ses disciples-apôtres nouvellement choisis -- Jacques, Jean, André, Pierre, Philippe, et Nathanael -- partit de très bonne heure le lendemain matin sans prendre congé de personne. La famille de Jésus et ses amis de Cana furent désolés de la soudaineté de son départ, et Jude, le plus jeune frère de Jésus, partit à sa recherche. Jésus et ses apôtres allèrent directement à la maison de Zébédée à Bethsaïde. Au cours du trajet avec ses disciples récemment choisis, Jésus discuta de nombreuses questions importantes concernant le royaume à venir; il leur recommanda spécialement de ne jamais parler de la transformation de l'eau en vin. Il leur conseilla aussi d'éviter, dans leur futur apostolat, les villes de Séphoris et de Tibériade.
Après le souper du soir au foyer de Zébédée et de Salomé, Jésus tint l'une des plus importantes conférences de sa carrière terrestre. Seuls les six apôtres assistaient à la réunion; Jude arriva au moment où ils allaient se séparer. Ces six hommes sélectionnés avaient voyagé avec Jésus de Cana à Bethsaïde en marchant pour ainsi dire sans fouler le sol. Ils vivaient dans l'attente et se passionnaient à l'idée d'avoir été choisis comme associés immédiats du Fils de l'Homme. Mais lorsque Jésus se mit à leur expliquer clairement qui il était, ce que devait être sa mission terrestre, et comment elle risquait de se terminer, ils furent abasourdis. Ils ne pouvaient saisir ce qu'il leur racontait. Ils en restaient muets; Pierre lui-même fut écrasé au delà de toute expression. Seul André, le profond penseur, osa répondre quelque chose aux recommandations de Jésus. Quand Jésus perçut qu'ils ne comprenaient pas son message, quand il vit que leurs idées sur le Messie juif étaient si complètement cristallisées, il les envoya se reposer tandis que lui-même allait se promener et s'entretenir avec son frère Jude. Avant de prendre congé de Jésus, Jude lui dit avec beaucoup d'émotion: « Mon frère-père, je ne t'ai jamais compris. Je ne sais pas avec certitude si tu es ce que notre mère nous a enseigné. Je ne comprends pas pleinement le royaume à venir, mais je sais que tu es un puissant homme de Dieu. J'ai entendu la voix au Jourdain, et je crois en toi, qui que tu sois ». Après avoir ainsi parlé, Jude partit pour se rendre à Magdala dans son propre foyer.
Cette nuit-là, Jésus ne dormit pas. S'enveloppant dans ses couvertures de voyage, il alla s'asseoir au bord du lac en pensant et en réfléchissant jusqu'à l'aube du lendemain. Au cours des longues heures de cette nuit de méditation, Jésus en vint à comprendre clairement qu'il ne pourrait jamais amener ses disciples à le voir sous un autre jour que celui du Messie longtemps attendu. Enfin il reconnut qu'il n'y avait pas moyen de lancer son message au sujet du royaume autrement qu'en accomplissant la prédiction de Jean et en tant que libérateur attendu par les Juifs. Après tout, bien qu'il ne fût pas le Messie du type davidique, il représentait vraiment l'accomplissement des prophéties des clairvoyants les plus spirituellement orientés de jadis. Jamais plus il ne nia formellement qu'il était le Messie. Il décida de laisser à la volonté du Père le soin de débrouiller cette situation compliquée.
Le lendemain matin, Jésus rejoignit ses amis au petit déjeuner, mais ils formaient un groupe sans entrain. Il s'entretint avec eux et, à la fin du repas, il les groupa autour de lui en disant: « C'est la volonté de mon Père que nous restions dans le voisinage durant un certain temps. Vous avez entendu Jean dire qu'il était venu préparer le chemin du royaume. Il convient donc que nous attendions la fin des prédications de Jean. Quand le précurseur du Fils de l'Homme aura achevé son oeuvre, nous commencerons à proclamer la bonne nouvelle du royaume ». Il ordonna à ses apôtres de retourner à leurs filets, tandis que lui-même se préparait à accompagner Zébédée au chantier naval. Il leur promit de les revoir à la synagogue où il devait parler le lendemain, jour de sabbat, et leur fixa un rendez-vous pour une conférence l'après-midi de ce même sabbat.
6. -- LES ÉVÉNEMENTS D'UN JOUR DE SABBAT
La première apparition en public de Jésus après son baptême eut lieu dans la synagogue de Capharnaüm le 2 mars de l'an 26, un jour de sabbat. La synagogue était bondée. À l'histoire du baptême dans le Jourdain s'ajoutaient maintenant les récentes nouvelles de Cana au sujet de l'eau changée en vin. Jésus donna des sièges d'honneur à ses six apôtres et fit asseoir avec eux ses frères de sang Jacques et Jude. Sa mère était revenue à Capharnaüm avec Jacques la veille au soir et se trouvait également là, assise dans la section de la synagogue réservée aux femmes. Tous les auditeurs étaient excités; ils s'attendaient à voir une manifestation extraordinaire, un témoignage approprié de la nature et de l'autorité de ce jour-là; mais ils allaient au devant d'une déception.
Lorsque Jésus se leva, le chef de la synagogue lui tendit le rouleau des Écritures, et il lut dans le livre du prophète Isaïe: « Ainsi dit le Seigneur: Le ciel est mon trône et la terre mon marchepied. Où est la maison que vous avez bâtie pour moi? Et où est le lieu de ma demeure? Toutes ces choses, mes mains les ont faites, dit l'Éternel. Je porterai mes regards sur celui qui est humble et repentant en esprit et qui tremble à ma voix. Ecoutez la parole de l'Éternel, vous qui tremblez de frayeur. Vos frères vous ont haïs et rejetés à cause de mon nom. Mais que l'Éternel soit glorifié. Il vous apparaîtra dans la joie, et tous les autres seront confondus. Une voix de la ville, une voix du temple, une voix de l'Éternel dit: « Avant d'éprouver les douleurs, elle a enfanté; avant la venue des souffrances, elle a donné le jour à un enfant mâle. Qui a jamais entendu pareille chose? Fera-t-on produire ses fruits à la terre en un jour? Une nation peut-elle naître en un instant? Car ainsi parle l'Éternel: Voici, je déploierai la paix comme un fleuve, et même la gloire des Gentils ressemblera à un torrent. Tel un homme que sa mère console, je vous réconforterai. Vous serez consolés même dans Jérusalem; et quand vous verrez ces choses, votre coeur se réjouira » (1).
(1) Isaïe LXVI-7 à 14.
Après avoir terminé cette lecture, Jésus rendit le rouleau au conservateur. Avant de se rasseoir, il dit simplement: « Soyez patients, et vous verrez la gloire de Dieu. Il en sera ainsi pour tous ceux qui demeureront avec moi et qui apprendront de la sorte à faire la volonté de mon Père qui est aux cieux ». Et les gens retournèrent chez eux en se demandant ce que signifiait tout cela.
Le même après-midi, Jésus et ses apôtres montèrent dans un bateau avec Jacques et Jude. Ils longèrent le rivage sur une certaine distance et jetèrent l'ancre pendant que Jésus leur parlait du royaume à venir. Ils le comprirent mieux que durant la soirée du jeudi précédent.
Jésus leur donna pour directive de reprendre leur travail régulier jusqu'à ce que « l'heure du royaume soit arrivée ». Pour les encourager, il leur donna l'exemple en retournant régulièrement travailler au chantier naval. Il leur expliqua qu'ils devaient consacrer tous les soirs trois heures à étudier et à préparer leur future mission et ajouta: « Nous resterons tous dans le voisinage jusqu'à ce que mon Père me demande de vous appeler. Il faut que chacun de vous retourne maintenant à son travail accoutumé, exactement comme si rien ne s'était passé. Ne racontez rien sur moi à personne, et rappelez-vous que mon royaume ne doit pas débuter avec fracas et prestige, mais plutôt grâce au grand changement que mon père aura opéré dans votre coeur et dans le coeur de ceux qui seront appelés à se joindre à vous dans les conseils du royaume. Vous êtes désormais mes amis; j'ai confiance en vous et je vous aime; vous deviendrez bientôt mes associés personnels. Soyez patients, soyez doux. Obéissez toujours à la volonté du Père. Préparez-vous à l'appel du royaume. Vous éprouverez de grandes joies au service de mon Père, mais il faut également que vous soyez prêts à affronter des difficultés, car je vous préviens que beaucoup n'entreront dans le royaume qu'en passant par de grandes tribulations. Pour ceux qui auront trouvé le royaume, leur joie sera parfaite; on les appellera les bienheureux de la terre. Ne nourrissez pas de faux espoirs; le monde va trébucher sur mes paroles. Même vous, mes amis, vous ne percevez pas pleinement ce que j'expose à votre pensée confuse. Ne vous y trompez pas nous allons oeuvrer pour une génération qui recherche des signes. Elle exigera l'accomplissement de miracles comme preuve que je suis envoyé par mon Père, et elle sera lente à reconnaître dans l'amour de mon Père la justification de ma mission ».
Le soir, quand ils eurent débarqué et avant de se séparer, Jésus se tint au bord de l'eau et pria: « Mon Père, je te remercie pour ces petits qui croient déjà, malgré leurs doutes. Par égard pour eux, je me suis mis à part pour faire ta volonté. Puissent-ils maintenant apprendre à ne faire qu'un, comme nous ne faisons qu'un.
7. -- QUATRE MOIS DE FORMATION
Durant quatre longs mois -- mars, avril, mai, et juin de l'an 26 -- ce temps d'attente se prolongea. Jésus tint plus de cent réunions longues et sérieuses, mais gaies et joyeuses, avec ses six associés et son propre frère Jacques. Par suite de maladies dans sa famille, Jude fut rarement en mesure d'assister à ces séances. Jacques ne perdit pas confiance en son frère Jésus mais, durant ces mois de retard et d'inaction, Marie désespéra presque de son fils. Sa foi, qui s'était élevée à de telles hauteurs à Cana, sombra dans un maximum de dépression. Elle en revenait toujours à son exclamation maintes fois répétée: « Je ne parviens pas à le comprendre. Je ne me représente pas ce que tout cela signifie ». Mais la femme de Jacques contribua grandement à soutenir le courage de Marie.
Durant ces quatre mois, les sept croyants, dont l'un était son frère de sang, firent ample connaissance avec Jésus; ils s'habituèrent à l'idée de vivre avec ce Dieu-homme. Ils l'appelaient Rabbi, mais ils apprenaient à ne pas le craindre. Jésus possédait une personnalité d'un charme incomparable qui lui permettait de vivre parmi eux sans qu'ils fussent désemparés par sa divinité. Ils trouvaient vraiment facile d'être « amis avec Dieu », avec Dieu incarné dans la similitude d'une chair mortelle. Ce temps d'attente mit tout le groupe de fidèles à rude épreuve. Rien, absolument rien de miraculeux ne se produisait. Jour après jour ils vaquaient à leurs travaux coutumiers, et soir après soir ils s'asseyaient aux pieds de Jésus. Le groupe était cimenté par l'incomparable personnalité du Maître et par les paroles de grâce qu'il leur adressait quotidiennement.
Cette période d'attente et d'enseignement fut spécialement dure pour Simon Pierre. Il chercha maintes fois à persuader Jésus de se lancer dans la prédication du royaume en Galilée pendant que Jean continuait à prêcher en Judée. Mais Jésus répondait toujours à Pierre: « Simon, sois patient. Fais des progrès. Nous ne serons pas trop prêts quand le Père appellera ». Et André calmait Pierre de temps en temps par des conseils modérés et philosophiques. L'absence d'affectation de Jésus impressionnait prodigieusement André. Il ne se lassait jamais d'observer comment une personne capable de vivre si près de Dieu pouvait aussi avoir tant d'amitié et de considération pour des hommes.
Durant ces quatre mois, Jésus ne prit que deux fois la parole dans la synagogue. Vers la fin de ces longues semaines d'attente, les commentaires sur son baptême et sur le vin de Cana avaient commencé à s'apaiser. Jésus veilla à ce qu'il ne se produisit plus de pseudo-miracles durant cette période. Cependant, malgré leur vie si tranquille à Bethsaïde, les étranges actions de Jésus avaient été rapportées à Hérode Antipas, qui à son tour envoya des espions pour savoir de quoi il s'agissait. Mais Hérode était plus préoccupé par les sermons de Jean. Il décida de ne pas molester Jésus, dont l'oeuvre se poursuivait si paisiblement à Capharnaüm. Jésus employa ce temps d'attente à enseigner à ses apôtres le comportement qu'ils devaient adopter vis-à-vis des divers groupes religieux et partis politiques de Palestine. Jésus disait toujours: « Nous cherchons à les gagner tous, mais nous n'appartenons à aucun ».
On appelait Pharisiens les scribes et les rabbis pris dans leur ensemble. Eux-mêmes se dénommaient « les associés ». Sous beaucoup de rapports, ils représentaient le groupe progressiste parmi les Juifs. En effet, ils avaient adopté de nombreux enseignements ne figurant pas clairement dans les Écritures hébraïques, tels que la croyance et la résurrection des morts, doctrine qui avait simplement été mentionnée par Daniel, l'un des derniers prophètes.
Le groupe des Sadducéens se composait de la prêtrise et de certains Juifs fortunés. Ils n'étaient pas aussi rigoristes sur les détails d'application de la loi. En réalité, les Pharisiens et les Sadducéens étaient des partis religieux plutôt que des sectes.
Les Esséniens formaient une véritable secte religieuse ayant pris naissance durant la révolte des Macchabées. Sous certains aspects leurs exigences étaient plus astreignantes que celles des pharisiens. Ils avaient adopté de nombreuses croyances et pratiques persanes; ils vivaient en confréries dans des monastères, pratiquaient le célibat et possédaient tout en commun. Ils se spécialisaient dans l'enseignement concernant les anges.
Les Zélotes étaient un groupe de Juifs ardemment patriotes. Ils soutenaient que n'importe quelle méthode était justifiée dans la lutte pour échapper à la servitude du joug romain.
Les Hérodiens étaient un parti purement politique qui préconisait de s'émanciper du gouvernement direct des Romains par une restauration de la dynastie d'Hérode.
Au milieu même de la Palestine vivaient les Samaritains, avec qui « les Juifs n'avaient pas d'affaires », bien qu'ils eussent de nombreux points de vue semblables à ceux des Juifs.
Tous ces partis et sectes, y compris la petite confraternité naziréenne, croyaient à la venue du Messie. Ils s'attendaient tous à un libérateur national. Mais Jésus proclamait sans équivoque que lui et ses disciples ne s'allieraient à aucune de ces écoles de pensée ou d'application. Le Fils de l'Homme ne devait être ni un Naziréen ni un Essénien.
Bien que Jésus eût plus tard invité les apôtres à partir, comme l'avait fait Jean, pour prêcher l'évangile et instruire les croyants, il mettait l'accent sur la proclamation « de la bonne nouvelle du royaume des cieux ». Il répétait inlassablement à ses apôtres qu'ils devaient « manifester amour, compassion, et sympathie ». Il enseigna de bonne heure à ses partisans que le royaume des cieux était une expérience spirituelle concernant l'intronisation de Dieu dans le coeur des hommes.
Tandis que Jésus et ses sept compagnons s'attardaient ainsi avant de s'engager dans leur prédication, publique active, ils passaient deux soirées par semaine à la synagogue à étudier des Écritures hébraïques. Quelques années plus tard, après des périodes de travail intensif en public, les apôtres regardèrent rétrospectivement ces quatre mois comme les lus précieux et les plus profitables de leur travail en équipe avec le Maître. Jésus enseigna à ces hommes tout ce qu'ils pouvaient assimiler. Il ne commit pas la faute de les instruire à excès. Il ne provoqua pas la confusion en présentant des vérités dépassant par trop leur aptitude à comprendre.
8. -- SERMON SUR LE ROYAUME
Le 22 juin, jour de sabbat, peu avant le départ de son groupe pour sa première tournée de prédication, et une dizaine de jours après l'emprisonnement de Jean, Jésus occupa la chaire de la synagogue pour la deuxième fois depuis qu'il avait amené ses apôtres à Capharnaüm.
Quelques jours avant le prêche de ce sermon sur « Le Royaume » , tandis que Jésus travaillait au chantier naval, Pierre lui apporta la nouvelle de l'arrestation de Jean. Jésus déposa une fois de plus ses outils, enleva son tablier, et dit à Pierre: « L'heure du Père a sonné. Préparons-nous à proclamer l'évangile du royaume ».
Ce mardi 18 juin de l'an 26 fut le dernier jour où Jésus travailla à un établi de charpentier. Pierre se précipita hors de l'atelier et, dès le milieu de l'après-midi, il avait réuni tous ses compagnons. Il les laissa dans un bosquet près du rivage et partit à la recherche de Jésus, mais ne put le trouver, car le Maître était allé dans un autre bosquet pour prier. Ils ne le virent qu'à une heure avancée de la soirée, lorsqu'il revint à la maison de Zébédée pour se restaurer. Le lendemain, Jésus envoya son frère Jacques demander le privilège de prendre la parole dans la synagogue lors du prochain sabbat. Le chef de la synagogue fut très heureux que Jésus veuille bien à nouveau diriger le service.
Avant que Jésus ne prêchât son mémorable sermon sur le royaume de Dieu, premier effort ostensible de sa carrière publique, il lut dans les Écritures les passages suivants: « Vous serez pour moi un royaume de prêtres, un peuple saint, Jéhovah est notre juge, Jéhovah est notre législateur, Jéhovah est notre roi; il nous sauvera. Jéhovah est mon roi et mon Dieu. Il est un grand roi qui règne sur toute la terre. L'amour et la bonté sont le lot d'Israël dans ce royaume. Bénie soit la gloire de l'Éternel, car il est notre roi. Quand Jésus eut fini de lire, il dit:
« Je suis venu proclamer l'établissement du royaume du Père. Ce royaume inclura les âmes adoratrices des Juifs et des Gentils, des riches et des pauvres, des hommes libres et des esclaves, car mon Père ne fait pas acception de personnes; son amour et sa miséricorde s'étendent sur tous ».
« Le Père céleste envoie son esprit habiter la pensée des hommes. Quand j'aurai achevé mon oeuvre terrestre, l'Esprit de Vérité lui aussi sera répandu sur toute chair. L'esprit de mon Père et l'Esprit de Vérité vous affermiront dans le prochain royaume de compréhension spirituelle et de droiture divine. Mon royaume n'est pas de ce monde. Le Fils de l'Homme ne conduira pas des armées à la bataille pour établir un trône de pouvoir ou un royaume de gloire temporelle. À l'avènement de mon royaume, vous connaîtrez le Fils de l'Homme comme Prince de la Paix, comme révélation du Père éternel. Les enfants de ce monde luttent pour établir et agrandir les royaumes de ce monde, mais mes disciples entreront dans le royaume des cieux grâce à leurs décisions morales et à leurs victoires en esprit; et quand ils y pénétreront, ils y trouveront la joie, la justice, et la vie éternelle.
« Quiconque cherche d'abord à entrer dans le royaume, et s'efforce ainsi d'acquérir une noblesse de caractère semblable à celle de mon Père, possédera bientôt tout ce qui est nécessaire. Mais je vous le dis en toute franchise: à moins de chercher à entrer dans le royaume avec la foi et la confiance d'un petit enfant, vous n'y serez admis d'aucune façon.
« Ne vous laissez pas tromper par ceux qui viennent vous dire: le royaume est ici, ou le royaume est là, car le royaume de mon Père ne concerne pas les choses visibles et matérielles. Ce royaume est déjà maintenant parmi vous, car si l'âme d'un homme est instruite et conduite par l'esprit de Dieu, elle se trouve en réalité dans le royaume des cieux. Ce royaume de Dieu est droiture, paix, et joie dans le Saint-Esprit.
« Jean vous a en vérité baptisés en signe de repentance et pour la rémission de vos péchés, mais quand vous entrerez dans le royaume céleste, vous recevrez le baptême du Saint-Esprit.
« Dans le royaume de mon Père, il n'y aura ni Juifs ni Gentils, mais seulement ceux qui cherchent la perfection en servant, car je déclare que quiconque veut être grand dans le royaume de mon Père doit d'abord devenir le serviteur de tous. Si vous acceptez de servir vos semblables, vous siégerez avec moi dans mon royaume, de même que je siégerai bientôt auprès de mon Père dans son royaume pour avoir servi dans la similitude d'une créature.
« Ce nouveau royaume ressemble à une graine qui pousse dans la bonne terre d'un champ. Il n'atteint pas rapidement sa pleine maturité. Il y a un intervalle de temps entre l'établissement du royaume dans l'âme d'un homme et l'heure où le royaume mûrit dans sa plénitude pour devenir le fruit d'une droiture perpétuelle et d'un salut éternel.
« Le royaume que je proclame n'est pas un règne de puissance et d'abondance. Le royaume des cieux ne consiste ni en aliments ni en boissons, mais en une vie de droiture progressive et de joie croissante en accomplissant le service de mon Père qui est aux cieux. Car le Père n'a-t-il pas dit des enfants de la terre: « Ma volonté est qu'ils finissent par devenir parfaits, comme moi-même je suis parfait ».
« Je suis venu prêcher la bonne nouvelle de l'avènement du royaume. Je ne suis pas venu accroître les lourds fardeaux de ceux qui vaudraient entrer dans ce royaume. Je proclame le chemin nouveau et meilleur. Ceux qui sont capables d'entrer dans le royaume à venir jouiront du repos divin. Quoi qu'il vous en coûte en biens matériels, quel que soit le prix que vous aurez payé pour entrer dans le royaume des cieux, vous recevrez sur terre beaucoup plus que l'équivalent en joie et en avancement spirituel, et vous aurez mérité la vie éternelle dans l'âge à venir.
« L'entrée dans le royaume du Père ne dépend ni d'armées en marche, ni du renversement de royaumes de ce monde, ni de la délivrance des captifs. Le royaume du ciel est à portée de la main; tous ceux qui y entrent y trouveront une abondante liberté et un joyeux salut.
« Ce royaume est un empire perpétuel. Ceux qui entrent dans le royaume monteront jusqu'à mon Père; ils atteindront certainement sa droite en gloire au Paradis. Tous ceux qui entrent dans le royaume des cieux deviendront fils de Dieu, et dans les temps à venir ils s'élèveront à jusqu'au Père. Je ne suis pas venu appeler les prétendus justes, mais les pécheurs et tous ceux qui ont faim et soif de la droiture de la perfection divine.
« Jean est venu, prêchant la repentance pour vous préparer au royaume; maintenant je viens, proclamant que la foi, le don de Dieu, est le prix à payer pour entrer dans le royaume des cieux. Il vous suffit de croire que mon Père vous aime d'un amour infini, et dès lors vous vous trouvez dans le royaume de Dieu ».
Après avoir ainsi parlé, Jésus s'assit. Tous ceux qui l'avaient entendu furent étonnés de ses paroles. Ses disciples s'émerveillaient. Mais le peuple n'était pas prêt à recevoir la bonne nouvelle de la bouche de ce Dieu fait homme. Environ un tiers de ses auditeurs crut au message, même sans l'avoir tout à fait compris; un autre tiers se prépara dans son coeur à rejeter ce concept purement spirituel du royaume attendu, tandis que le tiers restant était incapable de saisir cet enseignement, beaucoup parmi ce dernier tiers croyant sincèrement que l'orateur avait « perdu son bon sens ».
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- Category: 4. LA VIE ET LES ENSEIGNEMENTS DE JÉSUS
LE BAPTÊME ET LES QUARANTE JOURS
JÉSUS commença son oeuvre publique au moment où l'intérêt populaire pour la prédication de Jean était à son apogée et où le peuple juif espérait ardemment la venue du Messie. Il y avait un grand contraste entre Jésus et Jean. Jean était un ouvrier ardent et sévère, tandis que Jésus était un travailleur calme et heureux ne faisant rien hâtivement, sauf en de rares occasions. Jésus était un consolateur encourageant pour le monde et en quelque sorte un exemple. Jean n'apportait guère de réconfort ni d'exemple; il prêchait le royaume des cieux, mais ne participait guère au bonheur de ce royaume. Bien que Jésus ait parlé de Jean comme du plus grand prophète de l'âge écoulé, il disait aussi que le moindre de ceux qui voyaient la grande lumière du nouveau chemin et entraient par là dans le royaume des cieux était en vérité plus grand que Jean.
Lorsque Jean prêchait le royaume à venir, l'essentiel de son message était: « Repentez-vous! Fuyez la colère imminente ». Lorsque Jésus commença à prêcher, il conserva l'exhortation à la repentance, mais ce message était toujours suivi de l'évangile, la bonne nouvelle de la joie et de la liberté du nouveau royaume.
1. — CONCEPTS DU MESSIE ATTENDU.
Les Juifs nourrissaient de nombreuses idées sur le libérateur attendu, et chacune des diverses écoles d'enseignement messianique pouvait citer des passages des Écritures hébraïques à l'appui de ses affirmations. D'une manière générale, les Juifs considéraient que leur histoire nationale commençait avec Abraham et atteindrait son point culminant avec le Messie et le nouvel âge du royaume de Dieu. Ils avaient jadis envisagé ce libérateur comme « le serviteur du Seigneur », puis comme « le Fils de l'Homme », tandis que plus tard certains étaient allés jusqu'à qualifier le Messie de « Fils de Dieu ». Mais qu'ils l'appelassent « la semence d'Abraham », ou « le fils de David », tous étaient d'avis que le libérateur devait être le Messie, « l'oint du Seigneur ». L'évolution du concept alla donc de « serviteur du Seigneur » à « fils de David », puis à « Fils de l'Homme », et à « Fils de Dieu ».
À l'époque de Jean et de Jésus, les Juifs les plus instruits s'étaient fait une idée du Messie à venir sous forme d'un Israélite accompli et représentatif, combinant en lui en tant que « serviteur du Seigneur » le rôle de prophète, de prêtre, et de roi.
Les Juifs croyaient pieusement qu'à l'instar de Moïse qui avait délivré leurs parents de la servitude égyptienne par des miracles merveilleux, le Messie attendu délivrerait le peuple juif de la domination romaine par des miracles de pouvoir encore plus grands et par des merveilles de triomphe racial. Les rabbins avaient réuni plus de cinq cents passages des Écritures dont, malgré les contradictions apparentes, ils affirmaient qu'ils prophétisaient la venue du Messie. Au milieu de tous ces détails de temps, de techniques, et de fonctions, ils perdaient à peu près complètement de vue la personnalité du Messie promis. Ils espéraient la restauration de la gloire nationale juive — l'exaltation temporelle d'Israël — plutôt que le salut du monde. Il était donc évident que Jésus de Nazareth ne pourrait jamais répondre à ce concept messianique matérialiste de la pensée juive. Si les Juifs avaient seulement vu ces sentences prophétiques sous un jour différent, beaucoup de leurs célèbres prédictions messianiques auraient tout naturellement préparé leur pensée à reconnaître en Jésus celui qui mettrait fin à un âge et inaugurerait une nouvelle et meilleure dispensation de miséricorde et de salut pour toutes les nations.
Les Juifs avaient été habitués à croire à la doctrine de la Shékinah, mais ce symbole réputé de la Présence Divine n'était pas visible dans le temple. Ils croyaient que la venue du Messie effectuerait le rétablissement. Ils avaient des idées confuses sur le péché racial et la nature supposée perverse de l'homme. Certains enseignaient que le péché d'Adam avait fait maudire la race humaine, et que le Messie ôterait cette malédiction et remettrait les hommes en faveur auprès de Dieu. D'autres enseignaient qu'en créant l'homme, Dieu avait introduit dans cet être à la fois une bonne et une mauvaise nature, et qu'ensuite en observant le fonctionnement de cette combinaison, il avait été fort déçu et « s'était repenti d'avoir ainsi créé l'homme » (1). Ceux qui enseignaient cela croyaient que le Messie devait venir pour racheter les hommes de cette mauvaise nature innée.
(1) Cf. Genèse VI-6.
En majorité, les Juifs croyaient qu'ils continuaient à languir sous la suzeraineté romaine à cause de leurs péchés nationaux et de la tiédeur des prosélytes Gentils. La nation juive ne s'était pas sincèrement repentie; c'est pourquoi le Messie tardait à venir. On parlait beaucoup de repentance, d'où l'attrait puissant et immédiat de la prédication de Jean: « Repentez-vous et soyez baptisés, car le royaume du ciel est à portée de la main ». Et pour un Juif pieux, le royaume du ciel ne pouvait avoir qu'une signification: la venue du Messie.
L'effusion de Micaël comportait une caractéristique totalement étrangère à la conception juive du Messie; cette caractéristique était l'union des deux natures, l'humaine et la divine. Les Juifs avaient diversement conçu le Messie comme humain perfectionné, comme supra-humain, et même comme divin, mais jamais ils n'avaient admis le concept de l'union de l'humain et du divin. Ce fut la grande pierre d'achoppement des premiers disciples de Jésus. Ils saisissaient le concept humain du Messie en tant que fils de David, tel qu'il avait été présenté par les premiers prophètes; ils comprenaient aussi le Messie en tant que Fils de l'Homme, l'idée supra-humaine de Daniel et de quelques-uns des derniers prophètes, et même en tant que Fils de Dieu comme l'auteur du livre d'Enoch et certains de ses contemporains l'ont décrit; mais pas un seul instant ils n'avaient eu la véritable conception de l'union en une seule personnalité terrestre des deux natures, l'humaine et la divine. L'incarnation du Créateur sous forme de créature n'avait pas été révélée d'avance. Elle ne fut révélée qu'en Jésus; le monde ne connaissait rien de ces choses avant que le Fils Créateur ne se soit incarné et n'ait habité parmi les mortels du royaume.
2. — LE BAPTÊME DE JÉSUS.
Jésus fut baptisé à l'apogée de la prédication de Jean, alors que la Palestine était enflammée d'espoir par le message — « le royaume de Dieu est à portée de la main » — et alors que le monde juif était engagé dans un sérieux et solennel examen de conscience. Le sens juif de solidarité raciale était très profond. Non seulement les Juifs croyaient que le péché d'un père pouvait affecter ses enfants, mais aussi ils croyaient fermement que le péché d'un individu pouvait faire maudire sa nation (1). En conséquence, ceux qui se soumettaient au baptême de Jean ne se considéraient pas tous comme coupables des péchés spécifiques dénoncés par Jean. Nombre d'âmes pieuses furent baptisées par Jean pour le bien d'Israël; elles craignaient qu'un péché d'ignorance de leur part ne retardât la venue du Messie. Elles sentaient qu'elles appartenaient à une nation coupable et maudite par le péché, et se présentaient au baptême afin de manifester par cet acte les fruits d'une pénitence raciale. Il est donc évident que Jésus ne reçut le baptême de Jean en aucune manière comme un rite de repentance ou pour la rémission de ses péchés. En acceptant le baptême des mains de Jean, Jésus ne faisait que suivre l'exemple de nombreux Israélites pieux.
(1) Cf. Daniel IX-5 à 19.
Lorsque Jésus de Nazareth descendit dans le Jourdain pour être baptisé, il était un mortel du royaume ayant atteint le pinacle de l'ascension évolutionnaire humaine pour tout ce qui concernait la conquête de la pensée et l'identification de soi avec l'esprit. Il se tenait ce jour-là dans le Jourdain comme un homme accompli des mondes évolutionnaires du temps et de l'espace. Un parfait synchronisme et une pleine communication s'étaient établis entre la pensée humaine de Jésus et son Ajusteur spirituel intérieur, don divin de son Père du Paradis. Depuis l'ascension de Micaël à la souveraineté de son univers, un Ajusteur exactement du même ordre habite tous les êtres normaux vivant sur Urantia, sauf que, dans le cas de Jésus, son Ajusteur avait été préparé auparavant à cette mission spéciale en habitant similairement Machiventa Melchizédek, un autre surhomme incarné dans la similitude d'une chair mortelle.
Ordinairement, quand la personnalité d'un mortel du royaume atteint d'aussi hauts niveaux de perfection, on voit se produire les phénomènes préliminaires d'élévation spirituelle qui se terminent par la fusion définitive de l'âme mûrie avec son divin Ajusteur associé. Ce changement aurait dû apparemment prendre place dans l'expérience personnelle de Jésus de Nazareth le jour même où il descendit dans le Jourdain avec ses deux frères pour être baptisé par Jean. Cette cérémonie était l'acte final de sa vie purement humaine sur Urantia, et beaucoup d'observateurs célestes s'attendaient à être témoins de la fusion de l'Ajusteur avec le penseur qu'il habitait, mais ils allaient tous être déçus. Quelque chose de nouveau et encore plus grandiose se produisit. Tandis que Jean imposait les mains sur Jésus pour le baptiser, l'Ajusteur intérieur prit définitivement congé de l'âme humaine perfectionnée de Jésus fils de Joseph. Quelques instants plus tard, cette entité divine revint de Divinington en tant qu'Ajusteur Personnalisé et chef de ses semblables dans tout l'univers local de Nébadon. Jésus put ainsi observer son propre esprit divin antérieur redescendant vers lui sous forme personnalisée, et il entendit alors ce même esprit originaire du Paradis prendre la parole et dire «Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui mon âme prend plaisir». Jean, ainsi que les deux frères de Jésus, entendirent également ces paroles. Les disciples de Jean, se tenant au bord de l'eau, n'entendirent pas cette phrase et ne virent pas non plus l'apparition de l'Ajusteur Personnalisé. Seuls les yeux de Jésus l'aperçurent.
Quand l'Ajusteur Personnalisé, revenu et désormais exalté, eut ainsi parlé, tout fut silence. Et tandis que les quatre intéressés s'attardaient dans l'eau, Jésus leva les yeux vers l'Ajusteur tout proche et pria: « Mon Père qui règne dans le ciel, que ton nom soit sanctifié. Que ton règne arrive! Que ta volonté soit faite sur terre comme au ciel ». Lorsqu'il eut ainsi prié, les « cieux furent ouverts » et le Fils de l'Homme vit, présentée par l'Ajusteur désormais personnalisé, l'image de lui-même tel qu'il était avant de venir sur terre dans la similitude d'une chair mortelle, et tel qu'il serait quand sa vie d'incarnation aurait pris fin. Jésus fut seul à apercevoir cette vision céleste.
Ce fut la voix de l'Ajusteur Personnalisé, parlant au nom du Père Universel, que Jean et Jésus entendirent, car les Ajusteurs proviennent du Père du Paradis et lui ressemblent. Durant le reste de la vie terrestre de Jésus, cet Ajusteur Personnalisé fut associé à tous ses travaux; Jésus resta en communication constante avec cet Être de haut rang.
Lors de son baptême, Jésus ne se repentit d'aucune mauvaise action et ne fit nulle confession de péché. Il s'agissait d'une consécration à l'accomplissement de la volonté du Père céleste. Au moment du baptême, il entendit l'appel indéniable de son Père, l'invitation finale à s'occuper des affaires de son Père, et il partit s'isoler durant quarante jours pour méditer sur ses multiples problèmes. En se retirant ainsi pendant un certain temps de tout contact personnel actif avec ses compagnons terrestres, Jésus (tel qu'il était et vivait sur Urantia) suivait le même processus qui prévaut sur les mondes morontiels chaque fois qu'un mortel ascendant fusionne avec la présence intérieure du Père Universel.
Ce jour de baptême marqua la fin de la vie purement humaine de Jésus. Le Fils divin avait trouvé son Père, le Père Universel avait trouvé son Fils incarné, et ils s'entretenaient l'un avec l'autre.
(Jésus avait près de trente et un ans et demi quand il fut baptisé. Bien que Luc dise qu'il fut baptisé dans la quinzième année du règne de Tibère César, ce qui représenterait l'an 29 puisqu'Auguste mourut en l'an 14, il faut se rappeler que Tibère fut co-empereur avec Auguste durant deux ans et demi avant la mort de ce dernier. Des monnaies furent frappées à son effigie en octobre de l'an 11. La quinzième année du règne effectif de Tibère fut donc cette année 26, celle du baptême de Jésus. Ce fut également en l'an 26 que Ponce Pilate commença à régner en tant que gouverneur de la Judée.)
3. — LES QUARANTE JOURS.
C'est avant son baptême, durant les six semaines où il avait été mouillé par les rosées du Mont Hermon, que Jésus avait subi la grande tentation de son effusion humaine. Sur cette montagne, en tant que mortel du royaume et sans aide extérieure, il avait rencontré et vaincu Caligastia, le prince de ce monde prétendant à la souveraineté sur Urantia. Lors de ce jour mémorable, les annales de l'univers avaient enregistré que Jésus de Nazareth était devenu Prince Planétaire d'Urantia. Et ce Prince d'Urantia, qui devait si prochainement être proclamé Souverain suprême de Nébadon, retirait maintenant dans une solitude de quarante jours pour élaborer les plans et déterminer la technique de proclamation du nouveau royaume de Dieu dans le coeur des hommes.
Après son baptême, il prit les quarante jours nécessaires pour s'adapter aux changements de relations avec le monde et l'univers occasionnés par la personnalisation de son Ajusteur. Durant sa solitude dans les montagnes de Pérée, il fixa la ligne de conduite à suivre et les méthodes à employer dans la nouvelle phase modifiée de vie terrestre qu'il était sur le point d'inaugurer.
Jésus ne fit pas cette retraite pour jeûner et affliger son âme. Il n'était pas un ascète; il venait pour détruire définitivement toutes les notions d'ascétisme concernant l'approche de Dieu. Ses raisons pour rechercher la solitude étaient entièrement différentes de celles qui avaient fait agir Moïse, Élie, et même Jean le Baptiste. Jésus était alors pleinement auto-conscient de ses relations avec l'univers qu'il avait créé, et aussi avec l'univers des univers supervisé par le Père du Paradis, son Père céleste. Il se rappelait maintenant entièrement sa mission d'effusion et les instructions données par son frère aîné Emmanuel avant le début de son incarnation sur Urantia. Il comprenait désormais clairement et totalement toutes ces vastes relations et désirait rester à l'écart pour une période de méditation paisible. Il pourrait ainsi élaborer les plans et choisir les procédés qui lui permettraient de poursuivre son oeuvre publique en faveur de ce monde et de tous les autres mondes de son univers local.
Tandis qu'il errait à l'aventure dans les montagnes à la recherche d'un abri favorable, Jésus rencontra le chef administratif de son univers, Gabriel, la Radieuse Étoile du Matin de Nébadon. Gabriel rétablit alors ses communications personnelles avec le Fils Créateur de cet univers; c'était leur premier contact direct depuis que Micaël avait pris congé de ses associés sur Salvington en partant pour Édentia en vue s'y préparer à l'effusion sur Urantia. Par ordre d'Emmanuel et sous l'autorité des Anciens des Jours d'Uversa, Gabriel donna maintenant à Jésus des renseignements indiquant que son expérience d'effusion sur Urantia était pratiquement achevée dans la mesure où elle concernait l'acquisition de la parfaite souveraineté de son univers et la fin de la rébellion de Lucifer. La souveraineté avait été atteinte le jour de son baptême quand la personnalisation de son Ajusteur démontra la perfection et le parachèvement de son effusion dans la similitude d'une chair mortelle. La répression de la rébellion était devenue un fait historique le jour où Jésus était descendu du mont Hermon à la rencontre de Tiglath, le jeune garçon qui l'attendait. Sur la foi des plus hautes autorités de l'univers local et du superunivers, Jésus fut ensuite informé que son travail d'effusion était achevé dans la mesure où il affectait son statut personnel par rapport à la souveraineté et à la rébellion. Il avait déjà reçu cette assurance directement du Paradis par sa vision baptismale et par le phénomène de la personnalisation de son Ajusteur de Pensée intérieur.
Tandis que Jésus s'attardait sur la montagne en causant avec Gabriel, le Père de la Constellation de Norlatiadek apparut en personne à Jésus et à Gabriel et dit: « Les formalités sont remplies. La souveraineté du Micaël No. 611.121 sur son univers de Nébadon repose parachevée à la droite du Père Universel. Je te libère de ton effusion de la part d'Emmanuel, ton frère, parrain de l'incarnation sur Urantia. Tu es libre de terminer ton effusion d'incarnation, maintenant ou à tout autre moment, et de la manière que tu auras toi-même choisie, puis de monter à la droite de ton Père, de recevoir ta souveraineté et d'assumer le gouvernement inconditionnel de tout Nébadon que tu as bien gagné. Avec l'autorisation des Anciens des Jours, je témoigne également que les formalités superuniverselles sont remplies en ce qui concerne la cessation de tout péché de rébellion dans ton univers; tu reçois une autorité entière et illimitée pour prendre des mesures envers tout futur soulèvement de cet ordre. Techniquement, ton oeuvre sur Urantia et dans la chair d'une créature mortelle est achevée. Ta ligne de conduite dépend désormais de ton propre choix ».
Quand le Très Haut Père venu d'Édentia eut pris congé, Jésus s'entretint longuement avec Gabriel du bien-être de l'univers et envoya ses salutations à Emmanuel. Il lui donna en même temps l'assurance que, dans le travail qu'il était sur le point d'entreprendre sur Urantia, il se rappellerait toujours les conseils reçus en connexion avec les devoirs qui lui avaient été impartis sur Salvington préalablement à son effusion.
Pendant ces quarante jours de solitude, Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s'étaient lancés à la recherche de Jésus. Maintes fois ils furent tout proches de son lieu de retraite, mais ils ne le découvrirent jamais.
4. — PLANS POUR L'OEUVRE PUBLIQUE.
Jour après jour, dans la montagne, Jésus élabora les plans pour le reste de son effusion sur Urantia. Il décida d'abord de ne pas enseigner en même temps que Jean. Il projeta de rester dans une retraite relative jusqu'à ce que l'oeuvre de Jean ait atteint son but, ou jusqu'à ce qu'elle soit soudainement interrompue par l'incarcération de Jean. Jésus savait bien que les sermons de Jean, intrépides et dépourvus de tact, susciteraient bientôt les craintes et l'inimitié des chefs civils. Compte tenu de la situation précaire de Jean. Jésus commença nettement à préparer son programme d'intervention publique en faveur de son peuple et du monde, en faveur de chaque monde habité dans tout son vaste univers. L'effusion humaine de Micaël eut lieu sur Urantia, mais pour tous les mondes de Nébadon.
Après avoir réfléchi au plan général de coordination de son programme avec le mouvement de Jean, la première chose que fit Jésus fut de repasser dans sa pensée les instructions d'Emmanuel. Il réfléchit soigneusement aux conseils qui lui avaient été donnés pour ses méthodes de travail et pour ne laisser aucune trace écrite de son passage sur la planète. Jésus n'écrivit jamais plus, sauf sur le sable. Lors de sa visite suivante à Nazareth, et au grand chagrin de son frère Joseph, Jésus détruisit tout ce qu'il avait écrit et qui était conservé sur des tablettes dans l'atelier de charpentier ou apposé sur les murs de son ancienne maison. Jésus réfléchit beaucoup aussi aux conseils d'Emmanuel concernant son comportement en matière économique, sociale, et politique envers le monde tel qu'il le trouverait.
Jésus ne jeûna pas durant ses quarante jours de solitude. Ses deux premiers jours dans la montagne furent la plus longue période pendant laquelle il s'abstint de toute nourriture, car il s'absorba tellement dans ses réflexions qu'il oublia complètement de se restaurer; mais le troisième jour il se mit en quête d'aliments. Il ne fut pas non plus tenté durant cette période par de mauvais esprits, ni par des personnalités rebelles stationnées sur Urantia ou sur tout autre monde.
Ces quarante jours furent l'occasion d'une confrontation finale entre sa pensée humaine et sa pensée divine, ou plutôt le premier moment de fonctionnement simultané de ces deux pensées désormais réunies en une seule. Les résultats de cette importante période de méditation démontrent péremptoirement que sa pensée divine avait triomphalement et spirituellement dominé son intellect humain. La pensée de l'homme était désormais devenue la pensée de Dieu, et bien que l'identité de sa pensée humaine fût toujours présente, cette pensée humaine spiritualisée disait toujours: « Que la volonté de Dieu soit faite, et non la mienne ».
Les événements de cette période mémorable ne furent pas les visions fantastiques d'un penseur famélique et affaibli, ni les symbolismes confus et puérils qui gagnèrent ultérieurement droit de cité en tant que « tentations de Jésus dans le désert ». Ce fut plutôt une période de tour d'horizon complet sur la carrière mouvementée et variée de l'effusion sur Urantia, et sur l'établissement minutieux de plans pour le ministère qui serait le plus utile pour ce monde, tout en contribuant aussi quelque peu à améliorer toutes les autres sphères isolées pour cause de rébellion. Jésus récapitula toute l'histoire de la vie humaine sur Urantia, depuis les jours d'Andon et de Fonta, en passant par la défaillance d'Adam, et jusqu'au ministère de Melchizédek de Salem.
Gabriel avait rappelé à Jésus qu'il pouvait se manifester au monde de deux manières différentes au cas où il choisirait de rester encore quelque temps sur Urantia. Il fut clairement expliqué à Jésus que son choix en cette matière n'influencerait en rien sa souveraineté sur son univers, ni la fin de la rébellion de Lucifer. Les deux manières de servir le monde étaient les suivantes:
1. Sa propre voie — la voie qui pourrait lui sembler la plus agréable et la plus utile du point de vue des besoins immédiats de ce monde et de l'édification actuelle de son propre univers.
2. La Voie du Père — la démonstration d'un idéal cosmique de la vie des créatures évoqué par les hautes personnalités du Paradis administrant l'univers des univers.
Il fut ainsi clairement indiqué à Jésus qu'il avait deux manières d'ordonner le reste de sa vie terrestre. À la lumière de la situation immédiate, il y avait des arguments en faveur de chacune d'elles. Le Fils de l'Homme se rendit compte que son choix entre ces deux modes de conduite n'aurait aucune répercussion sur l'attribution de sa souveraineté sur son univers; l'affaire était déjà réglée et scellée dans les archives de l'univers des univers et n'attendait plus que sa demande personnelle. Mais il fut indiqué à Jésus que son frère paradisiaque Emmanuel éprouverait une grande satisfaction si Jésus estimait opportun de terminer sa carrière terrestre d'incarnation comme il l'avait si noblement commencée, en restant toujours soumis à la volonté du Père. Le troisième jour de son isolement, Jésus se promit qu'il retournerait dans le monde pour achever sa carrière terrestre et que, dans toute situation impliquant une alternative, il choisirait toujours la volonté du Père. Et il vécut le reste de sa vie incarnée en restant constamment fidèle à cette résolution. Même jusqu'à la dernière extrémité, il subordonna invariablement sa volonté suprême à celle de son Père céleste.
Les quarante jours dans la solitude des montagnes ne furent pas une période de grandes tentations, mais plutôt la période des grandes décisions du Maître. Durant ces jours de communion solitaire avec lui-même et avec la présence immédiate de son Père — l'Ajusteur Personnalisé (Jésus n'avait plus d'ange gardien personnel) il parvint, une à une, aux grandes décisions qui devaient gouverner sa politique et sa conduite durant le reste de sa carrière terrestre. La tradition d'une grande tentation fut liée ultérieurement à cette période d'isolement, par confusion avec les récits fragmentaires des luttes sur le Mont Hermon, et en outre parce que la coutume voulait que tous les grands prophètes et conducteurs d'hommes commencent leur carrière publique en subissant des périodes analogues de jeûne et de prière. Quand Jésus était confronté par une décision nouvelle ou grave, il avait l'habitude de se retirer pour communier avec son propre esprit et chercher ainsi à connaître la volonté de Dieu.
Dans tous ces projets pour le reste de sa vie, Jésus était toujours déchiré, dans son coeur humain, entre deux lignes de conduite opposées:
1. Il éprouvait un fort désir d'amener son peuple — et la terre entière — à croire en lui et à accepter son nouveau royaume à spirituel, et il connaissait bien les idées de ses compatriotes sur le Messie à venir.
2. Vivre et agir d'une manière qu'il savait approuvée par son Père, conduire son travail en faveur des autres mondes dans le besoin, et continuer, dans l'établissement du royaume, à révéler le Père et à proclamer son divin caractère d'amour.
Durant ces journées mémorables, Jésus vécut dans une vieille caverne rocheuse, un abri au flanc d'une montagne proche d'un village parfois appelé Beit Adis. Il buvait l'eau de la petite source qui jaillissait à flanc de coteau près de cet abri rocailleux.
5. — LA PREMIÈRE GRANDE DÉCISION
Le troisième jour après le commencement de ce colloque entre lui-même et son Ajusteur Personnalisé, Jésus fut gratifié de la vision des armées célestes de Nébadon rassemblées et envoyées par leurs commandants pour se tenir à la disposition de leur Souverain bien-aimé. Cette puissante armée comportait douze légions de séraphins et des quantités proportionnelles de toutes les classes d'intelligences de l'univers. La première grande décision de Jésus dans sa solitude concernait le point de savoir s'il utiliserait ou non ces puissantes personnalités dans son ministère public ultérieur sur Urantia.
Jésus décida qu'il n'utiliserait pas une seule personnalité de cette vaste assemblée, à moins qu'il ne devienne évident que ce soit la volonté de son Père. Nonobstant cette décision d'ordre général, cette nombreuse armée l'accompagna durant le reste de sa vie terrestre, toujours prête à obéir à la moindre expression de la volonté de son Souverain. Jésus n'apercevait pas constamment avec ses yeux humains ces personnalités accompagnatrices, mais son Ajusteur Personnalisé associé les voyait tout le temps et pouvait communiquer avec chacune d'elles.
Avant de descendre de sa retraite de quarante jours dans la montagne, Jésus confia le commandement immédiat de cette armée de personnalités de l'univers à son Ajusteur récemment personnalisé. Durant plus de quatre ans du temps d'Urantia, ces personnalités sélectionnées de chaque département des intelligences universelles opérèrent avec obéissance et respect sous la sage gouverne du Moniteur de Mystère Personnalisé. Cet Ajusteur expérimenté et supérieur avait jadis fait partie intégrante du Père et en possédait la nature. En prenant le commandement de la puissante assemblée, il donna à Jésus l'assurance qu'en aucun cas il ne permettrait à ces agents surhumains de servir ou de se manifester en liaison avec sa carrière terrestre ou en sa faveur, à moins d'avoir la preuve que le Père souhaitait cette intervention. Ainsi, par une seule grande décision, Jésus se priva de toute coopération supra-humaine dans les affaires concernant le reste de sa carrière humaine, à moins que le Père ne choisisse de son propre chef de participer à tel ou tel acte ou épisode des travaux terrestres du Fils.
En acceptant le commandement des armées de l'univers au service de Christ Micaël, l'Ajusteur Personnalisé prit grand soin de faire remarquer à Jésus que, par l'autorité déléguée du Créateur de ces personnalités de l'univers, il pouvait limiter les activités de leur assemblée dans l'espace, mais que ces restrictions seraient sans effet quant aux fonctions de ces créatures dans le temps. Cette restriction provenait du fait que les Ajusteurs sont des êtres indépendant du temps une fois qu'ils sont personnalisés. En conséquence, Jésus fut averti que le contrôle de toutes les intelligences vivantes placées sous le commandement de l'Ajusteur serait complet et parfait en tout ce qui concernait l'espace, mais qu'il n'était pas possible d'imposer des limitations aussi parfaites quant au temps. L'Ajusteur lui dit: « Comme tu me l'as commandé, j'interdirai à cette armée d'intelligences universelles qui t'escorte d'intervenir en quoi que ce soit dans ta carrière terrestre, sauf dans les cas où le Père du Paradis m'ordonnera de laisser opérer ces agents pour permettre d'accomplir sa volonté divine telle que tu l'auras choisie. La même exception s'appliquera dans les circonstances où ta volonté divine-humaine se sera engagée dans un choix ou dans un acte impliquant des dérogations à l'ordre terrestre naturel uniquement quant au temps. Dans tous les événements dépendant du temps, je suis impuissant, et les créatures assemblées ici en perfection et en unité de pouvoir sont également impuissantes. Si tes deux natures unies éprouvent un jour de tels désirs, les manifestations de ton choix seront exécutées aussitôt. Tes souhaits en toutes ces matières abrégeront le temps, et la chose projetée existera. Sous mon commandement, cela constitue la plus grande limitation qui puisse être imposée à ta souveraineté potentielle. Dans ma propre conscience, le temps n'existe pas, et c'est pourquoi je ne peux limiter tes créatures en rien qui s'y rapporte ».
Jésus fut ainsi informé des conséquences de sa résolution de continuer à vivre comme un homme parmi les hommes. Par une seule décision, il avait exclu de toute participation à son ministère public ultérieur l'armée des intelligences universelles qui l'escortait, sauf dans les affaires concernant uniquement le temps Il est donc clair que si le ministère de Jésus devait comporter la possibilité d'une aide surnaturelle ou supposée supra-humaine, ce facteur ne concernait que l'élimination du temps à moins que le Père céleste n'en ait ordonné autrement. Nul miracle, nul ministère de miséricorde, nul autre événement possible survenant en liaison avec le reste de l'oeuvre terrestre de Jésus ne pouvait avoir la nature ou le caractère d'un acte qui transcende les lois naturelles régissant normalement les affaires des hommes tels qu'ils vivent sur Urantia, excepté dans cette question expressément citée du temps. Bien entendu, aucune limite ne pouvait être imposée aux manifestations de « la volonté du Père ». L'élimination du temps en liaison avec le désir exprimé du Souverain potentiel d'un univers ne pouvait être évitée que par l'action directe et explicite de la volonté de ce Dieu-homme décidant que le temps lié à l'acte ou à l'événement en question ne devait pas être abrégé ou éliminé. En vue d'empêcher la survenance de miracles temporels apparents, Jésus devait rester constamment conscient du temps. Toute interruption de sa part dans sa conscience du temps, en liaison avec l'entretient d'un désir précis, équivalait à l'exécution de la chose conçue dans la pensée de ce Fils Créateur, et cela sans intervention du temps.
Grâce au contrôle de supervision de son Ajusteur Personnalisé et associé, Micaël pouvait parfaitement limiter ses activités terrestres personnelles par rapport à l'espace, mais il n'était pas possible au Fils de l'Homme de limiter de la même manière par rapport au temps son nouveau statut terrestre de Souverain potentiel de Nébadon. Tel était en effet le statut de Jésus de Nazareth lorsqu'il inaugura son ministère public sur Urantia.
6. — LA SECONDE DÉCISION.
Ayant fixé sa politique au sujet des personnalités de toutes les classes de ses intelligences créées, dans la mesure où il pouvait la déterminer compte tenu du potentiel inhérent à son nouveau statut de divinité, Jésus orienta ensuite ses pensées sur lui-même. Désormais pleinement conscient de toutes les choses et créatures existant dans son univers, qu'allait-il faire de ces prérogatives de créateur dans les situations de vie récurrentes qu'il allait rencontrer immédiatement quand il retournerait en Galilée pour reprendre son travail parmi les hommes? En fait, et précisément dans les circonstances où il se trouvait dans ces montagnes désertiques, ce problème s'était déjà présenté obligatoirement par la nécessité de se procurer de la nourriture. Le troisième jour de ses méditations solitaires, son corps humain eut faim. Jésus devait-il se mettre en quête d'aliments comme un homme ordinaire l'aurait fait, ou devait-il simplement exercer ses pouvoirs créatifs normaux et produire une nourriture corporelle convenable et toute préparée à portée de la main? Cette grande décision du Maître vous a été décrite comme une tentation — comme un défi lancé par des ennemis imaginaires pour qu'il « commande à ces pierres de se changer en pains »(1).
(1) Matthieu IV-3 et Luc IV-3.
Jésus se fixa donc une nouvelle politique permanente pour le reste de son oeuvre terrestre. Dans la mesure où cela concernait ses besoins personnels, et même en général dans ses relations avec d'autres personnalités, il choisit de poursuivre désormais le sentier de l'existence terrestre normale; il prit nettement position contre une ligne de conduite qui transcenderait, outragerait, ou violerait les lois naturelles établies par lui-même. Toutefois, comme il en avait déjà été averti par son Ajusteur Personnalisé il ne pouvait s'engager à ce qu'en certaines circonstances concevables ces lois naturelles ne soient susceptibles d'être grandement accélérées. Jésus décida qu'en principe l'oeuvre de sa vie serait organisée et poursuivie conformément aux lois de la nature et en harmonie avec l'organisation sociale existante. Le Maître choisit ainsi un programme de vie équivalant à une décision de s'opposer aux miracles et aux prodiges. À nouveau, il remit toutes choses entre les mains de son père du Paradis.
La nature humaine de Jésus lui dictait que son premier devoir était de préserver sa vie; c'est le comportement normal de l'homme naturel sur les mondes de l'espace et du temps, donc une réaction légitime chez un mortel d'Urantia. Mais Jésus ne se préoccupait pas seulement de ce monde et de ses créatures. Il vivait une vie destinée à instruire et à inspirer les multiples créatures d'un vaste univers.
Avant l'illumination de son baptême, il avait vécu parfaitement soumis à la volonté et à la gouverne de son Père céleste. Il prit la décision énergique de continuer à vivre humainement dans la même dépendance implicite de la volonté du Père. Il décida de suivre une ligne de conduite anormale en ne cherchant pas à préserver surnaturellement sa vie. Il choisit de continuer la politique consistant à refuser de se défendre. Il formula ses conclusions par les paroles des Écritures familières à pensée humaine: «L'homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (2). En arrivant à cette conclusion sur l'appétit de sa nature physique se traduisant par la faim, le Fils de l'Homme fit son ultime déclaration au sujet de tous les autres besoins de la chair et des impulsions naturelles de la nature humaine.
(2) Deutéronome VII-3 et Luc IV-4.
Il pourrait peut-être utiliser son pouvoir surhumain en faveur d'autrui, mais jamais pour lui-même. Il poursuivit cette politique avec persistance jusqu'à la dernière extrémité, lorsqu'un témoin de la crucifixion dit d'un air goguenard: « Il a sauvé les autres, mais ne peut se sauver lui-même » — parce qu'il ne le voulait pas.
Les Juifs s'attendaient à un Messie qui accomplirait des prodiges encore plus grands que Moïse qui était censé avoir fait jaillir de l'eau d'un rocher dans un lieu aride et avoir nourri leurs ancêtres dans le désert avec la manne. Jésus connaissait le genre de Messie que ses compatriotes espéraient, et il disposait de tous les pouvoirs et prérogatives pour dépasser leurs espérances, mais il prit position contre ce magnifique programme de puissance et de gloire. Jésus considérait le programme attendu, celui de faire des miracles, comme un retour aux temps anciens de la magie ignorante et des pratiques barbares des guérisseurs sauvages. Peut-être, pour le salut de ses créatures, pourrait-il accélérer le jeu des lois naturelles, mais il ne voulait en aucun cas transcender ses propres lois, soit à son propre profit, soit pour inspirer un excès de crainte respectueuse à ses semblables. Et cette décision du Maître fut définitive.
Jésus s'attrista pour ses compatriotes; il comprenait pleinement comment ils avaient été conduits à espérer le Messie, à escompter l'époque où « la terre produira ses fruits par myriades, où il y aura mille sarments sur une vigne, où chaque sarment produira mille grappes, où chaque grappe produira mille raisins, et où chaque raisin produira une outre de vin ». Les Juifs croyaient que le Messie inaugurerait une ère d'abondance miraculeuse. Les Hébreux avaient été longtemps élevés dans des traditions de miracles et des légendes de prodiges.
Mais Jésus n'était pas un Messie venant multiplier les pains et le vin. Il ne venait pas pourvoir uniquement aux besoins temporels. Il venait révéler son Père céleste à ses enfants terrestres, tout en cherchant à amener ses enfants terrestres à se joindre à lui dans un effort sincère pour vivre selon la volonté du Père céleste.
Par cette décision, Jésus de Nazareth dépeignit aux spectateurs d'un univers la folie et le péché de prostituer des talents divins et des aptitudes données par Dieu à des ambitions personnelles ou à des profits et glorifications purement égoïstes. C'était là le péché de Lucifer et de Caligastia.
Cette grande décision de Jésus décrit dramatiquement la vérité que, seuls et par eux-mêmes, les plaisirs sensuels et les satisfactions égoïstes sont incapables d'apporter le bonheur aux êtres humains évoluants. Dans la vie des hommes, il existe des valeurs supérieures — maîtrise intellectuelle et accomplissements spirituels — qui transcendent de loin la satisfaction nécessaire des appétits et besoins purement physiques. Les dons humains naturels de talents et d'aptitudes devraient être principalement consacrés à développer et à ennoblir les pouvoirs humains supérieurs de pensée et d'esprit.
Jésus révéla ainsi aux créatures de son univers la technique de la voie nouvelle et meilleure, les valeurs morales supérieures de la vie, et les satisfactions spirituelles plus profondes de l'existence évolutionnaire humaine sur les mondes de l'espace.
7. — LA TROISIÈME DÉCISION.
Après que Jésus eut pris ses décisions sur la manière de se nourrir, de pourvoir aux besoins de son corps physique, et de veiller à sa santé et à celle de ses associés, il restait encore d'autres problèmes à résoudre. Comment se comporterait-il en face d'un danger personnel? Il décida d'exercer une surveillance normale sur sa sécurité physique et de prendre des précautions raisonnables pour éviter la fin inopportune de sa carrière terrestre, mais de s'abstenir de toute intervention supra-humaine au moment où la crise de sa vie incarnée se produirait. Tandis qu'il prenait cette décision, Jésus était assis à l'ombre d'un arbre sur un rebord rocheux surplombant un précipice droit devant lui. Il se rendit parfaitement compte qu'il pouvait se jeter dans le vide sans qu'il lui arrive aucun mal, à condition de revenir sur sa première grande décision (de ne pas invoquer l'intervention de ses intelligences célestes pour accomplir l'oeuvre de sa vie sur Urantia) et surtout d'abroger sa seconde décision concernant son comportement au sujet de sa propre sécurité.
Jésus savait que ses compatriotes attendaient un Messie qui transcenderait les lois naturelles. On lui avait bien enseigné le passage des Écritures disant: « Il ne t'adviendra aucun mal et nulle plaie n'approchera de ta demeure, car il te confiera aux soins de ses anges pour qu'ils te gardent dans toutes tes voies. Ils te porteront dans leurs mains de crainte que tu ne heurtes ton pied contre une pierre » (1). Cette sorte de présomption, ce défi à la loi de gravitation de son Père, seraient-ails justifiés en vue de se protéger d'un mal possible, ou peut-être de gagner la confiance de son peuple mal instruit et égaré? Si satisfaisante qu'elle put être pour les Juifs recherchant des signes, cette ligne de conduite ne constituerait pas une révélation de son Père, mais un douteux badinage avec les lois établies de l'univers des univers.
(1) Cf. Psaume XCI-11; Matthieu IV-6; Luc IV-10.
Comprenant tout cela, et sachant que le Maître refusait d'oeuvrer au mépris des lois établies de la nature dans la mesure où il s'agissait de sa conduite personnelle, vous savez avec certitude qu'il ne marcha jamais sur les eaux et ne fit jamais rien qui ait violé l'ordre matériel de l'administration du monde. Bien entendu, il faut toujours garder présent à la pensée le fait qu'aucun procédé n'avait encore été découvert pour le délivrer entièrement du manque de contrôle sur l'élément temps en liaison avec les affaires confiées à la juridiction de son Ajusteur Personnalisé.
Durant toute sa vie terrestre, Jésus resta constamment fidèle à cette décision. Ainsi, quand les Pharisiens lui reprochèrent avec mépris de ne pas donner un signe, ou que les veilleurs du Calvaire le mirent au défi de descendre de la croix, il maintint fermement la décision prise à cette heure sur le flanc de la montagne.
8. — LA QUATRIÈME DÉCISION.
Le grand problème suivant auquel le Dieu fait homme s'attaqua, et qu'il résolut bientôt conformément à la volonté du Père céleste, concernait la question de savoir s'il devait ou non employer ses pouvoirs supra-humains pour attirer l'attention et gagner l'adhésion de ses contemporains. Devait-il dans une mesure quelconque laisser ses pouvoirs universels satisfaire la nostalgie des Juifs pour le spectaculaire et le merveilleux? Jésus décida qu'il ne ferait rien de tel. Pour porter sa mission à la connaissance des hommes, il fixa son choix sur une méthode éliminant toutes ces pratiques. Même dans les nombreux cas où il autorisa des manifestations de miséricorde comportant un raccourcissement du temps, il recommanda presque invariablement aux bénéficiaires de son ministère curatif de ne raconter à personne le profit qu'ils en avaient tiré. Il refusa toujours le défi sarcastique de ses ennemis lui disant « montre-nous un signe » comme preuve et démonstration de sa divinité.
Jésus prévoyait fort sagement que l'accomplissement de miracles et l'exécution de prodiges n'évoquerait qu'une allégeance extérieure en intimidant la pensée matérielle; ces performances ne révéleraient pas Dieu et ne sauveraient pas les hommes. Il refusa de devenir un simple auteur de prodiges. Il résolut de se limiter à une tâche unique — l'établissement du royaume des cieux.
Durant cet important dialogue de Jésus communiant avec lui-même, l'élément humain d'interrogation frisant le doute faisait sentir sa présence, car Jésus était un homme aussi bien qu'un Dieu. Il était évident que les Juifs ne l'accepteraient pas comme Messie s'il ne faisait pas de miracles. En outre, s'il voulait consentir à faire seulement une chose surnaturelle, la pensée humaine saurait avec certitude que c'était par subordination à une pensée vraiment divine. Pour la pensée divine, serait-ce compatible avec « la volonté du Père » de faire cette concession à la nature dubitative de la pensée humaine? Jésus décida que ce serait incompatible et cita la présence de l'Ajusteur Personnalisé comme preuve suffisante de divinité associée à l'humanité.
Jésus avait beaucoup voyagé. Il se rappelait Rome, Alexandrie, et Damas. Il connaissait les méthodes du monde — la manière dont les gens parviennent à leurs fins, en politique et dans les affaires, par compromis et diplomatie. Utiliserait-il cette connaissance pour l'avancement de sa mission dans le monde? Non! Il prit également parti contre tout compromis avec la sagesse humaine et avec l'influence des richesses pour l'établissement du royaume. À nouveau, il choisit de dépendre exclusivement de la volonté du Père.
Jésus se rendait pleinement compte qu'il pouvait exercer l'un de ses pouvoirs par une voie directe plus courte. Il connaissait nombre de procéder permettant de focaliser immédiatement sur lui l'attention de la nation et du monde entier. La Pâque allait bientôt être célébrée à Jérusalem; la ville serait bondée de visiteurs. Jésus pouvait monter sur le pinacle du temple et, devant la multitude ahurie, marcher dans les airs. C'était le genre de Messie que les Juifs recherchaient, mais ultérieurement il les décevrait, car il n'était pas venu pour rétablir le trône de David. Et il connaissait la futilité de la méthode de Caligastia consistant à essayer d'anticiper sur la manière naturelle, lente et sûre, d'accomplir le dessein divin. À nouveau le Fils de l'Homme s'inclina avec obéissance devant la voie du Père, la volonté du Père.
Jésus choisit d'établir le royaume des cieux dans le coeur des hommes par des méthodes naturelles, ordinaires, difficiles, et éprouvantes, simplement par les procédés que ses enfants terrestres devront suivre ultérieurement dans leurs travaux pour élargir et étendre le royaume des cieux. Le Fils de l'Homme savait parfaitement que ce serait « par bien des tribulations que de nombreux enfants de tous les temps entreraient dans le royaume ». Jésus passa alors par la grande épreuve des hommes civilisés, consistant à détenir le pouvoir et à refuser fermement de s'en servir pour des desseins purement égoïstes ou personnels.
En étudiant la vie et l'expérience du Fils de l'Homme, il faut toujours se souvenir que le Fils de Dieu était incarné dans la pensée d'un être humain du premier siècle, et non dans la pensée d'un mortel du XXième siècle ou d'un autre siècle. En cela, nous cherchons à communiquer l'idée que les dons humains de Jésus avaient été acquis par la voie naturelle. Jésus était le produit des facteurs héréditaires et ambiants de son temps, accrus de l'influence de son éducation et de son instruction. Son humanité était authentique et naturelle; elle dérivait entièrement des antécédents du statut intellectuel d'alors et des conditions sociales et économiques de cette époque et de cette génération, et elle était entretenue par eux. Dans l'expérience de cet homme-Dieu, il subsistait toujours la possibilité que la pensée divine transcenderait l'intellect humain; néanmoins, dans les circonstances où cette pensée humaine fonctionnait, elle se manifestait comme une véritable pensée temporelle dans les conditions de l'entourage humain de l'époque.
Jésus dépeignit à tous les mondes de son vaste univers la folie de créer des situations artificielles dans le dessein de faire montre d'une autorité arbitraire, ou encore de se servir d'un pouvoir exceptionnel en vue de rehausser des valeurs morales ou d'accélérer des progrès spirituels. Jésus décida qu'au cours de sa mission terrestre il ne ne se prêterait pas à répéter la déception du règne des Macchabées. Il refusa de prostituer ses attributs divins à l'acquisition d'une popularité imméritée ou à un gain de prestige politique. Il ne voulut pas sanctionner la transmutation d'énergie divine et créative en puissance nationale ou en prestige international. Jésus de Nazareth refusa tout compromis avec le mal, et encore plus toute association avec le péché. Le Maître plaça triomphalement la fidélité à la volonté de son Père au-dessus de toute autre considération terrestre et temporelle.
9. — LA CINQUIÈME DÉCISION.
Ayant réglé les questions de politique concernant ses relations personnelles avec les lois de la nature et le pouvoir spirituel, il tourna son attention sur le choix des méthodes à employer pour proclamer et établir le royaume de Dieu. Jean avait déjà commencé cette oeuvre; comment Jésus pouvait-il continuer le message? Comment devait-il prendre la suite de la mission de Jean? Comment fallait-il organiser son groupe de fidèles en vue d'un effort efficace et d'une consécration intelligente? Jésus en arrivait maintenant à la décision finale qui lui interdirait de se considérer désormais comme le Messie des Juifs, tout au moins selon la conception populaire du Messie à cette époque.
Les Juifs envisageaient un libérateur qui viendrait avec un pouvoir miraculeux abattre les ennemis d'Israël et établir les Juifs, libérés de la misère et de l'oppression, comme dirigeants du monde. Jésus savait que cet espoir ne se réaliserait jamais. Il savait que le royaume des cieux concerne la victoire sur le mal dans le coeur des hommes, et qu'il est purement une affaire d'ordre spirituel. Il médita sur l'opportunité d'inaugurer le royaume spirituel par une brillante et éblouissante démonstration de pouvoir — cette ligne de conduite aurait été admissible et entièrement conforme à la juridiction de Micaël — mais il prit complètement position contre ce plan. Il ne voulait pas de compromis avec les techniques révolutionnaires de Caligastia. Jésus avait virtuellement gagné le monde en se soumettant à la volonté du Père; il se proposa d'achever son oeuvre comme il l'avait commencée, en tant que Fils de l'Homme.
On ne peut guère s'imaginer ce qui se serait passé sur Urantia si ce Dieu-homme, désormais potentiellement investi de tout pouvoir dans le ciel et sur terre, s'était décidé à déployer une fois l'étendard de la souveraineté, à disposer en ordre de bataille ses légions opérant des prodiges! Mais il refusa le compromis. Il ne voulut pas servir le mal en laissant supposer que l'adoration de Dieu dérivait des miracles. Il resterait fidèle à la volonté du Père. Il proclamerait à un univers de spectateurs: «Vous adorerez le Seigneur votre Dieu, et vous ne servirez que lui seul ».
À mesure que les jours passaient, Jésus percevait de plus en plus clairement la manière dont il allait révéler la vérité. Il discerna que les voies de Dieu n'allaient pas être le chemin facile. Il commença à se rendre compte que le reste de son expérience humaine pourrait être une coupe amère, mais il décida de la boire.
Même sa pensée humaine disait adieu au trône de David. Pas à pas, elle suivait le sentier de la pensée divine; elle posait encore des questions, mais acceptait invariablement les réponses de Dieu comme règle finale dans cette double existence où il vivait comme un homme dans le monde, tout en se soumettant constamment sans réserve à l'accomplissement de l'éternelle et divine volonté du Père.
Tandis que Rome était maîtresse du monde occidental, le Fils de l'Homme, dans sa solitude, prenait ces mémorables décisions; avec les armées du ciel à ses ordres, il représentait pour les Juifs la dernière chance de parvenir à dominer le monde. Mais ce Juif de naissance, qui possédait une sagesse et un pouvoir aussi prodigieux, ne voulut employer ses dons universels ni pour s'élever personnellement ni pour mettre son peuple sur le trône. Il voyait pour ainsi dire «les royaumes du monde » et avait le pouvoir de s'en emparer. Les Très Hauts d'Édentia avaient remis tous ces pouvoirs entre ses mains, mais il n'en voulut pas. Les royaumes terrestres étaient trop mesquins pour intéresser le Créateur et Chef d'un univers. Il n'avait qu'un seul objectif, poursuivre la révélation de Dieu aux hommes et l'établissement du royaume des cieux, du règne du Père céleste, dans le coeur des hommes.
Les idées de batailles, de luttes, de massacres, répugnaient à Jésus. Il ne voulait rien de tout cela. Il voulait se montrer sur terre en tant que Prince de la Paix pour révéler un Dieu d'amour. Avant son baptême, il avait refusé une seconde fois l'offre de diriger les Zélotes durant leur rébellion contre les oppresseurs romains. Maintenant Jésus prit sa décision finale se rapportant à certains passages des Écritures que sa mère lui avait enseignés, tels que: « Le Seigneur m'a dit: tu es mon fils, je t'ai engendré aujourd'hui. Demande-moi, et je te donnerai les païens pour héritage et les confins de la terre pour possession. Tu les briseras avec un sceptre de fer; tu les mettras en pièces comme un vase de potier » (1).
(1) Psaume II-8 et 9.
Jésus de Nazareth parvint à la conclusion que ces citations ne le concernaient pas. Enfin, et une fois pour toutes, la pensée humaine du Fils de l'Homme balaya complètement toutes ces difficultés et contradictions messianiques — Écritures hébraïques, éducation par les parents, instruction des chazans, espoirs des Juifs, et ambitieux désirs humains. Il retournerait en Galilée et y commencerait tranquillement la proclamation du royaume des cieux; il ferait confiance à son Père (à l'Ajusteur Personnalisé) pour élaborer les détails quotidiens d'exécution.
Jésus refusa donc de résoudre les problèmes spirituels au moyen de manifestations matérielles; il refusa de défier présomptueusement les lois naturelles. Par ces décisions, il donna un exemple méritoire à toutes les personnalités de tous les mondes d'un vaste univers. Et quand il refusa de s'emparer du pouvoir temporel comme prélude à la gloire spirituelle, il donna un exemple inspirant de loyalisme universel et de noblesse morale.
Si le Fils de l'Homme avait eu des doutes sur la nature de sa mission quand il alla dans la montagne après son baptême, il n'en avait plus aucun lorsqu'il en revint vers ses compagnons après les quarante jours de solitude et de décisions.
Jésus avait désormais formulé un programme pour établir le royaume du Père; il n'allait pas pourvoir aux satisfactions physiques du peuple. Il ne distribuerait pas de pain aux foules comme il l'avait vu faire si récemment à Rome. Il n'attirerait pas l'attention sur lui en faisant des prodiges, même si c'était précisément cela que les Juifs attendaient d'un libérateur. Il ne chercherait pas non plus à faire accepter son message spirituel par un étalage d'autorité politique ou de pouvoir temporel.
En rejetant ces méthodes susceptibles de rehausser le royaume à venir aux yeux des Juifs qui l'attendaient, Jésus était sûr que ces mêmes Juifs regretteraient certainement et définitivement toutes ses prétentions à l'autorité et à la divinité. Sachant tout cela, Jésus chercha longtemps à empêcher ses premiers disciples de parler de lui comme du Messie.
Durant tout son ministère public, il fut obligé de faire face à trois situations constamment récurrentes: la clameur pour être nourri, l'insistance pour voir des miracles, et la requête finale de ses partisans demandant la permission de le faire roi. Mais Jésus ne s'écarta jamais des décisions qu'il avait prises durant ces jours de solitude dans les montagnes de Pérée.
10. — LA SIXIÈME DÉCISION
Le dernier jour de cet isolement mémorable, avant de descendre des montagnes pour rejoindre Jean et ses disciples, le Fils de l'Homme prit son ultime décision. Il la communiqua à son Ajusteur Personnalisé en ces termes: « Pour toutes les autres questions, comme pour celles dont la décision est maintenant enregistrée, je m'engage envers toi à me soumettre à la volonté de mon Père ». Après avoir ainsi parlé, il redescendit de la montagne avec un visage rayonnant de la gloire des victoires spirituelles et des accomplissements moraux.



