4. LA VIE ET LES ENSEIGNEMENTS DE JÉSUS
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LA VIE DE JEUNE HOMME DE JÉSUS
LORSQUE Jésus de Nazareth entra dans les premières années de sa vie d'adulte, il avait vécu et continuait à vivre sur terre une vie humaine normale et ordinaire. Jésus vint en ce monde exactement comme les autres enfants, il ne contribua en rien à sélectionner ses parents. Il avait choisi Urantia comme planète pour effectuer sa septième et dernière effusion, son incarnation dans la similitude d'une chair mortelle, mais autrement il vint au monde d'une façon naturelle, grandissant comme un enfant du royaume, et luttant contre les vicissitudes de son entourage tout comme le font les autres mortels sur cette planète et les planètes similaires.
Il y a lieu de garder toujours présent à l'esprit que l'effusion de Micaël sur Urantia avait un double but:
1. Approfondir l'expérience de vivre la vie complète d'une créature humaine incarnée, pour parachever sa souveraineté dans Nébadon.
2. Révéler le Père Universel aux habitants humains des mondes de l'espace et du temps et amener plus efficacement ces mêmes mortels à mieux comprendre le Père Universel.
Tous les autres bienfaits matériels et avantages universels de son effusion humaine étaient accessoires et secondaires à ces buts majeurs.
1. -- LA VINGT-ET-UNIÈME ANNÉE (AN 15)
En atteignant l'âge adulte, Jésus entreprit sérieusement et en pleine conscience de parachever expérientiellement sa connaissance de la vie des formes les plus humbles de créatures intelligentes; il acquerrait ainsi définitivement et pleinement le droit de gouverner sans réserve l'univers qu'il avait lui-même créé. Il aborda cette tâche prodigieuse en pleine connaissance de sa double nature, mais il avait déjà efficacement conjugué ces deux natures en une seule -- Jésus de Nazareth.
Jésus fils de Joseph savait très bien qu'il était un homme, un mortel né d'une femme. Cela ressort du choix de sa première appellation, le Fils de l'Homme. Il était vraiment fait de chair et de sang. Maintenant qu'il réside avec une autorité souveraine aux destinées d'un univers, il porte encore parmi ses nombreux titres bien gagnés celui de Fils de l'Homme. Il est littéralement vrai que le Verbe créateur -- un Fils Créateur issu du Père Universel -- fut « fait chair et habita Urantia comme un homme du royaume ». Il travaillait, se fatiguait, se reposait, et dormait. Il eut faim et satisfit son appétit avec des aliments; il eut soif et étancha sa soif avec de l'eau. Il expérimenta toute la gamme des sentiments et des émotions humaines; il fut « éprouvé en toutes choses comme vous l'êtes vous-mêmes »; il souffrit et mourut.
Il obtint des connaissances, acquit de l'expérience, et les conjugua en sagesse, tout comme le font d'autres mortels du royaume. Avant son baptême, il n'usa d'aucun pouvoir surnaturel. Il n'employa aucune faculté autre que celles dont il était doué en tant que fils de Joseph et de Marie.
Quant aux attributs de son existence pré-humaine, il s'en dépouilla. Avant le début de son ministère public, il s'imposa, uniquement de son propre gré, de connaître les hommes et les choses par des moyens humains. Il était véritablement un homme parmi les hommes.
Les paroles suivantes sont à jamais et glorieusement vraies: « Nous avons un grand chef qui peut être touché par le sentiment de nos faiblesses. Nous avons un Souverain qui fut à tous égards éprouvé et tenté comme nous le sommes, cependant sans pécher » (1). Puisqu'il a lui-même souffert, ayant été éprouvé et tenté, il est éminemment apte à comprendre et à aider les égarés et les affligés.
(1) Hébreux IV-15.
Le charpentier de Nazareth comprenait maintenant pleinement le travail qui l'attendait, mais il choisit de laisser sa vie humaine suivre son cours naturel. En certaines de ces matières, il est vraiment un exemple pour ses créatures humaines. Comme les Écritures le rappellent: « Ayez en vous la pensée qui était aussi dans le Christ Jésus lequel, étant de la nature de Dieu, ne trouvait pas étrange d'être égal à Dieu. Cependant il se donna peu d'importance et, revêtant la forme d'une créature, il naquit à la ressemblance des hommes. Ayant été ainsi façonné comme un homme, il s'humilia et devint obéissant jusqu'à la mort, même à la mort sur la croix » (2).
Il vécut sa vie terrestre exactement comme tous les membres de la famille humaine peuvent vivre la leur, « lui qui dans les jours de son incarnation adressa si souvent des prières et des supplications, avec une grande émotion et des larmes, à Celui qui est capable de sauver de tout mal; et ses prières furent efficace, parce qu'il croyait » (3). C'est pourquoi il lui fallait à tous égards être rendu semblable à ses frères pour pouvoir devenir leur cher souverain, miséricordieux et compréhensif.
| (2) Philippiens II-5 à 8. |
| (3) Hébreux V-7. |
Il ne douta jamais de sa nature humaine; c'était l'évidence même, et il en avait toujours conscience. Quant à sa nature divine, il y avait toujours place pour le doute et les hypothèses; tout au moins ce fut vrai jusqu'à son baptême. L'auto-conscience de sa divinité fut une lente révélation, et du point de vue humain, une révélation évoluant naturellement. Cette révélation et cet épanouissement de sa divinité commencèrent à Jérusalem, alors que Jésus n'avait pas tout à fait treize ans, avec le premier événement surnaturel de sa vie humaine. L'expérience de comprendre clairement par lui-même sa nature divine se paracheva a l'époque de sa seconde expérience surnaturelle pendant son incarnation. Cet événement accompagna son baptême par Jean dans le Jourdain et marque le commencement de sa carrière publique sacerdotale et doctrinale.
Entre les deux visitations célestes, l'une à sa treizième année et l'autre à son baptême, il ne se passa rien de surnaturel ni de supra-humain dans la vie de ce Fils Créateur incarné. Malgré cela, l'enfant de Bethlehem, le jeune garçon, et l'homme de Nazareth étaient en réalité le Créateur incarné d'un univers; mais pas une fois au cours de sa vie humaine avant le jour où Jean le baptisa, il n'usa de ce pouvoir ni ne suivit les directives de personnalités célestes, sauf celles de son ange gardien. Nous qui en témoignons, nous savons de quoi nous parlons.
Cependant, durant toutes ces années ces années de vie incarnée, il était vraiment divin. Il était effectivement un Fils du Père du Paradis. Une fois qu'il eut embrassé sa carrière publique, après avoir techniquement parachevé l'expérience purement humaine lui permettant d'acquérir sa souveraineté il n'hésita pas à admettre publiquement qu'il était le Fils de Dieu. Il proclama sans hésitation: « Je suis l'Alpha et l'Oméga, le commencement et la fin, le premier et le dernier » (4). Dans les années qui suivirent, il ne protesta pas quand on l'appelait Seigneur de Gloire, Souverain d'un Univers, le Seigneur Dieu de toute la création, le Saint d'Israël, le Seigneur de tout, notre Seigneur et notre Dieu, Dieu avec nous, Celui qui a un nom au-dessus de tous les noms et sur tous les mondes, l'Omnipotence d'un Univers, la Pensée Universel de cette création, l'Unique en qui sont cachés tous les trésors de sagesse et de connaissance, la plénitude de Celui qui remplit toutes choses, l'éternel Verbe du Dieu éternel, Celui qui existait avant toutes choses et en qui toutes choses consistent, le Créateur des cieux et de la terre, le soutien d'un univers, le Juge de toute la terre, le Donateur de la vie éternelle, le Vrai Berger, le Libérateur des Mondes, et le Chef de notre salut.
(4) Apocalypse XXI-6 et XXII-12.
Il ne fit d'objection à aucun de ces titres quand ils lui furent appliqués après qu'il eût émergé de sa vie purement humaine pour entrer dans les années d'adulte où il avait conscience de son ministère de divinité dans l'humanité, pour l'humanité, et par rapport à l'humanité, dans ce monde et sur tous les autres mondes. Jésus ne protesta que contre une seule appellation: quand une fois on le dénomma Emmanuel, il répondit simplement: « Je ne suis pas Emmanuel, il est mon frère aîné ».
Même après que les horizons de sa vie terrestre se fussent élargis, Jésus resta toujours humblement soumis à la volonté du Père céleste.
Après son baptême, il ne vit aucun inconvénient à permettre à ses partisans sincères et à ses disciples reconnaissants de l'adorer. Même quand il luttait contre la pauvreté et travaillait de ses mains pour subvenir aux besoins vitaux de sa famille, il prenait de plus en plus conscience d'être un Fils de Dieu; il savait qu'il était le créateur des cieux et de cette terre sur laquelle il vivait maintenant son existence humaine. Dans tous le vaste univers qui l'observait, les légions d'êtres célestes savaient également que cet homme de Nazareth était leur souverain bien-aimé et Créateur-père. Durant ces années, l'univers de Nébadon vécut dans une profonde expectative. Tous les regards célestes convergeaient continuellement sur Urantia -- sur la Palestine.
Cette année-là, Jésus se rendit à Jérusalem avec Joseph pour célébrer la Pâque. Ayant déjà emmené Jacques au temple pour la consécration, il estimait de son devoir d'y conduire aussi Joseph. Jésus ne témoignait jamais d'aucune partialité dans ses rapports avec sa famille. Il alla avec Joseph à Jérusalem par la route habituelle de la vallée du Jourdain, mais revint à Nazareth par la route qui traverse Amathus à l'est du Jourdain. En descendant le Jourdain, Jésus fit à Joseph des commentaires sur l'histoire des Juifs; pendant le voyage de retour, il lui parla des épreuves subies par les célèbres tribus de Ruben, Gad, et Giléad qui habitaient traditionnellement ces régions à l'est du fleuve.
Joseph posa à Jésus de multiples questions tendancieuses concernant sa mission, mais à la plupart d'entre elles Jésus se borna à répondre: « Mon heure n'est pas encore venue ». Au cours de ces entretiens intimes, Jésus laissa cependant échapper beaucoup de paroles dont Joseph se souvint pendant les événements émouvants des années suivantes. Accompagné de Joseph, Jésus passa la Pâque avec ses trois amis de Béthanie, selon son habitude quand il était à Jérusalem pour assister à cette fête commémorative.
2. -- LA VINGT-DEUXIÈME ANNÉE (AN 16)
Ce fut une des années durant lesquelles les frères et soeurs de Jésus affrontèrent les épreuves et tribulations propres aux problèmes et aux réadaptations de l'adolescence. Jésus avait maintenant des frères et soeurs d'âge échelonné entre sept et dix-huit ans, et avait fort à faire pour les aider à s'adapter aux nouveaux éveils de leur vie intellectuelle et émotionnelle. Il dut ainsi s'attaquer aux problèmes de l'adolescence à mesure qu'ils se présentaient dans la vie de ses jeunes frères et soeurs.
Cette année-là, Simon sortit diplômé de l'école et commença à travailler avec le tailleur de pierre Jacob, toujours prêt à défendre Jésus. À la suite de plusieurs entretiens familiaux, on estima inopportun que tous les garçons deviennent charpentiers. S'ils adoptaient des métiers différents, ils seraient en mesure d'accepter des contrats pour construire entièrement des édifices. De plus, ils avaient subi des périodes de chômage depuis que trois d'entre eux travaillaient à temps complet comme charpentiers.
Durant cette année, Jésus continua à faire des travaux de finition de maisons et d'ébénisterie, mais il passa la majeure partie de son temps à l'atelier de réparations du caravansérail. Jacques commençait à alterner avec lui au service de l'atelier. À la fin de l'année, quand le travail de charpentier vint à manquer à Nazareth, Jésus laissa en charge à Jacques l'atelier de réparations et à Joseph l'établi familial, tandis que lui-même allait à Séphoris chez un forgeron. Il travailla les métaux pendant six mois et acquit à l'enclume une habileté remarquable.
Avant de prendre son nouvel emploi à Séphoris, Jésus tint une de ses conférences familiales périodiques et installa solennellement Jacques, qui venait d'avoir dix-huit ans, comme chef de famille suppléant. Il promit à son frère un appui chaleureux et une entière coopération; il exigea de la part de chaque membre de la famille la promesse formelle d'obéir à Jacques. À partir de ce jour, Jacques assuma l'entière responsabilité financière du foyer où Jésus apportait à son frère sa contribution hebdomadaire. Jamais plus Jésus ne reprit les rênes des mains de Jacques. Pendant qu'il travaillait à Séphoris, il aurait pu en cas de besoin rentrer chaque soir à la maison, mais il resta, éloigné à dessein, alléguant le temps et d'autres raisons, mais son vrai motif était d'habituer Jacques et Joseph à porter la responsabilité du foyer. Il avait commencé le lent processus de détacher de lui sa famille. Jésus revenait à Nazareth à chaque sabbat, et quelquefois aussi pendant la semaine quand l'occasion l'exigeait, pour observer le fonctionnement du nouveau plan, donner des conseils, et apporter d'utiles suggestions.
Le fait de vivre la plupart du temps à Séphoris pendant six mois offrit à Jésus une nouvelle occasion de mieux connaître le mode de vie des Gentils. Il travailla avec eux, vécut avec eux, et de toutes les manières possibles étudia de près et soigneusement leurs habitudes de vie et leur mentalité.
Le niveau moral de cette ville où résidait Hérode Antipas était tellement inférieur, même à celui du caravansérail de Nazareth, qu'après six mois de séjour à Séphoris Jésus ne répugna, plus à trouver un prétexte pour revenir a Nazareth. Le groupe pour lequel il travaillait allait s'engager dans des travaux publics à la fois à Séphoris et dans la nouvelle ville de Tibériade, et Jésus était peu disposé à assumer un emploi quelconque sous la supervision d'Hérode Antipas. D'autres raisons militaient encore dans l'opinion de Jésus en faveur de son retour à Nazareth. Quand il revint à l'atelier de réparations, il ne reprit pas personnellement la direction des affairer familiales. Il travailla à l'atelier en association avec Jacques et, dans la plus large mesure possible, fui permit de continuer à surveiller le foyer. Jacques put ainsi continuer en bon ordre la gestion des affaires familiales et l'administration du budget de la maison.
Ce fut, par ce plan sage et réfléchi que Jésus prépara son retrait éventuel de toute participation active aux affaires familiales. Quand Jacques eut deux années d'expérience comme chef de famille, Joseph fut chargé de gérer les fonds de la maisonnée, et la direction générale du foyer lui fut confiée. Le mariage de Jacques eut lieu deux ans plus tard.
3. -- LA VINGT-TROISIÈME ANNÉE (AN 17)
Cette année-là, les embarras financiers de la famille furent un peu moindres du fait que les aînés étaient quatre à travailler. Miriam gagnait beaucoup avec la vente du lait et du beurre; Marthe était devenue une habile tisseuse. Plus du tiers du prix d'achat de l'atelier de réparations avait été payé. La situation était telle que Jésus s'arrêta de travailler pendant trois semaines afin d'emmener Simon à Jérusalem pour la Pâque. Jamais encore depuis la mort de son père il n'avait pu quitter aussi longtemps son labeur quotidien.
Ils se rendirent à Jérusalem par la Décapole et traversèrent Pella, Gérasa, Philadelphie, Hésébon, et Jéricho. Ils revinrent à Nazareth par la route côtière; ils passèrent par Lydda, Jaffa, Césarée, contournèrent le mont Carmel, et allèrent de là à Nazareth par Ptolémaïs. Ce voyage permit à Jésus de connaître complètement la Palestine au nord du district de Jérusalem.
À Philadelphie 1), Jésus et Simon firent la connaissance d'un marchand de Damas qui se prit d'une telle amitié pour les deux frères de Nazareth qu'il les pressa de s'arrêter chez lui au siège de son entreprise à Jérusalem. Simon alla au temple, mais Jésus passa beaucoup de temps à causer avec cet homme d'affaires bien éduqué et grand voyageur. Le marchand possédait plus de quatre mille chameaux de caravanes; il avait des intérêts dans tout l'empire romain, et maintenant il était en route pour Rome. Il proposa à Jésus de venir a Damas pour entrer dans son affaire d'importations d'Orient, mais Jésus expliqua qu'il ne se sentait pas en droit de s'éloigner autant de sa famille pour le moment. Sur le chemin du retour, il pensa beaucoup à ces villes éloignées et aux pays encore plus lointains d'Extrême Occident et d'Extrême Orient, pays dont il avait si souvent entendu parler par les voyageurs et conducteurs caravanes.
(1) Actuellement (en 1962) Amman, capitale de la Jordanie.
Simon fut très heureux de sa visite à Jérusalem. Il fut dûment admis à la communauté d'Israël lors de la consécration pascale des nouveaux fils du commandement. Tandis que Simon assistait aux cérémonies de a Pâque, Jésus se mêla à la foule des visiteurs et engagea beaucoup d'entretiens personnels intéressants avec de nombreux Gentils prosélytes.
Le plus remarquable de ces contacts fut peut-être avec un Grec nommé Étienne. Ce jeune homme venait pour la première fois à Jérusalem et rencontra par hasard Jésus le mardi après-midi de la semaine de la Pâque. Tandis que tous deux se promenaient en visitant le palais d'Asmonée, Jésus entama fortuitement une conversation qui eut pour effet de les attirer l'un vers l'autre et aboutit à quatre heures de discussions sur la manière de vivre et sur le vrai Dieu et son culte. Étienne fut prodigieusement intéressé par ce que Jésus lui dit et n'oublia jamais ses paroles.
Ce fut ce même Étienne qui devint par la suite un croyant aux enseignements de Jésus et dont la témérité en prêchant cet évangile originel eut pour résultat de le faire lapider à mort par les Juifs courroucés. Une partie de l'extraordinaire audace d'Étienne en proclamant son opinion sur le nouvel évangile provenait directement de ce premier entretien avec Jésus. Mais Étienne n'eut jamais le moindre soupçon que le Galiléen auquel il avait parlé une quinzaine d'années auparavant était le même homme que plus tard il proclama Sauveur du Monde et pour lequel il devait si tôt mourir, devenant ainsi le premier martyr de la nouvelle foi chrétienne naissante. Quand Étienne donna sa vie comme prix de son attaque contre le temple juif et contre ses pratiques traditionnelles, un nommé Saül, citoyen de Tarse, se trouvait là. Quand Saül vit comment ce Grec pouvait mourir pour sa foi, cela suscita dans son coeur des sentiments qui l'amenèrent finalement à épouser la cause pour laquelle Étienne était mort. Plus tard, Saül devint l'agressif et indomptable Paul, le philosophe, sinon le seul fondateur, de la religion chrétienne.
Le dimanche après la semaine de la Pâque, Simon et Jésus repartirent pour Nazareth. Simon n'oublia jamais ce que Jésus lui apprit au cours de ce voyage. Il avait toujours aimé Jésus, mais maintenant il sentait qu'il commençait à connaître son frère-père. Ils eurent beaucoup de conversations à coeur ouvert pendant qu'ils traversaient le pays et préparaient leurs repas au bord de la route. Ils arrivèrent à la maison le mardi à midi, et Simon tint sa famille réveillée tard ce soir-là en racontant ses expériences.
Marie fut bouleversée quand Simon lui rapporta que Jésus avait passé la majeure partie de son temps à Jérusalem « à converser avec les étrangers, spécialement avec ceux des pays lointains ». La famille de Jésus ne put jamais comprendre le grand intérêt qu'il portait aux gens, son besoin de s'entretenir avec eux, de connaître leur mode de vie, et de découvrir ce qu'ils pensaient.
La famille de Nazareth était de plus en plus absorbée par ses problèmes immédiats et humains. On ne faisait pas fréquemment allusion à la future mission de Jésus, et lui-même parlait très rarement de son avenir. Sa mère ne se remémorait pas souvent qu'il était un enfant de la promesse. Elle abandonnait lentement l'idée. que Jésus devait remplir sur terre une mission divine. Mais sa foi était ravivée par moments quand elle se rappelait la visitation de Gabriel avant la naissance de l'enfant.
4. -- L'ÉPISODE DE DAMAS
Jésus passa les quatre derniers mois de cette année à Damas comme hôte du marchand qu'il avait rencontré pour la première fois à Philadelphie en allant avec Simon à Jérusalem. Un représentant de ce marchand avait cherché et trouvé Jésus en passant par Nazareth, et l'avait accompagné jusqu'à Damas. Ce marchand, qui avait du sang juif, offrit de consacrer une énorme somme d'argent à établir une école de philosophie religieuse à Damas. Il projetait de créer un centre d'études qui surpasserait Alexandrie. Il proposa à Jésus de commencer immédiatement une grande tournée préalable des centres pédagogiques mondiaux pour se préparer à prendre la direction de ce nouveau projet. Ce fut l'une des plus grandes tentations que Jésus rencontra au cours de sa carrière purement humaine.
Bientôt le marchand amena devant Jésus un groupe de douze marchands et banquiers qui acceptaient de financer le projet d'école. Jésus manifesta un profond intérêt pour l'école proposée et les aida à faire les plans de son organisation, mais exprima toujours la crainte que d'autres obligations antérieures (qu'il passa sous silence) ne lui permettent pas d'accepter la direction d'une entreprise aussi ambitieuse. Celui qui aurait voulu être son bienfaiteur insista et employa profitablement Jésus chez lui à faire quelques traductions, tandis que lui, sa femme, ses fils, et ses filles essayaient d'amener Jésus a accepter l'honneur qu'on lui offrait. Mais, il ne voulut pas y consentir. Il savait très bien que sa mission sur terre ne devait pas être soutenue par des établissements d'enseignement; il savait qu'il ne devait pas s'astreindre le moins du monde à être dirigé par des « conseils d'hommes », si bien intentionnés qu'ils fussent.
Lui qui avait été rejeté par les chefs religieux de Jérusalem, même après avoir démontré son autorité, était reconnu et salué comme un maître instructeur par les hommes d'affaires et les banquiers de Damas, et tout cela alors qu'il était un charpentier nazaréen obscur et inconnu.
Il ne parla jamais de cette offre à sa famille, et la fin de l'année le retrouva à Nazareth, vaquant à ses devoirs quotidiens tout comme s'il n'avait jamais été tenté par les propositions flatteuses de ses amis de Damas. Ceux-ci non plus ne firent jamais le rapprochement entre le futur citoyen de Capharnaüm qui avait mis sens dessus dessous toute la société juive, et l'ancien charpentier de Nazareth qui avait osé refuser l'honneur que leurs richesses conjuguées auraient pu lui procurer.
Jésus s'arrangea très habilement et intentionnellement pour isoler divers épisodes de sa vie, afin qu'aux yeux du monde on ne puisse jamais les prendre pour des actes d'un seul et même individu. Au cours des années qui suivirent, il entendit maintes fois raconter l'histoire du singulier Galiléen qui déclina l'offre de fonder à Damas une école concurrente d'Alexandrie.
En cherchant à isoler certaines particularités de son existence terrestre, Jésus avait un but en vue. Il voulait éviter que sa carrière n'apparût comme trop variée et spectaculaire, ce qui aurait pu amener les futures générations à vénérer le Maître au lieu de se plier à la vérité qu'il avait vécue et enseignée. Jésus ne désirait pas attirer l'attention sur son enseignement par le curriculum de sa vie humaine. Il reconnut très tôt que ses disciples seraient tentés de fonder une religion à son sujet, laquelle risquerait de concurrencer l'évangile du royaume qu'il avait l'intention de proclamer au monde. En conséquence et pendant toute sa carrière mouvementée, il chercha avec persistance à supprimer tout ce qui, à son avis, était susceptible de renforcer la tendance humaine naturelle à exalter le maître au lieu de proclamer ses enseignements.
Le même motif explique aussi pourquoi il permit qu'on l'appelât de divers noms à différentes époque de sa vie terrestre si variée. En outre, il ne voulait influencer ni sa famille ni d'autres personnes par une pression indue qui pourrait les inciter à croire en lui à l'encontre de leurs convictions intimes. Il refusa toujours de tirer abusivement ou injustement avantage de la pensée humaine. Il ne désirait pas que les hommes croient en lui, à moins que leur coeur ne soit sensible aux réalités spirituelles révélées dans ses enseignements.
À la fin de cette année, la famille de Nazareth se tirait assez bien d'affaire. Les enfants grandissaient et Marie s'habituait à voir Jésus quitter le foyer. Il continuait à envoyer ses gains à Jacques pour soutenir la famille et n'en conservait qu'une petite partie pour ses dépenses personnelles immédiates.
À mesure que les années s'écoulaient, il devenait difficile de comprendre que cet homme était un Fils de Dieu sur terre. Il ressemblait tout à fait à un habitant ordinaire de la planète, simplement un homme parmi les hommes. Le Père céleste avait ordonné ce déroulement pour l'effusion.
5. -- LA VINGT-QUATRIÈME ANNÉE (AN 18)
Ce fut la première année où Jésus fut relativement libéré de ses responsabilités familiales. Aidé par les conseils et l'argent de Jésus, Jacques réussissait très bien à gérer la maison.
La semaine après la Pâque de cet an 18, un jeune homme vint d'Alexandrie à Nazareth pour organiser, dans le courant de l'année, une rencontre entre Jésus et un groupe de Juifs d'Alexandrie en un point le la côte de Palestine. Le milieu de juin fut choisi pour date de cette conférence et Jésus se rendit à Césarée pour y rencontrer cinq Juifs éminents d'Alexandrie qui le supplièrent de s'établir dans leur ville comme instructeur. Pour l'inciter à accepter, ils lui offrirent pour commencer le poste d'assistant du chazan dans leur principale synagogue.
Les porte-parole du comité expliquèrent à Jésus qu'Alexandrie était destinée à devenir le centre de la culture juive pour le monde entier, et que la tendance helléniste des affaires juives avait virtuellement dépassé l'école de pensée babylonienne. Ils rappelèrent à Jésus les inquiétants grondements de rébellion à Jérusalem et dans toute la Palestine, et l'assurèrent que tout soulèvement des Juifs palestiniens équivaudrait à un suicide national, que la main de fer de Rome écraserait la rébellion en trois mois, que Jérusalem serait détruite et le temple démoli au point qu'il n'en resterait pas pierre sur pierre.
Jésus écouta tout ce qu'ils avaient à dire et les remercia de leur confiance. Pour expliquer son refus d'aller à Alexandrie, il leur dit en substance: « Mon heure n'est pas encore venue ». Ils furent confondus par son apparente indifférence à l'honneur qu'ils avaient pensé lui conférer. Avant de prendre congé de Jésus, ils lui offrirent une bourse comme marque d'estime de ses amis d'Alexandrie et comme compensation pour le temps et les dépenses de sa venue à Césarée pour conférer avec eux. Mais il refusa également l'argent en disant: « La maison de Joseph n'a jamais reçu l'aumône, et nous ne pouvons manger le pain d'autrui tant que j'ai de bons bras et que mes frères peuvent travailler ».
Ses amis d'Égypte firent voile pour rentrer chez eux. Quelques années plus tard, quand ils entendirent parler du constructeur de bateaux qui créait un tel ébranlement en Palestine, peu d'entre eux soupçonnèrent qu'il était le bébé de Bethléhem devenu adulte, et le même homme que le Galiléen au comportement étrange qui avait décliné d'une manière si désinvolte leur invitation à devenir un grand maître à Alexandrie.
Jésus retourna à Nazareth. Le reste de l'année fut le semestre le moins mouvementé de toute sa carrière. Il fut heureux de ce répit temporaire dans le programme habituel des problèmes à résoudre et des difficultés à vaincre. Il communia beaucoup avec son Père céleste et fit d'immenses progrès dans la maîtrise de sa pensée humaine.
Mais les affaires des hommes dans les mondes du temps et de l'espace ne se passent pas longtemps sans heurts. En décembre, Jacques eut une conversation privée avec Jésus, expliquant qu'il était fort épris d'Esta, une jeune fille de Nazareth, et que tous deux souhaitaient se marier bientôt si cela pouvait s'arranger. Il attira l'attention sur le fait que Joseph allait prochainement avoir dix-huit ans et que cela serait pour lui une bonne expérience d'avoir l'occasion de servir comme remplaçant du chef de famille. Jésus consentit à ce que Jacques se marie deux ans plus tard, pourvu qu'entre temps il ait convenablement entraîné Joseph à assumer la direction du foyer.
Ensuite les événements se précipitèrent -- le mariage était dans l'air. Le succès de Jacques obtenant le consentement de Jésus à son mariage enhardit Miriam à entretenir son frère et père de ses projets. Jacob, le jeune maçon qui s'était jadis fait le champion de Jésus et qui était maintenant associé aux affaires de Jacques et de Joseph, avait depuis longtemps pensé à demander la main de Miriam. Après qu'elle eut exposé ses plans, Jésus commanda que Jacob vienne le voir et lui demande officiellement la main de Miriam. Il promit sa bénédiction à leur mariage aussitôt que Miriam jugerait Marthe capable d'assumer les devoirs d'une soeur aînée.
Quand Jésus était à la maison, il continuait à faire le cours du soir à l'école trois fois par semaine, lisait souvent les Écritures à la synagogue le jour du sabbat, visitait les pauvres avec sa mère, enseignait les enfants, et en général se conduisait comme un digne et respecté citoyen de Nazareth dans la communauté d'Israël.
6. -- LA VINGT-CINQUIÈME ANNÉE (AN 19)
Cette année commença avec toute la famille de Nazareth en bonne santé et vit la fin des scolarités régulières de tous les enfants, à l'exception de certains travaux que Marthe devait faire pour Ruth.
Jésus était l'un des spécimens humains les plus robustes et les plus raffinés qui fussent apparus sur terre depuis l'époque d'Adam. Son développement physique était superbe, sa pensée était active, aiguë, pénétrante -- comparée à la mentalité moyenne de ses contemporains, elle avait atteint des proportions gigantesques -- et son esprit était en vérité humainement divin.
L'état des finances de la famille était le meilleur qu'ils eussent connu depuis la liquidation des propriétés de Joseph. Les dernières annuités avaient été payées pour l'atelier de réparations du caravansérail; ils n'avaient plus aucune dette et, pour la première fois depuis des années, ils avaient quelque argent devant eux. Dans ces conditions, et puisqu'il avait emmené ses autres frères a Jérusalem pour célébrer leur première Pâque, Jésus décida d'accompagner Jude (qui venait de terminer ses études à l'école de la synagogue) pour sa première visite au temple.
Ils se rendirent à Jérusalem par la vallée du Jourdain et revinrent par la même route, parce que Jésus redoutait quelque ennui s'il faisait traverser la Samarie à son jeune frère. Déjà, à Nazareth, Jude s'était plusieurs fois trouvé quelque peu en difficulté à cause de son naturel irréfléchi à joint à ses violents sentiments patriotiques.
Ils aient arrivés à Jérusalem en temps utile et se trouvaient en chemin pour leur première visite au temple, dont la seule vue avait remué et passionné Jude jusqu'au plus profond de son âme, quand ils rencontrèrent par hasard Lazare de Béthanie. Tandis que Jésus causait avec Lazare et cherchait à arranger une célébration de la Pâque, Jude fit naître un incident très sérieux pour eux tous. À proximité d'eux se tenait un garde romain qui tint quelques propos incorrects sur une ne fille juive qui passait. Jude éclata d'une fougueuse indignation et ne fut pas long à exprimer, directement et à portée d'oreille du soldat, son ressentiment pour une telle inconvenance. Or les légionnaires romains étaient très sensibles à tout ce qui frisait l'irrévérence chez les Juifs. Le garde mit donc immédiatement Jude en état d'arrestation. C'en était trop pour le jeune patriote, et avant que Jésus ait pu le mettre en garde par un coup d'oeil avertisseur, il s'était soulagé par une volubile énonciation de ses sentiments anti-romains refoulés, ce fit simplement tout aller de mal en pis. Jude, avec Jésus à ses côtés, fut aussitôt conduit à la prison militaire.
Jésus essaya d'obtenir soit un interrogatoire immédiat pour Jude, soit sa libération en temps voulu pour célébrer la Pâque ce soir-là, mais il échoua dans ces tentatives. Puisque le lendemain était un jour de « saint synode » à Jérusalem, même les Romains ne voulaient pas écouter d'accusations contre un Juif. En conséquence, Jude resta incarcéré jusqu'au surlendemain matin de son arrestation, et Jésus resta à la prison avec lui. Ils ne furent pas présents dans le temple à la cérémonie où l'on recevait les fils de la loi dans la pleine citoyenneté d'Israël. Jude ne passa par cette cérémonie officielle que plusieurs années après, lors de son séjour suivant à Jérusalem pendant une Pâque et en liaison avec son travail de propagande pour le compte des Zélotes, l'organisation patriotique à laquelle il appartenait et dans laquelle il était très actif.
Le matin qui suivit leur second jour en prison, Jésus se présenta devant le magistrat militaire pour le compte de Jude. En offrant des excuses pour la jeunesse de son frère et en donnant des éclaircissements complémentaires, mais judicieux, se rapportant a la nature provocatrice de l'incident qui avait motivé -- l'arrestation de son frère, Jésus prit l'affaire en main de telle sorte que le magistrat exprima l'opinion que le jeune Juif pouvait avoir quelque excuse valable pour son violent éclat. Après avoir averti Jude de ne plus se permettre une pareille témérité, le magistrat dit à Jésus en les congédiant: « Tu ferais bien d'avoir l'oeil sur le garçon, il est capable d'attirer beaucoup d'ennuis sur vous tous ». Le juge romain disait vrai. Jude causa beaucoup d'ennuis à Jésus, et les ennuis étaient toujours de même nature -- échauffourées avec les autorités civiles à cause de ses éclats patriotiques inconsidérés et maladroits.
Jésus et Jude rentrèrent à Béthanie pour la nuit, expliquèrent pourquoi ils avaient manqué leur rendez-vous pour le souper de la Pâque, et repartirent le lendemain pour Nazareth. Jésus ne parla pas à la famille de l'arrestation de son jeune frère à Jérusalem, mais trois semaines après leur retour il eut un long entretien avec Jude au sujet de cet incident. Après cette conversation avec Jésus, Jude raconta lui-même l'histoire à la famille. Il n'oublia jamais la patience et l'indulgence que son frère-père avait témoignée durant cette rude épreuve.
Ce fut la dernière Pâque à laquelle Jésus se rendit avec un membre de sa propre famille. De plus en plus, le Fils de l'Homme allait relâcher les liens étroits qui l'unissaient à ceux de sa chair et de son sang.
Cette année-là, ses périodes de profonde méditation furent souvent interrompues par Ruth et ses camarades de jeux. Jésus était toujours prêt à remettre à plus tard ses prévisions sur son futur travail pour le monde et l'univers afin de partager la joie enfantine et l'allégresse de ces jeunes qui ne se lassaient pas de l'entendre raconter les aventures de ses divers voyages à Jérusalem. Ils aimaient aussi beaucoup ses histoires sur les animaux et la nature.
Les enfants étaient toujours bienvenus à l'atelier de réparations. Jésus mettait du sable, des planches, et des cailloux à côté de l'atelier, et des bandes de gamins accouraient là pour s'amuser. Quand ils étaient fatigués de leurs jeux, les plus intrépides venaient jeter un coup d'oeil dans l'atelier, et si le patron n'était pas trop occupé, ils s'enhardissaient à entrer en disant: « Oncle Jésus, sors et raconte-nous une grande histoire ». Alors ils le faisaient sortir en le tiraillant par la main jusqu'à ce qu'il soit assis sur sa pierre favorite près de l'angle de l'atelier, avec les enfants assis sur terre en demi-cercle autour de lui. Combien ce petit groupe s'amusait avec l'oncle Jésus! Ils apprenaient à rire, et à rire de bon coeur. Un ou deux des plus petits avaient l'habitude de grimper sur les genoux de Jésus et de s'y asseoir en suivant d'un regard admiratif les expressions de son visage pendant qu'il racontait ses histoires. Les enfants aimaient Jésus, et Jésus aimait les enfants.
Il était difficile à ses amis de comprendre l'étendue de ses activités intellectuelles et la manière dont il pouvait si soudainement et si complètement passer des profondes discussions sur la politique, la philosophie, et la religion à l'enjouement et à la joyeuse gaieté de ces bambins de cinq à six ans. Au fur et à mesure que ses frères et soeurs grandissaient, il avait plus de loisirs, et avant la venue au monde de la troisième génération, il prêtait une grande attention à ces tout petits. Toutefois, il ne vécut pas assez longtemps sur terre pour profiter beaucoup de ses neveux-petits-enfants.
7. -- LA VINGT-SIXIÈME ANNÉE (AN 20)
Au commencement de cette année, Jésus de Nazareth devint profondément conscient de posséder un pouvoir potentiel très étendu. Il était également persuadé que ce pouvoir ne devait pas être employé par sa personnalité en tant que Fils de l'Homme, tout au moins avant que son heure ne fût venue.
À cette époque, il réfléchissait beaucoup sur ses relations avec son Père céleste, mais en parlait peu. La conclusion de toutes ces réflexions fut exprimée une fois dans sa prière sur la montagne quand il dit: « Sans me soucier de ce que je suis, ni du pouvoir que je puis ou non exercer, j'ai toujours été et serai toujours soumis à la volonté de mon Père du Paradis ». Et cependant tandis que cet homme circulait dans Nazareth pour aller à son travail et en revenir, il était littéralement vrai -- en ce qui concerne un vaste univers -- qu'en lui étaient cachés tous les trésors de sagesse et de connaissance (1).
(1) Colossiens II-3.
Durant toute l'année, les affaires de la famille allèrent bien, sauf pour Jude. Pendant des années, Jacques eut des ennuis avec son plus jeune frère qui n'était pas enclin à se mettre à travailler et sur qui l'on ne pouvait pas compter pour participer aux dépenses de la maison. Il vivait au foyer, mais n'était pas assez consciencieux pour apporter sa part de salaire au budget de la famille.
Jésus était un homme de paix, et de temps en temps il était très ennuyé par les exploits belliqueux et les nombreux éclats patriotiques de Jude. Jacques et Joseph étaient d'avis de le mettre à la porte, mais Jésus ne voulut pas y consentir. Quand leur patience avait été rudement mise à l'épreuve, Jésus se bornait à conseiller: « Soyez patients, soyez sages dans vos conseils et éloquents dans votre vie, pour que votre jeune frère puisse d'abord connaître le meilleur chemin et ensuite être contraint de vous y suivre ». Le conseil sage et affectueux de Jésus évita une rupture familiale. Ils restèrent unis, mais Jude ne fut ramené à la raison qu'après son mariage.
Marie parlait rarement de la future mission de Jésus. Chaque fois que l'on faisait allusion à ce sujet, Jésus répondait seulement: « Mon heure n'est pas encore venue ». Jésus avait presque achevé la tâche difficile de sevrer sa famille pour qu'elle ne dépende plus directement de sa présence personnelle. Il se préparait rapidement au jour où il pourrait logiquement quitter la maison de Nazareth et commencer le prélude plus actif de son véritable ministère auprès des hommes.
Ne perdez jamais de vue le fait que la première mission essentielle de Jésus dans sa Septième effusion était d'acquérir l'expérience des créatures et d'aboutir à la souveraineté sur Nébadon. En recueillant les éléments de cette expérience, il faisait à Urantia et à tout l'univers local la révélation suprême du Père du Paradis. Accessoirement à ces desseins, il entreprit aussi de démêler les affaires compliquées d'Urantia dans leurs rapports avec la rébellion de Lucifer.
Cette année-là, Jésus eut plus de loisirs que d'ordinaire; il consacra beaucoup de temps à apprendre à Jacques à gérer l'atelier de réparations et à Joseph à diriger les affairer de la maison. Marie pressentait qu'il se préparait à les quitter. Les quitter pour aller où? Pour faire quoi? À ce sujet elle avait à peu près abandonné l'idée que Jésus était le Messie. Elle ne pouvait pas le comprendre, elle ne pouvait simplement pas sonder le mystère de son fils-aîné.
Jésus passa une grande partie de cette année individuellement avec les divers membres de sa famille. Il les emmenait pour de longues et fréquentes promenades dans les montagnes et à la campagne. Avant la moisson, il emmena Jude au sud de Nazareth chez son oncle fermier, mais Jude n'y resta pas longtemps après la récolte. Il s'enfuit, et Simon le retrouva plus tard au bord du lac avec les pêcheurs. Quand Simon le ramena à la maison, Jésus fit un tour d'horizon avec lui, et puisque le fugitif voulait être pêcheur, il alla avec lui à Magdala et le confia à un parent, pêcheur de profession. Jude travailla assez bien et régulièrement avec lui depuis ce moment-là et continua le métier de pêcheur après son mariage.
Enfin le jour était arrivé où tous les frères de Jésus avaient choisi leur carrière et s'y étaient établis. On avait atteint le palier où Jésus pouvait quitter la maison.
En novembre eut lieu un double mariage. Jacques épousa Esta et Miriam épousa Jacob. Ce fut vraiment une joyeuse circonstance. Marie elle-même était à nouveau heureuse, sauf de temps en temps quand elle se rendait compte que Jésus se préparait à partir. Elle souffrait sous le poids d'une grande incertitude. Si seulement Jésus voulait s'asseoir et parler franchement de tout cela avec elle comme au temps où il était un jeune garçon! Mais il tenait constamment ses distances et gardait un profond silence sur l'avenir.
Jacques et Esta s'installèrent dans une coquette maison de la partie ouest de la ville, cadeau du père de la jeune femme. Jacques continua à soutenir le foyer de sa mère, mais sa quote part fut réduite de moitié, à cause de son mariage. Joseph fut officiellement installé par Jésus comme chef de famille. Jude envoyait maintenant fidèlement sa contribution mensuelle à la maison. Les mariages de Jacques et de Miriam eurent sur Jude une influence très heureuse; quand il repartit pour la pêcherie, le lendemain du double mariage, il assura à Joseph qu'il ferait tout ce qui dépendrait de lui « pour accomplir mon plein devoir et davantage si besoin ». Et il tint sa promesse.
Miriam vivait dans la maison de Jacob, continue à celle de Marie, car Jacob père avait été enseveli avec ses ancêtres. À la maison, Marthe prit la place de Miriam, et la nouvelle organisation fonctionna sans heurts dès avant la fin de l'année.
Le lendemain du double mariage, Jésus eut un entretien important avec Jacques. Il lui raconta en confidence qu'il se préparait à quitter la maison. Il fit don à Jacques de la pleine propriété de l'atelier de réparations. Il abdiqua officiellement et solennellement sa position de chef de la famille de Joseph, et il établit de la manière la plus touchante son frère Jacques comme « chef protecteur de la maison de mon père ». Il rédigea un accord secret avec Jacques, qu'ils signèrent tous les deux et dans lequel il était stipulé qu'en compensation du don de l'atelier de réparations, Jacques assumerait désormais l'entière responsabilité financière de la famille et déchargerait ainsi Jésus de toute obligation ultérieure en ces matières. Après avoir signé le contrat et arrangé le budget de telle sorte que la famille puisse réellement faire face à ses dépenses sans aucune contribution de Jésus, ce dernier dit à Jacques: « Mon fils, je continuerai cependant à t'envoyer quelque chose chaque mois jusqu'à ce que mon heure soit venue, mais tu emploieras ce que t'enverrai selon les nécessités du moment. Dépense mes fonds pour les besoins ou les plaisirs de la famille comme tu le jugeras bon. Utilise-les en cas de maladie ou pour face aux face aux incidents imprévus qui pourraient survenir à un membre quelconque de la famille.
C'est ainsi que Jésus se prépara à se détacher des siens pour aborder la seconde phase de sa vie d'adulte avant de s'occuper publiquement des affaires de son Père.
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LES ANNÉES D'ADOLESCENCE
AU seuil de son adolescence, Jésus se trouva être le chef et l'unique soutien d'une nombreuse famille. Peu d'années après la mort de son père, toutes leurs propriétés avaient été vendues. À mesure que le temps passait, il prit de plus en plus conscience de sa préexistence; en même temps, il commença à comprendre plus pleinement qu'il s'était incarné sur terre expressément dans le but de révéler son Père du Paradis aux enfants des hommes.
Nul adolescent ayant vécu sur ce monde ou destiné à vivre sur n'importe quel autre planète n'a eu ou n'aura jamais à résoudre des problèmes plus graves ou à démêler des situations plus inextricables. Nul jeune homme d'Urantia ne sera jamais appelé à traverser plus de conflits éprouvants ou de difficultés pénibles que Jésus durant la période ardue allant de sa quinzième à sa vingtième année.
Ayant passé par une expérience réelle en vivant cette adolescence sur un monde assailli par le mal et tourmenté par le péché, le Fils de l'Homme possédait la connaissance expérientielle complète de la vie de la jeunesse dans tous les royaumes de Nébadon. Il devint ainsi pour toujours le refuge compréhensif des adolescents angoissés et perplexes de tous les âges et sur tous les mondes de son univers local.
Lentement mais sûrement, et par expérience réelle, le Fils divin gagnait le droit de devenir le souverain de son univers, le chef suprême et incontesté de toutes les intelligences créées sur tous les mondes de Nébadon, le refuge compréhensif des humains quels que soient leur âge, leurs dons, et le degré de leur expérience personnelle.
1. -- LA SEIZIÈME ANNÉE
Le Fils incarné passa par le stade de bébé et eut une enfance sans histoire. Il sortit ensuite de l'éprouvante et pénible période transitoire entre l'enfance et la jeunesse pour devenir l'adolescent Jésus.
Il atteignit sa pleine stature physique cette année-là. Il était un jeune homme viril et avenant. Il devint de plus en plus raisonnable et sérieux, mais restait aimable et compatissant. Ses yeux étaient bienveillants mais scrutateurs; son sourire était toujours en engageant et rassurant. Sa voix était musicale mais pleine d'autorité; son salut cordial mais sans affectation. Sa double nature humaine et divine était toujours en évidence, même dans les rapports les plus banaux. Il montra toujours cette conjugaison de l'ami compatissant et du maître ayant autorité. Ces traits de sa personnalité commencèrent à se manifester de bonne heure, même dans son adolescence.
Ce jeune homme physiquement fort et robuste acquit également la pleine mesure de son intelligence humaine, non la pleine expérience de la pensée humaine, mais la pleine aptitude au développement intellectuel. Il avait un corps sain et bien proportionné, une pensée vive et analytique, des dispositions bienveillantes et compatissantes, un tempérament quelque peu fluctuant mais combatif. Cet ensemble commençait à composer une personnalité forte, frappante, et attirante.
Avec le temps, il devint de plus en plus difficile à sa mère et à ses frères et soeurs de le comprendre; ses paroles étaient pour eux des pierres d'achoppement, et ils interprétaient mal ses agissements. Ils étaient tous inaptes a comprendre la vie de leur frère aîné, parce que leur mère leur avait donné à entendre qu'il était destiné à devenir le libérateur du peuple juif. Après avoir reçu ces indications de Marie comme des secrets de famille, imaginez leur désarroi quand Jésus démentait franchement toutes ces idées et ces intentions.
Simon entra à l'école cette année-là, et la famille fut obligée de vendre une autre maison Jacques se chargea alors d'instruire ses trois soeurs dont deux étaient assez âgées pour commencer à étudier sérieusement. Aussitôt que Ruth eut grandi, elle fut prise en main par Miriam et Marthe. Ordinairement, les filles des familles juives recevaient peu d'instruction, mais Jésus maintenait (et sa mère était d'accord avec lui) que les filles devaient aller en classe comme les garçons; puisque l'école de la synagogue ne voulait pas les prendre, il n'y avait pas d'autre solution que de faire spécialement pour elles des cours à la maison.
Durant toute cette année, Jésus ne quitta guère son établi. Heureusement il avait beaucoup de travail et l'exécutait d'une manière tellement supérieure qu'il ne chômait jamais, même quand il y avait peu d'ouvrage dans le pays. À un moment donné, Jésus eut tant à faire que Jacques dut l'aider.
À la fin de cette année, il avait à peu près décidé qu'après avoir élevé les siens et les avoir vus mariés, il entreprendrait son ministère public en tant que maître de la vérité et révélateur du Père céleste au monde. Il savait qu'il ne deviendrait pas le Messie juif attendu et en conclut qu'il était presque inutile de discuter ces sujets avec sa mère. Il se résigna à lui permettre de chérir toutes les idées qui lui plairaient, puisque tout ce qu'il avait dit dans le passé avait plus ou moins glissé sans faire d'impression sur elle; il se souvint que son père n'avait jamais pu dire quelque chose qui la fit changer d'idée. À partir de cette année, il parla de moins en moins de ces problèmes à sa mère ou à d'autres personnes. Sa mission était si spéciale que personne au monde ne pouvait lui donner de conseils pour l'accomplir.
Bien que jeune, il était un vrai père pour sa famille. Il passait chacune de ses heures libres avec ses frères et soeurs, et ceux-ci l'aimaient sincèrement. Sa mère se désolait de le voir tant peiner jour après jour à l'établi de charpentier pour gagner la vie de la famille, au lieu d'être à Jérusalem, comme ses parents l'avaient si chèrement espéré, en train d'étudier avec les rabbins. Marie ne pouvait comprendre bien des choses concernant son fils, mais elle l'aimait beaucoup, et ce qu'elle appréciait le plus, c'était la bonne volonté avec laquelle il endossait la responsabilité du foyer.
2. -- LA DIX-SEPTIÈME ANNÉE (AN Il)
C'est à cette époque qu'il y eut une agitation considérable, spécialement à Jérusalem et en Judée, en faveur d'une rébellion contre le paiement des impôts à Rome. Il se créa un fort parti nationaliste qui fut bientôt appelé les Zélotes. Contrairement aux Pharisiens, les Zélotes ne voulaient pas attendre la venue du Messie. Ils proposaient de faire aboutir leurs revendications par une révolte politique.
Un groupe d'organisateurs de Jérusalem arriva en Galilée et obtint de bons succès jusqu'au moment où il atteignit Nazareth. Quand ils vinrent voir Jésus, celui-ci les écouta attentivement; il posa un grand nombre de questions, mais refusa de se joindre au parti. Il ne voulut pas dévoiler toutes les raisons qui l'empêchaient d'adhérer, et son refus eut pour effet d'écarter des Zélotes beaucoup de ses jeunes compagnons de Nazareth.
Marie fit de son mieux pour l'inciter à s'enrôler, mais elle ne put le faire céder. Elle alla jusqu'à lui signifier que son refus d'épouser la cause nationaliste, comme elle le lui ordonnait, était de l'insubordination, une violation de sa promesse faite à leur retour de Jérusalem d'être soumis à ses parents. En réponse à cette insinuation, Jésus posa seulement sur son épaule une main bienveillante, la regarda en face, et lui dit: « Ma mère, comment peux-tu? » Et Marie se rétracta.
Un des oncles de Jésus (Simon, frère de Marie) s'était déjà joint au groupe et devint par la suite un fonctionnaire dans le parti galiléen. Pendant plusieurs années, il y eut un peu de brouille entre Jésus et son oncle.
Le désordre se mit à couver à Nazareth. Le comportement de Jésus dans cette affaire avait eu pour résultat de créer une scission dans la jeunesse juive de la ville. Environ la moitié s'était jointe à l'organisation nationaliste; l'autre moitié commença à former un groupe opposé de patriotes plus modérés, espérant que Jésus en assumerait la direction. Ils furent stupéfaits quand il refusa l'honneur qu'on lui offrait, alléguant comme excuse ses lourdes responsabilités familiales qu'ils admettaient tous. La situation se compliqua bientôt quand Isaac, un riche Juif prêteur sur gages aux Gentils, proposa d'entretenir la famille de Jésus si celui-ci voulait déposer ses outils et se mettre à la tête des patriotes de Nazareth.
Jésus, alors à peine âgé de dix-sept ans, se trouva en présence de l'une des situations les plus délicates et les plus embarrassantes du début de sa vie. Il est toujours difficile aux chefs spirituels de se rattacher à des mouvements patriotiques, surtout quand des oppresseurs étrangers percevant des impôts viennent les compliquer. C'était doublement vrai dans ce cas, puisque la religion juive était impliquée dans toute cette agitation contre Rome.
La position de Jésus était rendue encore plus délicate du fait que sa mère, son oncle, et même son jeune frère Jacques, l'exhortaient tous à se joindre à la cause nationaliste. Tous les meilleurs Juifs de Nazareth s'étaient enrôlés, et les jeunes gens qui ne s'étaient pas joints au mouvement étaient tous prêts à s'engager dès que Jésus se raviserait. Dans tout Nazareth, il n'avait qu'un seul conseiller sage, son vieux maître le chazan, qui l'aida vis-à-vis des citoyens du Comité de Nazareth lorsque ceux-ci vinrent lui demander sa réponse à l'appel public qui avait été fait. Au cours de sa jeunesse, ce fut vraiment la première fois que Jésus eut sciemment recours à une manoeuvre politique. Jusque-là, il avait toujours compté sur un sincère exposé de la vérité pour éclaircir la situation, mais maintenant il ne pouvait pas proclamer l'entière vérité. Il ne pouvait donner à entendre qu'il était plus qu'un homme; il ne pouvait révéler son idée de la mission qui l'attendait quand il serait un peu plus mûr. Malgré ces restrictions, sa fidélité religieuse et sa loyauté nationale étaient directement mises au défi. Sa famille était dans l'agitation, ses jeunes amis divisés, et tout le contingent juif de la ville en effervescence. Et l'on osait le blâmer pour tout cela! Combien peu il avait désiré causer un trouble quelconque et encore moins une perturbation de cette sorte.
Il fallait faire quelque chose. Jésus devait faire connaître sa position. Il le fit courageusement et diplomatiquement à la satisfaction de beaucoup, mais pas de tous. Il s'en tint à son plaidoyer originel, soutenant que son premier devoir était envers sa famille, qu'une mère veuve et huit frères et soeurs avaient besoin de quelque chose de plus que ce qui peut simplement s'acheter avec de l'argent -- le nécessaire pour la vie matérielle -- qu'ils avaient droit a la surveillance et à la direction d'un père, et qu'il ne pouvait de son plein gré se décharger de l'obligation qu'un cruel accident avait fait retomber sur lui. Il félicita sa mère et l'aîné de ses frères de vouloir bien le libérer, mais répéta que la fidélité à la mémoire de son père lui interdisait de quitter sa famille, quelles que soient les sommes reçues pour sa vie matérielle. À cette occasion, il exprima son inoubliable axiome que « l'argent ne fait pas le bonheur ». Au cours de cette allocution, Jésus fit plusieurs allusions voilées à la « mission de sa vie ». Il expliqua que, sans même rechercher si sa mission était compatible ou non avec le militarisme, il y avait renoncé ainsi qu'à tout le reste pour pouvoir remplir fidèlement son devoir envers les siens. Chacun à Nazareth savait qu'il était un bon père de famille, et c'était une chose qui touchait de si près le coeur de tout Juif bien né que le plaidoyer de Jésus trouva une réponse favorable dans le coeur de beaucoup de ses auditeurs. Certains autres, qui n'étaient pas dans les mêmes dispositions, furent désarmés par une harangue prononcée par Jacques à ce moment-là, bien qu'elle ne figurât pas dans le programme. Le matin même, le chazan avait fait réciter à Jacques son allocution, mais elle était restée un secret entre eux.
Jacques se déclara certain que Jésus était capable de libérer son peuple, dès que lui, Jacques serait en âge d'assumer la responsabilité de la famille. Si l'on voulait permettre à Jésus de « rester avec nous pour être notre père et notre instructeur, la famille de Joseph ne fournirait pas seulement un chef, mais bientôt cinq loyaux nationalistes, car ne sommes-nous pas cinq garçons qui grandissent et vont sortir de la tutelle de notre frère-père pour servir notre nation? » Le garçon mit ainsi assez heureusement fin à une situation très tendue et menaçante.
La crise était terminée pour le moment, mais cet incident ne fut pas oublié à Nazareth. L'agitation persista; Jésus ne bénéficia plus jamais d'une faveur unanime. Les divergences d'opinion ne furent jamais complètement aplanies. Compliquée par d'autres événements postérieurs, cette situation fut l'une des principales raisons pour lesquelles Jésus s'installa quelques années plus tard à Capharnaüm. Une scission au sujet du Fils de l'Homme subsista désormais dans Nazareth.
Cette année-là, Jacques passa ses examens à l'école et se mit à travailler à temps complet à la maison, dans l'atelier de charpentier, Il était devenu un ouvrier habile à manier les outils et entreprit alors de fabriquer des jougs et des charrues, tandis que Jésus commençait à faire plus de travaux de finition d'intérieurs et spécialement d'ébénisterie.
Durant cette année-là, Jésus progressa grandement dans la mise en ordre de ses idées. Peu à peu, il avait concilié sa nature divine avec sa nature humaine. Il réalisa toute cette organisation intellectuelle par la force de ses propres décisions et avec la seule aide de son Moniteur Intérieur, un Moniteur semblable à ceux qui habitent la pensée des mortels normaux sur tous les mondes après l'effusion d'un Fils. Jusqu'ici, rien de surnaturel ne s'était passé dans la carrière de ce jeune homme, sauf la visite d'un messager envoyé par son frère aîné Emmanuel, qui lui apparut une fois, pendant la nuit, à Jérusalem.
3. -- LA DIX-HUITIÈME ANNÉE (AN 12)
Au cours de cette année, tous les immeubles de la famille, excepté la maison et le jardin, avaient été liquidés. Leur dernière parcelle de propriété à Capharnaüm (hormis une part dans une autre propriété) fut vendue; elle était déjà hypothéquée. Le prix servit à payer les impôts, à acheter quelques nouveaux outils pour Jacques, et a payer une partie de l'ancien magasin familial de fournitures et de réparations proche du caravansérail. Jésus désirait maintenant racheter ce magasin, car Jacques était d'âge à travailler à l'atelier de la maison et à aider Marie au foyer. Libéré pour le moment des embarras financiers, Jésus décida d'emmener Jacques à la Pâque. Ils partirent pour Jérusalem un jour d'avance pour être seuls et passèrent par la route de Samarie. Tout en cheminant, Jésus fit à Jacques l'historique des lieux traversés, comme son père le lui avait enseigné cinq ans auparavant au cours d'un voyage semblable.
En traversant la Samarie, ils virent nombre de spectacles étranges. Pendant ce voyage, ils discutèrent beaucoup de leurs problèmes personnels, familiaux, et nationaux. Jacques était un garçon d'un type très religieux, et bien qu'il ne fût pas complètement d'accord avec sa mère sur le peu qu'il connaissait des plans concernant l'oeuvre de la vie de Jésus, il attendait le moment où il serait capable d'assumer la responsabilité de la famille pour permettre à Jésus de commencer sa mission. Il appréciait beaucoup que Jésus l'ait emmené à la Pâque, et il discutèrent de l'avenir plus à fond qu'ils ne l'avaient fait jusqu'alors.
Pendant la traversés de la Samarie, Jésus réfléchit longuement, particulièrement à Béthel et au Puits de Jacob où ils s'arrêtèrent pour boire. Il discuta avec son frère les traditions d'Abraham, d'Isaac, et de Jacob. Il contribua beaucoup à préparer Jacques à ce dont il allait être témoin à Jérusalem, cherchant ainsi à atténuer un choc semblable à celui qu'il avait lui-même éprouvé lors de sa première visite au temple. Mais Jacques n'était pas aussi sensible à certains de ces spectacles. Il critiqua la manière superficielle et dure dont quelques prêtres accomplissaient leurs devoirs, mais dans l'ensemble il fut très heureux de son séjour à Jérusalem.
Jésus emmena Jacques à Béthanie pour le souper de la Pâque. Simon avait été enseveli avec ses ancêtres, et Jésus présida la tablée comme chef de famille pour la Pâque, car il avait rapporté du temple l'agneau pascal.
Après le souper, Marie s'assit pour causer avec Jacques, tandis que Marthe Lazare, et Jésus s'entretinrent ensemble fort avant dans la nuit. Le lendemain ils assistèrent aux offices du temple, et Jacques fut reçu dans la communauté d'Israël. Ce matin-là, comme ils s'arrêtaient sur le versant d'Olivet pour regarder le temple, Jacques exprima son admiration tandis que Jésus contemplait Jérusalem en silence. Jacques ne pouvait comprendre le comportement de son frère. Ce soir-là ils retournèrent à Béthanie, désireux de rentrer chez eux le lendemain, mais Jacques insista pour retourner visiter le temple, expliquant qu'il voulait écouter les instructeurs. Bien que le motif avoué fut vrai, dans le secret de son coeur Jacques souhaitait entendre Jésus participer aux débats, comme sa mère le lui avait raconté. Ils allèrent donc au temple et écoutèrent les discussions, mais Jésus ne posa pas de questions. Tout cela semblait puéril et insignifiant à sa pensée d'homme et de Dieu qui s'éveillait -- il ne pouvait qu'en avoir pitié. Jacques fut déçu que Jésus ne dise rien. À ses demandes, Jésus répondait seulement: « Mon heure n'est pas encore venue ».
Le lendemain, ils firent le voyage de retour par Jéricho et la vallée du Jourdain. En chemin Jésus raconta beaucoup d'histoires, notamment son premier voyage par cette route quand il avait treize ans.
À son retour à Nazareth, Jésus commença à travailler dans le vieil atelier familial de réparations et fut très heureux de pouvoir rencontrer quotidiennement tant de personnes de tous les coins du pays et des districts avoisinants. Jésus aimait véritablement les gens -- les gens du peuple tels qu'ils sont. Chaque mois il payait la mensualité du rachat de l'atelier et, avec l'aide de Jacques, il continuait à entretenir la famille.
Plusieurs fois par an, quand il n'y avait pas de visiteurs pour le faire, Jésus continuait à lire les Écritures du sabbat à la synagogue et expliquait souvent la leçon; mais il choisissait des passages de manière à ne pas avoir à les commenter. Il était si habile dans l'ordonnance des lectures que les différents passages s'éclairaient l'un l'autre. Chaque fois qu'il faisait beau temps, il ne manquait jamais d'emmener ses frères et soeurs en promenade les après-midi de sabbat.
À cette époque, le chazan inaugura un cercle de discussions philosophiques pour gens; ceux-ci se réunissaient au domicile des divers membres et souvent chez le chazan. Jésus devint un membre éminent de ce groupe. Par ce moyen, il put regagner un peu du prestige local qu'il avait perdu au moment des récentes controverses nationalistes.
Sa vie sociale, quoique restreinte, n'était as totalement négligée. Il avait beaucoup de très bons amis et d'admirateurs fervents parmi les jeunes hommes et les jeunes femmes de Nazareth.
En septembre, Élizabeth et Jean vinrent rendre visite à la famille de Nazareth. Jean, ayant perdu son père, avait l'intention de retourner dans les collines de Judée pour s'occuper d'agriculture et d'élevage de moutons, à moins que Jésus ne lui conseillât de rester à Nazareth pour devenir charpentier ou faire quelque travail d'un autre ordre. Il ignorait que la famille de Nazareth était pratiquement dans la gêne. Plus Marie et Élizabeth parlaient de leurs fils, plus elles étaient convaincues qu'il serait bon pour les deux jeunes gens de travailler ensemble et de se voir davantage.
Jésus et Jean eurent de longs entretiens et discutèrent de quelques questions très intimes et personnelles. À l'issue de cette visite, ils décidèrent tous deux de ne pas se revoir jusqu'à ce qu'ils puissent se rencontrer dans leur ministère public, après que « le Père céleste les aurait appelés » à l'oeuvre. Nazareth, Jean fut prodigieusement impressionné de voir qu'il devait retourner à la maison et travailler pour entretenir sa mère. Il fut convaincu qu'il participerait à la mission de la vie de Jésus, mais comprit que Jésus allait devoir s'occuper pendant bien des années de soutenir sa propre famille. Il accepta d'autant plus volontiers de retourner chez lui, de prendre soin de leur petite ferme, et de pourvoir aux besoins de sa mère. Jamais plus Jean et Jésus ne se revirent jusqu'au jour où le Fils de l'Homme se présenta au bord du Jourdain pour être baptisé.
Le samedi après-midi 3 décembre de cette année, la mort frappa pour la seconde fois la famille de Nazareth. Amos, leur petit frère, mourut d'une fièvre maligne après une semaine de maladie. Ayant traversé cette période douloureuse avec son fils premier-né comme seul soutien, Marie reconnut enfin pleinement que Jésus était le véritable chef de la famille; et il était vraiment un chef de valeur.
Pendant quatre ans, leur niveau de vie avait constamment décliné. D'année en année, ils se sentaient plus tenaillés par la pauvreté. Vers la fin de cette année, ils eurent à affronter une des épreuves les plus pénibles de leurs luttes ardues. Jacques n'avait pas encore commencé à bien gagner, et les dépense d'un enterrement s'ajoutant au reste les consterna. Mais Jésus se borna à dire à sa mère anxieuse et affligée: « Mère Marie, le chagrin ne nous aide pas; nous faisons tous de notre mieux, et le sourire de maman pourrait même nous inciter à faire encore mieux. Jour après jour nous sommes fortifiés dans ces tâches par notre espoir d'avoir devant nous des jours meilleurs ». Son solide et pratique optimisme était vraiment contagieux; tous les enfants vivaient dans une ambiance où l'on escomptait des choses et des temps meilleurs. Et ce courage plein d'espoir contribua puissamment à développer chez eux de nobles et puissants caractères, malgré leur pauvreté déprimante.
Jésus possédait la faculté de mobiliser efficacement tous ses pouvoirs mentaux, psychiques, et corporels pour la tâche à accomplir immédiatement. Il pouvait concentrer sa pensée profonde sur le seul problème qu'il désirait résoudre. Jointe à sa patience inlassable, cette faculté le rendait capable de supporter sereinement les épreuves d'une existence terrestre difficile -- de vivre comme s'il « voyait celui qui est invisible ».
4. -- LA DIX-NEUVIÈME ANNÉE (AN 13)
À cette époque, Jésus et Marie s'entendirent mieux. Elle le considérait moins comme un fils; il était plutôt devenu pour elle un père pour ses enfants. La vie quotidienne fourmillait de difficultés pratiques et immédiates. Ils parlaient moins fréquemment de l'oeuvre de sa vie, car le temps passait vite et toutes leurs pensées étaient mutuellement consacrées à l'entretien et à l'éducation de leur famille de quatre garçons et trois filles.
Dès le début de cette année, Jésus avait complètement gagné sa mère à ses méthodes d'éducation pour les enfants -- l'injonction positive de bien faire au lieu de l'ancienne méthode juive interdisant de mal faire. Chez lui et durant sa carrière d'enseignement public, Jésus se servit invariablement de la forme positive d'exhortation. Toujours et partout il disait: « Vous ferez ceci, vous devriez faire cela ». Jamais il n'employait le mode négatif d'enseignement dérivé des anciens tabous. Il s'abstenait de donner de l'importance au mal en l'interdisant, tandis qu'il prenait le bien en ordonnant de l'accomplir. Dans ce foyer, le moment de la prière était l'occasion de discuter de tout ce qui concernait le bien-être de la famille.
Jésus commença à discipliner sagement ses frères et soeurs à un âge si tendre qu'il n'eut jamais besoin de les punir beaucoup pour assurer leur prompte et sincère obéissance. La seule exception était Jude envers qui, en différentes circonstances, Jésus jugea nécessaire de prendre des sanctions pour ses infractions aux règles de la maison. En trois occasions où il estima opportun de punir Jude pour avoir délibérément violé les règles de conduite de la famille et l'avoir avoué, son châtiment fut fixé par une décision unanime des enfants les plus âgés, et approuvé par Jude lui-même avant de lui être infligé.
Jésus était très méthodique et systématique en tout ce qu'il faisait mais il y avait aussi dans toutes ses décisions administratives une reposante souplesse d'interprétation et une adaptation individuelle qui en imposait à tous les enfants par l'esprit de justice qui animait leur frère-père. Il ne châtiait jamais arbitrairement ses frères et soeurs. Son impartialité constante et sa considération personnelle rendirent Jésus très cher à toute sa famille.
Jacques et Simon grandirent essayant d'imiter Jésus en calmant par la persuasion et la non-résistance leurs camarades belliqueux et parfois coléreux. Ils y parvinrent assez bien, mais alors que Joseph et Jude acceptaient de tels enseignements à la maison, ils se hâtaient de se défendre quand ils étaient attaqués par leurs camarades; Jude violait particulièrement l'esprit de ces enseignements. Mais la non-résistance n'était pas une règle de la famille. La violation des enseignements personnels ne comportait aucune sanction.
En général tous les enfants, et surtout les filles, consultaient Jésus à propos de leurs chagrins d'enfants et se confiaient à lui comme à un tendre père.
Jacques grandissait, devenant un jeune homme bien équilibré et d'humeur égale, mais il n'avait pas autant de tendances spirituelles que Jésus. Il était un bien meilleur étudiant que Joseph. Celui-ci, bien que travailleur consciencieux, était encore moins enclin à la spiritualité; Joseph était un bûcheur, mais n'atteignait pas le niveau intellectuel des autres enfants. Simon était bien intentionné, mais trop rêveur. Il fut lent à s'établir dans la vie et causa beaucoup de soucis à Jésus et à Marie, mais il fut toujours un bon garçon plein de bonnes intentions. Jude était un brandon de discorde. Il avait les idéaux les plus élevés, mais possédait un caractère instable. Il était tout aussi décidé et agressif que sa mère, mais celle-ci avait un sens de la mesure et un tact qui manquaient beaucoup à Jude.
Miriam était une fille bien équilibrée et pondérée, avec une appréciation aiguë des choses nobles et spirituelles. Marthe pensait et agissait lentement, mais elle était une enfant très capable et digne de confiance. La petite Ruth était le rayon de soleil du foyer; elle parlait un peu inconsidérément, mais avait un coeur sincère. Elle aimait son grand frère et père presque jusqu'à l'idolâtrie, mais on ne la gâtait pas. C'était une très belle enfant, mais pas tout aussi avenante que Miriam, qui était la beauté de la famille, sinon de la ville.
Avec le temps, Jésus contribua beaucoup à modifier et à rendre moins étriqués les enseignements et les pratiques de la famille relatifs à l'observance du sabbat et de nombreux autres rites de la religion.
Marie donnait une chaleureuse approbation à tous ces changements. Jésus était alors devenu le chef incontesté de la maison.
Cette année-là, Jude commença à aller à l'école, et Jésus fut obligé de vendre sa harpe pour subvenir à la dépense. Ainsi disparut la dernière de ses distractions. Il aimait beaucoup jouer de la harpe quand il avait le cerveau et le corps fatigués, mais il se consola à la pensée qu'au moins la harpe ne serait pas saisie par le collecteur d'impôts.
5. -- RÉBECCA, LA FILLE D'EZRA
Bien que Jésus fût pauvre, sa situation sociale à Nazareth n'était aucunement compromise. Il était un des premiers jeunes hommes de la ville et très considéré par la plupart des jeunes femmes. Puisque Jésus était un si merveilleux exemple de vigueur physique et intellectuelle, et vu sa réputation comme guide spirituel, il n'était pas étrange que Rébecca, la fille aînée d'Ezra, un riche marchand et négociant de Nazareth, découvrit qu'elle devenait lentement amoureuse du fils de Joseph. Elle confia d'abord son attachement à Miriam, la soeur de Jésus, et Miriam à son tour en parla à sa mère. Marie fut bouleversée. Était-elle sur le point de perdre son fils, devenu à présent le chef indispensable de la famille? Les difficultés ne cesseraient-elles jamais? Que pourrait-il arriver ensuite? Alors elle s'arrêta pour méditer sur l'effet qu'aurait le mariage sur la carrière future de Jésus. À de rares intervalles, elle se souvenait que Jésus était un « enfant de la promesse ». Après avoir discuté de cette question, Miriam et Marie décidèrent de faire un effort pour mettre fin à la chose avant que Jésus ne l'apprit. Elles allèrent directement trouver Rébecca pour lui expliquer toute l'histoire; elles l'informèrent honnêtement de leur croyance que Jésus était un fils de la destinée et qu'il allait devenir un grand guide religieux, peut-être le Messie.
Rébecca écouta attentivement; elle fut empoignée par le récit et plus que jamais décidée à courir sa chance avec l'homme de son choix et à partager sa carrière de chef. Elle plaida (en son for inférieur) qu'un tel homme aurait d'autant plus besoin d'une femme fidèle et capable. Elle interpréta les efforts de Marie pour la dissuader comme une réaction naturelle à sa crainte de perdre le chef et seul soutien de sa famille; mais sachant que son père approuvait son attirance pour le fils du charpentier, elle escomptait à juste titre qu'il serait heureux de donner à la famille un revenu suffisant pour compenser amplement la perte du salaire de Jésus. Quand son père eut accepté ce plan, Rébecca eut d'autres entretiens avec Marie et Miriam. N'ayant pas réussi à obtenir leur concours, elle eut l'audace d'aller directement trouver Jésus. Elle le fit avec l'aide de son père qui invita Jésus chez eux pour le dix-septième anniversaire de Rébecca.
Jésus écouta attentivement et avec sympathie le récit de cette aventure, d'abord par le père de Rébecca, puis par Rébecca elle-même. Il répondit avec bonté qu'aucune somme d'argent ne remplacerait son obligation personnelle d'élever la famille de son père, de « remplir le plus sacré de tous les devoirs humains — la fidélité à sa propre chair et à son propre sang ». Le père de Rébecca fut profondément touché par les paroles de dévotion familiale de Jésus et se retira de l'entretien. Son unique remarque à sa femme Marie fut: «Nous ne pouvons l'avoir pour fils; il est trop noble pour nous».
Alors commença l'entretien mémorable avec Rébecca. Jusque-là, Jésus avait fait peu de différence dans ses relations avec garçons et filles, avec jeunes hommes et jeunes femmes. Sa pensée avait été trop entièrement absorbée par les problèmes pressants des affaires pratiques de ce monde et la contemplation mystérieuse de sa carrière éventuelle « concernant les affaires de son Père » pour avoir jamais envisagé sérieusement la consommation de l'amour personnel dans le mariage humain. Mais à présent il se trouvait en face d'un autre problème que chaque mortel ordinaire doit affronter et résoudre. Vraiment il fut « éprouvé de toutes les manières comme vous l'êtes vous mêmes ».
Après avoir écouté attentivement, il remercia sincèrement Rébecca pour l'admiration qu'elle lui exprimait et ajouta: « Cela m'encouragera et me réconfortera tous les jours de ma vie ». Il expliqua qu'il n'était libre d'avoir avec une femme d'autres relations que celle de simple considération fraternelle et de pure amitié. Il précisa que son premier et plus important devoir était d'élever la famille de son père, qu'il ne pouvait envisager de mariage avant que cela fût accompli, et alors il ajouta: « Si je suis un fils de la promesse: je ne dois pas assumer d'obligations pour la durée de la vie avant que ma destinée soit rendue manifeste ».
Rébecca eut le coeur brisé. Elle refusa d'être consolée et harcela son père pour quitter Nazareth jusqu'à ce qu'il consentit finalement à s'installer à Séphoris. Au cours des années suivantes, Rébecca répondit toujours aux nombreux hommes qui la demandèrent en mariage qu'elle vivait dans un seul but — attendre l'heure où celui qui était pour elle le plus grand homme de la terre commencerait la carrière d'instructeur de la vérité vivante. Elle le suivit avec dévotion à travers les années mouvementées de son ministère public. Elle était présente (inaperçue de Jésus) le jour où il entra triomphalement à Jérusalem sur un ânon; et elle était debout « parmi les autres femmes (1) » à côté de Marie, le tragique et fatal après-midi où le Fils de l'Homme fut suspendu à la croix. Pour elle aussi bien que pour d'innombrables mondes supérieurs, il était « le seul entièrement digne d'être aimé et le plus grand parmi dix mille ».
(1) Luc XXIII-27.
6. -- SA VINGTIÈME ANNÉE (AN 14)
L'histoire de l'amour de Rébecca pour Jésus se répandit à Nazareth et plus tard à Capharnaüm. De la sorte, et bien qu'au cours des années qui suivirent beaucoup de femmes se fussent mises à aimer Jésus tout comme les hommes l'aimaient, il n'eut jamais plus à refuser l'offre personnelle de la dévotion d'une autre femme de bien. À partir de ce moment, l'affection humaine pour Jésus participa davantage de la nature d'une considération respectueuse et adoratrice. Hommes et femmes l'aimaient avec dévotion pour ce qu'il était, sans la moindre teinte de satisfaction égoïste et sans désir de possession affective. Mais pendant de nombreuses années, chaque fois que l'on racontait l'histoire de la personnalité humaine de Jésus, on mentionnait la dévotion de Rébecca.
Miriam, qui connaissait bien la passion de Rébecca et savait comment son frère avait renoncé même à l'amour d'une belle jeune fille (sans comprendre que c'était à cause de sa carrière prédestinée) en vint à idéaliser Jésus et à l'aimer d'une touchante et profonde affection, filiale autant que fraternelle.
Bien qu'ils n'en eussent guère les moyens, Jésus avait un étrange désir d'aller à Jérusalem pour la Pâque. Connaissant sa récente expérience avec Rébecca, sa mère l'encouragea sagement à faire le voyage. Sans en être tout à fait conscient, Jésus désirait surtout avoir une occasion de parler à Lazare et de rendre visite à Marthe et Marie. Après sa propre famille, c'était ce trio qu'il préférait.
En faisant ce voyage à Jérusalem, il alla par la route de Méguiddo, Antipatris, et Lydda, parcourant en partie la route suivie lorsqu'il avait été ramené à Nazareth à son retour d'Égypte. Il mit quatre jours et réfléchit beaucoup aux événements passés qui avaient eu lieu à Méguiddo et aux alentours, champ de bataille international de la Palestine.
Jésus traversa Jérusalem, ne s'arrêtant que pour regarder le temple et la cohue des visiteurs. Il avait une étrange et croissante aversion pour ce temple construit par Hérode et sa prêtrise choisie pour des raisons politiques. Par-dessus tout il désirait voir Lazare, Marthe, et Marie. Lazare avait le même âge que Jésus et il était à présent chef de famille; au moment de cette visite, la mère de Lazare avait également été inhumée. Marthe était d'un peu plus d'un an l'aînée de Jésus, tandis que Marie avait deux ans de moins que lui. Jésus était l'idéal que tous trois idolâtraient.
Au cours de cette visite eut lieu l'une des manifestations périodiques de révolte de Jésus contre la tradition -- l'expression d'une rancoeur contre les pratiques cérémonielles qu'il considérait comme donnant une fausse idée de son Père céleste. Ignorant que Jésus allait venir, Lazare s'était arrangé pour célébrer la Pâque avec des amis dans un village voisin, plus bas sur la route de Jéricho. Voici que maintenant Jésus proposait de célébrer la fête là où ils étaient, dans la maison de Lazare. « Mais » dit Lazare, « nous n'avons pas d'agneau pascal ». Alors Jésus entama une dissertation prolongée et convaincante pour montrer que le Père céleste ne s'intéressait pas véritablement à ces rituels enfantins et vides de sens. Après une prière fervente et solennelle, ils se levèrent et Jésus dit: « Laissez les penseurs puérils et ignorants de mon peuple servir leur Dieu conformément aux ordres de Moïse; il vaut mieux qu'ils le fassent, mais nous, qui avons vu la lumière de la vie, cessons d'approcher notre Père par les ténèbres de la mort. Soyons libre en sachant que l'amour éternel de notre Père est vrai ».
Ce soir-là au crépuscule, tous quatre s'assirent et participèrent à la première fête de la Pâque qui eût jamais été célébrée sans agneau pascal par des Juifs pieux. Le pain sans levain et le vin avaient été préparés pour cette Pâque, et Jésus servit a ses compagnons ces mets symboliques qu'il appelait « le pain de vie » et « l'eau vivante ». Ils mangèrent en se conformant solennellement aux enseignements qu'ils venaient de recevoir. Jésus prit l'habitude de pratiquer ce rite sacramentel lors de chacune de ses visites ultérieures à Béthanie. Quand il revint chez lui, il raconta tout cela à sa mère. Au premier abord elle fut choquée, mais peu a peu elle en vint à partager ce point de vue; néanmoins, elle fut très soulagée quand Jésus l'assura qu'il n'avait pas l'intention d'introduire dans leur famille cette nouvelle conception de la Pâque. À la maison, avec les enfants, il continua d'année en année à manger la pâque « selon la loi de Moïse ».
Ce fut durant cette année que Marie eut une longue conversation avec Jésus au sujet du mariage. Elle lui demanda franchement s'il se marierait au cas où il serait dégagé de ses responsabilités familiales. Jésus lui expliqua que le devoir immédiat lui interdisait le mariage, et qu'il y avait donc peu pensé. Il s'exprima comme s'il doutait qu'il dut jamais renoncer au célibat; il dit que toutes ces choses devaient attendre « mon heure », le moment où « le travail de mon Père devra commencer ». Ayant déjà décidé dans sa pensée qu'il ne devait pas engendrer d'enfants charnels, il se préoccupait très peu de la question du mariage humain.
Cette année-là, il reprit la tâche de fusionner davantage sa nature mortelle et sa nature divine en une simple et efficace individualité humaine. Son statut moral et sa compréhension spirituelle continuèrent à croître.
Bien que tous leurs immeubles de Nazareth (excepté leur maison) fussent liquidés, ils reçurent cette année-là une petite aide financière par la vente d'une participation dans une propriété à Capharnaüm. C'était la dernière de tout le domaine immobilier de Joseph. Cette propriété de Capharnaüm fut achetée par un constructeur de bateaux nommé Zébédée.
Joseph fut reçu cette année-là aux examens de l'école de la synagogue et se à préparer à travailler au petit établie dans l'atelier de charpentier. Quoique l'héritage de leur père fût épuisé, il y avait des chances pour qu'ils triomphent de la pauvreté puisque trois d'entre eux fournissaient maintenant un travail régulier.
À cette époque, Jésus devient rapidement un homme, non pas simplement un jeune homme, mais un adulte. Il a bien appris à porter des responsabilités. Il sait persévérer en présence des déceptions. Il fait bravement front quand ses plans sont contrecarrés et ses projets temporairement déjoués. Il a appris a être acquittable et juste même en face de l'injustice. Il est en voie d'apprendre à ajuster ses idéaux de vie spirituelle aux existences pratique de l'existence terrestre. Il est en train d'élaborer un plan pour atteindre un but idéaliste supérieur et lointain, tout en peinant durement pour atteindre un but matériel plus proche et plus immédiat. Il acquiert progressivement l'art d'adapter ses aspirations aux exigences banales de la vie des humains. Il a presque maîtrisé la technique d'emploi de l'énergie de l'élan spirituel pour faire fonctionner le mécanisme des réalisations matérielles. Il apprend lentement à vivre la vie céleste tout en poursuivant son existence terrestre. De plus en plus, il dépend des directives ultimes de son Père céleste, tout en assumant le rôle paternel de guider et d'orienter les enfants de sa famille terrestre. Il devient expert en l'art d'arracher la victoire à l'emprise même de la défaite. Il apprend à transformer les difficultés du temps en triomphes de l'éternité.
Ainsi, avec l'écoulement des années, le jeune homme de Nazareth continua à faire l'expérience de la vie telle qu'elle est vécue dans la chair mortelle sur les mondes du temps et de l'espace. Il vécut sur Urantia une vie complète, représentative, et bien remplie. Il quitta ce monde avec une mûre expérience des épreuves que ses créatures traversent pendant les rudes et courtes années de leur première vie, la vie incarnée. Toute cette expérience humaine est la propriété éternelle du Souverain de l'Univers. Il est notre frère compréhensif, notre ami compatissant, notre souverain expérimenté, et notre père miséricordieux.
Comme enfant, il accumula un vaste ensemble de connaissances. Comme jeune homme, il tria, classifia, et coordonna ces informations. Maintenant, comme homme du royaume, il commençait à organiser ces acquisitions mentales préalablement à leur emploi dans son enseignement futur, dans son ministère, et dans son service pour ses compagnons humains sur cette planète et sur toutes les autres sphères habitées dans tout l'univers de Nébadon.
Venu au monde comme n'importe quel nouveau-né du royaume, il avait vécu sa vie d'enfant et traversé les étapes successives de la jeunesse et de l'adolescence. Il se trouvait maintenant au seuil de sa pleine maturité, riche de l'expérience d'une vie bien remplie, ayant parachevé la compréhension de la nature humaine, et restant plein de compassion pour ses faiblesses. Il était devenu expert dans l'art divin de révéler son Père céleste aux créatures mortelles de tous âges et de toutes conditions.
Désormais en tant qu'homme fait, en tant qu'adulte du royaume, il se préparait à poursuivre sa mission suprême de révéler Dieu aux hommes et de conduire les hommes à Dieu.
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LES DEUX ANNÉES DÉCISIVES
DE toutes les expériences de la vie terrestre de Jésus, sa quatorzième et sa quinzième années furent les plus décisives. Les deux années comprises entre le moment où il commença à prendre conscience de sa divinité et de son destin, et celui où il réussit à communiquer dans une grande mesure avec son Ajusteur intérieur furent les plus éprouvantes de sa vie mouvementée sur Urantia. C'est cette période de deux ans que l'on peut appeler la grande épreuve, la vraie tentation. Aucun jeune humain passant par les premiers désordres et la mise au point des problèmes de l'adolescence ne fut jamais soumis à une épreuve plus décisive que celle traversée par Jésus durant son passage de l'enfance à l'adolescence.
Cette importante période de développement dans la jeunesse de Jésus commença avec la fin de la visite à Jérusalem et le retour à Nazareth. Marie fut d'abord heureuse à la pensée qu'elle avait retrouvé son garçon, que Jésus était rentré au foyer pour être un fils soumis -- bien qu'il n'eût jamais été autre chose -- et qu'il serait désormais plus docile aux plans qu'elle formait pour son avenir. Mais elle n'allait pas se chauffer longtemps au soleil des espérances maternelles et de l'inconscient orgueil de famille; elle allait bientôt perdre plus complètement ses illusions. De plus en plus, le garçon vivait en compagnie de son père; il consultait de moins en moins sa mère sur ses problèmes. En même temps, l'incompréhension de ses parents concernant ses fréquentes alternances entre les affaires de ce monde et les méditations sur ses propres rapports avec les affaires de son Père allait croissant. Franchement, ils ne le comprenaient pas, mais ils l'aimaient sincèrement.
À mesure que Jésus grandissait, sa pitié et son amour pour le peuple juif s'approfondirent, mais les années passant, un juste, ressentiment se développa dans sa pensée contre la présence, dans le temple de son Père, de prêtres choisis pour des raisons politique. Jésus avait un grand respect pour les pharisiens sincères et les scribes honnêtes, mais il tenait en piètre estime les pharisiens hypocrites et les théologiens déloyaux; il considérait avec dédain tous les chefs religieux peu sincères. Quand il examinait minutieusement le gouvernement d'Israël, il était parfois tenté de regarder d'un oeil favorable la possibilité de devenir le Messie attendu par les Juifs, mais il ne céda jamais à cette tentation.
Le récit de ses exploits parmi les sages du temple de Jérusalem était flatteur pour tout Nazareth et spécialement pour ses anciens professeurs de l'école de la synagogue. Pendant quelque temps, l'éloge de Jésus fut sur toute les lèvres. Tout le bourg racontait la sagesse de son enfance et sa conduite méritoire, et précisait qu'il était destiné à devenir un grand chef dans Israël. Enfin un maître réellement grand allait sortir de Nazareth en Galilée. Tous attendaient avec plaisir le moment où il aurait atteint ses quinze ans, afin qu'il lui fût dûment permis de lire les Écritures à la synagogue le jour du sabbat.
1. -- SA QUATORZIÈME ANNÉE (AN 8)
L'an 8 est l'année de calendrier de son quatorzième anniversaire. Jésus avait appris à fabriquer de bons jougs et travaillait bien la toile et le cuir. Il devenait rapidement aussi un charpentier et un ébéniste habile. Cet été-là, il monta fréquemment au sommet de la hauteur située au nord-ouest de Nazareth, pour prier et pour méditer. Il devenait graduellement plus conscient de la nature de son effusion sur terre.
Un peu plus de cent ans auparavant, cette colline avait été le « haut lieu de Baal » et maintenant c'était l'emplacement du tombeau de Siméon, un saint homme réputé en Israël. Du faite de la colline de Siméon, Jésus pouvait d'un coup d'oeil embrasser Nazareth et le pays environnant. En regardant Méguiddo, il se remémorait l'histoire de l'armée égyptienne remportant sa première grande victoire en Asie, et comment plus tard une armée semblable avait vaincu Josias, roi de Judée. Non loin de là, il pouvait voir Thanac, où Débora et Barac battirent Sisara. A l'horizon il pouvait apercevoir les collines de Dothan où, lui avait-on appris, Joseph avait été vendu par ses frères comme esclave en Égypte. Tournant ensuite ses regards vers Ebal et Gérizim, il se rappelait les traditions d'Abraham, de Jacob et d'Abimélech. Ainsi il se remémorait et retournait dans sa pensée les événements historiques et traditionnels du peuple de son père Joseph.
Il poursuivit ses cours supérieurs de lecture avec les professeurs de la synagogue et continua aussi l'éducation familiale de ses frères et soeurs à mesure qu'ils atteignaient l'âge approprié.
Au début de cet an 8, Joseph s'arrangea pour mettre de côté le revenu de ses propriétés de Nazareth et de Capharnaüm, afin de payer le long cycle d'études de son fils à Jérusalem; on prévoyait que Jésus devait aller à Jérusalem en août de l'année qui suivrait son quinzième anniversaire.
Au commencement de l'année, Joseph et Marie conçurent tous deux des doutes sur la destinée de leur fils aîné. En effet, il était un enfant brillant et aimable, mais bien difficile à comprendre et à sonder; d'autre part, rien d'extraordinaire ou de miraculeux n'était jamais arrivé. Sa fière maman était restée des dizaines de fois dans une expectative haletante en s'attendant à voir son fils accomplir quelque exploit surhumain et miraculeux, mais ses espoirs se brisaient toujours dans une cruelle déception. Tout ceci était décourageant et même démoralisant. Les personnes pieuses de ce temps-là croyaient vraiment que les prophètes et les hommes de la promesse démontraient toujours leur vocation et établissaient leur autorité divine en accomplissant des miracles et en faisant des prodiges. Mais Jésus ne faisait rien de tout cela; c'est pourquoi le trouble de ses parents augmentait sans cesse quand ils envisageaient son avenir.
L'amélioration de la situation pécuniaire de la famille de Nazareth se faisait sentir à la maison de bien des manières, spécialement par le nombre croissant de tablettes blanches polies qui étaient employées comme ardoises pour écrire; on écrivait alors avec du fusain. Jésus fut également autorisé à reprendre des leçons de musique; il adorait jouer de la harpe.
Durant toute cette année, on peut vraiment dire que Jésus « grandit dans la faveur des hommes et de Dieu ». Les perspectives de la famille semblaient bonnes et l'avenir se présentait brillamment.
2. -- LA MORT DE JOSEPH
Tout alla bien jusqu'au jour fatal du mardi 25 septembre où un messager apporta au foyer de Nazareth la tragique nouvelle que Joseph avait été grièvement blessé par la chute d'un mât de charge pendant qu'il travaillait à la résidence du gouverneur. Le messager de Séphoris s'était arrêté à l'atelier avant d'aller au domicile de Joseph. Il informa Jésus de l'accident survenu à son père, et les deux se rendirent ensemble à la maison pour annoncer à Marie la triste nouvelle. Jésus désirait aller immédiatement rejoindre son père, mais Marie ne voulait rien entendre d'autre que de se rendre en hâte auprès de son époux. Elle décida que Jacques, alors âgé de dix ans, l'accompagnerait, tandis que Jésus resterait à la maison avec les plus jeunes enfants jusqu'à son retour, car elle ne connaissait pas la gravité de la blessure de Joseph. Mais Joseph était mort de ses blessures avant l'arrivée de Marie. On le ramena à Nazareth, et le lendemain il fut couché au tombeau pour reposer avec ses ancêtres.
Juste au moment où les perspectives étaient bonnes et où l'avenir paraissait prometteur, une main apparemment cruelle abattit le chef de famille de Nazareth. Les affaires de la maison furent interrompues, et tous les plans pour la future éducation de Jésus furent démolis. Le jeune charpentier, qui venait tout juste d'avoir quatorze ans, prit conscience de la réalité; il avait non seulement à révéler la nature divine, sur terre et dans la chair selon la mission reçue de son Père céleste, mais encore il fallait que, tout jeune, il endossât la responsabilité de prendre soin de sa mère veuve et de ses sept frères et soeurs -- sans compter un autre enfant attendu. L'adolescent de Nazareth devenait maintenant le seul soutien et réconfort de cette famille si subitement affligée. Ainsi fut rendu possible sur Urantia la succession naturelle d'événements qui forcèrent ce jeune homme de la destinée à assumer de si bonne heure des responsabilités fort lourdes, mais hautement pédagogiques et disciplinaires. Il devenait chef d'une famille humaine; il devenait le père de ses propres frères et soeurs; il aurait à soutenir et à protéger sa mère comme gardien du foyer paternel, le seul qu'il dut connaître pendant son séjour sur Urantia.
Jésus accepta de bon coeur les responsabilités qui s'abattaient si soudainement sur lui, et les assuma fidèlement jusqu'au bout. Tout au moins, un grand problème et une difficulté escomptée dans sa vie avaient été tragiquement résolus -- on ne s'attendait plus à ce qu'il aille à Jérusalem étudier avec les rabbins. Il resta perpétuellement vrai que Jésus « n'était le disciple de personne ». Il était toujours prêt à apprendre, même du plus humble petit enfant mais jamais il ne puisa dans des sources humaines son autorité pour enseigner la vérité.
Il ne savait encore rien de l'apparition de Gabriel à sa mère avant sa naissance; il l'apprit seulement par Jean le jour de son baptême, au commencement de son ministère public.
Avec le temps, le jeune charpentier de Nazareth mesura de mieux en mieux chaque institution de la société et chaque coutume de la religion par un critère invariable. Que fait-elle pour l'âme humaine? Rapproche-t-elle Dieu de l'homme? Mène-t-elle l'homme à Dieu? Tout en ne négligeant pas complètement les aspects récréatifs et sociaux de la vie, l'adolescent consacra de plus en plus son temps et ses forces à deux buts seulement: prendre soin de sa famille, et se préparer à accomplir sur terre la volonté son Père céleste.
Cette année-là, les voisins prirent l'habitude d'entrer à l'improviste durant les soirées d'hiver pour entendre Jésus jouer de la harpe, écouter ses histoires (car le garçon était un excellent conteur) et l'entendre lire des citations des Écritures grecques.
La famille pouvait assez bien soutenir son train de maison parce qu'elle disposait d'une bonne somme d'argent liquide au moment de la mort de Joseph. Jésus ne tarda pas à montrer qu'il avait dans les affaires un jugement pénétrant et de la sagacité financière. Il avait l'esprit large mais des goûts simples; il était économe mais généreux. Il se révéla un administrateur sage et efficace des biens de son père.
Malgré tout ce que Jésus et les voisins de Nazareth pouvaient faire pour apporter du réconfort au foyer, Marie et même les enfants restaient pleins de tristesse. Joseph était parti. Il avait été un mari et un père exceptionnels et leur manquait beaucoup. Pour eux, le plus tragique était qu'il fût mort avant qu'ils aient pu lui parler et recevoir sa bénédiction d'adieu.
3. -- LA QUINZIÈME ANNÉE (AN 9)
Au milieu de sa quinzième année -- et nous comptons le temps d'après le calendrier du XXe siècle et non d'après l'année juive -- Jésus avait fermement pris en main le gouvernement de sa famille. Avant la fin de cette année, leurs économies avaient à peu près fondu, et ils se trouvèrent dans l'obligation de vendre l'une des maisons de Nazareth que Joseph possédait en commun avec Jacob.
Ruth, la dernière née de la famille, vint au monde le mercredi soir 17 avril de l'an 9. Dans la mesure de ses moyens, Jésus essaya de prendre la place de son père en réconfortant et en soignant sa mère durant cette épreuve difficile et particulièrement triste. Pendant près de vingt ans (jusqu'au commencement de sa vie publique) aucun père n'aurait pu aimer et élever sa fille avec plus d'affection et de fidélité que Jésus s'occupant de la petite Ruth. Il fut un tout aussi bon père pour les autres membres de la famille.
Durant cette année, Jésus rédigea pour la première fois la prière qu'il enseigna par la suite à ses apôtres et qui s'est répandue sous le nom du « Notre Père ». En un sens, ce fut une évolution du culte au foyer. Les Juifs avaient de nombreuses formules d'actions de grâces et plusieurs prières classiques. Après la mort de son père, Jésus essaya d'enseigner aux aînés des enfants à s'exprimer individuellement dans des prières -- comme lui-même se plaisait à le faire -- mais ils ne pouvaient saisir sa pensée et revenaient invariablement à leurs formes de prières apprises par coeur. Ce fut dans cette tentative pour inciter les aînés de ses frères et soeurs à dire des prières individuelles que Jésus s'efforça de les guider par des phrases suggestives; bientôt, sans intention de sa part, ils employèrent tous une forme de prière largement basée sur les idées directrices que Jésus leur avait enseignées.
À la fin, Jésus abandonna l'idée d'obtenir que chaque membre de la famille formulât des prières spontanées. Un soir d'octobre, il s'assit près de la petite lampe trapue, devant la table basse en pierre; puis sur une planchette de cèdre poli d'environ quarante-cinq centimètres de côté, il écrivit avec un morceau de fusain la prière qui devint dorénavant la supplique modèle de la famille.
Cette année-là, Jésus fut très troublé par des réflexions confuses. Ses responsabilités familiales avaient fort efficacement écarté toute idée de mettre à exécution un plan conforme à la visitation de Jérusalem qui l'invitait à « s'occuper des affaires de son Père ». Jésus conclut à juste titre que le soin de veiller sur la famille de son père terrestre devait prendre le pas sur tout autre devoir, et que le soutien de sa famille devait être sa première obligation.
Au cours de cette année, Jésus trouva dans le « Livre d'Enoch » un passage qui l'incita plus tard à adopter l'expression « Fils de l'Homme » pour se désigner durant sa mission d'effusion sur Urantia. Il avait soigneusement étudié l'idée du Messie juif et acquis la conviction qu'il n'était pas destiné à être ce Messie. Il désirait ardemment aider le peuple de son père, mais il ne compta jamais se mettre à la tête des armées juives pour libérer la Palestine de la domination étrangère. Il savait qu'il ne siégerait jamais sur le trône de David à Jérusalem. Il ne croyait pas non plus que son rôle dut être celui d'un libérateur spirituel ou d'un éducateur moral uniquement auprès du peuple juif. En aucun cas la mission de sa vie ne pouvait donc être l'accomplissement des désirs ardents et des prophéties supposées messianiques des Écritures hébraïques, au moins pas à la manière dont les Juifs comprenaient ces prédictions des prophètes. De même, Jésus était certain de ne pas devoir apparaître comme le Fils de l'Homme décrit par le prophète Daniel.
Mais quand vint pour lui le moment d'aller de l'avant en tant qu'éducateur du monde, quel nom prendrait-il? Comment justifierait-il sa mission? De quel nom serait-il appelé par les gens qui se mettraient à croire à son enseignement?
Tandis qu'il retournait tous ces problèmes dans sa tête, il trouva dans la bibliothèque de la synagogue de Nazareth, parmi les livres apocalyptiques qu'il étudiait, le manuscrit appelé « Le livre d'Enoch ». Malgré sa conviction qu'il ne s'agissait pas de l'Enoch de jadis, le livre l'intrigua beaucoup; il le lut et le relut plusieurs fois. Un passage l'impressionna particulièrement, celui où apparaissait l'expression « Fils de l'Homme ». L'auteur de ce soi-disant Livre d'Enoch continuait à parler du Fils de l'Homme, décrivant les travaux qu'il devait accomplir sur terre. Il expliquait qu'avant de venir sur ce monde pour apporter le salut à l'humanité, ce Fils de l'Homme avait traversé les parvis de gloire céleste avec son Père, le Père de tous; qu'il avait renoncé à toute sa grandeur et à toute sa majesté pour descendre sur terre et y proclamer le salut aux pauvres mortels. À mesure que Jésus lisait ces passages (en comprenant bien qu'une grande partie du mysticisme oriental mêlé par la suite à ces enseignements était faux) son coeur vibrait à l'unisson. Il reconnut dan sa pensée que, parmi toutes les prédictions messianiques des Écritures hébraïques et toutes les théories concernant le libérateur des Juifs, aucune n'était aussi proche de la vérité que cette histoire, bien que le livre d'Enoch où elle était reléguée ne fût que partiellement orthodoxe. Séance tenante, il décida d'adopter pour titre inaugural « Le Fils de l'Homme ». C'est ce qu'il fit par la suite quand il commença son enseignement public. Jésus avait une aptitude infaillible à reconnaître la vérité et n'hésitait jamais à l'admettre, quelle que fût la source dont elle paraissait émaner.
À cette époque, il avait complètement réglé beaucoup de choses concernant son futur travail dans le monde, mais il n'entretenait jamais sa mère de ces questions, car elle s'accrochait toujours à son idée qu'il était le Messie juif.
Jésus passa alors par la grande confusion de pensée de l'époque de sa jeunesse. Après avoir fixé quelque peu la nature de sa mission sur terre consistant à « s'occuper des affaires de son Père » à démontrer l'amour de son Père envers toute l'humanité -- il recommença à réfléchir aux nombreuses citations des Écritures se référant à la venue d'un libérateur national, d'un éducateur ou d'un roi juif. A quel événement ces prophètes se rapportaient-elles? Était-il un Juif ou non? Appartenait-il ou non à la maison de David?. Sa mère affirmait que oui; son père avait jugé qu'il n'en était pas. Il décida qu'il n'en était pas. Mais les prophètes n'avaient-ils pas embrouillé la nature et la mission du Messie?.
Après tout, était-il possible que sa mère eût raison? Dans la plupart des cas, quand des différences d'opinion avaient surgi dans le passé, c'était elle qui avait eu raison. S'il était un nouveau maître et non le Messie, comment pourrait-il reconnaître le Messie juif si celui-ci apparaissait à Jérusalem durant le temps de sa mission terrestre, et quelles devraient alors être ses relations avec le Messie juif? Après qu'il se serait engagé dans la mission de sa vie, quels seraient ses rapports avec sa famille, avec la religion et l'État juifs, avec l'Empire romain, avec les Gentils et leurs religions? Le jeune Galiléen retournait dans sa pensée chacun de ces grands problèmes et réfléchissait sérieusement tout en continuant à travailler à l'établi du charpentier, gagnant laborieusement sa propre vie, celle de sa mère, et celle de ses huit frères et soeurs.
Avant la fin de l'année, Marie vit que les fonds de la famille diminuaient. Elle confia la vente des pigeons à Jacques. Bientôt ils achetèrent une seconde vache et, avec l'aide de Miriam, commencèrent à vendre du lait à leurs voisins de Nazareth.
Les profondes périodes de méditation de Jésus, ses fréquents déplacements pour prier au sommet de la colline, et toutes les idées étranges qu'il énonçait de temps en temps alarmèrent profondément sa mère. Elle pensait parfois que le garçon n'était plus lui-même; puis elle dominait sa frayeur en se rappelant qu'il était après tout un enfant de la promesse, quelque peu différent des autres jeunes gens.
Or Jésus avait appris à ne pas exprimer toutes ses pensées, à ne pas exposer toutes ses idées sur le monde, pas même à sa propre mère. À partir de cette année, Jésus restreignit constamment les divulgations de ce qui se passait dans sa pensée, c'est-à-dire qu'il parla moins des choses qu'un auditeur moyen ne pouvait saisir, et qui risquaient de le faire considérer comme bizarre ou différent des gens du commun. Selon toutes les apparences, il devint banal et classique, bien qu'il languit après quelqu'un qui pourrait comprendre ses préoccupations. Il désirait ardemment avoir un ami fidèle et digne de confiance, mais ses problèmes étaient trop complexes pour être compris par ses compagnons humains. La singularité de cette situation exceptionnelle le forçait à porter seul son fardeau.
4. -- PREMIER SERMON DANS LA SYNAGOGUE
À partir de son quinzième anniversaire, Jésus pouvait officiellement occuper la chaire de la synagogue le jour du sabbat. Maintes fois auparavant, en l'absence d'orateurs, on avait demandé à Jésus de lire les Écritures, mais maintenant le jour était venu où la loi lui permettait de conduire le service. C'est pourquoi, au premier sabbat après l'anniversaire de ses quinze ans, le chazan s'arrangea pour que Jésus dirigeât le service matinal de la synagogue. Lorsque tous les fidèles de Nazareth furent assemblés, le jeune homme, ayant choisi ses textes, se leva et commença à lire.
« L'esprit du Seigneur Dieu est sur moi, car Dieu m'a oint, il m'a envoyé pour porter de bonnes nouvelles aux débonnaires, pour panser ceux qui ont le coeur brisé, pour annoncer aux captifs la liberté et aux prisonniers l'ouverture des prisons; pour proclamer l'année de la faveur de l'Éternel et un jour de vengeance pour notre Dieu; pour consoler tous les affligés et leur donner l'ornement au lieu de la cendre, l'huile de joie au lieu du deuil, et un chant de louanges au lieu d'un esprit abattu, afin qu'on les appelle arbres de droiture, plantés par le Seigneur et destinés à le glorifier (1).
« Recherchez le bien et non le mal, afin que vous viviez et qu'ainsi le Seigneur, l'Éternel des Armées, soit avec vous. Haïssez le mal et aimez le bien; établissez le juste jugement dans les assemblées de la porte. Peut-être le Seigneur Dieu usera-t-il de grâce envers les restes de Joseph (2).
« Lavez-vous, purifiez-vous; ôtez la méchanceté de vos actions de devant mes yeux; cessez de faire le mal et apprenez à faire le bien; recherchez la justice, soulagez l'opprimé; défendez celui qui n'a plus de père et plaidez la cause de la veuve (3).
| (1) Isaïe LXI-1 à 3. |
| (2) Amos V-14 et 15. |
| (3) Isaïe I-16 et 17. |
« Avec quoi me présenterai-je devant le Seigneur pour m'incliner devant le Dieu de toute la terre? Devrai-je venir devant lui avec des holocaustes, avec des veaux d'un an? Le Seigneur prendre-t-il plaisir à des milliers de béliers, à des dizaines de milliers de moutons, ou à des fleuves d'huile? Donnerai-je mon premier-né pour ma transgression, le fruit de mon corps pour le péché de mon âme? Non, car le Seigneur nous a montré, ô hommes, ce qui est bon. Qu'est-ce que le Seigneur vous réclame sinon d'être justes, d'aimer la miséricorde, et de marcher humblement avec votre Dieu? (4).
« À qui donc comparerez-vous Dieu qui domine l'orbite de la terre? Levez les yeux et voyez qui a créé tous ces mondes, qui produit leurs légions par nombre et les appelle tous par leur nom. Il fait toutes ces choses grâce à la grandeur de sa puissance; à cause de la force de son pouvoir, nul ne fait défaut (5). Il donne de la vigueur aux faibles et accroît la force de ceux qui sont fatigués. N'ayez pas peur, car je suis avec vous; ne craignez pas, car je suis votre Dieu. Je vous fortifierai et je vous aiderai; oui, je vous soutiendrai avec la main droite de ma justice, car je suis le Seigneur votre Dieu. Et je tiendrai votre main droite en vous disant: ne craignez rien, car je vous aiderai.
« Tu es mon témoin, dit le Seigneur, et mon serviteur que j'ai choisi afin que tous puissent me connaître et me croire et comprendre que je suis l'Éternel. Moi, oui moi, je suis le Seigneur, et hors de moi il n'y a point de Sauveur » (6).
| (4) Michée VI-6 à 8. |
| (5) Isaïe XL-25 et suite. |
| (6) Isaïe XLIII-10 et 11. |
Lorsqu'il eut terminé cette lecture il s'assit, et les fidèles rentrèrent chez eux, méditant les paroles qu'il leur avait lues avec tant de grâce. Jamais les gens de la ville ne l'avaient vu si magnifiquement solennel; jamais ils ne l'avaient entendu parler d'une voix aussi sérieuse et sincère; jamais ils ne l'avaient vu si viril, si décidé, et si plein d'autorité.
Cet après-midi de sabbat, Jésus gravit avec Jacques la colline de Nazareth, et quand ils furent de retour à la maison, il écrivit les Dix Commandements en grec, au fusain, sur deux panneaux de bois poli. Plus tard Marthe coloria et décora ces tableaux, et pendant longtemps ils furent suspendus au mur au-dessus du petit établi de Jacques.
5. -- LA LUTTE FINANCIÈRE
Peu à peu, Jésus et sa famille retournèrent à la vie rustique de leurs premières années. Leurs vêtements et même leur nourriture se simplifièrent. Ils avaient en abondance du lait, du beurre, et du fromage. Suivant la saison, ils profitaient des produits de leur jardin, mais chaque jour s'écoulait les obligeait à pratiquer une plus grande frugalité. Leur déjeuner était très simple; leur meilleure nourriture était réservée pour le repas du soir. Toutefois, chez les Juifs, le manque de fortune n'impliquait pas une infériorité sociale.
Déjà le jeune homme avait à peu près compris les modes de vie des hommes de son temps. Ses enseignements ultérieurs montrent a quel point il comprenait bien la vie au foyer, aux champs, et à l'atelier; ils révèlent pleinement ses contacts intimes avec toutes les phases de l'expérience humaine.
Le chazan de Nazareth continua à s'attacher à la croyance que Jésus deviendrait un grand maître, probablement le successeur du célèbre Gamaliel à Jérusalem.
Tous les plans de Jésus pour sa carrière furent apparemment contrecarrés. À la façon dont les événements se présentaient, l'avenir ne paraissait pas brillant. Pourtant Jésus ne vacilla pas et ne se découragea pas. Il vécut au jour le jour, remplissant bien son devoir quotidien et s'acquittant fidèlement des responsabilités immédiates de sa position dans la société. La vie de Jésus est la consolation éternelle de tous les idéalistes déçus.
Le salaire d'un charpentier ordinaire travaillant à la journée diminuait lentement. À la fin de cette année, en travaillant tôt le matin et tard le soir, Jésus ne pouvait gagner que l'équivalent d'un franc or par jour. L'année suivante, ils trouvèrent difficile de payer les impôts civils, sans parler des cotisations à la synagogue et de la taxe d'un demi sicle pour le temple. Au cours de cette année, le percepteur essaya d'extorquer à Jésus un revenu supplémentaire et menaça même de saisir sa harpe.
Craignant que l'exemplaire des Écritures grecques ne fût découvert et confisqué par les collecteurs d'impôts, Jésus le donna le jour de son quinzième anniversaire à la bibliothèque de la synagogue, comme offrande au Seigneur à l'occasion de sa maturité.
Le grand choc de sa quinzième année eut lieu quand Jésus alla à Séphoris pour apprendre la décision d'Hérode au sujet de l'appel qu'il avait interjeté auprès du tétrarque dans la contestation sur le montant de la somme due à Joseph au moment de sa mort accidentelle. Jésus et Marie avaient espéré recevoir une grosse somme, mais le trésorier de Séphoris leur avait offert un montant dérisoire. Les frères de Joseph avaient fait appel à Hérode lui-même, et maintenant Jésus était au palais et entendit Hérode décréter que l'on ne devait rien à son Père au moment de sa mort. À cause de cette décision si injuste, Jésus n'eut jamais plus confiance en Hérode Antipas. Il n'est pas surprenant qu'il ait fait une fois allusion à « ce renard » (1).
(1) Luc XIII-32.
Cette année-là et les années suivantes, le travail assidu à l'établi du charpentier priva Jésus des occasions de se mêler aux voyageurs des caravanes. Le magasin d'approvisionnement de la famille avait déjà été repris par son oncle, et Jésus travaillait tout le temps dans l'atelier de la maison, où il était à proximité pour aider Marie dans la vie familiale. C'est à cette époque qu'il commença à envoyer Jacques au caravansérail pour recueillir des renseignements sur les événements mondiaux; il cherchait ainsi à se tenir au courant des nouvelles du jour.
Quand il arriva à l'âge d'homme, il passa par les mêmes conflits et incertitudes que les jeunes gens de tous les temps. La rigoureuse expérience d'avoir à entretenir sa famille était une sûre sauvegarde contre son penchant à consacrer trop de temps à des méditations oisives ou à s'adonner à des tendances mystiques.
Ce fut l'année où Jésus loua, juste au nord de leur maison, une grande pièce de terre et la divisa en potagers familiaux. Chacun des aînés avait un jardin individuel, et ils se firent une vive concurrence dans leurs efforts agricoles. Durant la saison de culture des légumes, leur frère aîné passa chaque jour quelque temps avec eux ans le jardin. Pendant que Jésus travaillait au jardin avec ses jeunes frères et soeurs, il caressa plusieurs fois l'idée qu'ils pourraient tous habiter une ferme à la campagne, où ils goûteraient l'indépendance d'une vie libre; mais eux ne se voyaient pas grandissant à la campagne, et Jésus, qui était un adolescent tout à fait pratique aussi bien qu'un idéaliste, attaqua intelligemment et énergiquement son problème tel qu'il se présentait. Il fit tout ce qui était en son pouvoir pour s'adapter, avec sa famille, aux réalités de la situation, et pour ajuster leur condition à la plus grande satisfaction possible de leurs désirs individuels et collectifs.
À un moment donné, Jésus avait faiblement espéré, à condition de toucher la somme considérable due à son père pour les travaux exécutés au palais d'Hérode, qu'il serait capable de réunir les ressources suffisantes pour justifier la tentative d'achat d'une petit ferme. Il avait très sérieusement envisagé le plan d'installer sa famille à la campagne, mais quand Hérode refusa de leur payer quoi que ce soit sur les sommes dues à Joseph, il renonça à son ambition de posséder une maison hors de la ville. Dans ces conditions, ils s'ingénièrent à bénéficier de l'expérience de la vie campagnarde, puisqu'ils avaient maintenant trois vaches, quatre moutons, une foule de poussins, un âne, et un chien, sans compter les pigeons. Même les bambins avaient leurs tâches régulières à accomplir dans le plan d'organisation bien réglé qui caractérisait la vie familiale dans ce foyer de Nazareth.
À la fin de sa quinzième année, Jésus acheva de traverser une dangereuse et difficile période de l'existence humaine, l'époque de transition entre les années du contentement relatif de l'enfance et la conscience de la virilité approchante avec ses responsabilités croissantes et ses occasions d'acquérir une plus grande expérience dans le développement d'un noble caractère. La période de croissance mentale et physique avait pris fin, et maintenant commençait la vraie carrière du jeune homme de Nazareth.
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- Category: 4. LA VIE ET LES ENSEIGNEMENTS DE JÉSUS
JÉSUS À JÉRUSALEM
DANS toute la carrière terrestre mouvementée de Jésus aucun événement ne fut plus attrayant, plus humainement passionnant, que le souvenir de sa première visite à Jérusalem. Jésus fut spécialement stimulé par l'expérience d'assister en personne aux discussions du temple; cela resta longtemps dans sa mémoire comme le grand événement de la fin de son enfance et du commencement de son adolescence. Ce fut sa première occasion de profiter de quelques jours de vie indépendante, la joie d'aller et de venir sans contrainte ni restriction. Cette brève époque sans astreinte, pendant la semaine suivant la Pâque, était la première complètement libre d'obligations dont il eût jamais profité. Il lui fallut bien des années pour retrouver, même pour peu de temps, une période pareillement dégagée de tout sens de responsabilité.
Les femmes assistaient rarement à la fête de la Pâque à Jérusalem; leur présence n'était pas requise. Toutefois, Jésus refusa virtuellement de partir à moins que sa mère ne l'accompagnât. Quand elle se décida, cela incita beaucoup de femmes de Nazareth à faire le voyage si bien que le groupe pascal contenait, par rapport aux hommes, la plus grande proportion de femmes qui fût jamais partie de Nazareth pour la Pâque. Sur le chemin de Jérusalem, les pèlerins chantèrent de temps en temps le Psaume 130.
À partir du moment où ils quittèrent Nazareth jusqu'à celui où ils atteignirent le sommet du Mont des Oliviers, Jésus resta constamment tendu dans l'expectative. Pendant toute sa joyeuse enfance il avait entendu parler avec respect de Jérusalem et de son temple; maintenant il allait bientôt les contempler réellement. Vu du Mont des Oliviers, puis de l'extérieur en l'examinant de plus près, le temple avait plus que comblé les espérances de Jésus, mais quand le garçon eut franchi les portes sacrées, la grande désillusion commença.
En compagnie de ses parents, Jésus traversa les enceintes du temple pour aller rejoindre le groupe des nouveaux fils de la loi qui était sur le point d'être consacré citoyens d'Israël. Il fut un peu déçu par la tenue générale de la foule dans le temple, mais le premier grand choc du jour survint quand sa mère les quitta pour se rendre la galerie des femmes. Il n'avait jamais pensé qu'elle ne l'accompagnerait pas aux cérémonies de consécration, et il était tout à fait indigné qu'elle eût à supporter une aussi injuste discrimination. Il en fût profondément froissé mais, à part quelques protestations auprès de son père, il ne dit rien. Par contre il réfléchit, et réfléchit longuement, comme ses questions aux scribes et aux docteurs de la loi le prouvèrent une semaine plus tard.
Jésus participa aux rites de la consécration, mais fut déçu par leur caractère superficiel et routinier. Il n'y trouva pas l'intérêt personnel qui caractérisait les cérémonies de la synagogue à Nazareth. Il retourna ensuite saluer sa mère et se prépara à accompagner son père pour sa première tournée dans le temple et les cours, galeries, et corridors divers. Les enceintes du temple pouvaient contenir plus de deux cent mille fidèles à la fois; l'immensité de ces bâtiments -- en comparaison de ce qu'il avait déjà vu -- fit une grande impression sur lui, mais il s'intéressa davantage à méditer sur la signification spirituelle des cérémonies du temple et du culte qui y était associé.
Beaucoup de rites du temple avaient frappé d'une manière touchante son sens de a beauté et du symbole, mais il était toujours déçu par les explications du sens réel des cérémonies, que ses parents lui offraient en réponse à ses multiples et pénétrantes questions. Jésus refusait absolument d'accepter les éclaircissements sur le culte et la dévotion religieuse quand ils impliquaient une croyance au courroux de Dieu et à la colère du Tout-Puissant. Dans une nouvelle discussion de ces questions, après la fin de la visite au temple, son père insista doucement pour qu'il acceptât les croyances orthodoxes des Juifs. Mais Jésus se tourna soudainement vers ses parents, regarda son père dans les yeux d'une manière suppliante, et dit: « Mon père, cela ne peut pas être vrai -- le Père qui est aux cieux ne peut pas regarder ainsi ses enfants égarés sur terre le Père Céleste ne peut aimer ses enfants moins que tu ne m'aimes. Si malavisés que soient mes actes, je sais bien que jamais tu ne pourras m'en vouloir ni te mettre en colère contre moi. Si toi, mon père terrestre, tu reflètes le divin si humainement, combien plus le Père céleste doit-il être rempli de bonté et déborder de miséricorde. Je refuse de croire que mon Père céleste m'aime moins que mon père terrestre ».
Quand Joseph et Marie entendirent ces mots de leur fils aîné, ils se tinrent cois. Jamais plus ils n'essayèrent de changer sa conception de l'amour de Dieu et de la miséricorde céleste.
1. -- JÉSUS INSPECTE LE TEMPLE
Sur tous les parvis du temple que Jésus parcourut, il fut choqué et écoeuré par l'esprit d'irrévérence qu'il y remarqua. Il estimait que la conduite des foules au temple était incompatible avec leur présence dans « la maison de son Père ». Mais il reçut le plus grand choc de sa jeune vie quand son père l'accompagna dans la cour des Gentils où le bruyant jargon, les éclats de voix, et les jurons se mêlaient à tort et à travers aux bêlements de moutons et aux babillages bruyants trahissant la présence des changeurs, des marchands d'animaux propitiatoires, et des vendeurs de diverses autres marchandises.
Par-dessus tout, son sentiment des convenances fut outragé par la vue des frivoles courtisanes paradant dans l'enceinte du temple, exactement comme les femmes fardées qu'il avait vues si récemment pendant sa visite à Séphoris. Cette profanation du temple mit le comble à sa jeune indignation et il n'hésita pas à l'exprimer franchement à Joseph.
Jésus admira l'atmosphère et le service du temple, mais fut choqué par la laideur spirituelle qui transparaissait sur les visages de tant d'adorateurs insouciants.
Ils descendirent ensuite dans la cour des prêtres sous le rebord de pierre devant le temple, à l'emplacement de l'autel, pour observer la mise à mort des troupeaux d'animaux et les ablutions à la fontaine de bronze pour laver le sang des mains des prêtres sacrificateurs. Les taches de sang sur le dallage, les mains ensanglantées prêtres, et les cris des animaux mourants dépassèrent ce que pouvait supporter ce garçon amoureux de la nature. Ce terrible spectacle l'écoeura. Le jeune Nazaréen s'accrocha aux bras de son père et le supplia de l'emmener ailleurs. Ils retraversèrent les cours des Gentils; même les rires grossiers et les plaisanteries profanes qu'il y entendit furent un soulagement pour Jésus après ce qu'il venait de contempler.
Joseph vit combien son fils avait été choqué par les rites du temple; il l'emmena sagement voir la « Porte de Beauté », la porte artistique faite de bronze corinthien. Mais Jésus en avait eu assez pour sa première visite au temple. Ils retournèrent chercher Marie dans la cour Supérieure et marchèrent pendant une heure au grand air hors de la foule en regardant le palais d'Asmonée, la maison imposante d'Hérode, et la tour des gardes romains. Pendant cette promenade, Joseph expliqua à Jésus que seuls les habitants de Jérusalem avaient la permission d'assister aux sacrifices quotidiens dans le temple, et que les habitants de Galilée n'y venaient que trois fois par an pour participer au culte à la Pâque, à la fête de la Pentecôte (sept semaines après la Pâque), et à la fête des Tabernacles en octobre. Ces fêtes avaient été instaurées par Moïse. Ils discutèrent ensuite sur les deux dernières fêtes établies, celle de la consécration et celle de Pourim, après quoi ils regagnèrent leur logement et se préparèrent à célébrer la Pâque.
2. -- JÉSUS ET LA PÂQUE
Cinq familles de Nazareth furent invitées ou associées par la famille de Simon de Béthanie à la célébration de la Pâque, Simon ayant acheté l'agneau pascal pour toute la compagnie. C'était le massacre en si grand nombre de ces agneaux qui avait tellement affecté Jésus pendant sa visite au temple. Le projet avait été de manger la Pâque avec la famille de Marie, mais Jésus persuada ses parents d'accepter l'invitation à se rendre à Béthanie.
Cette nuit-là ils se réunirent pour les rites de la Pâque, mangeant la viande rôtie avec du pain sans levain et des herbes amères. Jésus étant un nouveau fils de l'Alliance, on lui demanda de raconter les origines de la Pâque, ce qu'il fit très bien, mais il déconcerta quelque peu ses parents en y incluant de nombreuses remarques reflétant avec douceur les impressions qu'avaient faites sur sa pensée jeune, mais réfléchie, les choses qu'il avait si récemment vues et entendues. Ce fut le commencement des sept jours de cérémonies de la fête pascale.
Même si jeune et bien qu'il n'eût rien dit à ses parents à ce sujet, Jésus avait commencé à méditer sur l'opportunité de célébrer la Pâque sans sacrifier d'agneau. Il fut mentalement certain que le spectacle des sacrifices ne plaisait pas au Père céleste et, au cours des années suivantes, il affermit de plus en plus sa résolution d'établir un jour la célébration de la Pâque sans effusion de sang.
Cette nuit-là, Jésus dormit fort peu. Son sommeil fut grandement troublé par des cauchemars de massacre et de souffrance. Sa pensée était affolée et son coeur déchiré par les inconséquences et les absurdités théologiques de tout le système cérémoniel juif. Ses parents aussi dormirent peu. Ils étaient déconcertés par les événements de la journée qui venait de prendre fin, et leur coeur était complètement bouleversé par l'attitude étrange et résolue de leur garçon. Marie fut nerveusement agitée pendant la première partie de la nuit, mais Joseph resta calme, bien que lui aussi fût perplexe. Tous deux craignaient de parler franchement de ces problèmes avec le garçon, tandis que Jésus aurait volontiers discuté avec ses parents s'ils avaient osé l'encourager.
Le lendemain, les offices au temple furent plus acceptables pour Jésus et contribuèrent beaucoup à effacer les fâcheuses impressions de la veille. Le surlendemain matin, le jeune Lazare prit Jésus en charge, et ils commencèrent à explorer systématiquement Jérusalem et ses environs. Avant la fin de la journée, Jésus découvrit les divers endroits autour du temple où des conférenciers enseignaient et répondaient aux questions. A part quelques visites au Saint des Saints où il se demandait avec émerveillement ce qu'il y avait réellement derrière le voile de séparation, il passa la majeure partie de son temps autour du temple aux conférences éducatives.
Pendant toute la semaine de la Pâque, Jésus garda sa place parmi les nouveaux fils du commandement. Cela signifiait qu'il devait s'asseoir hors des grilles qui séparaient toutes les personnes n'ayant pas la pleine citoyenneté d'Israël. Rendu ainsi conscient de sa jeunesse, il se retint de poser toutes les questions qui se pressaient dans sa tête; tout au moins il s'en abstint jusqu'à ce que la célébration de la Pâque eût prit fin et que les restrictions imposées aux jeunes gens nouvellement consacrés fussent levées.
Le mercredi de la semaine de la Pâque, Jésus fut autorisé à aller chez Lazare pour passer la nuit à Béthanie. Ce soir-là, Lazare, Marthe, et Marie écoutèrent Jésus discuter des choses temporelles et éternelles, humaines et divines, et depuis lors tous les trois l'aimèrent comme s'il eût été leur propre frère.
À la fin de la semaine, Jésus vit moins souvent Lazare, car ce dernier n'avait pas même été admis au cercle extérieur des discussions du temple, mais assistait cependant à quelques discours publics débités dans les cours extérieures. Lazare était du même âge que Jésus, mais à Jérusalem les jeunes étaient rarement admis à la consécration des fils de la loi avant d'avoir atteint leurs treize ans révolus.
Pendant la semaine pascale, les parents de Jésus trouvèrent maintes et maintes fois leur fils assis à l'écart et réfléchissant profondément, la tête dans les mains. Ils ne l'avaient jamais vu se comporter de cette façon et ils étaient douloureusement perplexes, ne sachant pas jusqu'à quel point la confusion régnait dans sa pensée et le trouble dans son esprit à la suite des expériences par lesquelles il venait de passer; ils ne savaient que faire. Ils se réjouissaient d'entrevoir la fin de la semaine de la Pâque et désiraient ardemment voir leur fils aux agissements étranges de retour en sécurité à Nazareth.
Jour après jour, Jésus faisait le tour de ses problèmes; à la fin de la semaine, il avait opéré beaucoup de mises au point. Quand vint le moment de retourner à Nazareth, sa jeune pensée fourmillait encore d'incertitudes et était assaillie par une foule de questions sans réponse et de problèmes non résolus.
Avant de repartir en compagnie du professeur qui instruisait Jésus à Nazareth, Joseph et Marie prirent des dispositions précises pour le retour de Jésus a Jérusalem au moment où il aurait ses quinze ans. Il commencerait alors un long cycle d'études dans une des académies de rabbins les plus renommées. Jésus accompagna ses parents et son professeur dans leur visite a l'école, mais tous trois furent désolés de constater combien il semblait indifférent à tout ce qu'ils disaient et faisaient. Marie était profondément peinée de ses réactions à la visite de Jérusalem, et Joseph fort perplexe devant les étranges remarques et la conduite insolite du garçon.
Somme toute, la semaine de la Pâque avait été un grand événement dans la vie de Jésus. Il avait tiré profit de sa rencontre avec des dizaines de garçons de son âge, candidats comme lui à la consécration, et avait utilisé ces contacts comme moyen d'apprendre comment les gens vivaient en Mésopotamie, au Turkestan, dans l'empire des Parthes, ainsi que dans les provinces romaines de l'Extrême-Occident. Il était déjà assez au courant de la façon dont se développait la jeunesse d'Egypte et d'autres régions voisines de la Palestine. Il y avait a ce moment-là des milliers de jeunes gens à Jérusalem; le garçon de Nazareth fit la connaissance de plus de cent cinquante d'entre eux et les interrogea d'une manière plus ou moins approfondie. Il était particulièrement intéressé par ceux qui venaient de l'Extrême-Orient et des pays lointains de l'Occident. Comme suite à ces contacts, le garçon commença à éprouver le désir de voyager par le monde en vue d'apprendre comment les différents groupes de ses contemporains travaillaient pour gagner leur vie.
3. -- DÉPART DE JOSEPH ET DE MARIE
Le groupe de Nazareth avait convenu de se rassembler près du temple au milieu de la matinée du premier jour de la semaine après la fin de la fête pascale. Ils se retrouvèrent au rendez-vous et partirent pour rentrer à Nazareth. Jésus s'était rendu au temple pour écouter les controverses, tandis que ses parents attendaient le rassemblement de leurs compagnons de compagnie de voyage. Bientôt la compagnie se prépara à partir, les hommes formant un groupe, et les femmes un autre, comme ils en avaient l'habitude pour aller aux fêtes de Jérusalem et en revenir. Jésus était allé à Jérusalem en compagnie de sa mère et des femmes. Maintenant, en tant que jeune homme consacré, il était censé faire le voyage de retour avec son père et les hommes. Tandis que le groupe de Nazareth partait pour Béthanie, Jésus était resté dans le temple, complètement absorbé par une discussion sur les anges et totalement inconscient d'avoir manqué le moment du départ de ses parents. Jusqu'à midi, heure de la suspension des conférences du temple, il ne se rendit pas compte qu'il avait été laissé en arrière.
Les voyageurs de Nazareth ne remarquèrent pas l'absence de Jésus, parce que Marie supposait qu'il voyageait avec les hommes, tandis que Joseph pensait qu'il voyageait avec les femmes en conduisant l'âne de Marie. Ils ne découvrirent son absence qu'en arrivant à Jéricho et en se préparant à camper pour la nuit. Après être allés aux informations auprès des retardataires du groupe arrivant à Jéricho, et avoir appris qu'aucun d'eux n'avaient vu leur fils, ils passèrent une nuit blanche. Ils retournaient dans leur tête ce qui avait bien pu lui arriver, se rémémorant plusieurs de ses réactions insolites aux événements de la semaine pascale et se reprochant doucement l'un à l'autre de n'avoir pas veillé à ce qu'il fût dans l'un des groupes quittant Jérusalem.
4. -- PREMIER ET SECOND JOUR DANS LE TEMPLE
Pendant ce temps, Jésus était resté dans le temple tout l'après-midi, écoutant les débats et appréciant l'ambiance plus calme et plus décente depuis que les grandes foules de la semaine pascale s'étaient à peu près dispersés. A la fin des discussions de l'après-midi, auxquelles Jésus ne participa point, il se rendit à Béthanie où il arriva juste au moment où la famille de Simon se préparait à prendre son repas du soir. Les trois jeunes gens débordèrent de joie d'accueillir Jésus, qui demeura pour la nuit dans la maison de Simon. Il les vit très peu pendant la soirée, passant la plus grande partie de son temps en méditations solitaires dans le jardin.
Le lendemain, Jésus se leva de bonne heure pour se rendre au temple. Sur le versant d'Olivet, il s'arrêta et pleura sur le spectacle que ses yeux contemplaient -- un peuple appauvri spirituellement prisonnier de ses traditions, et vivant sous la surveillance des légions romaines. Tôt dans la matinée, il était dans le temple avec l'idée bien arrêtée de prendre part aux discussions. Pendant ce temps, Joseph et Marie s'étaient, eux aussi, levés à l'aube avec l'intention de revenir sur leurs pas à Jérusalem. D'abord ils se rendirent en hâte à la maison de leurs parents, chez lesquels ils avaient logé en famille pendant la semaine de la Pâque, mais l'enquête révéla que personne n'avait vu Jésus. Après l'avoir cherché toute la journée sans trouver sa trace, ils retournèrent pour la nuit chez leurs parents.
À la seconde conférence, Jésus s'était enhardi à poser des questions et participa aux discussions du temple d'une manière stupéfiante, mais toujours compatible avec sa jeunesse. Parfois ses questions incisives embarrassaient quelque peu les docteurs érudits de la loi juive, mais il témoignait d'un tel esprit de candide honnêteté, doublé d'une soif si évidente d'apprendre, que la majorité des docteurs du temple était disposée à le traiter avec considération. Mais quand il se permit de demander s'il était juste de mettre à mort un Gentil ivre égaré hors de la cour des Gentils et entré inconsciemment dans les enceintes interdites et réputées sacrées du temple, un des docteurs les plus intolérants s'impatienta de ses critiques implicites le toisa du regard, et lui demanda son âge. Jésus répondit: « Il me manque un peu plus de quatre mois pour avoir treize ans. « Alors » répliqua le docteur maintenant courroucé, « pourquoi es-tu ici puisque tu n'es pas en âge d'être un fils de la loi? » Quand Jésus eût expliqué qu'il avait été consacré pendant la Pâque et qu'il était un étudiant de Nazareth ayant terminé ses classes, les docteurs répondirent unanimement d'un air moqueur: « Nous aurions dû le savoir; il est de Nazareth ». Mais le docteur qui présidait affirma que Jésus n'était pas à blâmer si les dirigeants de la synagogue de Nazareth l'avaient techniquement reçu à douze ans au lieu de treize; bien que plusieurs de ses détracteurs se fussent en allés, on décida que le garçon pouvait tranquillement prendre part comme élève aux discussions du temple.
Lorsque cette deuxième journée au temple fut terminée, Jésus retourna encore une fois à Béthanie pour la nuit. De nouveau il sortit dans le jardin pour réfléchir et prier. Sa pensée était évidemment absorbée par la méditation de graves problèmes.
5. -- LE TROISIÈME JOUR DANS LE TEMPLE
Au cours du troisième jour de Jésus au temple avec les scribes et les professeurs, de nombreux visiteurs ayant entendu parler de ce jeune homme de Galilée affluèrent pour jouir du spectacle d'un jeune garçon confondant les sages docteurs de la loi. Simon aussi vint de Béthanie pour se rendre compte de la valeur du garçon. Pendant toute cette journée, Joseph et Marie continuèrent à chercher anxieusement Jésus; ils étaient même allés plusieurs fois au temple, mais n'avaient jamais pensé à scruter les divers groupes de conférenciers; ils passèrent pourtant une fois presque à portée de la voix fascinante de leur fils.
Avant la fin du jour, toute l'attention du principal groupe des débats du temple s'était concentrée sur les interrogations de Jésus. Voici quelques-unes de ses nombreuses questions:
| 1. Qu'y a-t-il réellement dans le Saint des Saints derrière le voile? |
| 2. Pourquoi, en Israël, les mères doivent-elles être séparées des fidèles masculins au temple? |
| 3. Si Dieu est un père qui aime ses enfants, pourquoi tous ces massacres d'animaux pour gagner la faveur divine -- l'enseignement de Moïse a-t-il été mal compris? |
| 4. Puisque le temple est consacré à l'adoration du Père céleste, est-il logique d'y tolérer la présence de changeurs et de marchands? |
| 5. Le Messie attendu sera-t-il un prince temporel siégeant sur le trône de David, ou agira-t-il comme la lumière de vie dans l'établissement d'un royaume spirituel? |
Tout le long du jour les auditeurs s'émerveillèrent de ces questions, et nul ne fut plus étonné que Simon. Pendant plus de quatre heures, l'adolescent de Nazareth assaillit les docteurs juifs de questions qui donnaient à réfléchir et sondaient les coeurs. Il fit peu de commentaires sur les remarques de ses aînés. Il transmettait son enseignement par les questions qu'il posait. Par leur tournure adroite et subtile, il arrivait simultanément à défier leur enseignement et à suggérer le sien propre. Dans sa manière de poser une question, il conjuguait la sagacité de l'humour avec un charme qui le faisait aimer même par ceux qui s'offusquaient plus ou moins de son jeune âge. Il était toujours éminemment loyal et plein d'égards en posant ses questions pénétrantes. Au cours de cet après-midi mouvementé au temple, il manifesta sa répugnance caractéristique, confirmée par son ministère ultérieur, à tirer d'un adversaire un avantage déloyal. Comme adolescent, et plus tard comme homme, il paraissait complètement délivré de tout désir égoïste de gagner une discussion simplement pour le plaisir de triompher de ses compagnons par la logique. Une seule chose l'intéressait suprêmement: proclamer la vérité perpétuelle et effectuer ainsi une révélation plus complète du Dieu éternel.
La journée finie, Simon et Jésus retournèrent à Béthanie. Durant la plus grande partie du trajet, l'homme et l'enfant gardèrent le silence. De nouveau Jésus s'arrêta sur la pente d'Olivet, mais en regardant la ville et son temple il ne pleura pas; il inclina seulement la tête en dévotion silencieuse.
Après le repas du soir à Béthanie, il refusa encore une fois de se joindre à la joyeuse compagnie; au lieu de cela, il alla au jardin où il s'attarda jusqu'à une heure avancée de la nuit. Il tenta vainement d'élaborer un plan précis pour aborder le problème de l'oeuvre de sa vie, et pour choisir la meilleure manière de révéler à ses compatriotes spirituellement aveugles un plus beau concept du Père céleste; il voulait les libérer de leur terrible esclavage à la loi, au rituel, au cérémonial, et à la tradition surannée, mais il ne voyait pas clair dans sa recherche de la vérité.
6. -- LE QUATRIÈME JOUR DANS LE TEMPLE
Jésus était étrangement oublieux de ses parents terrestres; même au petit déjeuner, quand la mère de Lazare fit remarquer que ses parents devaient être maintenant près de chez eux, Jésus ne sembla pas se rendre compte qu'ils devaient quelque peu s'inquiéter de ce qu'il fût resté à la traîne.
À nouveau il se rendit au temple, mais ne s'arrêta pas sur le versant d'Olivet pour méditer. Au cours des discussions du matin, une grande partie du temps fut consacrée à la loi et aux prophètes, et les docteurs furent étonnés de constater que Jésus connaissait si bien les Ecritures, tant en hébreu qu'en grec. Mais sa jeunesse les étonnait plus que son savoir.
À la conférence de l'après-midi, ils avaient à peine commencé à répondre à ses questions concernant le but de la prière quand le président pria le garçon de s'avancer, de s'asseoir près de lui, et de faire connaître son propre point de vue concernant la prière et le culte.
La veille au soir, les parents de Jésus avaient entendu parler de l'étrange adolescent qui argumentait si habilement avec les commentateurs de la loi, mais il ne leur était pas venu à l'idée que ce garçon pouvait être leur fils. Ils avaient à peu près décidé de repartir pour aller chez Zacharie en supposant que Jésus pouvait y être allé pour voir Élisabeth et Jean. Pensant que Zacharie était peut-être au temple, ils s'arrêtèrent là sur le chemin de la ville de Judas. Comme ils erraient à travers les cours du temple, imaginez leur surprise et leur stupéfaction quand ils reconnurent la voix de leur fils et l'aperçurent assis parmi les docteurs du temple.
Joseph était sans voix, mais Marie donna libre cours à sa peur refoulée et à son émotion; elle s'élança vers le garçon qui s'était levé pour saluer ses parents et dit: « Mon enfant pourquoi nous as-tu traités comme cela? Il y a maintenant plus de trois jours que ton père et moi t'avons cherché désespérément. Qu'est-ce qui t'a pris de nous abandonner? » Ce fut un moment angoissant. Tous les yeux étaient tournés vers Jésus pour voir ce qu'il allait répondre. Son père le regarda d'un air réprobateur, mais ne dit rien.
N'oubliez pas que Jésus était censé être un jeune homme. Il avait terminé sa scolarité régulière d'enfant, avait été reconnu comme un fils de la loi, et avait reçu la consécration comme citoyen d'Israël. Cependant sa mère le reprenait vertement devant la foule assemblée, juste au moment du plus sublime effort de sa jeune vie. Elle mettait ainsi peu glorieusement fin à l'une des plus grandes occasions qui lui fût jamais donnée d'enseigner la vérité, de prêcher la droiture, et de révéler le caractère aimant de son Père céleste.
Le garçon se montra à la hauteur des circonstances. Si l'on prend équitablement en considération tous les facteurs qui se conjuguèrent pour provoquer cette situation on pourra mieux sonder la sagesse de la réponse qu'il fit à la réprimande involontaire de sa mère. Après un moment de réflexion, Jésus lui dit: « Pourquoi m'avez-vous cherché si longtemps? Ne vous attendiez-vous pas à me trouver dans la maison de mon Père, puisque l'heure est venue pour moi de m'occuper des affaires de mon Père? »
Tous les assistants furent étonnés de la façon de parler du garçon. Ils se retirèrent silencieusement et le laissèrent seul avec ses parents. Tout de suite le jeune homme soulagea leur embarras à tous trois en disant tranquillement: « Venez mes parents, chacun a fait ce qu'il croyait être le mieux. Notre Père céleste a ordonné ces choses, rentrons à la maison ».
Ils partirent en silence et arrivèrent à Jéricho pour la nuit. Ils s'arrêtèrent une fois seulement, sur la pente d'Olivet, quand le garçon leva son bâton en l'air et, frémissant des pieds à la tête sous le choc d'une émotion intense, dit: « O Jérusalem, Jérusalem et ses habitants, quels esclaves vous êtes -- subordonnés au joug des Romains et victimes de vos propres traditions -- mais je reviendrai purifier le temple et délivrer le peuple de cette servitude! »
Pendant les trois journées de voyage vers Nazareth, Jésus ne dit presque rien; ses parents non plus ne parlèrent pas beaucoup en sa présence. Ils étaient vraiment désorientés par la conduite de leur fils premier-né, mais ils conservaient précieusement ses paroles dans leur coeur, même sans pouvoir pleinement en comprendre la signification.
En arrivant à la maison, Jésus fit un bref exposé à ses parents, les assurant de son affection et leur laissant entendre qu'ils n'avaient aucune crainte à avoir, car en aucun cas il ne leur donnerait plus jamais l'occasion de souffrir anxieusement au sujet de sa conduite. Il conclut cet exposé capital en disant: « Bien que je doive faire la volonté de mon Père terrestre, j'obéirai aussi à mon père terrestre. J'attendrai mon heure ».
Dans sa pensée, Jésus refusait souvent d'acquiescer aux efforts bien intentionné, mais malencontreux, de ses parents pour lui dicter le cours de ses réflexions ou pour établir le plan de son travail sur terre. Toutefois et de toutes les manières compatibles avec sa consécration à la volonté de son Père du Paradis, il se conformait de la meilleure grâce aux désirs de son père terrestre et aux habitudes de sa famille charnelle. Même quand il ne pouvait les admettre, il faisait tout son possible pour s'y plier. En se consacrant à sa mission, il savait y ajuster avec art ses activités sociales et ses obligations de loyauté envers sa famille.
Joseph était perplexe mais, en réfléchissant à ces expériences, Marie reprit courage en finissant par considérer les propos de Jésus à Olivet comme prophétiques de la mission messianique de son fils en tant que sauveur d'Israël. Elle se mit à l'oeuvre avec une énergie nouvelle pour orienter les pensées de Jésus dans des moules patriotiques et nationalistes et recourut a l'aide de son frère, l'oncle préféré de Jésus. De toutes les manières possibles, elle s'adonna à la tâche de préparer son fils aîné à assumer le commandement de ceux qui voulaient restaurer le trône de David et rejeter définitivement l'esclavage politique du joug des Gentils.



