4. LA VIE ET LES ENSEIGNEMENTS DE JÉSUS
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LE DERNIER DISCOURS AU TEMPLE
CE mardi après-midi un peu après deux heures, Jésus arriva au temple en compagnie de onze apôtres, de Joseph d'Arimathie, des trente Grecs, et de quelques autres disciples, et commença à prononcer son dernier discours dans les cours de l'édifice sacré. Ce sermon constituait son ultime appel au peuple juif et l'accusation finale contre les véhéments ennemis qui cherchaient à l'anéantir -- scribes, pharisiens, sadducéens, et principaux dirigeants d'Israël. Durant la matinée, leurs divers groupes avaient eu l'occasion d'interroger Jésus; durant l'après-midi, nul ne lui posa de question.
Quand le Maître commença à parler, la cour du temple était paisible et ordonnée. Les changeurs et les marchands n'avaient pas osé revenir dans le temple depuis que Jésus et la foule excitée les en avaient chassés la veille. Avant de prendre la parole, Jésus regarda avec tendresse son auditoire qui allait bientôt entendre son miséricordieux adieu public à l'humanité, ainsi que sa dernière dénonciation des faux éducateurs et des dirigeants juifs sectaires.
1. -- LE DISCOURS
« J'ai été longtemps avec vous, parcourant le pays en long et en large et proclamant l'amour de Dieu pour les enfants des hommes. Nombreux sont ceux qui ont vu la lumière et qui sont entrés, par la foi, dans le royaume des cieux. En liaison avec mon enseignement et mes sermons, le Père a accompli bien des miracles, allant jusqu'à ressusciter des morts. Beaucoup de malades et d'affligés ont été guéris parce qu'ils croyaient. Mais toutes ces proclamations de la vérité et ces guérisons de maladies n'ont pas ouvert les yeux de ceux qui refusent de voir la lumière, de ceux qui ont résolu de rejeter cet évangile du royaume.
« De toutes les manières compatibles avec l'accomplissement de la volonté de mon Père, mes apôtres et moi nous avons fait l'impossible pour vivre en paix avec nos compatriotes, pour nous conformer aux exigences raisonnables des lois de Moïse et des traditions d'Israël. Nous avons constamment cherché la paix, mais les dirigeants d'Israël n'en veulent pas. En rejetant la vérité de Dieu et la lumière du ciel, ils se rangent du coté de l'erreur et des ténèbres. Il ne peut y avoir de paix entre la lumière et les ténèbres, entre la vie et la mort, entre la vérité et l'erreur.
« Nombre d'entre vous ont osé croire à mes enseignements et sont déjà consciemment entrés dans la joie et la liberté de la filiation avec Dieu. Vous m'êtes témoins que j'ai offert cette filiation avec Dieu à toute la nation juive, même à ceux qui cherchent maintenant à m'anéantir. Mon Père recevrait encore maintenant ces éducateurs aveuglés et leurs chefs hypocrites, si seulement ils voulaient se tourner vers lui et accepter sa miséricorde. Encore maintenant, il n'est pas trop tard pour que ce peuple reçoive la parole du ciel et accueille favorablement le Fils de l'Homme.
« Mon Père a longtemps traité ce peuple avec miséricorde. Génération après génération, nous avons envoyé nos prophètes pour l'enseigner et l'avertir, et génération après génération ils ont tué ces instructeurs venant du ciel. Et maintenant vos grands-prêtres obstinés et vos dirigeants entêtés vont faire exactement la même chose. De même qu'Hérode a provoqué la mort de Jean le Baptiste, vous vous préparez actuellement à tuer le Fils de l'Homme.
« Tant qu'il y a une chance pour que les Juifs se tournent vers mon Père et cherchent le salut, le Dieu d'Abraham, d'Isaac, et de Jacob gardera sa main miséricordieuse tendue vers vous; mais une fois que vous aurez rempli votre coupe d'impénitence et définitivement rejeté la miséricorde de mon Père, cette nation sera abandonnée à elle-même et vouée rapidement à une fin peu glorieuse. Ce peuple était appelé à devenir la lumière du monde, à proclamer la gloire spirituelle d'une race connaissant Dieu. Mais vous vous êtes tellement écartés de l'exercice de vos divins privilèges que vos chefs vont commettre la suprême folie de tous les âges, en ce sens qu'ils sont sur le point de rejeter définitivement le don de Dieu à tous les hommes et à toutes les générations -- la révélation de l'amour du Père céleste pour toutes ses créatures terrestres.
« Quand vous aurez rejeté cette révélation de Dieu aux hommes, le royaume de Dieu sera donné à d'autres peuples, à ceux qui voudront le recevoir avec joie et bonheur. Au nom du Père qui m'a envoyé, je vous avertis solennellement que vous allez perdre votre position dans le monde en tant que porte-drapeau de la vérité éternelle et gardiens de la loi divine. Je vous offre actuellement votre dernière chance de vous mettre sur les rangs pour vous repentir, pour signifier votre intention de rechercher Dieu de tout votre coeur et d'entrer, comme des petits enfants et par une foi sincère, dans la sécurité et le salut du royaume des cieux.
« Mon Père a longtemps oeuvré pour votre salut, et je suis descendu parmi vous pour vous en montrer personnellement la voie. Beaucoup de Juifs, de Samaritains, et même de Gentils, ont cru à l'évangile du royaume; mais ceux qui auraient dû être les premiers à s'avancer pour accepter la lumière du ciel ont obstinément refusé de croire à la révélation de la vérité de Dieu -- Dieu révélé dans l'homme et l'homme élevé à Dieu.
« Cet après-midi, mes apôtres se tiennent devant vous en silence, mais vous entendrez bientôt leurs voix faire résonner l'appel au salut et l'exhortation à s'unir au royaume céleste en tant que fils du Dieu vivant. Maintenant je prends à témoins mes disciples et les croyants à l'évangile du royaume, ainsi que les messagers invisibles à leurs côtés, que j'ai une fois de plus offert à Israël et à ses chefs l'affranchissement et le salut. Mais vous constatez tous que la miséricorde du Père est dédaignée et que les messagers de la vérité sont repoussés. Je vous rappelle que les scribes et les pharisiens occupent encore le siège de Moïse; en conséquence, et jusqu'à ce que les Très Hauts qui gouvernent les royaumes des hommes aient finalement renversé cette nation et détruit le quartier général de ses dirigeants, je vous demande de coopérer avec les anciens d'Israël. Il n'est pas nécessaire que vous participiez à leurs plans pour anéantir le Fils de l'Homme, mais en tout ce qui concerne la paix d'Israël, soumettez-vous à eux. Dans toutes ces questions, faites ce qu'ils vous demandent et observez l'essentiel de la loi, mais n'imitez pas leurs mauvaises actions. Souvenez-vous que le péché de ces dirigeants consiste à dire ce qui est bien et à ne pas le faire. Vous savez qu'ils attachent sur vos épaules de lourds fardeaux, pénibles à porter, et qu'ils ne lèvent pas même le petit doigt pour vous en soulager un peu. Ils vous ont opprimés par des cérémonies et rendus esclaves par des traditions.
« En outre, ces dirigeants égocentriques prennent plaisir à faire leurs bonnes oeuvres de manière à être vus par les hommes. Ils agrandissent leurs phylactères et élargissent la bordure de leurs vêtements officiels. Ils recherchent les places d'honneur aux festins et exigent les sièges d'honneur dans les synagogues. Ils convoitent des salutations élogieuses sur la place du marché et désirent que tous les hommes les appellent rabbi. Et pendant qu'ils cherchent à être ainsi honorés par les hommes, ils s'emparent à la dérobée des maisons des veuves et tirent profit des offices du temple sacré. Ces hypocrites font le simulacre de prier longtemps en public et de donner des aumônes pour attirer l'attention de leurs concitoyens.
« Il faut honorer vos chefs et révérer vos éducateurs, mais vous ne devriez donner à aucun homme le nom de Père au sens spirituel. Ne cherchez pas non plus à régenter vos frères dans le royaume. Souvenez-vous de ce que je vous ai enseigné: celui qui veut être le plus grand parmi vous doit se faire le serviteur de tous. Si vous prétendez vous élever devant Dieu, vous serez certainement abaissés, mais celui qui s'humilie sincèrement sera sûrement élevé. Dans votre vie quotidienne, ne cherchez pas votre propre glorification, mais la gloire de Dieu. Subordonnez intelligemment votre volonté à celle du Père qui est aux cieux.
« Ne vous méprenez pas sur mes paroles. Je n'ai pas de rancune contre les chefs des prêtres et les dirigeants qui cherchent actuellement à m'anéantir; je n'en veux pas aux scribes et aux pharisiens qui rejettent mes enseignements. Je sais que beaucoup d'entre eux croient en secret, et confesseront ouvertement leur allégeance au royaume quand mon heure sera venue. Mais comment vos rabbins se justifieront-ils, puisqu'ils prétendent parler à Dieu, et qu'ensuite ils osent rejeter et tuer celui qui vient révéler le Père à un univers?
« Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites! Vous voudriez fermer les portes du royaume des cieux aux hommes sincères qui, au sens de votre enseignement, ne sont pas érudits. Vous refusez d'entrer dans le royaume, et en même temps vous faites tout votre possible pour empêcher les autres d'y entrer. Vous tournez le dos aux portes du salut, et vous luttez contre tous ceux qui voudraient les franchir (1).
(1) Pour tout ce discours, cf. Matthieu XXIII- 1 à 39.
« Malheur à vous, scribes et pharisiens, hypocrites que vous êtes! Car en vérité vous parcourez la terre et la mer pour faire un prosélyte, et quand vous avez réussi, vous n'êtes pas satisfaits avait de l'avoir rendu deux fois pire qu'il n'était comme enfant de païens.
« Malheur à vous, chefs des prêtres et dirigeants qui vous emparez des biens des pauvres et qui exigez de lourds impôts de ceux qui voudraient servir Dieu comme ils croient que Moïse l'a ordonné! Vous qui refusez de montrer de la miséricorde, comment pouvez-vous en espérer dans les mondes à venir?
« Malheur à vous, faux éducateurs et guides aveugles! Que peut-on attendre d'une nation quand des aveugles conduisent les aveugles? Ils tomberont tous dans le puits de la destruction.
« Malheur à vous qui vous dissimulez quand vous prêtez serment! Vous êtes des tricheurs, car vous enseignez qu'un homme peut jurer par le temple et violer son serment, mais que quiconque a juré par l'or du temple doit rester lié par son serment. Vous êtes tous stupides et aveugles; vous n'êtes même pas logiques dans votre malhonnêteté, car lequel est le plus grand, l'or, ou le temple qui est censé avoir sanctifié l'or? Vous enseignez aussi que si un homme jure par l'autel, cela ne signifie rien, mais que s'il jure par le don qui est sur l'autel, alors il sera tenu pour débiteur. Là encore vous êtes aveugles à la vérité, car lequel est le plus grand, le don, ou l'autel qui a sanctifié le don? Comment pouvez-vous justifier cette hypocrisie devant le Dieu des cieux?
« Malheur à vous, scribes, pharisiens, et tous autres hypocrites, qui veillez à donner la dîme de la menthe, de l'anis, et du cumin, et qui négligez en même temps les affaires plus importantes de la loi -- la foi, la miséricorde, et le jugement! Vous avez raison de faire les premières choses, mais vous n'auriez pas dû laisser les secondes inaccomplies. Vous êtes vraiment des guides aveugles et des éducateurs stupides. Vous filtrez les moucherons et vous avalez les chameaux.
« Malheur à vous, scribes, pharisiens, et hypocrites, car vous nettoyez scrupuleusement l'extérieur de la coupe et du plat, mais vous laissez à l'intérieur les immondices de l'extorsion, des excès, et des tromperies. Vous êtes spirituellement aveugles. Ne reconnaissez-vous pas combien il serait meilleur de nettoyer d'abord l'intérieur de la coupe, et alors ce qui en déborde nettoierait automatiquement l'extérieur? Méchants réprouvés, vous accomplissez les actes extérieurs de votre religion pour vous conformer littéralement à votre interprétation de la loi de Moïse, tandis que vos âmes croupissent dans l'iniquité et sont pleines d'intentions meurtrières.
« Malheur à vous tous qui rejetez la vérité et repoussez la miséricorde! Beaucoup d'entre vous ressemblent à des sépulcres blanchis dont l'extérieur apparaît magnifique, mais dont l'intérieur est plein d'ossements et de toutes sortes d'impuretés. C'est ainsi que vous, qui rejetez sciemment les conseils de Dieu, vous apparaissez extérieurement aux hommes comme saints et justes, mais à l'intérieur votre coeur est rempli d'iniquité et d'hypocrisie.
« Malheur à vous, faux guides d'une nation! Vous avez érigé là-bas un monument aux prophètes martyrisés de jadis, tandis que vous complotez de détruire Celui dont ils parlaient. Vous ornez les tombeaux des justes, et vous vous flattez que, si vous aviez vécu au temps de vos pères, vous n'auriez pas tué les prophètes; ensuite, en face de cette pensée pharisaïque, vous vous préparez à assassiner celui dont les prophètes ont parlé, le Fils de l'Homme. Dans la mesure où vous faites ces choses, vous témoignez contre vous-mêmes que vous êtes les fils pervers de ceux qui ont tué les prophètes. Continuez donc, et remplissez jusqu'au bord la coupe de votre condamnation.
« Malheur à vous, enfants du mal! C'est à juste titre que Jean vous a appelés race de vipères, et je me demande comment vous pourrez échapper au jugement que Jean a prononcé contre vous.
« Maintenant encore, au nom de mon Père, je vous offre miséricorde et pardon. Maintenant encore je vous tends la main amicale de la communion éternelle. Mon Père vous a envoyé les sages et les prophètes; vous avez persécuté les uns et tué les autres. Alors Jean est apparu, proclamant la venue du Fils de l'Homme, et vous l'avez tué après qu'un grand nombre de disciples aient cru à son enseignement. Maintenant vous vous préparez à verser encore du sang innocent. Ne comprenez-vous pas qu'un terrible jour de règlement de comptes viendra quand le Juge de toute la terre exigera de ce peuple des explications sur la manière dont ils ont rejeté, persécuté, et tué ces messagers du ciel? Ne comprenez-vous pas qu'il vous faudra rendre compte de tout ce sang des justes, depuis le premier prophète tué jusqu'à l'époque de Zacharie, qui fut assassiné entre le sanctuaire et l'autel? Si vous persévérez dans vos mauvaises voies, cette reddition de comptes pourra même être exigée de la présente génération.
« O Jérusalem et enfants d'Abraham, vous qui avez lapidé les prophètes et tué les instructeurs qui vous furent envoyés, maintenant encore je voudrais rassembler vos enfants comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, mais vous ne le voulez pas (2).
(2) Cf. Matthieu XXIII.
« Je prends donc congé de vous. Vous avez entendu mon message et pris votre décision. Ceux qui ont cru à mon évangile sont déjà en sûreté dans le royaume de Dieu. A vous qui avez rejeté le don de Dieu, je dis que vous ne me verrez plus enseigner dans le temple. Mon oeuvre en votre faveur est achevée. Voici, je sors maintenant avec mes enfants, et votre temple vous est laissé dans la désolation ».
Et le Maître fit alors signe à ses disciples de quitter le temple.
2. -- LE STATUT INDIVIDUEL DES JUIFS
Le fait que les dirigeants spirituels et les éducateurs religieux de la nation juive rejetèrent jadis les enseignements de Jésus, et conspirèrent pour provoquer sa mort cruelle, n'affecte en rien le statut individuel d'un Juif dans sa position vis-à-vis de Dieu. Ces événements ne devraient pas inciter les disciples avoués du Christ à entretenir des préjugés contre leurs contemporains juifs. Les Juifs en tant que nation et que groupe socio-politique ont payé à plein le prix terrible d'avoir rejeté le Prince de la Paix. Il y a longtemps qu'ils ont cessé d'être les porte-flambeau spirituels de la vérité divine auprès des races de l'humanité. Mais cela ne constitue pas une raison valable pour faire subir aux descendants individuels de ces Juifs de jadis les persécutions que leur ont infligé certains prétendus disciples intolérants, indignes, et sectaires de Jésus de Nazareth, qui était lui-même un Juif de naissance.
Plus tard, cette haine irréfléchie et ces persécutions indignes d'un chrétien contre des Juifs se sont maintes fois terminées par les souffrances et la mort d'un Juif innocent et inoffensif dont les ancêtres, à l'époque de Jésus, avaient sincèrement accepté l'évangile et n'avaient pas tardé à mourir stoïquement pour la vérité à laquelle ils croyaient de tout leur coeur. Un frisson d'horreur passe sur les êtres célestes quand ils observent les prétendus disciples de Jésus prendre plaisir à persécuter, harceler, et même assassiner les descendants actuels de Pierre, de Philippe, de Matthieu, et d'autres Juifs palestiniens qui donnèrent si glorieusement leur vie en tant que premiers martyrs de l'évangile du royaume des cieux.
Combien il est cruel et stupide de faire souffrir des enfants innocents pour les péchés de leurs ancêtres, méfaits qu'ils ignorent entièrement et dont ils ne peuvent aucunement être responsables! Et l'on accomplit ces mauvaises actions au nom de celui qui enseigna à ses disciples d'aimer même leurs ennemis! Dans le présent récit de la vie de Jésus, il était nécessaire de décrire la manière dont certains de ses compatriotes juifs le rejetèrent et conspirèrent pour provoquer sa mort infamante. Mais nous avertissons tous les lecteurs de la présente narration que la présentation de ce récit historique ne justifie en aucune manière la haine injuste et l'attitude mentale inéquitable que tant de chrétiens avoués ont maintenues individuellement au cours des siècles contre des Juifs. Il faut que les croyants au royaume, ceux qui suivent les enseignements de Jésus, cessent de maltraiter les Juifs en les considérant comme coupables du rejet et de la crucifixion de Jésus. Le Père et son Fils Créateur n'ont jamais cessé d'aimer les Juifs. Dieu ne fait pas acception de personnes, et le salut est destiné aux Juifs aussi bien qu'aux Gentils.
3. - LA RÉUNION DÉCISIVE DU SANHDRIN
La réunion décisive du sanhédrin fut convoquée pour ce mardi soir à huit heures. En maintes occasions antérieures, la cour suprême de la nation juive avait officiellement condamné Jésus à mort. Ce corps auguste avait maintes fois résolu de mettre fin à l'oeuvre du Maître, mais jamais auparavant il n'avait décidé de l'arrêter et de le faire mourir n'importe comment et à n'importe quel prix. C'est un peu avait minuit, ce mardi 4 Avril de l'an 30, que le sanhédrin, tel qu'il était alors constitué, vota officiellement et à l'unanimité d'infliger la peine de mort à Jésus et à Lazare.
Telle fut la réponse à l'ultime appel du Maître aux dirigeants juifs, appel qu'il avait lancé dans le temple seulement quelques heures auparavant. Cette réponse représentait leur réaction d'amère rancune envers Jésus pour sa dernière et vigoureuse accusation contre les chefs religieux et contre les pharisiens et sadducéens impénitents. La condamnation à mort du Fils de Dieu (même avant son jugement) fut la réplique du sanhédrin à l'ultime offre de miséricorde céleste faite aux Juifs en tant que nation.
A partir de ce moment-là, les Juifs furent laissés à eux-mêmes durant la courte période de vie nationale qui leur restait à vivre, et qu'ils terminèrent en conformité complète avec leur statut purement humain parmi les nations d'Urantia. Israël avait répudié le Fils de Dieu qui avait fait une alliance avec Abraham. Le plan destiné à faire des enfants d'Abraham les porte-parole de la vérité dans le monde avait été ruiné. L'alliance divine avait été abrogée, et la fin de la nation hébraïque approchait rapidement.
Les agents du sanhédrin reçurent mandat d'arrêter Jésus le lendemain matin de bonne heure, mais avec ordre de ne pas s'emparer de lui en public. Ils devaient s'arranger pour l'arrêter en secret, de préférence à l'improviste et de nuit. Comprenant qu'il pouvait ne pas revenir au temple ce jour-là (mercredi) les dirigeants ordonnèrent aux agents du sanhédrin « d'amener Jésus devant la haute cour juive au plus tard le surlendemain jeudi à minuit ».
4. -- LA SITUATION À JÉRUSALEM
A la fin du dernier discours de Jésus, les apôtres furent laissés une fois de plus dans le désarroi et la consternation. Judas était revenu au temple avant que le Maître ne commençât son terrible réquisitoire contre les dirigeants juifs, de sorte que les douze apôtres entendirent tous la seconde moitié du dernier discours de Jésus au temple. Il est malheureux que Judas Iscariot n'ait pas entendu l'offre de miséricorde aux dirigeants juifs faite durant la première moitié de ce sermon d'adieu. Il ne l'entendit pas parce qu'il était encore en conférence avec un groupe de parents et d'amis sadducéens avec lequel il avait déjeuné, et avec lequel il examinait la manière la plus convenable de se dissocier de Jésus et de ses collègues apôtres. Ce fut en écoutant l'accusation finale des chefs et des dirigeants juifs par le Maître que Judas prit sa décision pleine et entière d'abandonner le mouvement évangélique et de se laver les mains de toute l'entreprise. Néanmoins, il quitta le temple en compagnie des douze et se rendit avec eux au Mont des Oliviers, où ils écoutèrent ensemble le discours décisif sur la destruction de Jérusalem et la fin de la nation juive. Durant la nuit du mardi, Judas resta avec eux au nouveau camp proche de Gethsémani.
La multitude qui entendit Jésus lancer son appel miséricordieux aux dirigeants juifs, puis passer soudain à des reproches cinglants frisant une accusation impitoyable, fut abasourdie et déconcertée. Ce soir-là, tandis que le sanhédrin prononçait la peine de mort contre Jésus et que le Maître, assis avec ses apôtres et certains disciples sur le Mont des Oliviers, prédisait la mort de la nation juive, tout Jérusalem s'était lancé dans la discussion sérieuse et prudente d'une seule et unique question ,« Que vont-ils faire de Jésus? »
Chez Nicodème, plus de trente notables juifs qui croyaient secrètement au royaume se réunirent et discutèrent de la ligne de conduite à suivre en cas de rupture ouverte avec le sanhédrin. Tous les assistants furent d'accord pour reconnaître publiquement leur allégeance au Maître dès qu'ils recevraient la nouvelle de son arrestation. Et ce fut exactement ce qu'ils firent.
Les sadducéens, qui contrôlaient et dominaient maintenant le sanhédrin, étaient désireux de se débarrasser de Jésus pour les raisons suivantes:
| 1. Ils craignaient que la faveur populaire croissante accordée par la multitude à Jésus ne mette en danger l'existence de la nation juive par un conflit possible avec les autorités romaines. |
| 2. Le zèle de Jésus pour la réforme du temple réduisait directement leurs revenus; l'épuration du temple affectait leur bourse. |
| 3. Ils se sentaient responsables de la préservation de l'ordre social et craignaient les conséquences d'une nouvelle expansion de la doctrine étrange et inédite de Jésus sur la fraternité des hommes. |
Les pharisiens avaient des motifs différents pour désirer que Jésus soit mis à mort. Ils le craignaient pour les raisons suivantes:
| 1. Il s'était dressé dans une opposition efficace à leur emprise traditionnelle sur le peuple. Les pharisiens étaient ultra-conservateurs, et ils éprouvaient un violent ressentiment contre ces attaques, supposées fondamentales, contre leur prestige d'éducateurs religieux acquis de longue date. |
| 2. Ils soutenaient que Jésus violait la Loi, qu'il avait montré un mépris total pour le sabbat et pour de nombreuses autres exigences cérémonielles et légales. |
| 3. Ils l'accusaient de blasphème parce qu'il faisait allusion à Dieu comme étant son Père. |
| 4. Et maintenant ils étaient foncièrement irrités contre lui à cause de la dernière partie du sermon d'adieu qu'il avait prononcé ce matin-là dans le temple, et où il les accusait violemment. |
Le sanhédrin s'ajourna ce mardi-là vers minuit, après avoir officiellement décrété la mort de Jésus, donné des ordres pour son arrestation, et convenu de se réunir le lendemain matin à dix heures chez le grand-prêtre Caïphe pour élaborer les accusations à porter contre Jésus lors de son jugement.
Un petit groupe de sadducéens avait proposé de se débarrasser de Jésus en l'assassinant, mais les pharisiens désapprouvèrent formellement ce procédé.
Telle était la situation à Jérusalem et parmi les hommes lors de ce jour mouvementé, tandis que planait au-dessus de cette mémorable scène terrestre une vaste assemblée d'êtres célestes désireuse de faire quelque chose pour aider son souverain bien-aimé, mais impuissante à agir, parce quelle en était efficacement empêchée par les supérieurs qui la commandaient.
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LE MARDI MATIN AU TEMPLE
CE mardi matin à sept heures, Jésus retrouva chez Simon les apôtres, le corps évangélique féminin, et deux douzaines d'autres disciples influents. A cette réunion, il fit ses adieux à Lazare et lui donna des indications qui l'incitèrent à fuir très rapidement à Philadelphie, en Pérée, où il se lia plus tard avec le mouvement missionnaire qui avait son siège dans cette ville. Jésus prit également congé du vieux Simon et donna au groupe féminin ses ultimes conseils, car il ne lui adressa plus jamais d'allocution officielle.
Ce matin-là, il reçut les douze en leur faisant individuellement les recommandations suivantes: A André: « Ne te laisse pas décourager par les événements imminents. Garde une ferme emprise sur tes collègues et veille à ce qu'ils ne te trouvent pas abattu ». A Pierre: « Ne mets ta confiance ni dans la vigueur de ton bras ni dans les armes d'acier. Etablis-toi sur les fondements spirituels des rochers éternels ». A Jacques: « Ne perds pas courage devant les apparences extérieures. Reste ferme dans ta foi, et tu connaîtras bientôt la réalité de ce que tu crois ». A Jean: « Sois doux; aime même tes ennemis. Sois tolérant, et rappelle-toi que je t'ai confié bien des choses ». A Nathanael: « Ne juge pas sur les apparences; reste ferme dans ta foi quand tout semblera s'effondrer; sois fidèle à ton mandat d'ambassadeur du royaume ». A Philippe: « Ne te laisse pas ébranler par les événements imminents. Reste impassible, même quand tu ne peux voir le chemin. Sois fidèle à ton serment de consécration ». A Matthieu: « N'oublie pas la miséricorde qui t'a fait recevoir dans le royaume. Ne laisse personne te dérober ta récompense éternelle. Puisque tu as résisté aux tendances de la nature humaine, accepte d'être ferme. A Thomas: « Si difficile que ce soit, il faut actuellement que tu marches par la foi et non par la vue. Ne doute pas que je sois capable d'achever l'oeuvre que j'ai commencée, et que je reverrai finalement tous mes fidèles ambassadeurs dans le royaume de l'au-delà ». Aux jumeaux Alphée: « Ne vous laissez pas écraser par les choses que vous ne comprenez pas. Soyez fidèles aux affections de votre coeur, et ne mettez votre confiance ni dans les grands hommes, ni dans le comportement changeant du peuple. Restez auprès de vos compagnons ». A Simon le Zélote: « Tu seras peut-être écrasé de déception, mais ton esprit s'élèvera au-dessus de tout ce qui pourra t'arriver. Ce que tu n'as pas réussi a apprendre de moi, mon esprit te l'enseignera. Recherche les vraies réalités spirituelles et cesse d'être attiré par des ombres irréelles et matérielles ». Et à Judas Iscariot il dit: « Judas, je t'ai aimé et j'ai prié pour que tu aimes tes frères. Ne te lasse pas de bien faire. Je t'avertis de te méfier de ceux qui font glisser les hommes sur les sentiers de la flatterie et qui les empoisonnent par les flèches du ridicule ».
Après avoir achevé ces salutations, Jésus partit pour Jérusalem avec André, Pierre, Jacques, et Jean, tandis que les autres apôtres s'occupaient d'établir le camp de Gethsémani, où ils devaient se rendre ce soir-là et où ils installèrent leur quartier général pour le reste de la vie incarnée du Maître. A mi-chemin de la descente du versant d'Olivet, Jésus s'arrêta et s'entretint durant plus d'une heure avec les quatre apôtres.
1. -- LE PARDON DIVIN
Depuis plusieurs jours, Pierre et Jacques avaient entrepris de discuter leurs divergences d'opinion sur l'enseignement du Maître concernant le pardon des péchés. Ils avaient convenu de soumettre la question à Jésus, et Pierre saisit l'occasion comme fort opportune pour obtenir l'avis du Maître. En conséquence, Simon Pierre interrompit la conversation sur les différences entre la louange et l'adoration en demandant: « Maître, Jacques et moi nous ne sommes pas d'accord sur tes enseignements au sujet du pardon des péchés. Jacques prétend que, d'après toi, le Père nous pardonne même avant que nous ne le lui demandions, et moi je maintiens que le repentir et la confession doivent précéder le pardon. Qui de nous a raison? Qu'en dis-tu? »
Après un bref silence, Jésus jeta un coup d'oeil significatif sur les quatre apôtres et répondit: « Mes frères, vous vous trompez dans vos opinions parce que vous ne comprenez pas la nature intime des relations entre créature et Créateur, entre l'homme et Dieu. Vous ne saisissez pas la sympathie intelligente que de sages parents éprouvent pour leurs enfants dépourvus de maturité et parfois égarés. Il est même douteux que des parents intelligents et affectueux soient jamais appelés à pardonner à un enfant moyen et normal. Des échanges compréhensifs, associés à un comportement plein d'amour, empêchent efficacement toutes les séparations qui nécessitent ultérieurement un rajustement par le repentir chez l'enfant et le pardon des parents.
« Dans chaque enfant vit une fraction de son père. Le père bénéficie d'une priorité et d'une supériorité de compréhension dans toutes les questions liées aux rapports entre parents et enfants. Les parents peuvent regarder l'immaturité de l'enfant à la lumière de la maturité parentale plus grande, de l'expérience plus mûre des époux plus âgés. Dans le cas de l'enfant terrestre et du Père céleste, le parent divin possède, dans une mesure infinie et divine, la compassion et l'aptitude à comprendre avec amour. Le pardon divin est inévitable; il est inaltérable et inhérent à la compréhension infinie de Dieu, à sa parfaite connaissance de tout ce qui concerne le faux jugement et le choix erroné de l'enfant. La justice divine est si éternellement équitable quelle englobe infailliblement la miséricorde compréhensive.
« Quand un homme avisé comprend les impulsions intérieures de ses semblables, il se met à les aimer; et quand vous aimez votre frère, vous lui avez déjà pardonné. Cette aptitude à comprendre la nature des hommes et à pardonner leurs actions apparemment mauvaises est divine. Si vous êtes de sages parents, c'est ainsi que vous aimerez et comprendrez vos enfants, et même que vous leur pardonnerez quand des malentendus temporaires auront paru vous séparer. L'enfant est dépourvu de maturité et ne comprend pas la profondeur des relations entre enfant et père; il éprouve donc souvent un sentiment de culpabilité quand il ne reçoit pas la pleine approbation de son père; mais un véritable père n'est jamais conscient d'une telle séparation. Le péché est une expérience de la conscience des créatures; il ne fait pas partie de la conscience de Dieu.
« Votre inaptitude ou votre répugnance à pardonner à vos semblables dénote que vous manquez de maturité, que vous n'avez pas atteint le niveau adulte de sympathie, de compréhension, et d'amour. Vos rancunes et vos idées de vengeance sont directement proportionnelles à votre ignorance de la nature intérieure et des véritables désirs de vos enfants et de vos semblables. L'amour est la manifestation du divin besoin intérieur de vivre. Il est fondé sur la compréhension, entretenu par le service désintéressé, et transmué en sagesse par la perfection ».
2. -- LES QUESTIONS DES DIRIGEANTS JUIFS
Le lundi soir, il y avait eu conciliabule entre le sanhédrin et une cinquantaine d'autres notables choisis parmi les scribes, les pharisiens, et les sadducéens. Cette assemblée estima qu'il serait dangereux d'arrêter Jésus en public, à cause de l'affection du petit peuple pour lui. La majorité fut également d'avis qu'il fallait faire un effort résolu pour le discréditer aux yeux de la multitude avant de l'arrêter et de le traduire en jugement. En conséquence, divers groupes d'érudits furent désignés pour aller le lendemain matin au temple afin d'essayer de prendre Jésus au piège avec des questions difficiles et de chercher à l'embarrasser devant le peuple. Les pharisiens, les sadducéens, et même les hérodiens étaient enfin d'accord dans cet effort pour discréditer Jésus aux yeux de la foule pascale.
Le mardi matin, lorsque Jésus arriva dans la cour du temple et commença à enseigner, il fut interrompu des ses premiers mots par un groupe de jeunes étudiants des académies, qui avaient subi une préparation spéciale à cet effet. Ils s'avancèrent et s'adressèrent à Jésus par le truchement de leur porte-parole: « Maître, nous savons que tu es un instructeur droit, que tu proclames les voies de la vérité, et que tu es au service de Dieu seul, car tu ne crains aucun homme et tu ne fais pas acception de personnes. Nous ne sommes que des étudiants, et nous voudrions connaître la vérité sur une question qui nous trouble. Voici la difficulté: « Est-il licite pour nous de payer le tribut à César? Le payerons-nous ou ne le payerons-nous pas? » Percevant leur hypocrisie et leur sournoiserie, Jésus leur dit: « Pourquoi venez vous me tenter ainsi? Montrez-mol l'argent du tribut, et je vous répondrai ». Les étudiants lui donnèrent un denier qu'il examina, puis il dit: « De qui cette pièce porte-t-elle l'effigie et l'inscription? » Ils répondirent: « De César ». Sur quoi Jésus dit: « Rendez à César ce qui appartient à César, et rendez à Dieu ce qui appartient à Dieu » (1).
(1) Cf. Matthieu XXII-17 à 21 ; Marc XII-14 à 17, Luc XX-22 à 26.
Après avoir reçu cette réponse, les jeunes scribes et leurs complices hérodiens se retirèrent hors de sa présence, et le peuple, y compris les sadducéens, se réjouit de leur déconfiture. même les jeunes gens qui avaient essayé de prendre le Maître au piège s'émerveillèrent grandement de la sagacité de sa réponse.
La veille, les dirigeants avalent cherché à prendre Jésus en défaut devant la foule sur des questions d'autorité ecclésiastique. N'y étant pas parvenus, ils cherchaient maintenant à l'impliquer dans une discussion préjudiciable sur l'autorité civile. Pilate et Hérode se trouvaient tous deux à Jérusalem à ce moment-là, et les ennemis de Jésus supputèrent que s'il osait déconseiller le payement du tribut à César, les deux chefs pourraient aller immédiatement trouver les autorités romaines et l'accuser de sédition. D'autre part, s'il recommandait le payement du tribut par un long discours, ses ennemis calculaient, à juste titre, qu'il infligerait une profonde blessure à l'orgueil national de ses auditeurs juifs, ce qui lui aliénerait la bienveillance et l'affection de la multitude.
En tout ceci, les ennemis de Jésus furent battus, car un décret bien connu du sanhédrin, fait pour la gouverne des Juifs dispersés parmi les Gentils, précisait que « le droit de battre monnaie comportait le droit de percevoir des impôts ». Jésus évita ainsi leur piège. S'il avait répondu « non » à leur question, cela aurait été l'équivalent d'une incitation à la rébellion. S'il avait répondu « où », cela aurait choqué les sentiments nationalistes profondément enracinés de l'époque. Le Maître n'éluda pas la question; il eut simplement la sagesse de faire une double réponse. Jésus n'était jamais évasif, mais toujours bien avisé dans ses rapports avec ceux qui cherchaient à le harceler et à l'anéantir.
3. -- LES SADDUCÉENS ET LA RÉSURRECTION
Avant que Jésus ait pu reprendre le fil de son enseignement, un autre groupe s'avança pour le questionner. Cette fois il s'agissait d'un groupe de sadducéens érudits et rusés, dont le porte-parole s'approcha en disant: « Maître, Moïse a dit que si un homme marié meurt sans laisser d'enfants, son frère devra épouser sa veuve et engendrer une postérité à son frère décédé (1). Or il s'est produit un cas où un homme qui avait six frères mourut sans enfants; son frère cadet prit sa femme, mais mourut bientôt également sans laisser d'enfants. Le second frère prit alors la femme, mais lui aussi mourut sans postérité. Et ainsi de suite jusqu'à ce que les six frères l'eussent épousée et fussent tous morts sans laisser d'enfants. Enfin la femme elle-même mourut après eux tous. Ceci dit, nous voudrions te poser la question suivante: Lors de la résurrection, de qui sera-t-elle la femme, vu que les sept frères l'ont épousée? »
Jésus, aussi bien que l'assistance, savait que ces sadducéens n'étaient pas sincères en posant leur question, car il était peu probable que le cas se fût réellement produit; en outre, la coutume pour les frères d'un mort de chercher à lui engendrer une postérité était pratiquement devenue lettre morte parmi les Juifs à cette époque. Jésus condescendit néanmoins à répondre à leur question insidieuse. Il dit: « Vous vous trompez tous en posant de telles questions, parce que vous ne connaissez ni les Ecritures ni le pouvoir vivant de Dieu. Vous savez que les fils de ce monde peuvent se marier et sont donnés en mariage, mais vous ne semblez pas comprendre que ceux qui, par la résurrection des justes, sont estimés dignes d'atteindre les mondes à venir ne se marient pas et ne sont pas donnés en mariage. Ceux qui font l'expérience de la résurrection d'entre les morts ressemblent plus aux anges des cieux; ils ne meurent jamais. Ces ressuscités sont éternellement les fils de Dieu. Ils sont les enfants de lumière ressuscités dans le progrès de la vie éternelle. Même votre Père Moïse le comprit car, en liaison avec son expérience auprès du buisson ardent, il entendit le Père dire: « Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob » (2). Ainsi, avec Moïse, je proclame que mon Père n'est pas le Dieu des morts, mais celui des vivants. En lui vous vivez tous, vous vous reproduisez, et vous possédez votre existence humaine ».
Lorsque Jésus eut fini de répondre à ces questions, les sadducéens se retirèrent, et certains pharisiens s'oublièrent au point de s'écrier: « C'est vrai, c'est vrai, Maître, tu as bien répondu à ces sadducéens incroyants ». Les sadducéens n'osèrent plus poser d'autres questions à Jésus, et le peuple s'émerveilla de la sagesse de son enseignement.
Jésus ne fit appel qu'à Moïse dans son escarmouche avec les sadducéens, car cette secte politico-religieuse ne reconnaissait comme valable que le Pentateuque de Moïse. Elle n'admettait pas que les enseignements des prophètes puissent servir de base à des dogmes doctrinaux. Dans sa réponse, le Maître affirma positivement la survie des créatures mortelles par la technique de la résurrection, mais en aucun sens il ne mentionna avec approbation la croyance pharisienne à la résurrection du corps humain sous sa forme physique. Jésus voulait souligner que le Père avait dit: « Je suis le Dieu d'Abraham, d'Isaac, et de Jacob », et non « J'étais leur Dieu ».
Les sadducéens avaient cru soumettre Jésus à l'influence flétrissante du ridicule, sachant bien que toute persécution en public créerait certainement un renouveau de sympathie pour lui dans la pensée de la multitude.
| (1) Cf. Deutéronome XXV-5 ; Matthieu XXII-24 et la suite ; Marc XII-19 et la suite. |
| (2) Exode III-6 et parallèles. |
4. -- LE GRAND COMMANDEMENT
Un autre groupe de sadducéens avait reçu des instructions pour poser à Jésus des questions embarrassantes sur les anges, mais après avoir vu le sort de leurs camarades qui avaient essayé de le prendre au piège avec des questions concernant la résurrection, ils décidèrent fort sagement de se tenir cois; ils se retirèrent en renonçant à leur interrogatoire. Les scribes, pharisiens, sadducéens, et hérodiens coalisés avaient prémédité de remplir toute la journée de questions embarrassantes. Ils espéraient ainsi discréditer Jésus devant le peuple, et en même temps empêcher efficacement qu'il ait le temps de proclamer ses enseignements perturbateurs.
Un groupe de pharisiens s'avança ensuite pour le harceler de questions. Son porte-parole fit un signe à Jésus et dit: « Maître, je suis un juriste, et je voudrais te demander quel est à ton avis le plus grand commandement? Jésus répondit: « Il n'y a qu'un seul commandement, qui est le plus grand de tous et qui ordonne: « Ecoute, O Israël, l'Éternel notre Dieu; l'Éternel est un; tu aimeras l'Éternel ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toute ta force » (1). Ceci est le premier et grand commandement. Et le second lui est semblable; en vérité, il découle directement du premier et ordonne: « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (2). Il n'y en a pas d'autres plus grands que ceux-ci; de ces deux commandements dépendent toute la Loi et les Prophètes ».
| (1) Cf. Deutéronome VI-4 ; Matthieu XXII-37. |
| (2) Cf. Lévitique XIX-18 ; Matthieu XXII-39 ; Luc X-27 ; Romains XIII-9 ; Galates V-14 ; Jacques II-8. |
Percevant que non seulement la réponse de Jésus était conforme au concept le plus élevé de la religion juive, mais aussi qu'il avait répondu sagement au vu de la multitude assemblée, le docteur de la loi pensa qu'il valait mieux faire preuve de courage en louant ouvertement la réponse du Maître. En conséquence il dit: « En vérité, Maître, tu as dit à juste titre que Dieu est un, qu'il n'y en a pas d'autre en dehors de lui, et que le premier et grand commandement consiste à l'aimer de tout notre coeur, de toute notre intelligence, et de toute notre force, et aussi qu'il faut aimer son prochain comme soi-même. Nous sommes d'accord que ce commandement a beaucoup plus d'importance que toutes les offrandes brûlées et tous les sacrifices ». Lorsque le juriste eut ainsi répondu prudemment, Jésus le regarda et dit: « Mon ami, je perçois que tu n'es pas loin du royaume de Dieu ».
Jésus disait vrai lorsqu'il fit allusion à ce docteur de la loi comme n'étant « pas éloigné du royaume », car le même soir ce juriste se rendit au camp du Maître près de Gethsémani, confessa sa foi dans l'évangile du royaume, et fut baptisé par Josias, l'un des disciples d'Abner.
Deux ou trois autres groupes de scribes et de pharisiens étaient présents avec l'intention de poser des questions, mais ils furent soit désarmés par la réponse de Jésus au docteur de la loi, soit découragés par la déconfiture de tous ceux qui avaient entrepris de le prendre au piège. Après cela, personne n'osa plus lui poser de questions en public.
Voyant qu'aucune question n'était soulevée et que l'heure de midi approchait, Jésus ne reprit pas son enseignement, mais se borna à poser à son tour une question aux pharisiens et à leurs associés. Il dit: « Puisque vous ne soulevez plus de questions, je voudrais vous en poser une. Que pensez-vous du Libérateur? C'est-à-dire de qui est-il le Fils? » Après une courte pause, l'un des scribes répondit: « Le Messie est fils de David ». Or Jésus savait qu'il y avait eu de nombreuses discussions, même parmi ses disciples, sur le point de savoir s'il était ou non fils de David. Il posa donc une nouvelle question: « Si le Libérateur est vraiment fils de David, comment se fait-il que, dans le Psaume que vous lui attribuez, David, parlant selon l'esprit, ait dit: L'Éternel a dit à mon Seigneur: Assieds-toi à ma droite jusqu'à ce que j'aie réduit tes ennemis à te servir de marchepied (1) ? Si David l'appelle Seigneur, comment peut-il être son fils? » Les dirigeants, les scribes, et les chefs des prêtres ne firent aucune réponse à cette question, mais ils s'abstinrent également d'en poser de nouvelles pour essayer d'embarrasser Jésus. En fait, ils ne répondirent jamais à la question qu'il leur avait posée mais, après la mort du Maître, ils essayèrent d'éluder la difficulté en changeant l'interprétation de ce Psaume de manière qu'il se réfère à Abraham au lieu du Messie. D'autres docteurs de la loi essayèrent d'échapper au dilemme en niant que David fût l'auteur de ce Psaume dit messianique.
(1) Psaume CX-1.
Quelques moments auparavant, les pharisiens s'étaient réjouis de la manière dont les sadducéens avaient été réduits au silence par le Maître. C'étaient maintenant les sadducéens qui prenaient plaisir à l'échec des pharisiens, mais cette rivalité n'était que momentanée. Ils oublièrent rapidement les points de vue divergents qu'ils soutenaient depuis longtemps et reprirent leur effort commun pour mettre fin aux enseignements et aux agissements de Jésus. Mais au cours de toutes ces expériences, le petit peuple fut heureux de pouvoir écouter le Maître.
5. -- LES GRECS INVESTIGATEURS
A midi, tandis que Philippe achetait des vivres pour le nouveau camp que l'on établissait près de Gethsémani, il fut accosté par une délégation d'étrangers, un groupe de croyants grecs d'Alexandrie, d'Athènes, et de Rome. Leur porte-parole dit à l'apôtre: « Tu nous as été signalé par des gens qui te connaissent; alors nous t'abordons en te demandant de voir Jésus, ton Maître ». Philippe fut pris au dépourvu en rencontrant ainsi sur la place du marché ces éminents investigateurs Grecs et Gentils. Or Jésus avait explicitement recommandé aux douze apôtres de ne pratiquer aucun enseignement en public durant la semaine pascale. Philippe fut donc un peu embarrassé sur la meilleure manière d'arranger cette affaire. Le fait que ces hommes étaient des Gentils étrangers l'avait également déconcerté. S'ils avaient été des Juifs, ou des Gentils habitant les environs, il n'aurait pas montré tant d'hésitation. Philippe s'arrêta à la solution consistant à demander aux Grecs de l'attendre sur place. Tandis qu'il s'éloignait en hâte, les Grecs supposèrent qu'il était allé chercher Jésus, mais en réalité Philippe se dépêchait d'aller chez Joseph d'Arimathie, où il savait qu'André et les autres apôtres prenaient leur déjeuner. Il appela André, lui explique le motif de sa venue, puis retourna avec André auprès des Grecs qui l'attendaient.
Ayant à peu près fini d'acheter ses provisions, Philippe revint avec André et les Grecs chez Joseph, où Jésus les reçut. Ils s'assirent près de lui, tandis qu'il parlait à ses apôtres et à un certain nombre de disciples éminents réunis à ce déjeuner. Jésus dit:
« Mon Père m'a envoyé dans ce monde pour révéler sa bonté et son amour aux enfants des hommes, mais les premiers vers qui je suis allé ont refusé de me recevoir. En vérité, beaucoup d'entre vous ont cru par eux-mêmes à mon évangile, mais les enfants d'Abraham et leurs dirigeants vont me rejeter; ce faisant, ils rejetteront Celui qui m'a envoyé. J'ai largement proclamé l'évangile du salut à ce peuple; je lui ai parlé de la filiation accompagnée de joie, de liberté, et de vie plus riche dans l'esprit. Mon Père a accompli nombre d'oeuvres merveilleuses parmi ces fils des hommes paralysés par la peur. C'est à juste titre que le Prophète Isaïe s'est référé à ce peuple en écrivant: « Seigneur, qui a cru à nos enseignements? Et à qui l'Éternel a-t-il été révélé? (1) » En vérité, les dirigeants de mon peuple ont aveuglément fermé leurs yeux pour ne pas voir et endurci leur coeur de peur de croire et d'être sauvés. Au long de ces dernières années, j'ai cherché à les guérir de leur incrédulité, afin qu'ils reçoivent le salut éternel du Père. Je sais que tous ne m'ont pas fait défaut; certains d'entre vous ont vraiment cru à mon message. Il y a dans cette salle plus de vingt hommes qui ont été membres du sanhédrin ou qui ont occupé de hauts postes dans les conseils de la nation, bien que certains d'entre eux répugnent encore à confesser ouvertement la vérité, de crainte d'être expulsés de la synagogue. Plusieurs parmi vous sont tentés de préférer la gloire des hommes à la gloire de Dieu. Je suis obligé de faire preuve de tolérance, car je crains pour la sécurité et la loyauté de ceux-là mêmes qui m'ont accompagné depuis si longtemps et ont vécu si proches de moi.
(1) Isaïe LIII-1.
« Je perçois que, dans cette salle de banquet, les Juifs et les Gentils se trouvent en nombre à peu près égal. Je m'adresse à vous en tant que premier et dernier groupe de cette nature que je puisse instruire des affaires du royaume avant de retourner auprès de mon Père.
Ces Grecs avaient fidèlement suivi les enseignements de Jésus au temple. Le lundi soir, ils avaient tenu chez Nicodème une conférence qui avait duré jusqu'à l'aube, et trente d'entre eux avaient décidé d'entrer dans le royaume.
Tandis que Jésus se tenait là devant eux, il perçut qu'une dispensation prenait fin et qu'une autre commençait. Tournant son attention vers les Grecs, le Maître dit:
« Quiconque croit à cet évangile croit non seulement en moi, mais en Celui qui m'a envoyé. Quand vous me regardez, vous ne voyez pas seulement le Fils de l'Homme, mais aussi Celui qui m'a envoyé. Je suis la lumière du monde, et quiconque croira en mon enseignement ne demeurera plus dans les ténèbres. Si vous autres Gentils vous voulez bien m'écouter, vous recevrez les paroles de vie et entrerez aussitôt dans la joyeuse liberté de la filiation avec Dieu. Si mes compatriotes, les Juifs, décident de me rejeter et de refuser mes enseignements, je ne me poserai pas en juge contre eux, car je ne suis pas venu pour juger ce monde, mais pour lui offrir le salut. Néanmoins, ceux qui me rejettent et refusent de recevoir mon enseignement seront traduits en jugement en temps utile par mon Père et par ceux qu'il a désignés pour juger ceux qui rejettent le don de la miséricorde et les vérités du salut. Souvenez-vous tous que je ne parle pas de moi-même, mais que j'ai fidèlement proclamé ce que mon Père m'a commandé de révéler aux enfants des hommes. Et ces proclamations que le Père m'a ordonné de faire au monde sont des paroles divinement vraies, perpétuellement miséricordieuses, et éternellement vivantes.
« Mais je déclare aussi bien aux Juifs qu'aux Gentils que l'heure est venue où le Fils de l'Homme va être glorifié. Vous savez qu'un grain de blé reste isolé, à moins qu'il ne tombe en terre et ne meure; mais s'il tombe dans une bonne terre, il surgit de nouveau à la vie et donne beaucoup de fruits. Quiconque tient égoïstement à sa vie est en danger de la perdre; mais quiconque est disposé à sacrifier sa vie pour moi et pour l'évangile jouira d'une existence plus riche sur terre et au ciel; il aura la vie éternelle. Si vous voulez sincèrement me suivre, même après que je serai retourné auprès du Père, alors vous deviendrez mes disciples et les fidèles serviteurs de vos semblables.
« Je sais que mon heure approche, et je suis troublé. Je perçois que mon peuple est décidé à repousser le royaume, mais je me réjouis de recevoir les Gentils ici présents, qui recherchent la vérité et s'enquièrent des voies de la lumière. J'ai toutefois le coeur serré en pensant à mon peuple, et mon âme est bouleversée par ce qui va m'arriver incessamment. Que dirai-je tandis que je contemple les jours qui viennent et que je discerne le sort qui m'attend? Dirai-je Père, épargne-moi ce moment épouvantable? Non! Car c'est précisément pour cela que je suis venu dans ce monde et parvenu jusqu'à cette heure. Je dirai plutôt, en priant pour que vous vous joigniez à moi: Père, glorifie ton nom, et que ta volonté soit faite ».
Lorsque Jésus eut ainsi parlé, l'Ajusteur Personnalisé qui avait habité en lui avant son baptême apparut devant lui, et Jésus fit une pause que l'assistance remarqua. L'Ajusteur, qui était maintenant un puissant esprit parlant au nom du Père, dit à Jésus de Nazareth: « J'ai déjà maintes fois glorifié mon nom dans tes effusions, et je le glorifierai encore une fois ».
Les Juifs et les Gentils de l'assistance n'entendirent aucune voix, mais ils ne purent éviter de remarquer que Jésus s'était interrompu dans son discours pendant qu'un message lui parvenait de quelque source surhumaine. Chacun d'eux dit à son voisin: « Un ange lui a parlé ».
Puis Jésus reprit la parole et dit: « Tout ceci n'est pas arrivé par égard pour moi, mais par égard pour vous. Je sais avec certitude que le Père me recevra et acceptera ma mission en votre faveur, mais il est utile que vous soyez encouragés et préparés à la rude épreuve qui est imminente. Laissez-moi vous assurer que la victoire finira par couronner nos efforts conjugués pour éclairer le monde et libérer l'humanité. L'ancien ordre de choses se présente lui-même au jugement. J'ai abattu le Prince de ce monde, et tous les hommes vont devenir libres par la lumière de l'esprit que je répandrai sur toute chair après mon ascension auprès du Père céleste.
« Maintenant je vous déclare que, si je suis élevé sur terre et dans votre vie, j'attirerai tous les hommes à moi et dans la communauté de mon Père (1). Vous avez cru que le Libérateur demeurerait perpétuellement sur terre, mais je vous dis que le Fils de l'Homme va être rejeté par les hommes et qu'il retournera auprès du Père. Je ne demeurerai plus bien longtemps avec vous; la lumière vivante ne restera plus qu'un peu de temps auprès de cette génération. Marchez pendant que vous avez cette lumière, afin que les ténèbres et la confusion imminentes ne vous surprennent pas. Celui qui marche dans les ténèbres ne sait où il va; mais si vous choisissez de marcher dans la lumière, vous deviendrez tous en vérité des fils de Dieu affranchis. Et maintenant, accompagnez moi tous au temple où je vais retourner pour dire mes paroles d'adieu aux chefs des prêtres, aux scribes, aux pharisiens, aux sadducéens, aux hérodiens, et aux dirigeants enténébrés d'Israël ».
(1) Cf. Jean XII-32.
Après avoir ainsi parlé, Jésus marcha en tête du groupe et se dirigea vers le temple par les rues étroites de Jérusalem. Ses auditeurs venaient d'entendre le Maître dire que ce serait son discours d'adieu dans le temple, et ils le suivirent silencieusement en méditant profondément.
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- Category: 4. LA VIE ET LES ENSEIGNEMENTS DE JÉSUS
LE LUNDI À JÉRUSALEM
COMME convenu au préalable, Jésus et les apôtres se réunirent ce lundi matin de bonne heure chez Simon à Béthanie et, après une brève conférence, ils partirent pour Jérusalem. Les douze restèrent étrangement silencieux pendant le trajet pour aller au temple; ils ne s'étaient pas remis des émotions de la veille. Ils étaient dans l'expectative, craintifs, et profondément affectés par un certain sentiment de détachement résultant du soudain changement de tactique du Maître et de l'interdiction qu'il leur avait faite d'enseigner en public durant cette semaine de la Pâque. Le groupe descendit le Mont Olivet, Jésus en tête, et les apôtres suivant de près dans un silence méditatif. Tous, sauf Judas Iscariot, ne pensaient qu'à une chose: Que va faire le Maître aujourd'hui? Quant à Judas, il était absorbé par les pensées suivantes: Que vais-je faire? Vais-je rester avec Jésus et mes compagnons ou me retirer? Et si je les quitte, comment romprai-je?
La matinée était magnifique lorsque ces hommes arrivèrent au temple vers neuf heures. Ils se rendirent aussitôt dans la grande cour où Jésus avait si souvent enseigné, et saluèrent les croyants qui les attendaient. Puis Jésus monta sur l'une des estrades réservées aux éducateurs et commença à parler à la foule qui s'assemblait. Les apôtres s'écartèrent un peu et attendirent les événements.
1. -- L'ÉPURATION DU TEMPLE
Un immense commerce s'était développé en liaison avec les offices et les rites du culte au temple. Il y avait un trafic consistant à fournir des animaux appropriés pour les divers sacrifices. Bien que les adorateurs eussent la faculté d'apporter leurs propres offrandes, le fait subsistait que les animaux ne devaient présenter aucune « tare » au sens de la loi lévitique interprétée par les inspecteurs officiels du temple. Bien des adorateurs avaient subi l'humiliation de voir leur animal, supposé parfait, rejeté par les examinateurs du temple. La pratique se généralisa donc d'acheter les animaux sacrificiels au temple même. Il y avait bien à proximité, sur le Mont Olivet, divers fournisseurs chez qui l'on pouvait se les procurer, mais la coutume s'était établie de les acquérir directement dans l'enceinte du temple. L'habitude de vendre toutes sortes d'animaux sacrificiels dans les cours du temple s'était développée graduellement. Des affaires très actives et procurant d'énormes profits avaient ainsi vu le jour. Une part des bénéfices était réservée au trésor du temple, mais la majeure partie en revenait indirectement aux familles de l'état-major du grand-prêtre.
La vente des animaux dans le temple prospérait, car si un adorateur y achetait un animal, bien que le prix en était assez élevé, il n'avait plus de taxes à payer et il était sûr que le sacrifice proposé ne serait pas rejeté sous prétexte que l'animal était réellement ou théoriquement taré. De temps à autre on augmentait d'une manière exorbitante les prix demandés aux gens du peuple, spécialement durant les grandes fêtes nationales. A un certain moment, les prêtres avides allèrent jusqu'à exiger l'équivalent d'une semaine de travail pour un couple de pigeons que l'on aurait normalement vendu aux pauvres pour quelques deniers. Les protégés d'Annas avaient déjà commencé à installer leurs boutiques dans l'enceinte du temple, sur les emplacements de marché qui subsistèrent jusqu'à leur démolition par la populace trois ans avant la destruction du temple lui-même.
Le trafic des animaux sacrificiels et de diverses marchandises n'était pas la seule manière dont les cours du temple étaient profanées. On avait développé à l'époque un vaste système commercial de banque et de change, qui se pratiquait jusque dans l'enceinte du temple et s'était instauré de la manière suivante: durant la dynastie Asmonéenne, les Juifs avalent frappé leur propre monnaie d'argent, et la pratique s'était établie d'exiger que la taxe d'un demi-sicle et tous les autres droits du temple fussent payés avec cette monnaie juive. Cette réglementation rendait nécessaire l'octroi de licences à des changeurs de devises pour qu'ils fournissent des sicles orthodoxes de frappe juive en échange des nombreuses sortes de monnaies circulant en Palestine et dans certaines autres provinces de l'empire romain. L'impôt du temple, payable par tout le monde excepté les femmes, les enfants, et les mineurs, était d'un demi-sicle, une monnaie de la taille d'une pièce d'argent de deux centimètres de diamètre, mais assez épaisse. A l'époque de Jésus, les prêtres avaient également été exemptés de l'impôt du temple. En conséquence, du 15 au 25 du mois précédant la Pâque, des changeurs accrédités dressaient leurs baroques dans les principales villes de Palestine en vue de fournir aux Juifs la monnaie appropriée pour payer les taxes du temple à leur arrivée à Jérusalem. Après cette période de dix jours, les changeurs partaient pour Jérusalem et installaient leurs comptoirs dans les cours du temple. Ils étaient autorisés à prélever une commission de quinze à vingt centimes sur l'échange d'une pièce valant à peu près cinquante centimes, et le double sur une pièce de valeur supérieure. Ces banquiers du temple tiraient également profit du change de tout l'argent destiné à l'achat des animaux à sacrifier, et au payement des voeux et des offrandes.
Non seulement ces changeurs du temple faisaient des affaires régulières de banque pour tirer bénéfice du change d'au moins vingt sortes de monnaies apportées périodiquement par les pèlerins lors de leur passage à Jérusalem , mais ils s'engageaient aussi dans toutes sortes d'opérations relevant du métier de banquier. Le trésor du temple et les chefs religieux tiraient d'immenses profits de ces activités commerciales. Il n'était pas rare que le trésor du temple content l'équivalent de dix tonnes d'or, tandis que le petit peuple languissait dans la misère et continuait à payer ces prélèvements injustifiés.
Ce lundi matin, Jésus tenta d'enseigner l'évangile du royaume céleste au milieu de la bruyante multitude de changeurs, de vendeurs, et de marchands de bestiaux. Il n'était pas seul à s'indigner de cette souillure du temple; les gens du peuple, et spécialement les Juifs des provinces étrangères, étaient profondément froissés dans leur coeur de voir ainsi profaner leur temple national pour de l'argent. A cette époque, le sanhédrin lui-même tenait ses réunions régulières dans une salle autour de laquelle se poursuivait le brouhaha de ces discussions et ce pêle-mêle de commerce et de troc.
Au moment où Jésus allait commencer son allocution, deux incidents se produisirent qui attirèrent son attention. Au comptoir d'un changeur voisin, une discussion violente et passionnée s'était élevée à propos d'une commission trop élevée demandée à un Juif d'Alexandrie, et au même instant l'air était déchiré par les beuglements d'une centaine de boeufs que l'on transférait d'une section du parc à bestiaux à une autre. Tandis que Jésus s'arrêtait en contemplant silencieusement, mais méditativement, cette scène de commerce et de confusion, il aperçut près de lui un candide Galiléen à qui il avait parlé à Iron; des Judéens arrogants et se prétendant supérieurs le ridiculisaient et le bousculaient. Tout ceci se conjugua dans l'âme de Jésus pour provoquer l'un de ses étranges accès périodiques d'indignation émotive.
A la stupéfaction de ses apôtres, qui se tenaient à proximité immédiates et s'abstinrent de participer à la scène qui suivit, Jésus descendit de l'estrade d'enseignement, se dirigea vers le garçon qui conduisait le bétail a travers la cour, lui prit son fouet de cordes, et chassa rapidement les animaux du temple. Ce ne fut pas tout. Sous les regards émerveillés des milliers de personnes assemblées dans la cour du temple, il marcha à grands pas majestueux vers la section la plus éloignée du parc à bestiaux et se mit à ouvrir les portes de chaque étable et à en chasser les animaux emprisonnés. Alors les pèlerins assemblés furent galvanisés; avec des clameurs tumultueuses, ils allèrent vers les bazars et commencèrent à renverser les tables des changeurs. En moins de cinq minutes, tout commerce avait été balayé du temple. Au moment où les gardes romains du voisinage apparurent sur la scène, tout était de nouveau paisible et la foule s'était disciplinée. Remontant sur l'estrade des orateurs, Jésus s'adressa à la multitude et dit: « Vous avez assisté aujourd'hui à ce qui est annoncé dans les Ecritures: « Ma maison sera appelée un temple de prières pour toutes les nations, mais vous en avez fait une caverne de valeurs » (1).
Avant qu'il ait pu en dire davantage, des hosannas de louanges éclatèrent dans la grande assemblée, et bientôt une bande de jeunes gens sortit de la foule pour chanter des hymnes de reconnaissance, parce que les marchands profanes et les spéculateurs avaient été chassés du temple sacré. A ce moment-là, certains prêtres étaient arrivés sur la scène et l'un d'eux dit à Jésus: « N'entends-tu pas ce que disent les enfants des Lévites?» Et le Maître répondit: « N'as-tu jamais lu dans les Ecritures que « la louange est sortie parfaite de la bouche des enfants et des nourrissons » (2). Durant le reste de la journée, tandis que Jésus enseignait, des gardes établis par le peuple veillèrent à tous les porches et ne permirent à personne de transporter même un récipient vide à travers les cours du temple.
| (1) Matthieu XXII-13. |
| (2) Cf. Psaume VIII-2 et Matthieu XXII-16. |
Quand les chefs religieux et les scribes eurent vent de ces événements, ils furent abasourdis. Ils eurent d'autant plus peur du Maître et furent d'autant plus résolus à l'exterminer. Mais ils étaient fort embarrassés, car ils craignaient beaucoup les foules, qui approuvaient maintenant si ouvertement l'expulsion des spéculateurs profanes. Durant toute la journée, qui fut tranquille et paisible dans les cours du temple, la foule écouta les enseignements de Jésus et fut littéralement suspendue à ses paroles.
L'acte surprenant de Jésus dépassait la compréhension de ses apôtres. Ils furent tellement déconcertés par cette action soudaine et inattendue de leur Maître que, durant toute cette scène, ils restèrent groupés pêle-mêle près de l'estrade des orateurs. Ils ne levèrent jamais un doigt pour participer à l'épuration du temple. Si cet événement spectaculaire avait eu lieu la veille, au moment de l'arrivée triomphale de Jésus au temple, après la procession tumultueuse à travers les portes de la ville où il avait été sans cesse bruyamment acclamé par la multitude, ils auraient été prêts à agir; mais de la manière dont l'incident arriva, ils n'étaient aucunement préparés à y participer.
Cette épuration du temple révèle le comportement du Maître envers la commercialisation des pratiques religieuses ainsi que sa répulsion pour toutes les formes d'injustice et de spéculation aux dépens des pauvres et des ignorants. L'épisode montre également que Jésus ne désapprouvait pas l'emploi de la force pour protéger la majorité d'un groupe humain contre les pratiques injustes et asservissantes de minorités égoïstes capables de se retrancher derrière le pouvoir politique, financier, ou ecclésiastique. On ne doit pas permettre à des hommes astucieux, pervers, et entreprenants de s'organiser pour exploiter et opprimer ceux qui, à cause de leur idéalisme, ne sont pas disposés à recourir à la violence pour se protéger ou pour mettre à exécution des projets dignes de louanges.
2. -- UN DÉFI A L'AUTORITÉ DU MAÎTRE
La triomphale ]entrée dominicale de Jésus à Jérusalem inspira une telle crainte aux dirigeants juifs qu'ils s'abstinrent de le faire arrêter. Le lendemain, l'épuration spectaculaire du temple retarda de nouveau l'arrestation du Maître. Jour après jour, les chefs des Juifs étaient plus décidés à le faire disparaître, mais ils en étaient détournés par deux craintes qui se conjuguaient pour retarder l'heure de frapper. Les principaux prêtres et les scribes ne voulaient pas arrêter Jésus en public, car ils craignaient que la foule ne se retourne contre eux avec rancune et fureur. Ils craignaient également l'éventualité d'un appel aux gardes romains pour calmer une émeute populaire.
Au cours de sa session de midi, le sanhédrin décida à l'unanimité qu'il fallait en finir rapidement avec Jésus, mais aucun des amis du Maître n'assistait à cette réunion. Les sanhédristes ne purent toutefois se mettre d'accord sur le moment et la manière de le mettre en prison. Ils décidèrent finalement de designer cinq groupes qui se mêleraient au public en vue d'embrouiller Jésus dans ses enseignements ou de le discréditer de quelque manière aux yeux de ceux qui écoutaient son instruction. En conséquence, vers deux heures, au moment où Jésus venait de commencer son discours sur « La Liberté dans la Filiation », un groupe d'anciens d'Israël se fraya un chemin jusqu'auprès de lui, l'interrompit à leur manière habituelle et lui demanda: «Par quelle autorité fais-tu ces choses? Qui t'a donné cette autorité? »
Les dirigeants et les fonctionnaires du temple avaient parfaitement le droit de poser cette question à quiconque prétendait enseigner et agir de la manière extraordinaire qui avait caractérisé Jésus, spécialement dans sa récente conduite en éliminant du temple tous les commerces. Les marchands et les changeurs opéraient avec une licence directement octroyée par les dirigeants supérieurs, et un pourcentage de leurs gains était supposé revenir directement au trésor du temple. N'oubliez pas que l'autorité était le mot de passe de toute la société juive. Les prophètes suscitaient toujours des troubles parce qu'ils avaient l'audace de prétendre enseigner sans autorité, sans avoir été dûment instruits dans les académies rabbiniques ni avoir ensuite reçu l'ordination régulière du sanhédrin. L'absence de cette autorité pour enseigner ostensiblement en public était considérée comme dénotant soit une ignorance présomptueuse, soit une rébellion ouverte. A cette époque, seul le sanhédrin pouvait conférer l'ordination à un ancien ou à un éducateur, et cette cérémonie devait avoir lieu devant au moins trois personnes précédemment ordonnées de la même manière. Cette ordination conférait le titre de « rabbin» à l'éducateur et le qualifiait également pour agir en tant que juge « liant et déliant les questions soumises à sa décision ».
Ce même après-midi, les chefs du temple se présentèrent devant Jésus en portant un défi non seulement à son enseignement, mais à ses actes. Jésus savait bien que ces mêmes hommes avaient depuis longtemps affirmé en public que l'autorité de son enseignement était satanique et que tous ses miracles avaient été accomplis par la puissance du prince des démons. C'est pourquoi le Maître commença sa réponse à leur question par une autre question. Il leur dit: « Je voudrais également vous poser une question. Si vous me répondez je vous dirai aussi par quelle autorité j'accomplis mes oeuvres. D'où venait le baptême de Jean? Tirait-il son autorité du ciel ou des hommes? ».
Devant cette contre-attaque, les interrogateurs de Jésus s'écartèrent pour se concerter sur la réponse à faire. Ils avaient espéré embarrasser Jésus devant la foule, mais maintenant ils se trouvaient eux-mêmes fort confus devant les auditeurs alors assemblés dans la cour du temple. Et leur déconfiture fut encore plus évidente lorsqu'ils revinrent vers Jésus en disant: « Au sujet du baptême de Jean, nous ne pouvons répondre; nous ne savons pas ». Ils répondirent ainsi au Maître parce qu'ils avaient tenu entre eux le raisonnement suivant: Si nous disons que le baptême de Jean vient du ciel, Jésus dira: Pourquoi n'y avez-vous pas cru? Et il risque d'ajouter qu'il tient son autorité de Jean. Et si nous disons que ce baptême vient des hommes, la foule pourrait se retourner contre nous, car la majorité estime que Jean était un prophète. Ils furent ainsi obligés de revenir devant Jésus et la foule en confessant qu'eux, les éducateurs religieux et les chefs d'Israël, ne pouvaient pas (ou ne voulaient pas) exprimer une opinion sur la mission de Jean. Lorsqu'ils eurent ainsi parlé, Jésus les regarda de haut et dit: « Moi non plus, je ne vous dirai pas par quelle autorité j'accomplis ces choses » (1).
(1) Cf. Matthieu XXII - 23 ; Marc XI - 27 à 33 ; Luc XX - 1 à 8.
Jésus n'avait jamais eu l'intention de se targuer de l'autorité de Jean, qui n'avait pas reçu l'ordination du sanhédrin. L'autorité de Jésus résidait en lui-même et dans la suprématie éternelle de son Père.
En employant cette méthode vis-à-vis de ses adversaires, Jésus ne cherchait pas à éluder la question. Au premier abord, il pouvait sembler coupable d'une magistrale évasion, mais ce n'était pas le cas. Jésus n'était jamais disposé à tirer injustement avantage de quiconque, même de ses ennemis. Dans cette apparente évasion, il fournit réellement à tous ses auditeurs la réponse à la question sur l'autorité conférée à sa mission. Les pharisiens avaient affirmé qu'il l'accomplissait par autorité du prince des démons. Or Jésus avait maintes fois répété qu'il enseignait et oeuvrait par le pouvoir et l'autorité de son Père céleste, chose que les dirigeants juifs refusaient d'accepter. Ils cherchaient donc à le discréditer en lui faisant admettre l'irrégularité de son enseignement, puisque ce dernier n'avait jamais été sanctionné par le sanhédrin. En répondant comme il le fit sans prétendre à l'autorité de Jean, il satisfit l'auditoire qui en tira ses propres conclusions. L'effort des ennemis de Jésus pour le prendre au piège se retourna efficacement contre eux et les discrédita beaucoup aux yeux de toutes les personnes présentes.
C'était ce génie du Maître pour manier ses adversaires qui leur inspirait une si grande peur de lui. Ils n'essayèrent plus de le questionner ce jour-là et se retirèrent pour se consulter à nouveau entre eux. Mais l'auditoire ne fut pas long à discerner le manque d'honnêteté et de sincérité dans les questions posées à Jésus par les dirigeants juifs. Même le petit peuple ne pouvait manquer de noter la différence entre la majesté morale du Maître et l'hypocrisie préconçue de ses ennemis. Mais l'épuration du temple avait rallié les sadducéens aux pharisiens pour parfaire les plans destinés à faire mourir Jésus. Et les sadducéens représentaient alors la majorité du sanhédrin.
3. -- LA PARABOLE DES DEUX FILS
Tandis que les pharisiens ergoteurs se tenaient là en silence, Jésus promena son regard sur eux et dit: « Puisque vous doutez de la mission de Jean et que vous êtes hostiles à l'enseignement et aux oeuvres du Fils de l'Homme, écoutez la parabole que je vais vous conter: Un grand propriétaire respecté avait deux fils et désirait leur aide pour administrer ses vastes domaines. Il alla trouver le cadet et lui dit: « Mon fils, va travailler aujourd'hui dans mon vignoble ». Ce fils irréfléchi répondit à son père: « Je n'irai pas », mais ensuite il se repentit et s'y rendit. Le propriétaire alla ensuite trouver son fils aîné et lui dit également: « Mon fils, va travailler dans mon vignoble. Et ce fils hypocrite et infidèle répondit « Oui, mon père, j'irai ». Mais quand son père eut tourné le des, il n'y alla pas. Je vous pose la question, lequel de ces fils a réellement fait la volonté de son père? »
L'auditoire répondit unanimement « C'est le premier fils ». Alors Jésus dit « C'est exact; et maintenant je proclame que les publicains et les prostitués, même s'ils paraissaient refuser l'appel à la repentance, verront l'erreur de leur voie et entreront dans le royaume de Dieu avant vous qui prétendez avec ostentation servir le Père céleste tout en refusant d'accomplir ses oeuvres. Ce n'est pas vous, scribes et pharisiens, qui avez cru à Jean, mais plutôt les publicains et les pécheurs. Vous ne croyez pas non plus à mon enseignement, mais le peuple écoute mes paroles avec bonheur ».
Jésus ne méprisait pas personnellement les pharisiens et les sadducéens. C'était leur système d'enseignement et de pratique qu'il cherchait à discréditer. Il n'était hostile à personne, mais ici se produisait le conflit inévitable entre une religion spirituelle nouvelle et vivante et l'ancienne religion de cérémonie, de tradition, et d'autorité.
Durant tout ce temps, les douze apôtres étaient restés près du Maître, mais sans participer en aucune façon à ces opérations. Chacun des douze réagissait à sa manière particulière aux événements des derniers jours du ministère terrestre de Jésus, et chacun observait également la consigne du Maître de s'abstenir d'enseigner ou de prêcher en public durant cette semaine de la Pâque.
4. -- LA PARABOLE DU PROPRIÉTAIRE ABSENT
Lorsque les chefs des pharisiens et des scribes, qui avaient cherché à embarrasser Jésus avec leurs questions, eurent fini d'écouter la parabole des deux fils, ils se retirèrent pour se concerter à nouveau. Le Maître s'occupa de la foule attentive et conta une autre parabole:
« Un homme de bien qui possédait une propriété planta un vignoble. Il l'entoura d'une haie, creusa une fosse pour le pressoir, et construisit une tour de guet pour les gardes. Puis il donna son vignoble en location et partit pour un long voyage dans un pays étranger. Quand la saison des vendanges approcha, il envoya des serviteurs aux locataires pour percevoir son fermage. Mais après s'être concertés, les fermiers refusèrent de donner à ces serviteurs le fermage qu'ils devaient à leur maître; au lieu de cela, ils attaquèrent les serviteurs, frappèrent l'un, lapidèrent le deuxième, et renvoyèrent les autres les mains vides. Lorsque le propriétaire eut vent de l'histoire, il envoya d'autres serviteurs plus sûrs pour régler la question avec ces méchants locataires; mais ceux-ci blessèrent les nouveaux serviteurs et les traitèrent honteusement. Alors le propriétaire envoya son serviteur favori, son intendant, et les locataires le tuèrent. Restant patient et tolérant, le propriétaire envoya encore beaucoup d'autres serviteurs, mais les locataires ne voulurent en recevoir aucun; ils frappèrent les uns et tuèrent les autres. Quand le propriétaire eut été ainsi traité, il décida d'envoyer son fils vers ces locataires ingrats en se disant: « Ils peuvent maltraiter mes serviteurs, mais ils montreront certainement du respect pour mon fils bien-aimé ». Mais en voyant venir le fils, les mauvais locataires impénitents tinrent entre eux le raisonnement suivant: « Celui-ci est l'héritier. Allons, tuons-le, et alors l'héritage nous appartiendra ». Puis ils s'emparèrent de lui, le jetèrent hors du vignoble, et le tuèrent. Quand le maître de ce vignoble apprendra qu'ils ont rejeté et tué son fils, que fera-t-il à ces locataires ingrats et méchants? (1)»
Lorsque les auditeurs eurent entendu cette parabole et la question de Jésus, ils répondirent: « Le propriétaire anéantira ces misérables et louera son vignoble à des fermiers honnêtes qui lui rendront les fruits en leur saison ». Certains d'entre eux comprirent que la parabole faisait allusion à la nation juive, à la manière dont elle avait traité les prophètes, et au rejet imminent de Jésus et de l'enseignement du royaume. Ils dirent alors tristement: « Dieu veuille que nous ne continuions pas à faire de pareilles choses ».
Jésus vit qu'un groupe de pharisiens et de sadducéens se frayait un chemin vers lui. Il s'arrêta un moment et dit alors: « Vous savez comment vos pères ont rejeté les prophètes, et vous savez bien que, dans votre coeur, vous avez résolu de rejeter le Fils de l'Homme ». Puis, promenant un regard inquisiteur sur les prêtres et les anciens qui se tenaient près de lui, Jésus dit: « N'avez-vous jamais lu dans les Ecritures l'histoire de la pierre que les bâtisseurs avaient rejetée et qui devint la pierre angulaire quand le peuple la découvrit? Je vous avertis donc une fois de plus que, si vous continuez à rejeter mon évangile, le royaume de Dieu vous sera bientôt enlevé pour être donné à un peuple disposé à recevoir la bonne nouvelle et à produire les fruits de l'esprit. Cette pierre comporte un mystère, car quiconque tombe sur elle sera brisé en morceaux, mais sauvé; mais celui sur qui elle tombera sera réduit en poussière, et ses cendres seront dispersées aux quatre vents » (2).
| (1) Cf. Matthieu XXII- 33 à 43. |
| (2) Cf. Matthieu XXII- 42 à 46. |
Quand les pharisiens entendirent ces paroles, ils comprirent que Jésus faisait allusion à eux et aux autres dirigeants juifs. Ils avaient fort envie de s'emparer de lui sur le champ, mais ils craignaient la multitude. Toutefois, ils furent tellement irrités par les paroles du Maître qu'ils s'écartèrent pour se consulter à nouveau sur la manière de le faire périr. Ce soir-là, les pharisiens et les sadducéens s'entendirent pour essayer de le prendre au piège le lendemain.
5. -- LA PARABOLE DU FESTIN DE MARIAGE
Après que les scribes et les dirigeants se furent retirés, Jésus s'adressa de nouveau à la foule assemblée et conta la parabole du festin de mariage. Il dit:
« On peut comparer le royaume des cieux à un roi qui donna un festin de mariage pour son fils et dépêcha des messagers pour appeler ceux qui avaient été préalablement invités à la fête, en disant: « Tout est prêt pour le dîner de mariage au palais du roi ». Or beaucoup de ceux qui avaient promis d'y assister refusèrent maintenant de s'y rendre. Quand le roi apprit le rejet de ses invitations, il envoya d'autres serviteurs et messagers pour dire: « Dites à tous ceux qui étaient invités de venir, car voici mon dîner est préparé. Mes boeufs et mes bêtes grasses sont tués, et tout est prêt pour le mariage imminent de mon fils ». Mais à nouveau les invités sans égards traitèrent à la légère l'appel de leur roi et allèrent leur chemin, l'un à sa ferme, l'autre à sa poterie, et d'autres à leurs marchandises. D'autres encore ne se contentèrent pas de marquer ainsi du dédain pour la convocation du roi, mais se révoltèrent ouvertement, s'emparèrent des messagers du roi, les maltraitèrent honteusement, et même en tuèrent quelques uns. Quand le roi s'aperçut que ses invités choisis, même ceux qui avaient accepté son invitation préliminaire et promis d'assister à la fête de mariage, avaient finalement rejeté son appel, s'étaient révoltés, puis avaient attaqué et assassiné ses messagers spéciaux, il entra dans une violente colère. Le roi insulté mobilisa ses armées et celles de ses alliés, puis leur ordonna d'anéantir ces meurtriers rebelles et d'incendier leur cité.
« Après avoir puni ceux qui avaient méprisé son invitation, il fixa un nouveau jour pour le festin de mariage et dit à ses messagers: « Les premiers invités au mariage n'étaient pas dignes de ma sollicitude. Allez maintenant aux croisées des chemins et sur les grandes routes, même au delà des limites de la ville, et invitez tous ceux que vous rencontrerez même les étrangers, à venir assister au festin de mariage ». Les serviteurs allèrent donc sur les grandes routes et dans les localités écartées; ils rassemblèrent tous ceux qu'ils rencontrèrent, bons et mauvais, riches et pauvres, de sorte qu'enfin la salle du mariage fut remplie de convives de bonne volonté. Lorsque tout fut prêt, le roi entra pour examiner ses hôtes et, à sa grande surprise, il vit un homme sans robe de noces. Or le roi avait généreusement fourni des robes de noces pour tous ses invités; il s'adressa à l'homme en disant: « Ami, comment se fait-il que tu entres dans la salle des invités, en cette occasion, sans robe de noces? » Et cet homme non préparé ne sut que dire. Alors le roi dit à ses serviteurs: « Chassez cet écervelé de ma maison et faites-lui partager le sort de tous ceux qui ont dédaigné mon hospitalité et rejeté mon appel. Je ne veux avoir personne ici en dehors de ceux qui se réjouissent d'accepter mon invitation, et qui me font l'honneur de porter les vêtements de noces que j'ai si largement mis à la disposition de tout le monde. (1) »
(1) Cf. Matthieu XXII-1 à 14.
Après avoir conté cette parabole, Jésus allait congédier la multitude lorsqu'un croyant sympathisant se fraya un chemin à travers la foule jusqu'à lui et demanda: « Maître, comment serons-nous informés de ces choses? Comment serons-nous prêts pour l'invitation du roi? Quel signe nous donneras-tu pour que nous sachions que tu es le Fils de Dieu? » Après avoir entendu ces questions le Maître dit:« Il ne vous sera donné qu'un seul signe ». Puis, montrant du doigt son propre corps, il poursuivit: « Détruisez ce temple, et en trois jours je le rebâtirai ». Mais les auditeurs ne comprirent pas et se dispersèrent en se disant entre eux: « Il y a près de cinquante ans que ce temple est construit, et pourtant Jésus dit qu'il le détruira et le rebâtira en trois jours. Même les apôtres ne saisirent pas la signification de cette sentence, mais ultérieurement, après la résurrection, ils se rappelèrent ce que le Maître avait dit.
À quatre heures de l'après-midi, Jésus fit signe à ses apôtres et leur indiqua qu'il désirait quitter le temple et aller à Béthanie pour y prendre le repas du soir et une nuit de repos. Sur la montée d'Olivet, Jésus donna des instructions à André, Philippe, et Thomas pour que le lendemain ils établissent un camp plus proche de la ville, un campement qu'ils pourraient occuper durant le reste de la semaine de la Pâque. Conformément à ces ordres, ils plantèrent leurs tentes le lendemain matin dans le ravin à flanc de coteau qui dominait le parc de campement public de Gethsémani, dans un petit terrain appartenant à Simon de Béthanie.
À nouveau ce fut un groupe silencieux qui gravit le versant occidental du Mont Olivet ce lundi soir. Comme jamais auparavant, ces douze hommes commençaient à pressentir qu'un événement tragique était imminent. D'une part la dramatique épuration du temple aux premières heures de la matinée avait suscité leur espoir de voir le Maître d'affirmer et manifester ses puissants pouvoirs; d'autre part les événements de l'après-midi avaient agi à rebours, en ce sens qu'ils laissaient pouvoir avec certitude que les autorités juives rejetteraient les enseignements de Jésus. Les apôtres étaient indécis et sous l'emprise d'une terrible incertitude. Ils comprenaient que seules quelques brèves journées pouvaient s'intercaler entre les événements de la veille et l'écrasement par une condamnation imminente. Ils sentaient tous qu'il allait se passer quelque chose de prodigieux, mais ne savaient à quoi s'attendre. Ils allèrent se reposer chacun dans son coin, mais dormirent très peu. Même les jumeaux Alphée avaient fini par s'éveiller à l'idée que les événements de la vie du Maître se déroulaient rapidement vers leur apogée final.
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- Category: 4. LA VIE ET LES ENSEIGNEMENTS DE JÉSUS
L'ENTRÉE À JÉRUSALEM
JÉSUS et les apôtres arrivèrent à Béthanie un peu après quatre heures de l'après-midi le vendredi 31 mars de l'an 30. Lazare, ses soeurs, et leurs amis les attendaient. Du fait que tant de gens venaient quotidiennement s'entretenir avec Lazare de sa résurrection, Jésus fut informé que des dispositions avaient été prises pour qu'il loge chez un croyant du voisinage, un certain Simon qui, depuis la mort du père de Lazare, était le principal notable du petit village.
Ce soir-là, Jésus reçut un grand nombre de visiteurs: le petit peuple de Béthanie et de Bethphagé fit de son mieux pour lui faire sentir qu'il était bienvenu. Beaucoup de personnes croyaient que Jésus allait maintenant à Jérusalem, au mépris complet du décret de mort émanant du sanhédrin, pour se proclamer roi des Juifs. Mais la famille de Béthanie -- Lazare, Marthe, et Marie comprenait plus clairement que Jésus n'était pas un roi de ce genre; elle sentait obscurément que son séjour à Jérusalem et à Béthanie pouvait être le dernier.
Les chefs des prêtres furent informés que Jésus logeait à Béthanie, mais ils crurent préférable de ne pas chercher à s'emparer de lui parmi ses amis; ils décidèrent d'attendre qu'il entrât à Jérusalem. Jésus savait tout cela, mais conservait un calme majestueux. Jamais ses amis ne l'avaient vu plus paisible et plus aimable. Même les apôtres furent stupéfaits de constater son absence de préoccupation, alors que les membres du sanhédrin avaient fait appel à toute la population juive pour le livrer entre leurs mains. Cette nuit-là, pendant que le Maître dormait, les apôtres se relayèrent deux par deux pour monter la garde, et plusieurs d'entre eux avaient ceint leur épée. Le lendemain matin de bonne heure, ils furent réveillés par des centaines de pèlerins venant de Jérusalem, même en ce jour de sabbat, pour voir Jésus et Lazare qu'il avait ressuscité d'entre les morts.
1. -- LE SABBAT À BÉTHANIE
Des pèlerins étrangers à la Judée, ainsi que les autorités juives, avaient tous demandé: « Qu'en pensez-vous? Jésus va-t-il venir à la fête? » Le peuple fut heureux d'apprendre que Jésus était à Béthanie, mais les chefs des prêtres et les pharisiens furent quelque peu désorientés. Ils étaient contents de l'avoir sous leur juridiction, mais ils étaient légèrement déconcertés par son audace. Ils se rappelaient que, lors de sa précédente visite, Lazare avait été ressuscité d'entre les morts, et Lazare devenait un grand problème pour les ennemis de Jésus.
Six jours avant la Pâque, le soir après le sabbat, tout Béthanie et tout Bethphagé se réunirent pour célébrer l'arrivée de Jésus par un banquet public chez Simon. Ce souper était en l'honneur de Jésus et de Lazare; il fut offert en bravant le sanhédrin. Marthe dirigea le service du repas. Sa soeur Marie se trouvait parmi les spectatrices, car il était contraire à la coutume des Juifs qu'une femme prenne part à un banquet public. Les agents du sanhédrin étaient présents, mais craignaient d'appréhender Jésus au milieu de ses amis.
Jésus s'entretint avec Simon du Josué de jadis, dont le prénom était homonyme du sien, et raconta comment Josué et les Israélites étaient arrivés à Jérusalem par Jéricho. En commençant la légende de la chute des remparts de Jéricho, Jésus dit: « Je ne m'intéresse pas à ces murailles de brique et de pierre, mais je voudrais provoquer l'effondrement des remparts de préjugés, de pharisaïsme, et de haine devant la proclamation de l'amour du Père pour tous les hommes ».
Le banquet continua très gaîment et normalement, sauf que tous les apôtres étaient empreints d'une gravité inhabituelle. Jésus était exceptionnellement gai et avait joué avec les enfants jusqu'au moment de se mettre à table.
Rien d'extraordinaire ne se produisit jusque vers la fin du festin, lorsque Marie, soeur de Lazare, sortit du groupe des spectatrices, s'avança jusqu'au divan où Jésus était étendu comme hôte d'honneur, et se mit à déboucher un grand flacon d'albâtre contenant un onguent très rare et coûteux. Après en avoir oint la tête du Maître, elle commença à en verser sur ses pieds et défit ses cheveux pour les lui essuyer. Toute la maison fut remplie du parfum de l'onguent, et tous les assistants furent stupéfaits de ce que Marie avait fait. Lazare ne dit rien, mais lorsque certains convives murmurèrent en s'indignant de cet emploi d'un onguent aussi coûteux, Judas Iscariot s'approcha de l'endroit où André était allongé et dit: « Pourquoi n'a-t-on pas vendu cet onguent et donné l'argent pour nourrir les pauvres? Tu devrais dire au Maître de réprouver ce gaspillage ».
Sachant ce qu'ils pensaient et entendant ce qu'ils disaient, Jésus posa sa main sur la tête de Marie agenouillée à son côté et, avec une expression de bonté sur son visage, il dit: « Que chacun de vous la laisse tranquille. Pourquoi la troublez-vous à ce propos, vu qu'elle a commis une bonne action dans son coeur? A vous, qui murmurez en disant que cet onguent aurait dût être vendu et l'argent donné aux pauvres, laissez-moi vous dire que vous aurez toujours les pauvres avec vous, de sorte que vous pourrez vous occuper d'eux quand bon vous semblera. Mais moi je ne serai pas toujours avec vous; j'irai bientôt auprès de mon Père. Cette femme a conservé depuis longtemps cet onguent pour mon corps lors de mon enterrement; puisqu'elle a cru bon de procéder à cette onction en anticipant sur ma mort, cette satisfaction ne lui sera pas refusés. En faisant cela, Marie vous a tous blâmés, en ce sens que, par cet acte, elle manifeste sa foi en ce que j'ai dit sur ma mort et mon ascension auprès du Père céleste. Cette femme ne sera pas réprimandée pour ce qu'elle a fait ce soir. Je vous dis au contraire que, dans les âges à venir, quand l'évangile sera prêché dans le monde entier, ce qu'elle a fait sera raconté partout en mémoire d'elle » (1).
(1) Cf. Jean XXII - 1 à 8.
Ce fut à cause de ce blâme, pis pour un reproche personnel, que Judas Iscariot se décida finalement à chercher une vengeance pour ses sentiments froissés. Il avait maintes fois entretenu ces idées dans son subconscient, mais maintenant il osa considérer ces méchancetés dans sa pensée pleinement consciente. Beaucoup d'autres convives l'encouragèrent dans cette attitude, car le prix de l'onguent équivalait au salaire d'un homme pendant une année assez pour fournir du pain à cinq mille personnes. Mais Marie aimait Jésus; elle s'était procuré le précieux onguent pour embaumer son corps après sa mort, car elle croyait à ses paroles quand il les avertissait qu'il devait mourir. L'application de l'onguent ne devait pas être refusée à Marie, même si elle changeait d'avis et décidait de faire cette offrande au Maître pendant qu'il était encore vivant.
Lazare et Marthe savaient tous deux que Marie avait mis longtemps à épargner l'argent destiné à acheter ce flacon de nard; ils approuvaient sincèrement qu'elle ait agi en cette affaire selon le désir de son coeur, car ils étaient fortunés et pouvaient facilement s'offrir le luxe d'une telle offrande.
Quand les chefs des prêtres eurent vent de ce dîner à Béthanie en l'honneur de Jésus et de Lazare, ils commencèrent à tenir conseil sur la ligne de conduite à suivre envers Lazare. Ils décidèrent bientôt que Lazare devait également mourir. Ils conclurent à juste titre qu'il serait inutile de mettre Jésus à mort s'ils laissaient vivre Lazare, que Jésus avait ressuscité d'entre les morts.
2. -- LE DIMANCHE MATIN AVEC LES APÔTRES
Ce dimanche matin, dans le magnifique jardin de Simon, le Maître appela les douze apôtres autour de lui et leur donna ses instructions finales préalablement à l'entrée à Jérusalem. Il leur dit qu'il prononcerait probablement beaucoup de sermons et enseignerait de nombreuses leçons avant de retourner auprès du Père, mais il leur recommanda de s'abstenir de toute manifestation publique durant ce séjour pour la Pâque à Jérusalem. Il leur ordonna de rester près de lui et de « veiller et prier ». Jésus savait qu'un grand nombre de ses apôtres et disciples immédiats portaient déjà des épées dissimulées sur eux, mais ne fit aucune allusion à cet état de choses.
Les instructions de cette matinée comportaient un bref résumé du ministère des apôtres depuis le jour de leur ordination près de Capharnaüm jusqu'au jour actuel où ils se préparaient à entrer à Jérusalem. Les apôtres écoutèrent en silence et ne posèrent aucune question.
De bonne heure ce matin-là, David Zébédée avait remis à Judas les fonds provenant de la vente de l'équipement du camp de Pella. A son tour, Judas avait remis la majeure partie de cet argent à Simon, leur hôte, pour qu'il le conserve en anticipation des exigences de leur entrée à Jérusalem.
Après la conférence avec les apôtres, Jésus eut un entretien avec Lazare et lui recommanda d'éviter de sacrifier sa vie à l'esprit de vengeance du sanhédrin. Ce fut pour obtempérer à cette recommandation que Lazare s'enfuit quelques jours plus tard à Philadelphie, quand les fonctionnaires du sanhédrin envoyèrent des agents pour l'arrêter.
Dans un certain sens, tous les disciples de Jésus sentaient la crise imminente, mais furent empêchés d'en comprendre pleinement la gravité par la gaîté inhabituelle et la bonne humeur exceptionnelle du Maître.
3. -- LE DÉPART POUR JÉRUSALEM
Béthanie était à peu près à trois kilomètres du temple, et ce fut à une heure et demie, ce dimanche après-midi que Jésus se prépara à partir pour Jérusalem. Il avait des sentiments de profonde affection pour Béthanie et les âmes simples de ses habitants. Nazareth, Capharnaüm, et Jérusalem l'avaient rejeté, mais Béthanie l'avait accepté et avait cru en lui. Ce fut dans ce petit village, où presque tous les hommes, femmes et enfants étaient des croyants, que Jésus choisit d'accomplir la plus puissante oeuvre de son effusion terrestre, la résurrection de Lazare. S'il le ressuscita, ce ne fut pas pour amener les habitants à croire, mais plutôt parce qu'ils croyaient déjà.
Jésus avait réfléchi toute la matinée à son entrée à Jérusalem. Jusque là, il s'était toujours efforcé d'empêcher que le public ne l'acclame en tant que Messie, mais ce jour-là la situation était différente. Il approchait de la fin de son incarnation, sa mort avait été décrétée par le sanhédrin, et il n'y avait pas d'inconvénient à permettre à ses disciples d'exprimer librement leurs sentiments, exactement comme cela se serait produit s'il avait choisi de faire une entrée officielle et publique dans la ville.
Ce ne fut ni comme un dernier appel à la faveur populaire, ni comme une ultime tentative pour s'emparer du pouvoir, que Jésus décida de faire publiquement son entrée à Jérusalem. Ce ne fut pas non plus pour satisfaire les désirs humains de ses disciples et apôtres. Jésus n'entretenait aucune des illusions fantasmagoriques d'un rêveur: il savait bien quel serait le dénouement de cette visite.
Après avoir décidé de faire une entrée publique à Jérusalem, le Maître fut obligé de choisir une méthode convenable pour exécuter sa résolution. Il passa en revue les nombreuses prophéties plus ou moins contradictoires dites messianiques, mais n'en trouva qu'une seule susceptible d'être décemment suivie. La plupart des affirmations prophétiques décrivaient un roi, fils et successeur de David, un homme audacieux et agressif, capable de délivrer temporellement tout Israël du joug de la domination étrangère. Mais il existait un passage des Ecritures parfois associé au Messie par ceux qui s'attachaient davantage au concept spirituel de sa mission. Jésus pensa que ce passage pouvait logiquement servir de guide pour son entrée à Jérusalem. La citation se trouvait dans Zacharie et disait: « Réjouis-toi grandement, O fille de Sion pousse des cris de joie, O fille de Jérusalem. Voici, ton roi vient à toi. Il est juste et apporte le salut. Il vient humblement monté sur un âne, sur un ânon, le petit d'une ânesse (1).
Un roi belliqueux entrait toujours dans une ville monté sur un cheval; un roi en mission pacifique et amicale entrait toujours monté sur un âne. Jésus ne voulait pas entrer à Jérusalem monté sur un cheval, mais il était disposé à y entrer pacifiquement monté sur un âne, en tant que Fils de l'Homme.
Jésus avait essayé depuis longtemps d'inculquer par enseignement direct à ses apôtres et à ses disciples que son royaume n'était pas de ce monde, qu'il s'agissait d'une affaire spirituelle; mais il n'y était pas parvenu. Maintenant, il voulait essayer d'accomplir par un appel symbolique ce qu'il n'avait pas réussi à faire par son enseignement clair et personnel. En conséquence, Jésus appela Pierre et Jean tout de suite après le repas de midi et leur ordonna d'aller à Bethphagé, un village voisin situé un peu à l'écart de la grande route et à une courte distance au nord-ouest de Béthanie. Il leur dit: « Allez à Bethphagé et, lorsque vous arriverez au croisement des routes, vous trouverez le petit d'une ânesse attaché là. Détachez l'ânon et ramenez-le. Si quelqu'un vous demande pourquoi vous faites cela, dites simplement: Le Maître en a besoin » (2). Lorsque les deux apôtres furent allés à Bethphagé conformément aux instructions reçues, ils trouvèrent l'ânon attaché dans la rue à coté de sa mère et près d'une maison d'angle. Tandis que Pierre détachait l'ânon, le propriétaire arriva et demanda pourquoi ils faisaient cela. Lorsque Pierre lui eut répondu conformément aux instructions du Maître, l'homme dit: « Si votre Maître est Jésus de Galilée, l'ânon est à sa disposition ». Ils ramenèrent donc l'ânon.
À ce moment, plusieurs centaines de pèlerins s'étaient réunis autour de Jésus et de ses apôtres. Depuis le milieu de la matinée, les visiteurs de passage qui se rendaient à la Pâque s'étaient arrêtés. Entre temps, David Zébédée et quelques-uns de ses anciens messagers prirent sur eux d'aller en hâte à Jérusalem, où ils répandirent, parmi les foules de pèlerins visitant le temple, la nouvelle que Jésus de Nazareth faisait une entrée triomphale dans la ville. En conséquence, plusieurs milliers de ces pèlerins s'attroupèrent pour saluer le prophète, auteur des prodiges dont on avait tant parlé, et que certains prenaient pour le Messie. Cette multitude qui sortait de Jérusalem rencontra Jésus et la foule qui se dirigeaient vers Jérusalem, aussitôt après qu'ils eurent franchi la crête du Mont des Oliviers et commencé à descendre vers la ville.
Quand la procession partit de Béthanie, l'enthousiasme était grand parmi la foule joyeuse de disciples, de croyants, et de pèlerins visiteurs, dont beaucoup venaient de Galilée et de Pérée. Au moment du départ, les douze femmes du corps évangélique initial, accompagnées de quelques collaboratrices, arrivèrent sur la scène et se joignirent à cette procession extraordinaire qui se dirigeait gaîment vers la ville.
Avant le départ, les jumeaux Alphée posèrent leurs manteaux sur l'âne et maintinrent l'animal pendant que le Maître l'enfourchait. Au cours de la montée vers le sommet d'Olivet, la foule joyeuse jeta ses vêtements sur le sol et apporta des branches cueillies sur les arbres voisins pour faire un tapis d'honneur au Fils royal, le Messie promis porté par l'âne. A l'approche de Jérusalem, la foule heureuse commença à chanter, ou plutôt à crier à l'unisson le Psaume: « Hosanna au Fils de David. Béni soit celui qui vient au nom de l'Éternel. Hosanna dans les lieux très hauts. Béni soit le royaume qui descend du ciel » (3).
Jésus fut gai et joyeux au cours du trajet, jusqu'au moment où il arriva sur la crête du Mont des Oliviers, d'où l'on avait une vue panoramique sur la ville et les tours du temple. Le Maître arrêta la procession, et un grand silence s'abattit sur l'assistance qui le voyait pleurer. Abaissant son regard sur la vaste multitude sortant de la ville pour l'accueillir, le Maître dit avec beaucoup d'émotion et une voix mouillée de larmes: « O Jérusalem, si tu avais seulement connu, toi aussi, au moins en ce jour qui t'est donné, les choses qui appartiennent à ta paix et que tu aurais pu avoir si largement! Ces gloires vont désormais être cachées à tes yeux. Tu es sur le point de rejeter le Fils de la Paix et de tourner le dos à l'évangile du salut. Les jours viendront bientôt où tes ennemis creuseront une tranchée autour de toi et t'assiégeront de tous côtés; ils te détruiront de fond en comble, et il ne restera pas pierre sur pierre de toi. Et tout cela t'arrivera parce que tu n'as pas connu le temps de ta divine visitation. Tu vas rejeter le don de Dieu, et tous les hommes te rejetteront » (4).
Lorsque Jésus eut fini de parler, la procession commença la descente du Mont des Oliviers et rencontra bientôt la multitude des visiteurs qui venaient de Jérusalem en agitant des branches de palmier, en criant des hosannas, et en exprimant de diverses façons son allégresse et sa solidarité. Le Maître n'avait rien fait pour que des foules sortent de Jérusalem à sa rencontre; d'autres que lui s'en étaient chargés. Il ne prémédita jamais aucune scène théâtrale.
A la multitude qui affluait pour souhaiter la bienvenue au Maître s'étaient joints de nombreux pharisiens et autres ennemis de Jésus. Ils furent tellement déconcertés par cette explosion soudaine et inattendue d'acclamations populaires qu'ils eurent peur d'arrêter Jésus, de crainte que cet acte ne précipite ouvertement une révolte populaire. Ils craignaient grandement le comportement de la masse des visiteurs, qui avaient beaucoup entendu parler de Jésus, et dont un grand nombre croyaient en lui.
A l'approche de Jérusalem, la foule devint plus démonstrative, au point que certains pharisiens se rapprochèrent de Jésus et dirent: « Maître, tu devrais réprimander tes disciples et les exhorter à se conduire plus convenablement ». A quoi Jésus répondit: « Il convient que ces enfants souhaitent la bienvenue au Fils de la Paix, que les chefs des prêtres ont rejeté. N'essayez pas de les faire taire, de crainte qu'à leur place les pierres du bord de la route ne se mettent à crier » (5).
| (1) Zacharie IX - 9 et Matthieu XXI - 5. |
| (2) Cf. Matthieu XXI-2. |
| (3) Cf. PSaume CXVIII-25 ; Matthieu XXI-9 ; Marc XI-9 ; Jean XII-13. |
| (4) Cf. Luc XIX-41 à 44. |
| (5) Cf. Luc XIX - 40. |
Les pharisiens se hâtèrent de précéder la procession pour rejoindre le sanhédrin qui siégeait alors au temple, et ils rendirent compte à leurs collègues: « Voici, tout ce que nous faisons ne sert à rien; nous sommes déconcertés par ce Galiléen. Le peuple est devenu fou de lui; si nous n'arrêtons pas ces ignorants, le monde entier va le suivre ».
En réalité, il n'y avait pas lieu d'attacher une signification profonde à cette explosion superficielle et spontanée d'enthousiasme populaire. Bien que joyeux et sincère, cet accueil ne dénotait aucune conviction réelle ou profonde dans le coeur de la multitude allègre. Les mêmes foules furent tout aussi promptes à rejeter Jésus, plus tard dans la même semaine, dès que le sanhédrin eut pris fermement et résolument position contre lui, quand elles perdirent leurs illusions -- quand elles se rendirent compte que Jésus n'allait pas instaurer le royaume conformément à leurs espoirs longtemps nourris.
Mais toute la ville fut puissamment agitée, au point que tout le monde demandait: « Qui est cet homme? » Et la multitude répondait: « C'est Jésus de Nazareth, le prophète de Galilée.
4. -- LA VISITE AU TEMPLE
Pendant que les jumeaux Alphée allaient restituer l'âne à son propriétaire, Jésus et les dix apôtres se séparèrent de leurs disciples les plus proches et déambulèrent dans le temple en observant les préparatifs de la Pâque. Aucune tentative ne fut faite pour molester Jésus, car le sanhédrin craignait beaucoup le peuple, et après tout, cette crainte était l'une des raisons pour lesquelles Jésus avait permis à la multitude de l'acclamer ainsi. Les apôtres ne comprenaient pas que c'était l'unique procédé humain susceptible d'empêcher efficacement que Jésus ne soit immédiatement arrêté lors de son entrée dans la ville. Le Maître désirait donner aux habitants de Jérusalem, humbles et notables, ainsi qu'aux dizaines de milliers d'assistants à la Pâque, cette dernière chance supplémentaire d'entendre l'évangile et de recevoir, s'ils le voulaient, le Fils de la Paix.
Maintenant, tandis que l'après-midi se terminait et que les foules allaient se restaurer, Jésus et ses collaborateurs immédiats furent laissés seuls. Quelle étrange journée cela avait été! Les apôtres étaient pensifs, mais muets. Jamais, au cours de leur association avec Jésus, ils n'avaient assisté à une journée semblable. Ils s'assirent pendant un moment près de l'emplacement du trésor du temple, observant les gens qui y versaient leur contribution: les riches mettaient de grosses sommes dans la caisse des offrandes, et chacun donnait quelque chose selon ses moyens. A la fm arriva une pauvre veuve, misérablement vêtue, et ils remarquèrent qu'elle mettait deux pites (petites pièces de cuivre) dans le tronc. Alors Jésus attira l'attention des apôtres sur la veuve en disant: « Retenez bien ce que vous venez de voir. cette pauvre veuve a donné plus que tous les autres, car les autres ont donné une petite fraction de leur superflu, tandis que malgré sa misère cette pauvre femme a donné tout ce qu'elle avait, même son nécessaire (10.
(1) Cf. Marc XII -42 à 46 et Luc XXI - 1 à 4.
Tandis que la nuit tombait, ils circulèrent en silence dans les cours du temple, et Jésus se rappela les émotions liées à ses visites antérieures, sans oublier les toutes premières. Après qu'il eut observé une fois de plus ces scènes familières, il dit: « Allons à Béthanie pour nous reposer ». Jésus, avec Jacques et Jean, alla habiter chez Simon, tandis que les autres apôtres logèrent chez leurs amis à Béthanie et à Bethphagé.
5. -- LE COMPORTEMENT DES APÔTRES
Ce dimanche soir, durant le retour à Béthanie, Jésus marcha devant les apôtres. Aucune parole ne fut prononcée jusqu'au moment où ils se séparèrent après être arrivés à la maison de Simon. Jamais douze humains n'éprouvèrent des sentiments aussi variés et inexplicables que ceux qui surgissaient maintenant dans la pensée et l'âme de ces ambassadeurs du royaume. Ces robustes Galiléens étaient troublés et déconcertés; ils ne savaient pas à quoi s'attendre; ils étaient trop surpris pour être très effrayés. Ils ne savaient rien des plans du Maître pour le lendemain, et ils ne posaient pas de questions. Ils se rendirent à leurs logements, mais ne dormirent pas beaucoup, sauf les jumeaux. Toutefois, ils ne montèrent pas une garde armée autour de Jésus chez Simon.
André était complètement abasourdi et presque désorienté. Il fut le seul apôtre qui ne chercha pas sérieusement à évaluer l'explosion populaire des acclamations. Il était trop préoccupé par la pensée de sa responsabilité de chef du corps apostolique pour analyser sérieusement le sens ou la signification des bruyants hosannas de la multitude. André était fort affairé à veiller sur certains de ses collègues, dont il craignait qu'ils ne se laissent emporter par leurs émotions durant l'excitation populaire, spécialement Pierre, Jacques, Jean, et Simon le Zélote. Durant toute cette journée et celles qui suivirent immédiatement, André fut assailli de doutes graves, mais n'exprima jamais aucune de ses inquiétudes à ses compagnons apostoliques. Il était préoccupé du comportement de certains des douze, qu'il savait armés d'épées, mais il ignorait que son propre frère Pierre en portait une. La procession entrant à Jérusalem ne fit donc qu'une impression relativement superficielle sur André. Il était trop occupé par les responsabilités de sa charge pour être autrement touché.
Simon Pierre fut d'abord presque grisé par la manifestation populaire d'enthousiasme; mais il était fortement dégrisé au moment où ils rentrèrent à Béthanie ce soir-là. Pierre ne pouvait pas imaginer où le Maître voulait en venir. Il était terriblement déçu que Jésus n'ait pas profité de cette vague de faveur populaire pour faire une proclamation quelconque. Pierre n'arrivait pas à comprendre pourquoi Jésus n'avait pas parlé à la multitude en arrivant au temple, ou tout au moins permis à l'un des apôtres de haranguer la foule. Pierre était un grand prédicateur, et il lui déplaisait de négliger un auditoire aussi vaste, aussi réceptif, et aussi enthousiaste. Il aurait tant aimé prêcher l'évangile du royaume à cette foule, sur place dans le temple, mais le Maître leur avait expressément interdit d'enseigner ou de prêcher à Jérusalem durant cette semaine de la Pâque. La réaction à la procession spectaculaire dans la ville fut désastreuse pour Simon Pierre. A la nuit, il était dégrisé et empreint d'une tristesse inexprimable.
Pour Jacques Zébédée, ce dimanche fut un jour de perplexité et de trouble profond; il ne saisissait pas le but des événements; il ne pouvait comprendre le dessein du Maître qui permettait ces folles acclamations, puis refusait de dire un mot à la foule en arrivant au temple. Pendant que la procession descendait d'Olivet vers Jérusalem, et plus spécialement au moment où elle rencontra les milliers de pèlerins qui affluaient pour accueillir le Maître, Jacques fut cruellement déchiré par des sentiments contradictoires: exaltation et satisfaction pour ce qu'il voyait, et profonde crainte de ce qui allait se passer à leur arrivée au temple. Ensuite il fut découragé et accablé de déception lorsqu'il vit Jésus descendre de l'âne et se promener posément dans les cours du temple. Jacques ne pouvait comprendre pourquoi il gâchait cette magnifique occasion de proclamer le royaume. Le soir, une angoissante et terrible incertitude s'implanta fermement dans sa pensée.
Jean Zébédée arriva presque à comprendre les mobiles des actes de Jésus; tout au moins il saisit partiellement la signification spirituelle de cette soi-disant entrée triomphale à Jérusalem. Pendant que la multitude se dirigeait vers le temple et qu'il voyait son Maître à califourchon sur l'âne, il se souvint d'avoir entendu Jésus citer le passage des Ecritures où Zacharie décrivait le Messie comme un homme de paix entrant à Jérusalem sur un ânon. En réfléchissant à cette citation des Ecritures, Jean commença à comprendre le sens symbolique du spectacle de ce dimanche après-midi. Tout au moins il comprit suffisamment la signification du passage des Ecritures pour jouir quelque peu de l'épisode et ne pas se laisser déprimer à l'excès par la fin apparemment inutile de la procession triomphale. Le type d'intelligence de Jean l'inclinait naturellement à penser et à sentir en symboles.
Philippe fut complètement désarçonné par la soudaineté et la spontanéité de l'explosion. En descendant d'Olivet, il ne put rassembler suffisamment ses idées pour arriver à une conclusion précise sur la signification de la démonstration. Dans un sens, il jouissait du spectacle parce que son Maître était à l'honneur. En arrivant au temple, il fut troublé par l'idée que Jésus pourrait lui demander de nourrir la multitude, de sorte qu'il fut grandement soulagé lorsque Jésus s'éloigna paisiblement des foules, alors que cette conduite était une cruelle déception pour la majorité des apôtres. Les multitudes avaient parfois constitué une grande épreuve pour l'intendant des douze. Après avoir été libéré des craintes personnelles concernant les besoins matériels de la foule, Philippe se joignit à Pierre pour exprimer sa déception de ce que l'on ne fasse rien pour enseigner la multitude. Ce soir-là, Philippe repensa à ces expériences et fut tenté de mettre en doute toute l'idée du royaume. Il se demanda honnêtement et avec étonnement la signification possible de tous ces événements, mais ne fit part de ses doutes à personne. Il aimait trop Jésus et avait une grande foi personnelle dans le Maître.
En dehors des aspects symboliques et prophétiques des événements, Nathanael fut l'apôtre qui comprit le mieux les raisons du Maître pour s'assurer le soutien populaire des pèlerins de la Pâque. Avant d'arriver au temple, il raisonna que, sans cette entrée spectaculaire à Jérusalem, Jésus aurait été arrêté par les agents du sanhédrin et jeté en prison dès l'instant où il aurait osé entrer dans la ville. Il ne fut donc aucunement surpris de voir que le Maître ne se servait plus de la foule enthousiaste après avoir pénétré dans l'enceinte de la ville et fait une telle impression sur les dirigeants juifs qu'ils s'abstinrent de le mettre immédiatement en état d'arrestation. Comprenant la véritable raison du Maître pour pénétrer dans la ville de cette manière, Nathanael resta naturellement mieux équilibré en suivant le groupe, et fut moins troublé et déçu que les autres apôtres par la conduite ultérieure de Jésus. Nathanael avait grande confiance dans l'aptitude de Jésus à comprendre les hommes, et dans sa sagacité et son habileté à manier des situations difficiles.
Matthieu fut d'abord désemparé par le déroulement du spectacle. Il ne saisit la signification de ce que ses yeux voyaient qu'au moment où, à son tour, il se souvint de la citation de Zacharie dans laquelle le prophète faisait allusion à la joie de Jérusalem parce que son roi était venu, apportant le salut et monté sur le petit d'une ânesse. Pendant que la procession se dirigeait vers la ville puis s'orientait vers le temple, Matthieu, tomba en extase; il avait la conviction que quelque chose d'extraordinaire se produirait au moment où le Maître arriverait au temple à la tête de cette multitude poussant des clameurs. Lorsqu'un pharisien se moqua de Jésus en disant: « Regardez tous, voyez celui qui vient ici, le roi des Juifs monté sur un âne », Matthieu ne s'abstint de le frapper que grâce à un grand effort sur lui-même. Aucun des douze n'était plus déprimé que lui ce soir-là sur le chemin du retour à Béthanie. Après Simon Pierre et Simon le Zélote, ce fut lui qui éprouva la plus violente tension nerveuse et se trouva le soir dans un état de complet épuisement. Mais le lendemain matin, Matthieu avait repris courage; après tout, il était beau joueur.
Thomas fut le plus désorienté et le plus perplexe des douze. La plupart du temps il se borna à suivre la procession, regardant le spectacle et se demandant honnêtement quel pouvait bien être le mobile du Maître pour participer à une démonstration aussi particulière. Au plus profond de son coeur, il considérait toute la scène comme un peu enfantine, sinon tout à fait stupide. Il n'avait jamais vu Jésus faire quelque chose de semblable, et il était embarrassé pour expliquer l'étrange conduite du Maître ce dimanche après-midi. Au moment où ils arrivèrent au temple, Thomas avait conclu que cette démonstration populaire avait pour dessein d'effrayer le sanhédrin au point qu'il n'oserait pas faire arrêter immédiatement le Maître. Sur le chemin de retour à Béthanie, Thomas réfléchit beaucoup mais ne dit rien. Au moment de se coucher, l'habileté du Maître à organiser la tumultueuse entrée à Jérusalem avait commencé à faire quelque peu appel a son sens de l'humour, et il fut très encouragé par cette réaction.
Ce dimanche avait débuté comme un grand jour pour Simon Zélotès. Il avait des visions d'actes merveilleux accomplis à Jérusalem au cours des prochains jours, et en cela il avait raison, mais Simon rêvait de l'instauration de la nouvelle souveraineté nationale des Juifs, avec Jésus sur le trône de David. Simon imaginait les nationalistes passant à l'action dès la proclamation du royaume, avec lui-même au commandement suprême des forces militaires du nouveau royaume, en voie de rassemblement. Sur la descente du Mont des Oliviers, il envisageait même que les membres du sanhédrin et tous leurs partisans seraient morts ce jour-là avant le coucher du soleil. Il croyait réellement qu'un grand événement allait se produire. Il était l'homme le plus bruyant de toute la foule. Mais à cinq heures de l'après-midi, il n'était plus qu'un apôtre silencieux, abattu, et désillusionné. Il ne se remit jamais complètement de la dépression qui l'affecta à la suite du choc de cette journée; du moins il en souffrit encore longtemps après la résurrection du Maître.
Pour les jumeaux Alphée, cette journée fut parfaite. Ils en jouirent réellement tout le temps. Par suite de leur absence pendant la paisible visite au temple, ils échappèrent en grande partie au contre-coup des acclamations populaires. Ils ne pouvaient absolument pas comprendre l'attitude effondrée des apôtres à leur retour à Béthanie ce soir-là. Dans les souvenirs des jumeaux, cette journée fut toujours celle où ils se sentirent le plus près du ciel sur la terre; elle fut l'apogée satisfaisant de toute leur carrière d'apôtres. Le souvenir de l'exaltation de ce dimanche après-midi les soutint durant toute la tragédie de cette mémorable semaine, jusqu'à l'heure de la crucifixion. C'était l'entrée royale la plus appropriée qu'ils pouvaient concevoir; ils jouirent de chaque instant du spectacle. Ils approuvaient pleinement tout ce qu'ils virent, et en chérirent longtemps le souvenir.
Parmi tous les apôtres, c'est Judas Iscariot qui fut le plus défavorablement affecté par l'entrée processionnelle à Jérusalem. Sa pensée fermentait désagréablement parce que le Maître l'avait réprimandé la veille au sujet de l'onction faite par Marie au festin donné chez Simon. Judas était dégoûté de toute la procession, qui lui paraissait enfantine, sinon franchement ridicule. Tandis que cet apôtre enclin à la vengeance observait les manoeuvres de ce dimanche après-midi, Jésus lui paraissait ressembler davantage à un clown qu'à un roi. Judas était profondément froissé de tout ce spectacle. Il partageait le point de vue des Grecs et des Romains qui méprisaient toute personne acceptant de monter sur un âne ou sur un ânon. Au moment où la procession triomphale entra dans la ville, Judas s'était à peu près décidé à abandonner toute idée d'un pareil royaume. Il était presque résolu à renoncer à toutes ces tentatives burlesques pour établir le royaume des cieux. Puis il pensa à la résurrection de Lazare, et à maints autres événements, et décida de rester avec les douze au moins un jour de plus. En outre, il portait leur bourse et ne voulait pas déserter en emportant les fonds apostoliques. Sur le chemin du retour à Béthanie ce soir-là, sa conduite ne parut pas anormale, car tous les apôtres étaient également déprimés et silencieux.
Judas fut prodigieusement influencé par le fait que ses amis sadducéens le tournèrent en ridicule. Aucun autre facteur n'exerça sur sa détermination finale d'abandonner Jésus et les autres apôtres une aussi puissante influence qu'un épisode survenu au moment où Jésus arriva à la porte de la ville. Un notable sadducéen, ami de la famille de Judas, se précipita vers lui avec l'intention de le ridiculiser gaîment, lui donna une tape dans le dos, et dit: « Pourquoi fais-tu si piteuse mine, mon bon ami? Réjouis-toi, et joins-toi à nous pour acclamer ce Jésus de Nazareth, le roi des Juifs, tandis qu'il franchit la porte de Jérusalem, monté sur un âne ». Judas n'avait jamais reculé devant les persécutions, mais il ne put supporter d'être ainsi tourné en dérision. S'ajoutant à son sentiment longtemps entretenu de revanche, se mélangeait maintenant cette fatale peur du ridicule, ce sentiment terrible et effrayant d'être honteux de son Maître et de ses collègues apôtres. Dans son coeur, cet ambassadeur ordonné du royaume était déjà un déserteur; il ne lui restait plus qu'à trouver un prétexte plausible pour rompre ouvertement avec le Maître.



